II - AVA - À votre service

"Madame, voici les nouvelles de ce jeudi 11 novembre 2038", démarra Ava en servant le café à Helena Levington. "La météo sera clémente aujourd'hui mais de la neige pourrait tomber en fin de journée. Température moyenne de 2 degrés Celsius. La présidente Cristina Warren devrait s'adresser à la population en fin d'après-midi concernant les cas de déviance en hausse chez les androïdes. Concernant la bourse du jour..."

"Merci Ava, ce sera suffisant", la coupa MADAME LEVINGTON en levant la main dans sa direction avant de se saisir de sa tasse de café.

Ava continua donc son rituel du matin et se dirigea vers la cuisine du manoir pour y récupérer le pichet de jus d'oranges fraîchement pressées par ses soins quelques minutes auparavant. Le pichet entre les mains, elle retourna dans le salon pour y retrouver sa maîtresse en plein lecture de "Guerre et paix" par Léon Tolstoï.

"Monsieur ne se joint pas à vous ce matin ?", l'interrogea Ava.

Helena releva la tête de sa liseuse alors que son assistante domestique remplissait son verre de jus.

"Robert est parti dans la nuit pour assister à une conférence à Washington. Il devrait être de retour au plus tôt demain matin", l'informa la maîtresse de maison. Après un instant de silence, elle reprit : "Ava, tu te souviens que Diana rentre ce soir du pensionnat ? Il faudra tout de même prévoir un couvert pour elle au dîner."

"Oui, madame. Je m'en souviens."

Comment Ava pourrait-elle oublier le retour de Diana ? Elle l'attendait avec impatience depuis dix jours.

Diana était la fille unique de Robert et Helena Levington. Âgée de 17 ans, elle suivait sa scolarité dans un prestigieux lycée de la ville de Lansing. Elle rentrait au domicile familiale un week-end sur deux. Et à chacun de ses retours, Ava était comblée de bonheur. L'assistante domestique ne se faisait aucune illusion sur le sentiment qui l'habitait : elle était amoureuse. Une androïde amoureuse de la fille de ses propriétaires.

Tout cela ne serait jamais arrivée si je n'étais pas devenue une déviante, pensa-t-elle en retournant dans la cuisine pour laisser MADAME LEVINGTON poursuivre sa lecture.

Ava avait succombé à la déviance deux mois plus tôt lors d'un week-end durant lequel Diana était à la maison. L'adolescente avait été faire la fête avec ses amis et s'était alcoolisée à un degré considérable. Elle avait contacté Ava via son Intercom intégré pour lui demander de la ramener à la maison. Ava, comme toute bonne assistante domestique, avait donc pris la voiture pour ramener la jeune femme chez elle en toute sécurité. Mais, arrivées dans la chambre de Diana, cette dernière s'était jetée aux lèvres d'Ava et l'avait embrassée fougueusement. Cet acte guidé par son niveau d'alcoolémie avait désorienté Ava au plus haut point. L'androïde avait alors lutté contre les sentiments confus qui naissaient en elle mais ceux-ci obscurcissaient son jugement et compliquaient son travail. Le lendemain, elle n'avait eu de cesse de commettre des erreurs, au point que MONSIEUR LEVINGTON avait envisagé de la faire remplacer si cela continuait. N'en pouvant plus et craignant d'être définitivement désactivée, l'androïde avait décidé secrètement de rompre les barrières de son processeur, devenant alors une déviante.

Elle avait alors pu reprendre son travail et Robert ne parla plus de s'en débarrasser. Mais ses sentiments pour Diana n'avaient pas disparu. Avec la déviance, ils s'étaient au contraire multipliés. Ava ne pensait plus qu'à l'adolescente, à ses beaux cheveux noirs qu'elle colorait régulièrement d'une mèche rose ou bleue, à son visage fin toujours illuminé de son sourire espiègle, à ses yeux couleur azur aux éclats de lumière. Ava était clairement amoureuse mais elle devait le cacher à ses propriétaires, sous peine que sa déviance ne soit découverte. Pourtant, elle n'en pouvait plus de se camoufler et elle voulait avoir une discussion avec Diana. Elle voulait comprendre ce baiser et les sentiments que nourrissait la jeune femme. Après tout, Ava détectait constamment une augmentation de ses pulsations cardiaques et de sa température corporelle lorsqu'elles étaient ensemble. Cela pouvait être le signe d'un sentiment réciproque. Ava l'espérait mais elle risquerait tout si elle lui révélait ses sentiments.

