60: objet des souffrances

En cet après-midi du dernier jour, il n'y a aucune activité de prévue. Techniquement, si : ranger le bâtiment (mais ce n'est pas un jeu exceptionnel). Dans ma chambre, je m'occupe de vider mes vêtements de l'armoire tandis que Zélie et Rheanna remplissent leur valise. J'étouffe, il fait bien trop chaud dans cette pièce. Alors, j'ouvre la fenêtre. Dans ces moments, je regrette de ne pas avoir de ventilateur incorporé sur mon corps. À défaut d'en avoir, nous restons en short et nous souffrons.

Je décale tant bien que mal ma valise et je l'ouvre. Rapidement, je me rends compte que ce rangement va être bien plus long que ce que je pensais... C'est vraiment en bordel. Donc, comme toute personne productive, je soupire en constatant ce désastre, au lieu de ranger. Tout est mis n'importe comment : des vêtements en trop dépassent, des feuilles s'envolent en ouvrant la valise, mes livres que je n'ai même pas lus manquent de tomber.

Lorsque je cherche un moyen pour tout ranger en un temps record, Zélie s'approche de moi. Elle observe ma valise, sourit, puis me pointe du doigt la sienne. Elle doit être deux fois plus grande que la mienne, ce qui fait qu'elle a deux fois plus de bordel que moi à s'occuper.

- Fais comme moi, vide ta valise et range ensuite.

Et c'est ce que je fais.

Je la renverse immédiatement, Zélie me rejoint, créant un vacarme monstrueux dans la chambre et le sursaut de Rheanna. Il est vrai que j'aurais aimé ne jamais m'occuper de ce bagage et le cacher sous mon lit encore un long moment. Sans le voir, j'aurais oublié que cette colonie va se terminer demain matin. J'aurais oublié que chaque moment a une date d'expiration. Et j'aurais vécu dans mon utopie jusqu'à mourir de vieillesse.

Au lieu de ça, je ramène tous mes vêtements dans ma valise avec nostalgie. Ceux qui sont sales sont dans un sac à part, tandis que ceux que je n'ai pas portés sont bien pliés, comme si j'étais quelqu'un d'organisé. Contrairement à mon arrivée, tout est bien en place, tout est trié. Je passe sous le lit, dans les tiroirs, dans l'armoire et je récupère tout ce qui m'appartient - hormis ce dont j'aurais besoin ce soir, comme mes produits de douche et ma serviette, ainsi que mes vêtements du lendemain.

Je termine une heure plus tard, les filles environ en même temps que moi. Zélie ouvre l'armoire et l'observe, sans dire un mot. Puis, elle nous demande de venir la rejoindre. C'est avec tristesse qu'on le voit, aussi vide que la chambre, alors que nos valises sont pleines.

On se rend compte que c'est réellement la fin.

- On restera en contact, n'est-ce pas ? demandé-je.

- J'espère, me répond Rheanna.

Je sais très bien que ce sera plus compliqué qu'on ne le pense.

Comme notre chambre est quasiment prête pour le grand départ, je me rends dans celle d'Abel pour l'aider. Il est avec Nolan, en train de ranger tout ce qui traîne. Lorsque j'arrive devant la porte qui est ouverte, je m'arrête, voyant Brocoli s'allonger sur le sol. Je sais très bien ce que cela veut dire. Il part récupérer sa boîte. Et je sais ce que je vais voir.

Je croise le regard de Nolan lorsque je tourne la tête. Rapidement, je mets mon doigt sur ma bouche pour lui faire comprendre de ne rien dire. Je sors mon téléphone, un sourire au coin des lèvres, j'ouvre l'appareil photo et lance une vidéo, tandis que le garçon galère à passer sous son lit, telle une larve. Avant qu'il ne remonte à la surface, je me cache dans le couloir.

C'est avec un sourire machiavélique que je lui envoie la vidéo d'un certain Abel, rampant comme une limace jusqu'à sa réserve secrète.

Quelques secondes après, son téléphone sonne. Et quelques instants après l'avoir vue, il se met à rire.

- Elle est sérieuse ? Tu le savais, Nolan ?

- Non, il se passe quoi ? lui demande-t-il tandis que j'entends des bruits de pas se rapprocher de nous.

