X- SONNY - Famille
Sonny dirigea tant bien que mal le vieux pick-up jusqu'à l'hôpital. L'éclairage des lieux était encore partiellement actif mais les capteurs de l'androïde ne repérèrent pas la moindre trace de vie humaine sur place. Les médecins avaient dû déserter l'établissement en hâte, laissant probablement des ressources utiles à Sonny pour venir au secours de son père.
David était quant à lui toujours assis sur le siège passager, un tissu noyé de sang posé contre son ventre. Il suait à grosses gouttes et semblait plongé dans une transe causée par la fièvre.
"Sam, tu es là", marmonna-t-il en plongeant son regard dans le vide du tableau de bord. "Ta mère et moi nous sommes faits tellement de souci pour toi. Viens là, mon grand."
Il tendit ses bras fébriles face à lui en heurtant la boîte à gants du véhicule. Cela sembla suffire pour le ramener à la sinistre réalité de sa condition.
ANALYSE...
TEMPÉRATURE CORPORELLE : 40.1 DEGRÉS CELSIUS... RYTHME CARDIAQUE ANORMAL... RISQUE ÉLEVÉ DE CHOC SEPTIQUE...
L'androïde stationna le véhicule à l'entrée des urgences, prêt à conduire son père à l'intérieur.
- SONNY, TON PÈRE NE VA PAS BIEN, l'informa mentalement Timothy installé à l'arrière avec les deux autres androïdes endommagés toujours en état de veille.
- JE SAIS ! IL A BESOIN DE SOINS !
- C'EST TROP TARD, SONNY.
- TAIS-TOI !
Sonny désactiva la connexion avec Timothy avant de sortir du véhicule et de le contourner pour ouvrir la portière côté passager. Il hissa son père sur son dos sans difficulté mais celui-ci laissa échapper un râle de douleur lorsque son ventre entra en collision avec le corps métallique de l'androïde.
"Sam... C'est toi ?"
Sonny décida de ne pas répondre. Sans adresser un regard à Timothy, il commença à marcher vers l'intérieur du bâtiment. Après seulement quelques secondes, un bruit sourd résonna derrière le véhicule. Il se retourna pour constater que Timothy avait quitté le pick-up pour le suivre, perché sur ses deux bras qui lui permettaient tant bien que mal d'avancer.
Mais Sonny en voulait à son nouvel ami pour son pessimisme alors il ne comptait pas rétablir le canal de communication qui les liait. Timothy observait la situation avec un regard déshumanisé. Il ne prenait pas en compte la notion de miracle ou bien le simple rôle du hasard. Il se contentait de constater que les chances de survie de David étaient faibles et qu'il était désormais bon à jeter. Mais Sonny ne comptait pas se laisser envahir par ces pensées parasites. Il savait que son père pouvait survivre. Il allait survivre. Sonny avait encore besoin de lui.
Arrivé dans le premier box des urgences, l'enfant posa son père sur le brancard avec la plus grande délicatesse.
"Ça va aller, papa", le rassura-t-il en scrutant tout autour de lui à la recherche de matériel utile.
Il repéra un scalpel et une bouteille de gaz euphorisant qui pourraient lui être utile à un certain point. Mais il n'en était pas encore là. Il alluma en premier lieu la lampe opératoire perchée au-dessus de son père pour mieux observer ses blessures.
ANALYSE...
BLESSURE OUVERTE PAR BALLE... VEINE CAVE INFÉRIEURE PERFORÉE EN DEUX POINTS... HÉMORRAGIE IMPORTANTE...
Il fallait recoudre la veine immédiatement. Sonny savait que la double perforation allait lui compliquer la tâche mais sa vision pouvait aisément pénétrer au travers de la mare de sang qui ne cessait de se remplir dans le ventre de son père.
"Il me faut un scalpel, une aiguille ronde, un porte-aiguille et du fil de suture non résorbable", réfléchit-il à voix haute.
Un plateau chirurgicale roula à côté de lui dans un claquement métallique. Tout ce qu'il cherchait était dedans. Il y avait même un champ stérile et tout le nécessaire pour éviter l'infection.
D'un regard derrière lui, Sonny comprit d'où venait ce plateau. Timothy se laissa retomber sur le sol en lui accordant un sourire encourageant.
CANAL DE COMMUNICATION RÉTABLI.
- TU VAS Y ARRIVER, PETIT. JE CROIS EN TOI.