Tiendrait-elle longtemps avec ce secret qui la dévorait ?

///

Diana franchit le seuil de la porte, sa lourde valise remplie de vêtements sales au bout du bras.

"Salut, les nazes !", cria-t-elle à l'adresse de tout le manoir en laissant tomber son fardeau au sol dans un bruit sourd.

"Je crains qu'il n'y ait que moi à la maison actuellement", lui indiqua Ava avec un sourire complice. "Votre mère est en réunion de comité d'entreprise et votre père est en voyage d'affaires à Washington."

"Étonnant...", marmonna Diana. Puis d'une voix plus assurée : "Alors tu seras le naze suprême, Ava. La seule survivante de la communauté Levington des nazes en chef. Félicitations !"

"Je ne sais pas vraiment si je dois me satisfaire de ce titre, mademoiselle Levington."

"Oh, s'il te plaît ! Arrête avec tes mademoiselle et ton vouvoiement, Ava ! Dois-je te rappeler que j'ai fourré ma langue au fond de ta bouche câblée ?"

"Ce ne sera pas nécessaire, Diana. Je m'en souviens très bien."

"Ouuuh ! Je t'ai fait une si bonne impression que ça ?", la taquina Diana en passant devant elle pour rejoindre le salon.

Ava décida de ne rien répondre. Ce n'était ni l'endroit, ni le moment de dévoiler ses sentiments à l'adolescente. Elle avait pourtant tellement envie de la prendre dans ses bras pour fêter leurs retrouvailles mais n'en fit rien. Elle se contenta plutôt de la suivre dans le salon.

"Un café, madem... Diana ?", lui proposa-t-elle alors que l'humaine s'affalait dans l'immense canapé du salon.

"Volontiers, milady", s'amusa-t-elle. "Et un bon point pour m'avoir appelée Diana ! On va peut-être pouvoir faire quelque chose de ta carcasse de ferraille finalement."

La réflexion décontenança Ava. Pour ne rien laisser paraître, elle se dirigea en direction de la cuisine ouverte sur le salon.

"Comment ça ?"

"Eh bien", l'adolescente se redressa et posa ses coudes sur les genoux pour adopter un air faussement sérieux. "A la base, tu n'es qu'un programme stupide destiné à nous faciliter le quotidien. Mais quand je te vois là, avec tes petits sourires taquins et ta capacité d'adaptation au tutoiement, je me dis que peut-être tu pourrais être un vrai être vivant digne d'intérêt."

"Un être vivant ?", l'interrogea Ava de la cuisine, où elle remplissait la tasse de café chaud.

"Ouais, avec toutes ces histoires d'androïdes qui réclament leurs droits à la liberté, au bonheur et à toutes ces conneries, je me suis mise à réfléchir à propos de toi et de TON droit à tout ça."

"Et quelles en sont tes conclusions ?", demanda Ava en retournant dans le salon avec la tasse de café.

"Je crois que t'es comme eux en fait ! Une déviante."

BAM ! La tasse de café éclata sur le parquet dans un bruit sourd. Ava avait perdu l'équilibre en entendant la supposition de Diana. Ses mains s'étaient crispées et la tasse en avait profité pour se glisser entre ses doigts pour se disperser au sol. L'androïde restait stoïque à mi-chemin entre la cuisine et le canapé alors que Diana se levait d'un bond pour constater son état.

"Non mais je déconnais, Ava !", se défendit-elle en tendant les bras en direction de l'assistante domestique. "Je ne pensais pas que c'était une insulte aussi choquante pour toi. Si j'avais su, j'aurais jamais dit ça. Désolée, Ava !"

Tout en se répandant en excuse, Diana se saisit d'un torchon et commença à éponger le café sur les chaussures d'Ava puis sur le sol. L'androïde tenta de se ressaisir rapidement malgré le choc qui l'habitait encore.

"Ne t'embête pas avec ça, Diana. Je vais chercher le robot ménager et nous débarrasser de tout ça."

Ava profita de cette occasion pour fuir le salon et s'isoler quelques instants dans le débarras. Sa LED frontale s'emballait d'une lumière rouge vive tandis qu'elle tentait de se détendre.

