50: déclic

Je crois d'abord à une blague de mauvais goût. Elle en serait bien capable. Le mieux reste de l'ignorer. Alors je me retourne et je me remets à pagayer pour rattraper le reste du groupe. Je ne comprends pas pourquoi elle change de comportement aussi rapidement. On dirait moi, d'une façon un peu moins extrême. Et je me demande si ce n'est pas cet abruti de Tobias qui lui a demandé de me faire une farce. Je ne sais même pas dans quel but... peut-être pour me donner un faux espoir. Bref, je ne dois pas m'attarder sur ça.

Pourtant, elle semble bien déterminée à se faire entendre, puisqu'elle continue de me parler alors que je l'ignore complètement. Le dos tourné, j'entends ses paroles vides de sens et d'honnêteté. Mais, sans réellement le vouloir, toute mon attention se braque sur ses dernières phrases.

- C'est Abel. Il m'a donné une lettre ce matin. Et il est resté à côté de moi jusqu'à ce que je finisse de la lire. Je t'avoue qu'au départ, je ne voulais rien de sa part et je voulais juste partir. Mais il a dit qu'il ne me lâcherait pas tant que je ne l'aurais pas terminé. Et c'est ce qu'il a fait. Donc j'ai bien finir par la lire, à contrecœur, afin de me débarrasser de lui. En tout cas, sache que c'est grâce à lui.

J'essaye de comprendre ce qu'il se trame. Je tente d'imaginer ce qu'il pourrait être écrit sur cette lettre. Et je me rends rapidement compte que mon objectif d'ignorer Zélie est détruit. Tant pis. Le contenu de ce bout de papier ne semble pas négatif, sinon elle m'aurait sûrement jetée dans l'eau, alors pourquoi est-ce qu'Abel a essayé de m'aider ? Je ne mérite pas ça, je l'ai traité comme une merde.

Je ne prononce aucun mot. Je me contente de me retourner en gardant un visage neutre, calme, qui semble peu intéressé par la situation. Pourtant, je meurs d'envie de découvrir les secrets que cache cette lettre.

Zélie la tient dans ses mains, alors je jette un rapide coup d'œil. Ce n'est donc pas une blague. C'est réellement l'écriture du garçon aux cheveux verts.

- Bon... Je vais te la lire mais parle-moi après, me lance Zélie avant de démarrer sa lecture.

« Salut Zélie.

Comme j'ai repris le goût de l'écriture depuis peu, autant mettre sur papier ce que j'ai à te dire plutôt que de le faire de vive voix. D'une part, ça me permet de ne rien oublier. D'autre part, il faudra que tu montres ça à Danaé pour qu'elle puisse te croire. La connaissant - même si je la connais depuis peu - elle pensera que c'est un mauvais canular de la part de Tobias.

Aussi, mais ça reste un secret, j'ai l'air un peu plus intelligent à l'écrit, voire carrément. Baudelaire aurait peur pour sa carrière.

Comme je te l'ai dit, la première fois que je lui ai parlé remonte au début de la colonie, contrairement à toi qui a eu l'honneur de la rencontrer bien plus tôt que moi. Parfois je ne comprends pas son comportement. Mais en ce laps de temps bien court pour créer des relations, j'ai su reconnaître certaines choses. Dont une : quand quelqu'un la blesse profondément. C'est le cas pour toi. Sûrement parce que tu n'as pas essayé de l'écouter.

Je sais peut-être peu de choses, sauf que je sais que tu l'apprécies beaucoup et qu'elle t'apprécie beaucoup. Ça en crève les yeux. Et, peut-être que votre amitié semble détruite, mais je sais qu'il est encore possible de réparer les morceaux.

Je sais qu'à ce moment-là, tu dois me détester. Je te colle et je t'observe lire cette lettre, tout en t'empêchant de partir. On pourrait croire à un début de chronique où l'héroïne se fait kidnapper. Mais ça va, je suis gentil. Je fais ça simplement parce que t'es têtue. Terriblement têtue. Il faut des mesures radicales pour que tu daignes écouter ce qu'on a à te dire.

La réalité ne semble pas si évidente que ça. En effet, il a bien joué son petit jeu malicieux. Tout était bien planifié de A à Z. Je ne t'en veux pas, tout le monde aurait pu tomber dans le panneau. Pourtant, moi, j'ai décidé de croire Danaé.

