Choc

Déjà en me levant le matin, je savais que ce n'était pas n'importe quel jour. Ce soir, j'ai une représentation de théâtre. Théâtre d'improvisation, si vous ne savez pas ce que c'est, cherchez dans un dictionnaire ou sur internet ! Donc je me lève de bonne humeur, le trac ? Avec moi, jamais !

Je fais ma matinée de collège ( on est mercredi), histoire géo, français, maths, quelque chose comme ça, et je rentre chez moi. J'ai quelques heures pour me préparer ( La représentation est à je-ne-sais-plus-quelle-heure au collège, sûrement un truc comme 17 ou 18 heures).

Donc je retourne au collège, je rejoins les membres de l'atelier théâtre d'improvisation et on s'entraîne un peu pour s'échauffer. Les parents commencent à arriver dans la salle, je repère mes parents, salut papa, salut maman, et le spectacle commence. Je ne m'en souviens plus vraiment (en même temps, c'était pas le truc le plus important de la journée !) mais je sais que ça s'est bien passé.

Donc voilà, c'est fini, au revoir tout le monde, je me casse avec mes parents. Mon père est fatigué, il rentre à la maison. Ma mère et moi, on reste en ville (mon collège est au centre-ville) pour dîner au restaurant. Elle voit qu'elle a un appel manqué d'un numéro inconnu qui doit être une gendarmerie. Elle s'inquiète un peu mais je la rassure.

- T'inquiètes pas, maman, c'est sûrement rien, ou de la pub.

Qu'est-ce que je me trompais ! En y repensant, ça me fait mal au ventre. 

On mange avec ma mère, on discute un peu de la représentation. On a fini, on se lève, et on va payer (enfin, elle). On sort, et elle reçoit un coup de fil de sa grande sœur (ma tante, quoi). Dans sa fratrie de quatre, ma mère est deuxième. Elle a une grande sœur et deux petits frères.

Donc elle décroche, moi je reste sagement à côté, mais d'un coup, je vois le visage de ma mère se décomposer. Je n'oublierai jamais ce frisson, ce vide dans ma tête quand je comprends. Il reste cependant un espoir, très mince, trop mince, mais qui m'empêche de m'effondrer tout de suite. Espoir bien vite brisé par ma mère :

- Papa est mort.

Et elle commence à pleurer. C'est terrible de voir sa mère pleurer, surtout en public. Alors, je prends une décision qui guidera tout mon deuil : mettre mes sentiments de côté pour m'occuper de ma mère.

Elle pleure. Je me sens vide. Je sais que je ne dois pas réfléchir, pas maintenant, je ne dois pas accabler davantage ma mère en lui demandant de s'occuper de moi. Je tente une blague. Ça tombe à plat. J'aurais dû m'en douter. Je reste silencieuse durant tout le chemin. On est à pied. On rentre. Je suis dans le brouillard. Mon père est devant la télé. Quand on rentre, ma mère le redit. Je reste, juste pour l'entendre :

- Papa est mort.

Je ne connais pas la suite, je m'enfuis dans ma chambre, sur mon fauteuil de bureau, je commence à pleurer. Vite, quelqu'un. J'attrape mon téléphone, mon vieux téléphone à clapet que m'a donné mon grand père. J'appelle l'amie dont je suis le plus proche en ce moment. Son père décroche.

- Allô, Rachel ?

- Est-ce que je peux parler à Charlotte ? C'est urgent !

Ma voix se brise, elle est pleine de sanglots contenus. Le père me passe Charlotte.

- Allô, Rachel, qu'est-ce qu'il se passe ?

- Je... Je viens d'apprendre que mon grand-père est mort ! 

Je fonds en larme. Impossible de m'arrêter, ça fait une heure que je les retiens. Charlotte me réconforte tant bien que mal, me dit qu'elle est là si j'ai besoin. Je crois que je vais avoir besoin. On finit par raccrocher. Je ne me sens pas bien, je suis dans le brouillard, je ne réalise pas. Je ne me souviens pas très bien des jours suivants. 