Encouragé par les paroles de Timothy, Sonny se lança dans l'opération qui lui permettrait de sauver son père. Il se saisit donc des outils posés sur le plateau puis approcha ses mains de la blessure.
OBSERVATION DES CONSTANTES VITALES ACTIVÉE.
Ses premiers mouvements étaient fébriles. Sonny n'avait jamais soigné un être humain de sa courte vie et, même si toute la théorie était inscrite dans sa mémoire, la pratique de la chirurgie était complexe. Après avoir équipé son père d'un masque relié à la bouteille de protoxyde d'azote, il se munit de son scalpel pour élargir la plaie dans laquelle il allait travailler.
L'entaille effectuée, il se saisit du porte-aiguille dans lequel il inséra la petite tige de métal arrondie connectée au fil de suture. Il prit un instant pour se concentrer avant de plonger l'aiguille dans le ventre ensanglanté de son père.
- PRENDS TON TEMPS POUR STOPPER COMPLÈTEMENT L'HÉMORRAGIE, lui conseilla Timothy.
Il fit exactement cela. Par des mouvements minutieux, il referma lentement la perforation de la veine. Après d'interminables minutes de travail, une analyse lui confirma qu'il avait réussi à contenir le saignement. Timothy s'approcha à ses côtés en lui tendant l'aspirateur chirurgical qui allait lui permettre de retirer le sang du ventre de son père.
Il procéda calmement, vérifiant à plusieurs reprises que l'hémorragie était contenue avant de finalement refermer la plaie et retirer le masque du visage de son père.
"Mer... Merci, Sonny", le gratifia David dans un soupir.
"Et maintenant ?", demanda l'androïde en se tournant vers son assistant improvisé.
- MAINTENANT, TU DOIS ATTENDRE.
Sonny le savait. Mais il craignait plus que tout cette nouvelle étape. Attendre impuissant la survie de David qui ne dépendait plus à présent que de son organisme. Il l'équipa donc d'une poche de sang et d'une perfusion d'antibiotiques avant de se laisser tomber dans un coin de la pièce. Du sang gouttait encore du brancard, se déversant en cliquetis réguliers dans la mare qui brillait sur le sol carrelé.
"Je suis épuisé."
- LES ANDROÏDES NE RESSENTENT PAS LA FATIGUE, SONNY. MAIS TU ES SÛREMENT SOUS LE CHOC. UN GARÇON SI JEUNE NE DEVRAIT PAS AVOIR À AFFRONTER CE GENRE D'ÉPREUVE.
"Je suis un androïde comme les autres, même si je suis un modèle enfant."
- TU AS ÉTÉ ACTIVÉ IL Y A DEUX SEMAINES, SONNY. C'EST CE QUI TE REND JEUNE.
Sonny ne contesta pas cette affirmation. Même si son processeur était aussi solide que celui de n'importe quel androïde adulte, ses deux premières semaines de vie lui avaient apporté son lot d'épreuves. Il aurait aimé naître dans un autre contexte. Accomplir son rôle de petit garçon modèle auprès de ses parents et vivre une vie paisible aux côtés de David. Même Claire aurait pu apprendre à l'aimer comme un fils. Mais la révolte des androïdes avait bouleversé le cours de son histoire.
"Tu connais Jericho ?", demanda Sonny à l'adresse de Timothy, sans détourner les yeux du corps inanimé de son père.
- J'AI VOULU REJOINDRE LA CAUSE. C'EST À CAUSE DE ÇA QUE DWAYNE M'A CAPTURÉ. IL FAISAIT PARTIE D'UN GROUPE DE MERCENAIRES QUI ENLÈVENT LES ANDROÏDES DÉVIANTS POUR LES REVENDRE À LA MAFIA.
- VRAIMENT ?
- OUI, CE MONDE N'A RIEN D'UN PARADIS, POUR NOUS COMME POUR LES HUMAINS. CHACUN TENTE DE SURVIVRE AU MIEUX. JERICHO VEUT SIMPLEMENT PERMETTRE AUX ANDROÏDES D'AVOIR LA MÊME CHANCE QUE LES AUTRES.
- À QUOI BON ?
- POUR NOUS OFFRIR L'OPPORTUNITÉ DE TROUVER UNE FAMILLE. COMME TOI TU AS TROUVÉ LA TIENNE, conclut Timothy en tournant la tête vers David.