Avant toute chose, j'ai une question : pourquoi est-ce que tu crois plus Tobias que Danaé ? À ce que je sache, tu connais Danaé depuis bien plus longtemps. »

- À ce moment-là, rajoute Zélie, j'ai lui ai expliqué que je croyais Tobias parce qu'il n'avait aucune raison de me mentir et parce qu'il y avait beaucoup trop de preuves.

« Voici la vérité que tu n'as pas voulue écouter. Tobias a tout ficelé, tout manigancé, tout mené à bien. Et surtout, il a pris cette photo. Dire cela sans preuve est bien facile. C'est pour ça que j'ai demandé à Nolan d'aller parler à Tobias. Notre principal suspect avait déjà discuté avec lui à de nombreuses reprises et essayait d'être ami avec lui. Alors Nolan est un espion parfaitement camouflé qui part en mission pour demander à Tobias ce qu'il s'est réellement passé.

Voici notre enquêteur en action. Je t'écris ici le dialogue qu'il y a eu entre les deux garçons, mais si tu ne me crois pas, j'ai dans ma poche mon téléphone (je t'épargne mes mésaventures pour le récupérer dans le bureau des animateurs). Je l'avais prêté à Nolan et il a tout enregistré. Malin, n'est-ce pas ?

- Salut, Tobias.

- Mh ? Salut, Nolan. Tu veux quoi ?

- Rien de spécial, je veux juste discuter avec toi.

Ici, il faudra faire avancer l'audio qui est un peu long. Nolan essayait de tâter le terrain avant d'entrer dans le vif du sujet. Tel le bon espion qu'il est, il a joué son rôle à la perfection. Tu verras.

- J'ai entendu parler de la dispute entre Zélie et Danaé. Je n'arrive pas à croire que c'est Danaé qui a fait ça.

- C'est plutôt Zélie qui est complètement conne.

- Comment ça ?

- Non... En fait, tout le monde est sacrément con dans cette colonie. Toi, t'es jeune. Je te pardonne. Regarde juste autour de toi, les gens sont des abrutis profonds. Par exemple, lorsqu'on m'a privé de mon propre téléphone, les animateurs n'ont même pas cherché à savoir si j'en avais un deuxième. Ce qui est évidemment le cas.

- Sérieux ? Mais t'es trop fort. Moi, je n'en ai même pas un seul.

- Tu le dis à personne, d'accord ? Mais j'ai pris cette grosse Zélie en photo. Elle est tellement bête qu'elle ne se souvient même pas que j'étais dans la pièce lorsqu'elle était à moitié à poils. C'est à mourir de rire, la façon dont elle boit mes paroles. Trop naïve. Elle a même frappé Danaé, alors que je suis sûre qu'elle était en kiffe sur elle. Dégueulasse, une fille à la fois grosse et lesbienne.

- Maintenant que tu le dis, c'est assez drôle.

- Je te dis ça car t'es le seul mec un peu sensé ici. Et puis, dans le pire des cas, ce sera ta parole contre la mienne. Je me faisais terriblement chier dans cette colonie. Alors j'y ai ajouté un peu d'action, un peu de peps. Dommage, il me manque du popcorn.

- Heureusement que tu es là.

- J'ai eu cette idée lorsque j'ai vu Danaé voler la photo de Zélie au début de la colonie. La trouver dans sa chambre n'était pas si compliqué que ça. Sérieux, la cacher sous son matelas ? Même moi, j'aurais trouvé une meilleure cachette. À partir de là, j'ai su que j'avais un pouvoir sur elles. Les gens se trompent, le pouvoir n'est pas dans la richesse mais dans la manipulation. Et là, j'ai compris que j'allais enfin m'amuser dans cet endroit de merde. J'ai tout imprimé, tout distribué et j'ai regardé l'ascension de la déchirure entre Danaé et Zélie. J'aurais dû être réalisateur de film. Ça aurait bien marché.

- T'es sacrément intelligent.

- Je sais, Nolan. M'enfin, c'est dommage qu'il ne reste que quatre jours de colonie. J'aurais bien aimé profiter du spectacle un peu plus longtemps. Observer la colère et les larmes de ces deux lesbiennes, tout en étant invincible, c'est bien trop drôle. »

C'est alors que je reste muette. Trop d'informations d'un coup. Sans savoir quoi dire, la seule chose qui tourne dans ma tête est le fait que Tobias est une pourriture qui mérite de se prendre ma pagaie dans la face. J'essaye de ne pas m'énerver, de calmer ma haine. J'essaye, mais j'ai tellement envie de détruire quelque chose. Quel horrible personnage, il est à la hauteur d'Émeric.

