10 : LE DIMANCHE SOIR


10 : LE DIMANCHE SOIR

Cette journée a été rythmée par tous mes devoirs, me projetant dans la chute de mes fiches et la fin de mon temps de repos. Comme tous les week-ends, samedi rime avec Judith et dimanche rime avec famille.

Il est à peine 19 heures mais ma mère crie déjà son fameux « À table ! ». Dans la salle à manger, est déjà installé André toujours en jogging le dimanche, des assiettes dans les mains. Je lui propose de me les passer pour me laisser finir de faire la table à sa place. June arrive quelques minutes plus tard, toute blême.

- Quelque chose ne va pas ? demande mon beau-père en remarquant lui aussi la mauvaise mine de ma petite-sœur.

Elle s'assoit à sa place attribuée et s'attache les cheveux en une queue de cheval mal faite. June n'aime pas répondre à André, elle le trouve trop naze pour être son nouveau père.

- June, aie la politesse de répondre, ordonne ma mère en sortant de la cuisine, une casserole fumante de pâtes à la carbonara dans les mains.

La blonde hausse les épaules de manière insolente et je soupire. Elle est vraiment casse-couilles ces derniers temps.

- Laisse tomber Delphine... Hm... Ça sent drôlement bon dis donc !

Et c'est vrai que ça sent bon. Je laisse mes parents se servir en partageant des sourires éclatants avant de prendre l'assiette de ma petite-sœur. Celle-ci ne touche presque pas à son plat, sûrement trop occupée à être distraite par des pensées qu'elle ne partagera jamais avec moi.

- Maman, Pedro est sorti de ton bureau aujourd'hui ? demandé-je en pensant à mon bon vieux chat.

Elle grimace.

- Je lui ai donné des croquettes mais il passe sa vie à dormir ces temps-ci... répond-t-elle dans un soupir.

André se tourne vers moi, enclin à faire la discussion.

- Sinon ça va la Terminale S Ewel ? J'ai vu que t'avais encore du temps pour sortir le samedi, c'est bien, tu sais bien arranger ton temps. Et de ce que je vois, pas de gueules de bois.

Ma mère fusille mon beau-père du regard.

- Roh, Delphine, tu sais très bien que les gosses vont à des soirées avec de l'alcool très tôt ces dernières années... se justifie-t-il.

Je lui souris, d'accord avec sa remarque. +1 André.

- Oui mais, ne parle pas de ça à table avec June à côté, elle est encore trop jeune.

Oh... Si tu savais maman...

Le blanc qui a suivi m'a permis d'avaler des bouchées de pâtes délicieuses. Le bonheur de mes papilles vient d'atteindre son paroxysme.

- Moi, sinon, ça va la S. J'ai eu 13 en maths et 11 en physique. C'est pas trop dégueu. 7 en anglais par contre. Mais mon 14 en SVT passe mieux. Bref, ça va pour un début d'année.

Ma mère semble satisfaite. André, lui, hoche la tête pour me prouver sa fierté. Je débarrassé mon assiette quelques minutes plus tard, sortant un yaourt du frigo tout en fusillant June du regard, encore assise bras croisés devant son assiette peu entamée.

- Je veux retrouver ma liberté, ronchonne-t-elle lorsqu'elle quitte la table et me rejoint dans la cuisine.

- Bah tu l'auras pas en te comportant comme ça, lancé-je en réponse.

- Oui mais moi je ne fais pas le lèche-cul avec André comme toi.

- Écoute, j'ai autre chose à faire que t'entendre raconter des gamineries. Tu vaux mieux que ça, terminé-je soûlé de devoir faire la morale à l'adolescente trop heureuse d'être rebelle.

Elle vit quand même sous notre toit et la cohabitation doit se faire dans tous les sens. Dans le bureau de ma mère, j'ai caressé quelques minutes Pedro. Allongé sur la moquette et mon chat sur moi, j'ai réfléchi à ce qui allait bien pouvoir se passer le lendemain et comment j'allais me comporter en sa présence... Je n'étais plus aussi sûr de moi.

- Eh le chat, j'ai pécho quelqu'un.

Je le soulève un peu, pour faire croiser nos yeux. Il miaule.

- Ouais, je sais, c'est dingue.

Puis, il est retombé sur mon buste et j'ai continué à lui offrir des caresses pendant une bonne dizaine de minutes en fixant le plafond. J'avais mes jambes toutes liquéfiées hier avant de dormir, comme si les fourmis à l'intérieur pouvaient désormais les faire fondre.

- Oh putain Pedro, est-ce que je devrais envoyer un message ? Fin, je sais pas, il en envoie pas et j'aimerais bien savoir pour demain.

Le chat a miaulé une nouvelle fois et j'ai approuvé sa remarque.

- T'as raison, faut pas que je me casse la tête, c'était juste un gage n°2. C'est pas comme s'il m'avait dit qu'il me kiffait depuis cinq ans. Ah bah si. J'envoie ou pas Pedro ? Guide-moi le matou.

Mon sacré Pedro ronronne. Ouf qu'il est là.

J'ai sorti mon portable, l'ai allumé et ai tenté sans succès d'envoyer un message à Ewel Cohen en réfléchissant une bonne minute à son contenu. Il faut rester subtil sans en faire trop ni pas assez.

- Je crois que je vais demander à June de l'aide, soufflé-je à Pedro avant de quitter le bureau tout en enlevant les poils du chat restés sur mon pull.

J'ai toqué à la porte. June a baissé sa musique, a ouvert ; et surprise de me voir, m'a interrogé du regard.

- Quoi ?