Le problème est que ce ne sont pas ceux de Nolan, ni d'Abel. En tournant la tête, je vois que c'est Éléonore qui rôde dans le couloir des garçons. Mon cœur fait un tour. Je n'ose pas bouger, au risque d'être entendue. Je sais que je ne suis pas censée être dans cet étage, que cette animatrice est plutôt vieille école et que je risque de me faire engueuler. Tout ce que je fais, c'est me retenir de respirer trop fort, comme si un monstre sanguinaire patrouillait à la recherche d'une proie.

Puis, après beaucoup de réflexion et beaucoup de courage, je cours dans la chambre des garçons et je claque la porte immédiatement. J'espère qu'elle ne m'a pas vue, j'espère qu'elle ne va pas venir.

- Ah bah, t'es là, Danaé ! lance Abel suffisamment fort pour que mon cœur se mette à battre un peu plus vite.

Je soupire.

C'est foutu.

La porte s'ouvre quelques instants plus tard et la folle se met à crier. La pauvre, elle a vu une fille chez les garçons... Sacrilège ! Elle me répète que je ne devrais pas être ici. Elle crie même que c'était une règle simple que je suis incapable d'écouter. Pourquoi ? Parce que je suis une ado ! Elle rouspète et se plaint des jeunes de notre âge, telle une grand-mère. Je sais qu'elle ne peut rien faire, hormis m'enfermer dans ma chambre, et encore. Alors, je la laisse parler dans le vide.

Je ne suis plus son discours, je regarde juste Nolan en roulant des yeux, suffisamment discrètement pour qu'elle ne me voie pas. Et lui soupire en la regardant, assis sur son lit. Abel, quant à lui, tente de rester sérieux, debout au milieu de la pièce, sauf qu'on peut voir que ses jambes n'en peuvent plus de tenir son corps. On en a tous marre. Et je crois qu'on a compris le message.

Elle s'arrête enfin à notre plus grand bonheur.

Si j'avais su, je n'aurais pas parlé aussi rapidement. Sa tête se tourne vers le lit d'Abel. Je m'attends simplement à ce qu'elle râle à nouveau car le lit n'est pas fait et que des vêtements traînent dessus. Ça aurait été mieux pour lui.

- Je rêve !

Elle se rapproche du lit, les bras croisés et le regard plein de dégoût.

- C'est quoi, ça ?

C'est alors que je la voie, pointée par les doigts crochus de l'animatrice. La fichue boîte. Ouverte, des cigarettes dépassent. Pourvu qu'il n'y ait pas de cannabis à l'intérieur, pitié. Le visage d'Abel se décompose, devenant complètement blanc. L'animatrice la prend et la renverse, laissant tomber toutes les cigarettes sur le sol de la chambre. Je peux à nouveau respirer correctement, il n'y a que ça, pas d'autres substances. Il peut potentiellement s'en sortir.

Elle repose la boîte sur le lit. Tel un personnage désagréable de films Disney, elle tapote des pieds, les bras croisés, en face des cigarettes. Tout en fixant Abel sans dire un mot, ce dernier tente de se justifier. Il s'accroupit et ramasse les clopes. Il n'y a rien de marrant, rien qu'un nuage sombre sur nos têtes.

Je suis à côté de Nolan, sur son lit, tandis qu'il découvre tout d'un air ébahi. J'ai beau lui dire de ne pas s'en faire, il reste sous état de choc puis il baisse la tête en me demandant si Abel va mourir. Automatiquement, je me vois à son âge. Lorsque j'étais plus jeune et que j'étais persuadée que j'allais immédiatement décéder si j'osais prendre une cigarette, même éteinte sur mes lèvres. Je me suis alors promis de ne jamais en toucher. Puis j'ai grandi et je me suis rendue compte que ça pouvait calmer ma tête en fusion.

- Abel, je vais appeler tes parents, lance-t-elle en partant avec la boîte et les cigarettes qu'elle arrache de la main du garçon.

Il sort immédiatement pour la rattraper. Par la suite, je l'entends faiblement parler dans le couloir, tandis que les talons de l'animatrice tapent sur le sol, couvrant ainsi le son de sa voix. Elle s'arrête d'un coup. Ils parlent tous les deux, c'est bon signe. Quant à moi, je reste calme à côté de Nolan.

Je n'entends pas grand-chose. Alors, je me rapproche du mur et j'arrive à y distinguer une phrase.