Sauf que cette fois-ci, je ne compte pas me laisser faire.

- Il m'a ensuite fait écouter l'audio. Il y a des parties de son discours que j'aurais aimé que tu n'entendes jamais mais je préfère être complètement honnête avec toi. J'aurais dû t'écouter toi plutôt qu'un imbécile que je ne connais même pas, putain.

J'ai juste envie de pleurer. Je ne saurais dire si c'est de tristesse par rapport à la cruauté des êtres vivants, ou si c'est parce que ce climat de tension est enfin terminé. Abel a fait quelque chose d'exceptionnel, alors que je ne l'ai pas traité comme il se doit. J'aimerais juste le remercier, un million de fois. Il faut que j'aille le voir mais je suis coincée au beau milieu d'un lac.

- C'est ce que j'essayais de te dire, Zélie. Ça peut paraître ridicule mais le fait que tu n'essayes même pas de m'écouter était comme une torture.

- Pour être ridicule avec toi, sache que c'était aussi une torture de se dire que tu m'avais fait ça, répond-elle. Je suis terriblement désolée. Je sais que c'est sûrement trop tard et que de simples mots ne vont pas tout réparer, mais laisse-moi une seconde chance, s'il te plaît.

Je réfléchis. J'aimerais tant lui pardonner en un clin d'œil, sauf que c'est en se jetant comme ça que je finis toujours par souffrir. Je ne dois pas avoir d'espoir, ni lui en donner. Tout va se recoller avec le temps.

- Attendons d'abord de régler la source du problème, je finis par répondre. Si tu as encore des zones d'ombre sur toute cette affaire, c'est maintenant ou jamais.

Mieux vaut tout mettre au clair afin qu'il n'y ait plus jamais de dispute aussi puérile.

- Pourquoi as-tu volé la photo ?

Il est vrai qu'au départ, c'était une excuse bidon pour aller lui parler. Je sais bien qu'une part de moi n'y voyait pas que mon intérêt, mais aussi le sien. Et le fait qu'elle soit aussi mal durant cet atelier de photographie m'a donné envie de l'aider comme je pouvais.

- Je savais que tu étais complexée. Alors si personne ne voyait ta photo, j'ai pensé que tu te sentirais mieux. Je comptais te la rendre. Et puis, c'était une opportunité pour venir te parler. Mais j'ai tout foiré.

- C'est vraiment super gentil. Et lui, il va me le payer.

Puis j'ai soudainement une idée. Je me rapproche alors de son oreille afin de lui proposer un plan de vengeance machiavélique. Peut-être que la vengeance n'est pas la meilleure façon d'agir mais je n'ai jamais dit que j'étais parfaite. Zélie approuve mon immédiatement mon idée, ce qui me fait sourire d'un air bien trop diabolique.

On pagaye comme des folles pour rattraper le reste du groupe afin que tout le monde admire le spectacle.

Je me dis parfois qu'on mériterait un oscar. C'est là que tout démarre. Je commence à engueuler Zélie, puis elle aussi. On n'entend que nos cris qui résonnent dans tout le lac. Lorsqu'un animateur se rapproche de nous, probablement pour nous arrêter, la fille de mon lycée me pousse dans l'eau. Je fais alors chavirer le kayak pour qu'elle me rejoigne. Tout le monde nous regarde sans comprendre ce qu'il se passe.

On se retrouve toutes les deux dans l'eau. Côte à côte, à faire semblant de se disputer. Je me retiens de rire. Dès que l'animateur arrive en face de nous pour nous disputer, on arrête de parler. Muettes et notre meilleur jeu d'acteur en marche, on l'écoute nous ordonner de remonter sur le kayak et d'arrêter de faire les enfants.

Lorsque je croise le regard de Tobias, il semble heureux. Il ne le sait pas encore mais nous savons toutes les deux que ce sourire va bientôt disparaître de son visage.

Mise en ligne : 26/07/20

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NDA : Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?

Que pensez-vous de Tobias ?

Pourquoi Abel a aidé Danaé alors qu'ils se sont disputés ? À sa place, auriez-vous aidé Danaé ?

À votre avis, quel est le plan de Danaé et Zélie ?

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