Le lendemain, on part, avec mes parents. Mes grands parents habitent à un kilomètre de chez nous, mais ils étaient en vacances près d'Aurillac (Massif central). Ma grand-mère y est encore et toute la famille décolle pour aller la soutenir, enfin mes oncles et tante, quoi.

Là-bas, on se dit bonjour, comment ça va (comme si ça pouvait aller bien !) tu tiens le coup, etc. Puis je passe au rang de figurante pour le reste du séjour. Je ne me plains pas. Les autres ont trop de choses à gérer pour s'occuper de moi, je ne vais pas les déranger. Après tout, je suis la plus jeune de la famille, je ne sers donc à rien.

La seule chose que je puisse faire, c'est ne pas emmerder les autres avec ma souffrance, n'est-ce pas ? Je ne sais pas si c'était la bonne solution. Encore aujourd'hui, je ne vois pas comment j'aurais pu faire d'autre. Toujours est-il que j'étouffe ma tristesse au maximum et je reste dans mon coin sans me plaindre.

Tout le monde est déjà dans les questions enterrement, cercueil, tombe etc. Je parviens à glaner le plus d'infos possible sur la mort de Papi-Pomme. Apparemment, hier, vers 17h30, il est allé acheter du pain à vélo au village voisin. Il n'est jamais revenu. Mon grand-père était un grand cycliste. Mais il ne mettait jamais de casque. Je me souviens, il y a quelques mois, nous avions eu une conversation à ce sujet, quelque chose comme :

- Dis, tu devrais vraiment mettre un casque, à vélo !

- Mais non, il n'y a pas besoin. (Il dit ça en riant, j'aime bien son rire)

Après quelques répliques dont je ne me souviens plus...

- Tu sais, j'ai pas envie d'assister à ton enterrement parce que tu as eu un accident à vélo !

Putain... Mais je savais pas ! Je ne savais pas ! C'est... C'est presque comme si je l'avais provoqué avec cette phrase ! L'accident ! Je me souviens qu'après cette conversation, il avait les larmes aux yeux. J'avais presque réussi à le faire plier. Presque. Mais pas tout à fait. L'expertise de l'accident affirme que même si mon grand-père avait porté un casque, ça n'aurait rien changé.

C'est la seule chose qui m'empêche de me briser sous le poids de la culpabilité. Encore maintenant, j'ai des doutes, mais je fais de mon mieux pour les étouffer. Si porter un casque avait pû sauver Papi-Pomme, je m'en serai voulue toute ma vie de ne pas l'avoir convaincu quand j'en aurai l'occasion. J'évite d'y penser. Ça me fait trop mal. Surtout que je n'ai plus jamais fait de vélo, et que je n'en ferai probablement plus jamais.

L'accident est survenu sur une route de campagne. On y est passé en venant voir ma grand mère. On s'est arrêtés. Il y avait des marquages roses vifs qui traçaient une silhouette vaguement humaine et qui entouraient ce qui devaient être les débris du vélo. Et puis, sur le bitume sombre, il y avait des traces sombres, des traces de sang.

L'impression que je viens de prendre un coup. Mon souffle se coupe. Ma vue se trouble. Impossible de détacher les yeux. Une voiture arrive au loin. Mon père me tire sur le côté. Je suis incapable de réfléchir. Ma mère prend des photos. On remonte dans la voiture. Mais je n'oublierai jamais les traces de sang. Celui de mon grand père.

Je suis une écrivaine, mon imagination est fertile. Impuissante, je vois la scène se dérouler sous mes yeux, encore et encore. Je voudrais hurler. Je voudrais pleurer. Je n'en fais rien. Mes parents n'ont pas besoin de ça. Alors je ravale mes émotions, encore et encore. Je me suis juré de protéger ma mère. On se dit tout, je ne m'imagine pas lui cacher des choses. Pourtant c'est ce que je vais faire pendant plus d'un an.

Un sourire sur le visage, je jouerai mon rôle à la perfection : humoriste, théâtrale, j'en ferai un peu trop, je fais la folle, rien ne m'atteint, je protègerait les autres.

Même si ça doit me détruire.

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