- C'est vraiment difficile de faire une détox complète. J'essaye, je vous le jure. Mais pitié, ne dites rien, ni à mes parents ni aux autres animateurs, sinon je serai mort à mon retour. Et tous les efforts que j'ai faits seront mis à la poubelle.

Il me fait de la peine mais je suis actuellement dans l'incapacité de l'aider. J'aimerais tant pouvoir sortir de la pièce et utiliser un effaceur de mémoire sur Éléonore, mais j'en oublie qu'on est dans le monde réel et non dans un livre de science-fiction.

Puis, plus aucun bruit. Je n'entends plus rien. Est-ce déjà terminé ?

La porte s'ouvre doucement, laissant Abel entrer dans la pièce. Il a la peau si pâle qu'on dirait un cadavre, et il touche sa poitrine en respirant fortement. Sans rien expliquer, il s'assoit lentement sur le rebord de son lit. Puis, il regarde Nolan.

- Je comptais m'en débarrasser.

Je ne le crois pas.

- Je m'étais déjà occupé de la moitié des cigarettes que j'ai jetée à la poubelle. Je voulais que cela reste discret, donc je n'y ai pas tout mis.

Je sais bien qu'il modifie la réalité. Par « la moitié des cigarettes », il veut dire complètement autre chose. Je sais simplement qu'il ne veut pas que Nolan le voit différent ou qu'il se mette à avoir peur pour lui. Il veut le protéger, dans un sens, comme si c'était son propre frère.

Après de nombreuses minutes, je décide de partir pour rejoindre les filles de ma chambre. La situation s'étant calmée, je pense que je ferais mieux de m'en aller fin d'éviter une troisième guerre mondiale si un autre animateur me voit. Abel, tel un gentleman, m'accompagne jusqu'au pas de la porte. Il me parle alors faiblement pour qu'on ne l'entende pas.

- Je te jure que je m'étais occupé de ces merdes. Je les avais jetés dans les toilettes. J'ai raconté n'importe quoi à Nolan pour atténuer la chose. La vérité est que j'ai beaucoup de mal à me débarrasser de tout. À chaque fois, mon cerveau me répète que j'en ai besoin.

Il joue avec ses mains et je réalise qu'il a récupéré les cigarettes et qu'elles sont à l'intérieur.

- Et je sais très bien que je ne vais pas y arriver tout seul. Voir Angie s'en aller m'a fait une réelle douche froide. Lorsque tu es venue m'en demander, je m'en étais déjà débarrassé. Je n'avais vraiment pas envie qu'il t'arrive la même chose qu'elle. Je sais que ça me manque et que je risque de devenir complètement fou, alors j'ai gardé les cigarettes. Mais, débarrasse-t'en, s'il te plaît. En le faisant seul, je risque de tout abandonner au dernier moment. Danaé... Ça m'aiderait énormément.

J'accepte sans hésiter, quitte à m'attirer des ennuis. Je lui tends ma main et il y dépose six cigarettes. Avant de partir, je lui pose une question qui me trotte dans la tête.

- Tu comptes vraiment arrêter ?

- Je ne compte pas recommencer avant quelques temps mais je ne peux rien te promettre. C'est vachement dur. Je vais réellement essayer.

Je pars alors en mission. À vrai dire, j'entre juste dans les toilettes en vérifiant que personne ne m'ait vue. Je ferme à clé, puis je les sors de ma poche. Je ne sais pas s'il va vraiment réussir, peut-être que mon côté pessimiste prend le dessus mais j'ai peur pour lui.

Je jette au fond des toilettes l'objet des souffrances d'Abel, en espérant qu'il n'essaye plus d'en retrouver. En les voyants au fond de l'eau des chiottes, elles semblent si inoffensives. Alors qu'à la surface, elles ont réussir à détruire un garçon et tant d'autres personnes.

Je tire la chasse d'eau une bonne fois pour toute. Je garde en moi cette peur et ces doutes. Est-ce qu'il aura toujours cette motivation lorsqu'il sera de retour chez lui ? Je sais qu'à ce moment-là, il sera seul contre ses démons.

Et moi aussi.

Mise en ligne : 26/08/20

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NDA : Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?

Pensez-vous que les personnages de la colo détox vont aller mieux une fois de retour à la maison ou est-ce juste temporaire ?

Si vous vous pouviez parler à l'un des personnages de Détox, à qui se serait ? Et qu'est-ce que vous lui diriez ?

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