42: la haine dans mon cœur

Allongée sur mon lit tandis que je regarde le plafond : c'est à peu près tout ce que j'ai fait jusqu'à ce que quelqu'un vienne toquer à la porte de ma chambre. Je réponds sèchement, ce n'est pas le moment de venir m'embêter.

- Oui ?

- Que fais-tu ? me demande Tiphaine. Les autres sont en train de partir.

Je me redresse et m'assois sur le bord de mon lit. Ma tête tourne parce que je me suis levée trop brutalement. Alors je ne réponds pas durant quelques instants. Je déteste cette sensation où j'ai l'impression qu'on me fixe. Je ne suis pas forcément à l'aise tandis que mon cerveau se réveille. Finalement je remets mes idées en place. Puis je me souviens de la sortie.

- Je n'avais pas vu l'heure... je n'ai pas de montre.

- Rheanna et Zélie étaient censées venir te chercher... C'est étrange parce qu'elles sont montées et sont redescendues. Puis elles ont dit qu'elles t'avaient prévenue et que tu n'allais pas tarder à arriver.

C'est comme un coup de couteau dans le cœur mais je dois faire mine de rien. Ce n'est pas censé m'atteindre. Et Tiphaine ne doit rien savoir.

- Pas étonnant.

- T'as un souci avec elles ?

J'ai l'impression de revoir ma psychologue à travers Tiphaine. Et Suzanne ne m'a servi à rien. Alors je m'affale à nouveau sur mon lit en l'ignorant. Les bras étendus, je me mets à soupirer. Je me demande si c'est une bonne idée que j'aille à cette sortie. J'y croiserai Zélie sans pouvoir lui parler. Surtout j'y verrais Tobias. 

Je me demande s'il a lancé cette rumeur dans toute la colonie. Si c'est le cas, je risque de perdre Abel. Au final, cette colonie ressemble énormément au vrai monde où les mensonges me collent au cul. 

- Non, pas du tout... Elles ont sûrement dû me le dire, je pense que j'étais simplement en train de dormir.

Faux. 

J'étais dans mon lit. Je réfléchissais aux actions de Zélie et surtout à celles de Tobias. Qui pourrait fermer l'œil en subissant une telle injustice ? En tout cas, pas moi.

- Tu veux rester au lycée ?

Ça serait ridicule de ne pas faire une sortie pour une fille que je détestais avant la colonie et pour un garçon que je ne connais même pas. Quoiqu'il arrive, je les verrai d'une manière ou d'une autre, que ce soit dans le lycée ou pendant l'activité. 

Et lorsque nos regards se croiseront, il y aura un règlement de compte entre Zélie - la fille naïve qui ne veut rien écouter -, Tobias - le cruel personnage - et moi - la fille qui n'a rien demandé à personne. Enfin... seulement si j'ose agir après la manière dont je me suis fait repousser. 

- Non, ça va, je réponds en mettant mes chaussures le plus rapidement possible.

Je rejoins le groupe qui - visiblement - n'attendait que moi. Je prête attention à être l'une des premières à monter dans le bus. D'une part, pour avoir une place à la fenêtre et d'autre part pour être à côté des gens que j'apprécie. 

C'est lorsque j'attends que je vois de nombreuses têtes passer. Quant à moi, j'espère toujours trouver la bonne. Je sais ce que j'attends. Aussi bête que ça puisse paraître. 

C'est au tour d'Abel d'entrer dans le car. Il croise mon regard et me sourit.

- Cette place est prise ?

Je ne suis pas une bonne personne. Ça, c'est sûr. 

Au fond de mon cœur, ce n'est pas Abel que je veux voir à côté de moi dans le car, mais Zélie. Parce que, secrètement, j'espère qu'elle va s'installer sur ce siège pour qu'on profite de ces quelques minutes de transport. On pourrait tout mettre au clair et redevenir comme avant.

Peut-être que je suis trop optimiste, mais je veux avoir toutes les chances de mon côté pour que cela arrive.

- Ouais, désolée.

- Pas de problème, dit-il en s'asseyant sur le siège derrière le mien.

Je regarde les gens s'installer avec un pincement au cœur. Nolan entre et se met à côté d'Abel après lui avoir demandé. Je les entends rapidement. Et je me sens comme une espionne qui comprend qu'ils sont en train de se réconcilier. On dirait qu'il n'y a plus une once de querelle entre eux. Quant à moi, je me retrouve encore seule à espérer quelque chose.

Puis elle arrive. Zélie entre dans le car. Lorsque je vois qu'elle porte toujours son rouge à lèvres violet, je commence à douter. 

Avec ses yeux, elle fait le tour du bus, cherchant probablement quelqu'un. Et moi, le cœur battant à cent à l'heure, je l'observe en espérant un contact. Mes mains tremblent à chaque seconde interminable qui s'écoule tandis qu'elle marche dans l'allée du bus. Quant à ma tête, elle est en ébullition. 

On n'aura qu'à dire que c'est à cause de la chaleur insurmontable de l'été.

Je joue avec mes mains lorsque nos regards se croisent. Je lui souris. Rapidement, je baisse la tête pour esquiver son regard que je ne saurais affronter plus longtemps. C'est lorsque je la relève que je vois qu'elle n'est plus là. Je me tourne alors et admire avec haine qu'elle s'est mise à côté de Rheanna à une place bien loin de la mienne. J'ai été bête. Et maintenant, elle doit me trouver terriblement ridicule. Ce sont des millions d'aiguilles qui me pincent le cœur. Je suis comme une poupée vaudou. Et elle joue avec moi. 

