037 | Les retours
Jour et nuit, Charlie luttait contre l'obstination de son esprit à ne penser qu'à William. Ce conflit faisait rage en elle. Elle sentait, au fond d'elle, les sentiments qu'elle avait enfouis. Elle continuait tant bien que mal de s'en distancier, se répétant qu'ils n'étaient que temporaires. Elle se disait que toutes ces émotions disparaîtraient, éventuellement.
En dépit de ce qu'elle ressentait, Charlie était déterminée à reprendre sa vie où elle l'avait laissée avant de rencontrer William. Elle croyait qu'en oubliant le garçon, les choses reviendraient comme elles avaient toujours été. Un simple retour en arrière, comme si sa relation avec lui n'avait été qu'une mince brèche dans le temps et que le reste du monde s'était arrêté pendant cet instant.
Seulement, Charlie ne put rester dans le confort du déni bien longtemps, parce que les choses avaient bel et bien changé autour d'elle. Elle l'avait compris assez rapidement. Elle avait dû y faire face, la première fois, lors du souper célébrant le départ de Félix aux États-Unis. Cette soirée-là, un vif pincement au cœur l'avait secoué alors qu'elle faisait une dernière accolade à son ami. Ce malaise avait continué de l'habiter les jours suivants, et il avait été ravivé lorsque Max lui avait annoncé sa rupture avec Évelyne.
La conscience lourde, Max avait finalement ouvert son cœur à Évelyne. Il avait trouvé le courage de lui avouer qu'il vivait mal leur relation à distance. Il lui avait ensuite confessé comment il n'avait su gérer cette distance, comment il l'avait trompé avec quelqu'un d'autre. Il l'avait fait, dans l'intention de pouvoir tout recommencer à zéro. Il voulait réparer les morceaux de leur relation. Il lui avait même proposé de déménager pour s'approcher d'elle.
Mais Évelyne avait refusé. Les fragments de leur relation étaient beaucoup plus nombreux que cette tromperie. Les plaies étaient plus profondes. Ce n'était pas seulement la distance qui les séparait désormais. Ils avaient pris des chemins complètement différents.
— Je regrette tellement, soupira Max, les yeux remplis de larmes.
Sous le soleil chaud d'été, il y avait quelque chose d'inconsolable dans l'air. La brise soufflait dans les cheveux de Max, laissant entrevoir son visage déchiré par le chagrin. C'était la première fois que Charlie le voyait aussi vulnérable et elle en fut ébranlée. Elle qui enfouissait ses émotions, elle était complètement confrontée à la douleur de son ami.
— Tu as fait la bonne chose, Max, le rassura-t-elle. Je sais que ça doit être difficile de me croire en ce moment, mais dire la vérité à Évelyne, c'était la meilleure chose que tu pouvais faire.
Max hocha la tête, pensivement. Ses lèvres étaient pincées et ses sourcils froncés. Quelque chose de sombre faisait ombre sur son visage.
Charlie regarda un point invisible devant elle. La mélancolie de Max se transmettait, telle une tristesse contagieuse.
— Qu'est-ce que tu regrettes, en fait? murmura-t-elle faiblement, comme si elle n'osait pas poser la question à voix haute.
Charlie sentit le regard de Max se poser vers elle, mais elle continua de fixer le vide devant elle.
— Je regrette la manière dont j'ai géré tout ça, expliqua le garçon. La relation à distance, j'veux dire.
— Si tu pouvais recommencer, qu'est-ce que tu ferais ?
Max haussa les épaules. Il prit un instant avant de répondre. De longues secondes où Charlie pouvait presque entendre les pensées de son ami se bousculer dans son esprit.
— J'sais pas, se résolut-il à dire. En fait, je pense que je regrette de ne pas lui en avoir parlé avant. Je le savais en plus, que ça ne fonctionnait pas. Mais je me disais que ça ne servait à rien d'en parler.
Charlie trouva le courage de lever les yeux vers Max. L'air absent, le garçon semblait réfléchir à voix haute devant elle. Elle en était presque admirative. Il faisait preuve d'une telle sincérité. Il ne se cachait plus derrière quoique ce soit.
Dans cet élan de franchise, Charlie se laissa emporter.
— Je me demandais si tu regrettais d'avoir essayé la relation à distance? le questionna-t-elle, hésitante. Parce que ces temps-ci, je n'arrête pas de me demander ce qui fait le plus mal. Est-ce que c'est lorsque ça se termine après avoir essayé ou quand ça se termine sans avoir essayé?