La petite tension de tout à l'heure m'était complètement sortie de la tête. Je suis rentré dans sa planque, ai attrapé une grosse peluche et l'ai serré dans mes bras tout en m'asseyant sur ses draps mal faits.

- J'ai besoin d'aide pour flirter par message.

Elle a arqué un sourcil, surprise.

- Avec qui ?

J'ai ignoré sa question.

- Bon, explique-moi la situation.

Alors, je lui ai expliqué que j'ai embrassé quelqu'un hier soir et que je ne sais pas trop comment me comporter avec la personne en cours le lendemain. Et que j'ai affreusement besoin d'aide pour savoir quoi envoyer.

- T'envois rien ducon, ta situation tu la compliques un peu trop pour rien. Juste t'attends demain, et tu verras bien.

J'ai grimacé.

- Ouais...

Je me relève, perplexe mais décidé à suivre son conseil. La blonde m'arrête à mi-chemin.

- Sauf si... En fait, ta vraie motivation c'est de vouloir lui parler par message... Là, ton excuse de « je veux savoir comment me comporter » passe à la trappe.

Mes yeux se sont écarquillés et j'ai réalisé un peu trop tard, encore, ce que ma volonté me dictait. J'ai passé mon portable à ma petite-sœur.

- Attends, c'est Ewel Cohen ? Le Ewel Cohen ? demande-t-elle surprise.

J'acquiesce.

- Bah merde, t'as pécho du lourd mon gars. Je sais ce qu'on va faire, attends... Hm... oups, je crois que je l'appelle !

Elle m'a repassé le portable et s'est empressée de m'enfermer à l'intérieur de sa chambre en sortant. J'ai poireauté devant mon écran, en entendant le bip sonore. Qu'est-ce que... Oh la conne.

« Allô.... Ewel ? »

J'ai frissonné en entendant sa voix, absolument pas prêt du tout à poursuivre l'appel. J'ai hésité un instant, avant de raccrocher sans rien dire, en me dégonflant comme un con.

Ewel a alors rappelé.

J'ai ignoré son premier appel, mais retrouvant mon esprit j'ai décroché le deuxième.

« Allô ? débuté-je mal à l'aise.

- Ça va ? demande-t-il en effaçant toute ma gêne.

- Euh... ouais...

- Tu ne me demandes pas « Et toi ? »

J'entends son rire à l'autre bout du fil. Ça m'a fait sourire, c'est plus fort que moi.

- Et toi ?

- Bien, parce qu'un gars m'a appelé.

- Faut que t'arrêtes de me draguer... dis-je sur un ton moqueur.

- Dit le mec qui m'a embrassé.

Silence.

- Oups, j'ai gêné l'atmosphère ? demande-t-il sûrement inquiet.

- Oh non... Fin je sais pas. Hmm...

- Ton appel avait un objectif précis ?

J'ai fixé le plafond tout en essuyant mes mains plus moites que la moyenne.

- Désolé, je crois que je suis un peu trop maladroit avec toi... s'excuse-t-il d'un ton sincère.

Je me suis mis à me culpabiliser. Pourquoi est-ce que j'ai décroché ?

- T'as refumé depuis hier ? demandé-je en faisant un effort avec moi-même.

Ewel a sûrement souri en parlant, parce que je visualisais parfaitement son sourire dans ma tête la seconde d'après.

- Nope, c'est dur mais non, j'ai résisté.

J'ai mimé un applaudissement en posant le portable sur le bureau. Mes « clap-clap » terminés, je me suis demandé pourquoi est-ce que j'étais si nerveux, pourquoi est-ce que je n'arrivais plus à trouver des mots à dire ou des questions à poser. Ça m'énerve de devoir autant réfléchir juste parce que la veille, je l'ai embrassé.

- Ça te dit... qu'on se voit un peu avant les cours demain matin ? propose-t-il sereinement.

J'ai visualisé mon emploi du temps dans ma tête. Mes cours débutent à 10 heures le lundi matin en semaine 1, pas de soucis.

- Bah achète-moi des pains au chocolat, répliqué-je déterminé.

- Hein ?

- Comme ça, ça accompagnera nos cafés chez moi. Fin sauf si ça te dérange de venir demain matin chez moi. Fin, hein, il va rien se passer, hein c'est comme aller au café... Mais... vu que j'habite juste en face du lycée... et que j'ai du café... Fin tu vois... Et puis y a une boulangerie en bas... Tu sais, la boulang...

- Bon, je crois que je te stresse.

- Non ! me suis empressé de répondre.

Son rire m'a fait éclaté d'un rire nerveux.

- Ouais, je suis stressé, avoué-je en défaite.

- Est-ce que je suis si stressant que ça ?

- Bah non, t'es Ewel Cohen, t'es le moins stressant des gars au monde.

- Alors pourquoi tu stresses ?

- Parce que, moi je suis Ewel Fevre.

Il soupire.

- Donc le deal c'est « moi acheter pain au chocolat contre des bisous matinaux chez toi autour de cafés » ?

- Euh... J'ai pas parlé de bisous matinaux mais...

- OK, bah nickel, c'est mieux qu'un kebab. J'accepte.

- 9 heures et demi.

- Parfait, bon bah je te laisse faut que j'aille manger.

- OK... bah... Ciao. »

June est rentrée dans sa chambre, visiblement très à l'écoute de mes conversations.

- Tu crains de ouf Ewel, assure-t-elle.

Je souffle un bon coup.

- Ouais je sais.

Elle m'a souri, l'air fière.

- Mais tu vas pécho du lourd demain matin, alors brosse-toi bien les dents.

J'ai ri, puis lui ai assuré, 100% sûr :

- Non non... mais y aura pas de bisous matinaux. Nada. Zéro.

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