##31 - Jackson

Lorsque le soleil s'était levé, ce jour-là, Jackson avait su qu'il ferait une rencontre extraordinaire.

« Aujourd'hui, avait-il déclaré à son équipage, j'ai la certitude que nous allons enfin trouver ceux que nous cherchons. »

Ses hommes l'avaient applaudi. Tous attendaient la même chose que lui, depuis de longs mois – certains depuis le début de leur vie. Déjà pirate, Jackson s'était immédiatement rendu à Nassau lorsque la Révélation lui était apparue : il avait vécu deux vies. Il y avait fait la connaissance de Bill, le gros John, Joe, Marco, et une dizaine de hors-la-loi stationnant autour des Bahamas.

Tous avaient la même histoire à raconter : la Révélation était venue à eux dès leur naissance, bien plus tôt que la sienne. Bill avait été le plus perspicace en comprenant que les marins impliqués dans les machinations de Nälkäinen se souvenaient de tout depuis le début, mais pas ceux qui avaient participé à la toute dernière aventure. La violence de leur acte méritait sans doute la punition ultime – ne pas profiter de toute une vie pour changer leur avenir et ne pas refaire les mêmes erreurs.

Jackson avait quitté le sinistre équipage du capitaine Lowry pour former le sien, suivi de quelques pirates qui ne voulaient plus côtoyer un tel personnage. À présent, il voguait en espérant rencontrer Armand, Charlotte, Kadi et Tobias, quelque part en mer, perdus entre l'Europe, Curaçao et Nassau.

Mais, ce matin-là, il en avait trouvé deux.

Comment avait-il su que les jumeaux se trouveraient à bord ? Le destin, sans doute. Mais ils étaient bien là, mal déguisés, plantés près du gouvernail.

« Marchand ! s'exclama Jackson lorsque son navire fut assez près pour être entendu. Loin de moi l'envie de te faire remarquer que tes canonniers font semblant de nous tirer dessus, mais j'ai une proposition à te faire. »

L'homme, terrifié, acquiesça sans réfléchir. Jackson avait l'habitude d'impressionner les commerçants par sa seule apparence, contrairement à ce qu'Armand avait pu inspirer à quiconque dans une autre vie.

« Je te propose un marché. Ce que je veux n'est pas ta marchandise, mais deux de tes marins.

— Lesquels ?

— S'ils se sont reconnus, ils me rejoindront. »

Jackson préférait rester vague : si Armand et Charlotte n'avaient pas reçu la Révélation, ils passeraient pour des traîtres et seraient exécutés. À son grand soulagement, les jumeaux se redressèrent et coururent vers lui.

« Je vais vous dénoncer à la British Royal Navy ! s'exclama le marchand, dans une dernière tentative de menace.

— Tant mieux ! répliqua bravement Charlotte. J'ai quelqu'un à y retrouver ! »

Une rumeur bruyante s'éleva de l'équipage lorsqu'ils entendirent sa voix aiguë, sans travestissement aucun. Certains marins suivirent les jumeaux à bord, saisissant la chance de leur vie. Lorsqu'ils s'éloignèrent assez pour ne plus voir le navire marchand à l'horizon, toutes voiles dehors pour rallier Nassau, Jackson déclara :

« Mes amis, laissez-moi vous présenter Armand et Charlotte. Certains d'entre nous les ont cherchés toute leur vie, et moi depuis quelque temps déjà. Ils sont courageux, généreux et justes, et je vous demanderai de leur réserver le meilleur des accueils.

— Tu es devenu bien solennel, Jackson ! s'exclama Armand en lui assénant une solide accolade, ce qu'il n'aurait jamais osé faire par le passé.

— Je vois que tu as pris confiance en toi. Est-ce que c'est la piraterie qui te rendait si timoré ?

— J'ai eu des responsabilités un peu plus tôt, dans ma famille, expliqua Armand. Quand j'étais à l'orphelinat, je voyais les jours passer sans agir. Je n'ai pas eu la même vie... Et toi non plus, d'ailleurs ! Tu es donc capitaine ? »

Jackson leva un bras pour faire taire ses hommes.

« Ce n'est pas le soir, mais je pense qu'une veillée autour du feu s'impose ! »

Les pirates l'acclamèrent et sortirent des dizaines de bouteilles de rhum, sous le regard ébahi de Charlotte. Manifestement, ils ne s'attendaient pas à ce que Jackson devienne un voleur si efficace.

« J'ai fait couler la moitié des navires de la région à moi tout seul, tu sais, marmonna-t-il avec un soupçon de fierté. Je vous cherchais. »

Autour du feu, il but une gorgée d'alcool et tendit la bouteille à Armand, qui la refusa poliment. Comme d'habitude. Heureux de savoir qu'il n'a pas totalement changé !

« J'ai toujours su que quelque chose manquait dans ma vie, expliqua Jackson en entortillant ses cheveux gris autour de son index. Je n'avais pas tous ces souvenirs d'une existence parallèle, comme Bill ou Marco, mais je le sentais.

— Moi aussi, soupira Charlotte. Je réfléchissais beaucoup trop, j'hésitais à prendre des décisions... Et une fois, j'ai paniqué parce que je toussais. Tu te souviens de ça, Armand ? Mon esprit savait quelque chose que j'ignorais encore.

— Je m'en souviens très bien, acquiesça-t-il. J'avais l'impression d'être une mauvaise personne alors que je faisais mon possible pour aller à l'église, donner aux plus miséreux, partager mes connaissances... Je sentais que j'étais un hors-la-loi, mais sans en avoir la preuve. Est-ce que tu penses que Tobias et Kadi sont dans la même situation ?

— J'espère bien..., répondit Jackson en hochant la tête. Sinon, il ne sera même pas allé la sauver. »

En voyant Charlotte grimacer jusqu'aux oreilles, Jackson comprit qu'elle y avait déjà pensé. Armand et sa sœur avaient eu la chance de naître au même endroit, mais leurs deux amis seraient très difficiles à contacter. Peut-être qu'on y passera le reste de notre vie.

« Je suis entré dans la piraterie de la même façon que la première fois, reprit-il. Quand je me suis souvenu de ma vie antérieure, j'ai quitté Lowry et rejoint Nassau, au lieu de rester avec lui et d'attaquer Fuentes. Je savais que vous ne seriez pas sur son navire, puisque vous veniez d'avoir la Révélation en France. »

Jackson écouta les jumeaux raconter leur propre parcours : au lieu de croupir dans un orphelinat et d'y rencontrer Tobias, ils avaient vécu dans l'opulence avec leurs parents. Leur fascination pour la mer leur avait permis de voyager facilement après la Révélation, et le hasard les avait réunis.

« Et maintenant ? demanda le gros John. Est-ce qu'on retourne à Nassau, Capitaine ?

— C'est tout ce qu'il nous reste à faire. »

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