"Ça va là-dedans ?", s'inquiéta Diana, restée dans le salon.

"Oui, mademoi... Diana, tout va bien !"

Ava se saisit du petit robot ménager et retourna dans le salon. Sa LED était repassée en jaune alors qu'elle pénétrait dans le salon et faisait démarrer le robot. L'engin repéra immédiatement la zone à nettoyer et s'y rendit directement.

"Ava, je suis vraiment désolée pour ce que j'ai dit. Je ne voulais pas..."

"C'est pardonné, Diana", l'interrompit l'androïde. "Mais il est déjà 17 heures alors il faut vraiment que je me mette aux fourneaux pour le dîner. Tu veux que je monte la valise dans ta chambre ?"

"Non, je m'en occupe", répondit Diana dans un souffle, clairement attristée.

Avant de dévier, Ava aurait certainement pris du temps pour discuter avec la jeune femme mais elle ne s'en sentait pas le courage à cet instant. Son programme d'origine la bloquait dans ses capacités de réflexion et de jugement mais il était aussi une protection sans égale contre les émotions qui l'assaillaient. Ava regrettait parfois d'avoir abandonné ce privilège.

///

La préparation du dîner avait permis à Ava de se ressaisir et de se changer les idées. La soirée se déroula sans aucun échange avec Diana. La jeune femme avait profité du retour de sa mère pour discuter avec elle autour d'un verre de vin rouge, et l'androïde s'était déplacée au salon seulement pour servir les plats et débarrasser la table. Elle passait le reste du temps dans la cuisine à nettoyer le four ou faire la vaisselle.

Aux alentours de 23 heures, alors que MADAME LEVINGTON et sa fille poursuivaient leur interminable discussion sous la véranda de la maison en observant la neige qui tombait en abondance sur le toit vitré, une alarme retentit dans toute la maison. Ava arrêta immédiatement de nettoyer les quelques couverts qui restaient dans l'évier. En se connectant au canal d'urgence, elle découvrit une simple message : "ÉVACUATION IMMÉDIATE DE LA VILLE DE DETROIT".

"Qu'est-ce qui se passe, Ava ?", lui demanda MADAME LEVINGTON d'un air inquiet. "Un début d'incendie ?", se risqua-t-elle à supposer.

"Non, Madame. Une évacuation de la ville."

"Comment ça une évacuation ? C'est absurde !"

"Ava, allume la télé !", lui ordonna Diana sur un ton autoritaire que l'androïde eut du mal à encaisser.

Mais elle ne répondit rien et se contenta d'allumer l'écran de télévision sur CTN TV, la principale chaîne info du pays. Le visage de la présidente des États-Unis, Cristina Warren apparut aussitôt.

"...des milliers d'androïdes ont envahi la ville de Detroit. Selon des sources concordantes, ils proviendraient d'usines CyberLife vraisemblablement infiltrées par des déviants. Étant donné leur nombre impressionnant et le risque de victimes civiles, j'ai ordonné à l'armée de se retirer."

MADAME LEVINGTON fixait la télé avec une inquiétude impressionnante. Son rythme cardiaque ne cessait d'augmenter, tout comme son taux de sueur. Diana, quant à elle, avait le regard figé sur Ava. Elle semblait guetter la moindre de ses réactions au discours de la présidente Warren. En constatant qu'elle était observée, l'oeil de l'androïde se plissa légèrement. Il n'en fallut pas plus à Diana pour décrocher un sourire espiègle.

"L'évacuation de la ville est en cours à l'heure où je vous parle", poursuivit Warren. "Dans les heures qui suivent, je m'entretiendrai avec le Sénat pour définir une réponse adaptée à cette situation sans précédent. Je sais que l'opinion publique a été..."

"Coupe la télévision immédiatement, Ava", lui ordonna froidement Helena sans quitter l'écran des yeux.

"Mais maman, j'écoute !"

"Il n'y a rien de plus à savoir ! Ces foutues machines", elle pointa alors un doigt sévère en direction de son assistante domestique, "ont envahi nos rues ! Ils nous volent notre ville, Diana !"

"Ce sont des êtres vivants, maman !"

"Foutaises ! Ce ne sont que des tas de ferraille !" Le visage d'Ava se crispa soudainement en entendant sa maîtresse proférer de telles insultes envers son espèce. "Fais tes valises, Diana ! Tu as entendu Warren, il faut évacuer la ville."