C'est sa vengeance, je le sais. Et je sais aussi qu'elle ne reviendra probablement jamais.

Je regarde vers la fenêtre en essayant de m'imaginer porter un casque anti mauvaises-ondes. Ce serait génial, un casque qui nous éloigne de tout ce qui ne va pas. Il serait beau, confortable, et je n'y verrais que ce qui me rend heureuse. C'est bien dommage, ça n'existe pas. 

Je fixe la vitre, cachant ma tête et mes larmes avec mes longs cheveux bruns. 

Le truc avec le fait de pleurer, c'est que ce n'est jamais glamour comme dans les films. C'est tout simplement ridicule. Tu as l'impression que ta poitrine va exploser et que tes yeux ne vont jamais s'arrêter de dégager de l'eau, à croire que tu ne vas plus jamais avoir une vision normale. Et ça fait mal. Pas les larmes, mais la douleur mentale - et physique en cas de blessure - que tu ressens lorsque tu pleures. Là j'ai mal dans ma tête et mon cœur se serre. Alors qu'en soit, il ne s'est rien passé d'exceptionnel. Il s'est passé quelque chose de prévisible.

J'attends la fin du trajet. J'attends que ma peau rouge redevienne blanche. J'attends que mes cils ne soient plus humides. J'attends que mes yeux ne soient plus rouges. J'attends que mon nez ne coule plus. J'attends, c'est ce que je fais tout le temps. 

On arrive dans une Fury Room. Je n'en avais jamais entendu parler auparavant. Le principe est de tout détruire dans une pièce : ordinateur, vase, table... et peut-être que je pourrais me détruire moi-même.

Le dernier est faux. C'est une blague. Je le fais déjà. 

C'est comme un défouloir. Et je peux dire que ça tombe à pic. Durant l'attente interminable, étant donné qu'il y a qu'une personne par salle, je reste dans mon coin pour réfléchir. 

- Danaé ?

Je lève la tête, c'est visiblement à mon tour.

Je me laisse porter par les paroles de l'intervenant qui m'explique que je dois mettre une combinaison et un casque. Puis il me donne une batte de Baseball. J'entre, toujours accompagnée d'un inconnu, dans une salle de la taille de ma chambre. C'est-à-dire pas si grande que ça. 

Au centre de la pièce se trouve une table qui porte plusieurs vases. Plus loin il y a un bureau où sont installés un ordinateur, des tasses ainsi une gourde en verre. Au mur est accrochée une étagère qui supporte quelques bouteilles de vins. Et sur toute la surface de l'un des murs,  « Fury Room » est écrit en noir. 

On m'explique une dernière fois ce que je dois faire, et je me retrouve enfin seule.

La batte dans la main, je détruis un premier vase, puis un second. C'est à chaque claquement de verre sur le sol ou le mur que je suis satisfaite. J'espère que personne ne me regarde de trop près, sinon il pourrait y voir une psychopathe. 

Depuis quelques temps, tout est devenu le mélange d'une haine monstrueuse et d'une tristesse insurmontable. Je pense vraiment que mes émotions sont parfois si puissantes que je ne sais pas moi-même les contrôler. Il faudrait vraiment un bouton pour arrêter mes sentiments. Je l'écraserais avec cette batte de Baseball. J'en ai marre. J'ai tellement de haine que ça m'en ôte les mots de la bouche. Je le déteste, je le déteste, je le déteste. Je rêverais que cet ordinateur soit la tête de Tobias car il s'écrase et se brise grâce au poids de ma haine.

Je suis sûrement folle et il faudrait peut-être m'enfermer avant que je commette quelque chose d'impardonnable. Sauf que lui, il est encore plus taré que moi. Il n'avait aucun raison de faire ça. C'est un réel psychopathe, c'est la différence entre nous deux. 

Et c'est un nouveau coup sur un vase. Tobias n'avait pas le droit d'agir comme ça. Et c'est un autre. Zélie est beaucoup trop naïve pour le croire. Et l'ordinateur s'écrase sur le sol. Elle ne me laisse même pas le temps de lui expliquer. Et la rangée de bouteilles de vins s'éclatent. Elle est obnubilée par la seule explication qu'elle a eu alors qu'elle me connaît mieux que lui. Et c'est toutes les bouteilles de l'étagère qui s'écrasent au sol. Si j'attrape Tobias, si je revois sa tête d'agneaux, je ne sais pas ce que je serais capable de faire. Mais il pourrait déjà se réjouir d'une chose : il a la chance de ne pas être dans la même pièce que moi.

Je rêve d'avoir un bouton pour stopper net mes émotions. Ce serait magnifique, sauf ce n'est pas possible. Alors pour le moment, je m'occupe de cette salle. C'est un bon défouloir. C'est aussi un bon entraînement avant de m'attaquer à ce garçon. 

Mise en ligne : 01/06/20

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NDA : Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?

Est-ce que Danaé devrait continuer à espérer que tout s'arrange, où devrait plutôt abandonner ?

Qu'est-ce que vous imaginez pour la suite ? Une vengeance de la part de Danaé, une réconciliation, un mort (haha)

Vous pensez quoi des Fury Room ? J'en avais entendu parler par une abonnée, il me semble, et ça fait une activité parfaite pour cette colonie. Je n'y suis jamais allée et vous ?

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