11: abel
J'avais mérité ce comportement. Idiote, égoïste et insociable que je suis, c'est préférable que je reste seule. Je n'arrive même pas à pleurer, j'ai juste la gorge nouée. Peut-être que j'ai trop laissé mes larmes couler ces dernier temps, peut-être que j'en suis à un point où une goutte de plus dans ce verre ne change rien.
Je suis terriblement énervée. J'ai envie de balancer tout ce que je vois ou donner un violent coup de point dans le mur. Je pense avoir un réel problème : quoique je fasse, les gens ne me supportent pas, et les autres me soutiennent par pitié. « Danaé, oui je te parle depuis deux ans car tu fais peine à voir » : j'aurais préféré ne jamais entendre cette phrase venant d'une ancienne amie.
J'ai envie de partir d'ici, d'être loin, dans mon lit, ne plus rien faire mes journées, recommencer ce que j'avais tenté en espérant que cela fonctionne et que je me retrouve pas dans une seconde colonie pour détraqués comme moi. Je ne me sens juste pas à ma place, comme si je suis une étrangère.
- Salut... Danaé ?
Je me retourne et vois Abel, des papiers à la main et me regardant. Il me sourit et je ne comprends pas pourquoi il vient me parler. Seuls dans ce couloir sans fin, il m'adresse un sourire amicale, sans savoir s'il est réel ou non. Il n'est même pas avec Nolan pour des garçons de son âge : il est aussi seul que moi.
- C'est moi, je réponds bêtement.
- Je peux me joindre à toi ?
Même si j'aurais préféré être seule, je me vois mal vivre la même chose que moi. Pourtant, ne sachant pas quoi dire d'intelligent et ne voulant pas qu'il croit que je m'intéresse à lui, je lui sors une phrase stupide.
- Je crois que je n'ai pas le choix et puis t'es pas censé être avec Nolan ?
- Bah techniquement tu as le choix de partir en courant et je ne te suivrais pas comme un toutou, et Nolan est dans le camp inverse.
Nolan n'est pas dans l'équipe d'Abel donc ils ne restent pas ensemble. Quant à Angie et Flavie, elles sont dans la même équipe mais ne jouent pas le jeu. Si elles sont les seules à ne pas respecter ça, c'est que je dois vraiment les faire chier. Je ne veux pas montrer ma déception à Abel pour autant.
- C'est marrant ça.
- Pourquoi ?
- Mes colocs sont ennemies dans ce jeu, pourtant elles ont décidé que ce serait moi leur ennemie. Résultat : elles ne veulent pas rester avec moi.
Ça fait du bien de se plaindre un peu.
- Au pire tu t'en fiches ?
- Comment ça ?
- Tu les reverras plus une fois la colo terminée.
Le garçon aux cheveux verts est probablement l'un des plus âgés de la colonie. Je lui donne dix-sept ans. Je lui souris en me disant que je dois écouter ses conseils. Une fois les quatorze jours passés, je reprendrai ma vie normale : déprimer, ne rien faire, rester seule. Je reviendrai dans ma zone de confort tant redoutée des adolescents de mon âge. Au final, cette colonie n'aura servi à rien. Toutes personnes allant mieux iront mal une fois le séjour terminé.
- Cette colo détox de merde.
- Colo détox ?
- C'est toujours mieux que colonie de détoxification des mauvaises pensées.
- Ça c'est sûr, va pour colo détox.
Tandis que nous marchons dans le couloir, Abel s'arrête sans crier garde et s'approche d'un casier bleu. A vrai dire, ils sont tous bleus et tous le long de cette immense couloir. Il prend le cadenas dans ses mains pâles et me regarde avec un sourire figé vers moi.
- Bah tiens... j'en ai trouvé un de ces papiers.
Je m'approche de lui et observe le verrou en question : gris, plutôt grand et à clé. Un papier est attaché dessus avec du ruban adhésif. Il le décolle, le rajoutant à sa collection. Quant à moi, un sentiment d'infériorité me parcours : je n'en ai trouvé aucun. Il doit en avoir une vingtaine, à la hauteur du tas.
- Bravo, Abel.