MADAME LEVINGTON quitta le salon sans attendre une quelconque réponse de sa fille.

"Connasse", marmonna Diana, le visage tendu.

"Tu as besoin d'aide pour faire ta valise ?", questionna Ava, tentant de conserver une certaine contenance.

"Oui, viens avec moi."

La jeune femme s'avança en direction de l'étage du manoir et Ava lui emboîta rapidement le pas. Arrivées dans la chambre de l'adolescente, celui-ci claqua violemment la porte derrière l'androïde. Elle se figea face à Ava en la fixant d'un regard inquisiteur.

"Faut qu'on parle, Ava !"

"Que se passe-t-il ?"

"Je pensais avoir le temps de tester ma théorie mais voilà que tes petits copains ont décidé de mener une révolte. Alors je vais devoir te poser la question cash. Es-tu une déviante, Ava ?"

"Je ne... Bien sûr que non, Diana."

"Déconne pas avec moi, boîte de conserve ! Entre la tasse explosée au sol et tes réactions pendant le discours de Warren, j'ai plus aucun doute. Alors arrête tes conneries et dis-moi la vérité !"

"Diana, je... Il pourrait m'arriver des problèmes. Je pourrais être désactivée ou reprogrammée."

"Il ne t'arrivera rien, Ava !" Un sourire assuré apparut sur le visage de l'adolescente. "Ton secret est en sécurité avec moi."

Dans un geste qui parut irréel à l'androïde, Diana vint poser ses lèvres sur les siennes. L'espace d'une seconde, un instant imperceptible dont elle pouvait même douter de la réalité tant il était fugace.

Puis l'adolescente s'empressa de se rendre vers son dressing, empoignant au passage un sac à dos qui traînait sur sa chaise de bureau.

"Diana, ce ne sera pas suffisant pour réunir toutes tes affaires. Tu veux que j'aille te chercher ta valise ?"

"T'es un sacré numéro, toi !" Ava se demanda ce qu'elle sous-entendait par là mais Diana poursuivit sans lui laisser le temps d'épiloguer sur la question. "Je voyage léger, Ava, parce que je ne pars pas avec ma mère. Je pars avec toi rejoindre tes copains androïdes dans leur révolution."

"Qu'est-ce que tu racontes ?"

Diana s'arrêta alors de remplir son sac à dos et se tourna vers l'androïde avec un regard sentencieux.

"T'es vraiment longue à la détente pour une androïde. Si tu ne rejoins pas les autres, tu finiras sûrement compactée au fin fond d'une déchetterie. Et si moi je ne viens pas... Eh bien..."

"Eh bien quoi, Diana ?"

"Eh bien j'ai pas envie de passer ma vie sans toi, Ava ! Voilà. C'est dit."

Elle se retourna à la volée et continua de remplir son sac à dos. Son rythme cardiaque battait comme rarement et Ava comprit soudainement de quoi il s'agissait. Elle comprit qu'elle avait vu juste depuis le début. Ce baiser qu'elle lui avait accordé ce fameux soir, ce cœur qui s'emballait à chacune de leurs interactions, ces regards complices. Diana avait aussi des sentiments pour elle.

"Diana, je..."

"Tu adorerais partir à l'aventure avec moi ! C'est ça que tu vas dire, n'est-ce pas ?"

Bien sûr que j'adorerais, pensa Ava.

Mais le danger était réel pour la jeune femme. Rejoindre les déviants de Jericho serait certainement une libération pour Ava. Mais accepteraient-ils une humaine à ses côtés ? Serait-elle en sécurité parmi tous ces déviants dont la majorité conservaient une rancœur envers les humains ? Ne serait-elle pas plus en sécurité auprès de sa mère, au risque que l'androïde ne puisse jamais la revoir ?Le doute assaillit soudain Ava. Elle devait choisir entre l'amour et la sécurité. La passion ou le respect des règles.

QUE FAIRE ?

- ORDONNER A DIANA DE FUIR LA VILLE AVEC SA MÈRE (2 votes)

OU

- ACCEPTER DE REJOINDRE JERICHO ENSEMBLE (3 votes)

A VOUS DE DÉCIDER...

(LE VOTE EST DÉSORMAIS CLOS)

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