##29 - Kadi
« Et pourquoi ne pas rester à Coro, finalement ?
— Vous savez très bien qu'on va me revendre ! »
Kadi soupira de désespoir. Ils étaient complètement perdus, quelque part dans l'océan, sur une barque misérable. Quel pays voudrait d'eux ? Son Afrique natale était inaccessible à bord de leur embarcation, presque autant que le pays de Tobias. Lorsqu'elle se tourna vers lui pour lui faire part de son projet de construire un plus gros bateau, elle haussa les sourcils.
« Vous priez ?
— Ne me vouvoie pas... Oui, je prie, je ne vois pas d'autre solution.
— Il y en a toujours une. » répliqua-t-elle, agacée de son pessimisme.
Elle croisa les bras, se piquant au passage avec son crochet. Saleté... Je ne vois même pas ce que je pourrais faire d'utile avec cette chose. Je devrais m'en débarrasser. À la première occasion, elle passerait sa nouvelle main dans une flamme pour la faire fondre. Plus de pointe, plus de danger. La plaie était encore récente, mais le sel l'avait rapidement cautérisée.
Soudain, le ciel devint plus pâle qu'il ne l'avait jamais été, comme si une épaisse fumée blanche recouvrait le monde. Lorsque la lumière se dissipa, Kadi et Tobias se regardaient avec stupéfaction.
« Nassau. » prononcèrent-ils en même temps.
Ils naviguèrent des heures vers le nord, sans pouvoir s'arrêter de discuter, guidés par l'adrénaline. Nälkäinen, Armand, Charlotte, Jackson, Matthews... Ils se souvenaient de tout. Le monde leur semblait bien plus accueillant, maintenant qu'ils savaient que leurs amis les attendaient.
« J'espère qu'ils seront déjà là, dit Tobias avec un grand sourire. Tu te rends compte qu'on a évité de parler à Nälkäinen ? Et grâce à toi, en plus ! Tu as tué celui qui devait faire rencontrer ses ancêtres ! Il n'existe même plus !
— Et toi, alors ? Je comprends que ma vie n'ait pas changé, elle n'avait aucun rapport avec les jumeaux, mais toi ? Pourquoi est-ce que tu es parti de Londres ? »
Tobias se frotta le menton en réfléchissant à plein régime. Contrairement à Kadi, il devait faire la différence entre deux passés bien distincts – celui qu'il avait vécu, et celui qu'il avait connu dans une autre vie.
« J'ai toujours voulu voyager et devenir marin. J'idéalisais ce métier... Je serais parti dans tous les cas, mais j'ai finalement pris la mer une année plus tôt que précédemment.
— Armand t'avait poussé à rester à Londres, c'est ça ?
— Absolument. »
Tobias regarda pensivement la mer autour de lui, et Kadi s'ébahit du changement si brusque qu'ils venaient de vivre. Il y a quelques heures, Tobias n'était qu'un homme qui l'avait aidée par deux fois, et à qui elle était redevable. À présent, elle savait qu'elle avait remboursé sa dette, et de loin : elle avait sauvé tout le monde. Et sans doute de centaines de pauvres âmes qui seraient tombées dans les griffes du dieu pirate.
« J'ai besoin de faire une pause, dit soudain Tobias en massant ses bras. On ne peut pas ramer jusqu'à Nassau au hasard, nous n'avons presque plus rien à boire et à manger...
— La meilleure solution serait d'être pris dans les filets de Matthews.
— Il est bien plus au nord, et je pense qu'il ne se souviendra de rien. Il n'était pas avec nous à Narbonne... »
Kadi soupira. S'ils parvenaient à tous se retrouver, Charlotte resterait seule. L'amour de sa vie ne croirait jamais à ses histoires et la ferait pendre.
« Est-ce qu'on pourrait s'engager dans un équipage pour arriver plus vite ? proposa Kadi. Tous ces navires, à l'est... Je pense que c'est possible.
— Ce serait dangereux... Mais pas plus dangereux que la mort, sans doute. »
Kadi savait que l'esclavage engendrait des destins bien pires que la mort, mais elle n'en dit pas mot. Tobias était de bonne humeur, il fallait en profiter. Ils s'approchèrent d'un navire qui les hissa immédiatement jusqu'au pont. Leur apparence de deux jeunes gens débraillés et mutilés leur donnait l'air inoffensif.
Le capitaine du navire, un homme d'âge mûr portant une belle moustache, leur fit comprendre assez rapidement qu'il était marchand. Il les écouta raconter l'histoire de leur rencontre et parut s'en satisfaire. Tobias travaillait pour la marine marchande, même si la marchandise était humaine... Il n'est pas un ennemi pour lui.
« Je transporte du sucre. Votre histoire de sauvetage m'a ému, même si je n'avais pas l'intention de revendre des esclaves. Est-ce que vous allez vers Cuba ?
— Oui ! affirma Tobias. Le nord de Cuba, plus exactement. »
Le capitaine acquiesça et promit de les laisser descendre lorsqu'il passerait prendre du sucre sur place.
« Mieux vaut ne pas mentionner Nassau, murmura Tobias à l'oreille de Kadi. Il n'y a que des pirates, là-bas, et ça ne lui plairait pas beaucoup. »
Ils ne se mirent pas à leur aise : après un maigre repas, ilsaidèrent l'équipage à nettoyer le pont.
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