Je me dirige vers le distributeur. Ce lycée horticole est vraiment un cliché : les casiers sont beaucoup trop nombreux alors que dans mon école il n'y en a très peu. En fait, il y en a uniquement pour les personnes ayant des problèmes. Je pourrais dire que j'en ai un, vu que je me retrouve ici, mais je doute que cela fonctionne.
Aussi, il n'y a pas de distributeur. Depuis le début de ma visite, j'ai pu voir trois distributeurs : café, bonbon, boisson, après il reste à savoir depuis combien de temps ils se trouvent là.
Je décide de tenter l'expérience, je pose une pièce d'un euro qui disparaît engouffrée dans la machine. Quelques secondes plus tard, un paquet de bonbon tombe de son étagère. Je mets ma main dans le bac pour le récupérer, m'heurtant à la trappe. A la place, je sens un papier plutôt fin avec des rebords déchirés. Je le prends et observe une photo en noir et blanc d'un arbre et d'un banc. C'est bien une des feuilles que l'on cherche.
Je brandis avec fierté ce simple bout de papier et Abel m'applaudit.
- Tu vas me dépasser un jour... euh il n'y en a sûrement pas deux au même endroit, rétorque-t-il quand je mets une seconde fois ma main dedans.
Je prenais uniquement le paquet de bonbon que j'avais acheté. Je l'ouvre et tends crocodile rose à Abel.
- Merci bien.
- Pour fêter notre victoire, même si on n'a pas encore gagné.
Je le mange et il n'a pas le goût de quelque chose de moisi de vieillesse. Il n'a pas le même goût que ceux que j'achète dans ma petite ville. J'y allais souvent avec mes amis après le cours : on avait la chance d'avoir une épicerie juste à côté du collège. Au final, j'y dépensais tout le peu d'argent de poche que j'avais. Souvent, j'en achetais aussi pour mes amis.
Si j'avais su que je n'étais qu'un porte monnaie vivant pour elles, j'aurais tout gardé pour moi.
- Sinon, Dan...
- Dan ? Je l'interrompe.
- T'as bien donné un surnom à la colonie ?
- Bah ouais.
- Bah c'est à mon tour.
- D'accord... brocoli.
Ces cheveux verts sont bien la première chose qu'on remarque chez lui. Pas que cela lui aille mal, c'est juste surprenant.
- Je ne te le permets pas D-A-N.
- Toi non plus, c'est un nom de garçon.
- Mais moi c'est mignon, personne ne t'as jamais donné de surnom ou quoi ? J'ai visé la simplicité là.
- Non, personne. A moins que « salope » ou « connasse » compte comme un surnom.
Et je plombe déjà l'ambiance, mais contrairement aux autres personnes de notre génération, il ne dit pas « qu'est-ce que c'est triste » ou « je suis désolée ». Il continue dans ma lancée. Et j'apprécie ça.
- « Enculé » ou « abruti », j'ai de beaux surnoms.
- Qu'est-ce que je suis jalouse, je lui réponds ironiquement.
C'en suit un moment où Abel cherche ses mots.
- C'est pour ça que tu te retrouves ici ? Je voulais te demander ça avant que tu te moques de l'incroyable surnom que je t'ai offert.
- J'ai pas envie d'en parler, et toi brocoli ?
- Moi non plus, je ne veux pas en parler.
- Donc on n'en parle pas ?
- Exactement.
J'apprécie le fait qu'il ne force pas, qu'il respecte mon choix de ne rien dire, au lieu d'être cette personne lourde à insister pendant des heures. Non, c'est non. Sauf que c'est compliqué à comprendre pour certaines personnes.
On a passé le reste de notre temps tous les deux. Sans savoir la raison de sa venue, j'ai discuté avec lui comme si on se connaissait depuis des mois. Au final, notre équipe a perdu bien qu'Abel avait un nombre incalculable de papier. Ce n'est pas grave, ce n'est qu'une colonie pour les jeunes fous, je ne vois pas en quoi chercher des papiers pourrait m'aider.
Mise en ligne : 28/09/19
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NDA : Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?
Que pensez-vous d'Abel ?
Danaé ne voit pas l'utilité de ce jeu en équipe. D'après vous, en quoi chercher des papiers aideraient à aller mieux ?
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