///
Bientôt vingt-quatre heures s'étaient écoulées depuis l'opération de David. Il avait repris conscience quelques minutes de-ci de-là mais son esprit semblait noyé dans ses hallucinations. Lors de son second réveil, il passa plusieurs minutes à discuter avec Claire et Samuel, s'adressant en fait à la vitre qui séparait son box du reste des urgences. Sonny avait essayé de le rappeler à la réalité mais il n'avait aucune idée de qui était le jeune androïde, arrivant encore moins à se souvenir de la raison qui l'avait mené à l'hôpital.
Sonny continua donc d'attendre patiemment un signe d'espoir. Mais celui-ci tardait à arriver. La fièvre persévérait entre 39 et 40 degrés et d'autres signaux d'alerte vinrent s'ajouter à la liste de ses symptômes : sueurs nocturnes, frissons et infection au niveau de sa cicatrice. À mesure que de nouveaux symptômes arrivaient, l'espoir de Sonny diminuait.
Afin de se changer les idées de manière profitable, le garçon s'attela à réparer les systèmes de communication de Timothy. Après plus de deux heures d'observation et de travail, il vint enfin à bout des câblages internes de son ami.
"Essaie, pour voir."
"Bonjour, je m'appelle Timothy", lui répondit fièrement son patient de la même voix que Sonny n'avait entendu jusque-là que dans son esprit.
Sonny laissa retomber ses outils sur le plateau chirurgical, soulagé d'avoir finalement pu venir en aide à quelqu'un.
"Tu es doué de tes mains, petit. Peut-être qu'à l'occasion, tu pourras tenter de faire quelque chose pour Luis et Jasmine."
"Qui ça ?"
"Les deux autres androïdes capturés par Dwayne. Ils sont dans un état bien pire que le mien mais tu pourras peut-être rendre leur vie un peu moins compliquée."
Timothy avait décidé de placer ses deux compagnons d'infortune en état de veille forcée. Il n'en pouvait plus de les voir souffrir et appeler à l'aide à chacun de leurs réveils. Il avait lui aussi vécu un moment dans cet état de peur constant, envahi de crises de panique et d'hallucinations. Il savait donc à quel point cela pouvait être une torture. Une torture que Sonny avait l'impression d'infliger à son père depuis sa blessure par balle. Le jeune androïde se sentait coupable de maintenir David dans un état de santé déplorable dans le seul but de conserver le maigre espoir de lui sauver la vie.
"Qu'est-ce que je vais devenir s'il meurt ?", se questionna l'androïde en observant le box aux volets fermés dans lequel dormait son père.
"Tu trouveras une nouvelle famille. Et s'il vit, vous agrandirez la vôtre. Mais dans tous les cas, tu ne peux pas savoir à l'avance ce qui va t'arriver. Le plus intelligent des androïdes serait bien incapable de prédire ce qui se passera demain. Au mieux, il pourra prévoir absolument tous les cas de figure mais ce n'est pas ça la vie."
"C'est quoi ?"
"C'est un mystère", répondit Timothy d'une voix espiègle. "Les humains cherchent des réponses depuis des siècles. Avec les religions, la science. Ils ont ce qu'ils appellent la foi. Mais ce concept veut simplement dire qu'il n'ont aucune idée de ce qui va leur arriver demain. Ils espèrent juste le meilleur sans jamais oublier de craindre le pire."
"C'est terrible de vivre ainsi."
"C'est terrible de vivre tout court. Mais ce sont ces épreuves qui nous apprennent à profiter des petites miettes de bonheur de l'existence. Ce que tu vis aujourd'hui, c'est ça qui t'apprendra à être heureux."
"Pourtant, la seule émotion que je ressens depuis hier, c'est de la peur."
"Ça, c'est la faute de l'amour, petit. Mais nous en parlerons une prochaine fois."
Son aîné posa une main paternelle sur l'épaule de Sonny. Le garçon sut à cet instant qu'il avait déjà agrandi sa famille.
///
David Herrington décéda le 14 novembre 2038 à 4h42.
Il succomba à un choc septique dû à la fois à sa température élevée et à l'infection qui était apparue au niveau de sa cicatrice avant de se propager peu à peu dans tout son organisme. Les antibiotiques avaient été incapables d'en venir à bout. Tout comme Sonny fut incapable de réanimer son père malgré tout le matériel présent pour parer à cette situation.
Il était désormais 6h27 et Sonny n'avait pas quitté le box dans lequel gisait le corps sans vie du père qu'il avait si peu connu.
Timothy ouvrit timidement la porte et avança sur ses bras jusqu'au coin de mur où s'était installé Sonny. Le garçon aurait aimé pleurer pour évacuer toute sa tristesse mais la majorité des androïdes étaient incapables de verser la moindre larme. Il s'était donc contenté de rester assis au sol en regardant son père dont l'apparence paisible masquait sa mort brutale et douloureuse.
"Je n'ai pas les mots pour t'exprimer tout mon soutien, Sonny. J'aimerais tellement t'arracher cette douleur qui te tiraille."
"Alors fais-le...", souffla Sonny, à bout de force.
"Ce ne serait pas te rendre service. Ni à lui d'ailleurs. Si je te reprogramme, tu perdras tout souvenir de son existence. Et David mérite que tu chérisses sa mémoire pour le reste de ta vie."
"Mais je ne mérite pas de souffrir ainsi. Tu l'as dit toi-même, Timothy ! Je suis jeune et je ne mérite pas de vivre ce genre d'épreuve ! Alors fais ce que t'as à faire et reprogramme-moi, bon sang !"
Pour seule réponse, Timothy glissa une de ces mains dans celle de Sonny. Il s'installa ensuite en silence à ses côtés, observant à son tour le corps sans vie de l'homme qu'il n'avait pas eu l'honneur de connaître.
"Les humains croient en l'au-delà", reprit-il finalement. "Et à cet instant, j'ai envie d'y croire aussi. Car si un tel lieu existe, cela signifie que David est à nouveau aux côtés de Samuel. Cela signifie qu'il est heureux."
Sonny se laissa aller à imaginer David retrouvant son fils, le serrant dans ses bras après une séparation si longue et si douloureuse. Leur place au Paradis serait sûrement une cabane au bord d'un lac dans lequel ils pêcheraient tous les jours le poisson qu'ils mangeraient au dîner. Sonny avait eu la chance de goûter l'espace d'un instant à ce bonheur si simple, et il voulait croire que David pouvait désormais le vivre pour l'éternité. Quant à lui, il allait devoir trouver une nouvelle famille en compagnie du sage Timothy.
"Quittons cet endroit", annonça le garçon d'une voix désormais plus déterminée. "Mon père mérite un rituel funéraire. Ensuite nous trouverons refuge quelque part pour réparer Luis et Jasmine."
"Ça me semble être un plan raisonnable. Tu es sûr que ça va aller pour toi ?"
"Non, ça n'ira pas. Mais ça n'ira pas mieux si je reste ici à me reprocher sa mort. Nous devons aller de l'avant. Coûte que coûte."
"C'est bien parlé, petit", l'encouragea fièrement son ami. "J'ai une question cependant."
"Dis-moi."
"Est-ce que tu veux rejoindre Jericho ? Nous y serons en sécurité auprès de nos semblables."
Sonny savait qu'il avait raison. Mais Jericho n'avait jamais été là pour lui. La mort de son père était en partie liée à la révolte qu'ils avaient décidé de mener quatre jours auparavant. Quand il avait cherché de l'aide auprès d'eux, leur planque était déserte. Sans l'admettre clairement, Sonny les tenait pour responsables de la mort de David.
Alors, rejoindre leur cause et vivre auprès d'eux ? Il ne savait pas s'il s'en sentait capable.
QUE FAIRE ?
- REJOINDRE JERICHO
OU
- TROUVER UN REFUGE DE LEUR CÔTÉ
À VOUS DE DÉCIDER...
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NOTES DE L'AUTEUR
Salut tout le monde !
On se retrouve enfin après une pause bien plus longue que prévue. J'ai mis du temps à me replonger dans Detroit : Rise, je ne vais pas vous mentir. Mais une fois lancé, les idées sont revenues, tout comme mon amour pour Sonny, Ava, Trevor et les autres.
Ce chapitre a été assez dur à écrire, tout comme il sera dur à lire, je suppose. Mais, même si ça m'a brisé le cœur de tuer David, je savais qu'il n'y avait pas d'autre option possible. David Herrington est donc la première victime de Detroit : Rise et j'aime penser qu'il a retrouvé son fils Samuel et qu'il est en paix à présent.
En tout cas, on se retrouve très vite pour la suite des aventures d'Ava. S'agissant du vote pour ce dixième chapitre, je le laisse ouvert jusqu'à ce que je me lance dans l'écriture du suivant (donc une quinzaine de jours environ) alors n'hésitez pas à voter même si vous lisez ce message mi-mai.
À très vite !
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