Même si Charlie n'avait que très peu parlé de sa rupture avec William, elle se doutait que Max avait compris les raisons derrière sa question. Cependant, elle savait aussi qu'il la connaissait assez bien pour ne pas les souligner.
— Ça fait décidément plus mal quand on a essayé, lui répondit-il, la voix tranchante d'honnêteté. Mais ça en vaut tellement la peine. Je ferais peut-être les choses différemment, mais je n'échangerais pour rien au monde ce que j'ai vécu avec Évelyne.
Un sourire à la fois nostalgique et douloureux s'étira sur le coin des lèvres de Max.
Un silence rempli de réflexions s'installa. Alors que les mots du garçon troublaient l'esprit de Charlie, elle ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour Félix qui, lui, à l'inverse, souffrait de n'avoir jamais rien tenté avec Eugénie.
— Mais je n'ai pas la vérité absolue. Ce que j'avais avec Évelyne, c'était unique. C'était juste à nous, reprit-il. Ce que tu ressens, Charlie, ça t'appartient. Peu importe ce que les autres te disent, il n'y a que toi qui sais si ça en vaut la peine ou non.
Le cœur de Charlie se serra. Elle baissa le regard, les yeux aussi tristes que ceux de Max.
Charlie avait toujours fait confiance à son jugement. Encore maintenant, elle était certaine d'avoir pris la bonne décision. Elle l'avait fait alors qu'il était encore temps. Parce que si William avait réussi à la déstabiliser aussi rapidement, les dommages qu'il aurait pu causer menaçaient d'être dangereux.
Et pour cela, Charlie ne blâmait qu'elle-même. Ce n'était pas la faute de William, au contraire. Elle se sentait seulement trop instable pour que l'on s'attache à elle. Trop fragile pour que l'on bâtisse une relation sur ses épaules.
Alors pour cacher ses faiblesses, elle avait préférer fuir.
— J'aimerais simplement que certaines choses soient différentes, déclara-t-elle, l'estomac tordu.
Charlie ressentait tellement de choses à la fois, mais était capable d'en dire que si peu.
— Des fois, ça ne dépend pas de la personne. Ce n'est juste pas le bon moment, j'imagine, compatit Max.
L'intonation de sa voix laissa croire à Charlie que son affirmation cachait un sous-entendu bien précis.
— Tu penses à Louis? essaye-t-elle, avec précaution.
Max prit une longue inspiration. L'expression sur son visage changea. Ce n'était plus de la tristesse qu'il dégageait, mais plutôt de l'impuissance. Ses traits s'adoucirent toute de même. Peu importe ce qui le tourmentait à cet instant, il semblait l'accepter.
— Ça ne pouvait pas marcher. Ce n'était pas notre moment. On n'était pas à la bonne place, admit-il, calmement. Lui autant que moi.
Charlie sourcilla.
— Qu'est-ce que tu veux dire?
Les yeux de Max se plissèrent. Il parut surpris par la question de Charlie, comme si elle aurait dû comprendre ce à quoi il faisait référence.
Aussitôt, le cœur de la jeune femme se serra. Elle avait coupé tous les liens qui la rattachaient à William. Et Louis en faisait partie. Elle n'avait échangé aucun mot avec lui et c'était l'une des choses qu'elle regrettait le plus. Elle avait été faible. Elle avait laissé Louis derrière elle, comme s'il n'avait jamais existé dans sa vie.
— Il m'a appelé il y a quelques jours, lui dévoila Max. Il est entré en centre de désintox.
⁂
Ce n'était pas la première fois que William sortait d'un centre de désintoxication. Plus d'une fois, il y était allé pour reconduire son père. Et, à chaque fois, il quittait le bâtiment habité par l'espoir du rétablissement de Marc. C'était un peu comme si, après avoir atteint de fond, son père était prêt à essayer de remonter à la surface.
Cette fois-ci, pourtant, c'était différent. William était de retour dans le stationnement d'un centre de désintoxication, mais la situation était tout autre. L'espoir n'y était pas. Seulement un goût amer et d'échec qui roulait dans sa bouche.
Louis aussi avait atteint un fond. William s'en voulait terriblement, parce qu'il avait l'impression d'avoir assisté à sa chute, sans rien faire pour l'aider. À force de refuser de voir que Louis perdait l'équilibre près de la falaise, il l'avait laissé tomber. Il ne lui avait même pas tendu la main. Il l'avait abandonné.
Charlie lui avait dit. Il se voilait la face. Et ce, au détriment des autres.
Au détriment de son meilleur ami.
William tapa violemment le volant de sa voiture. Il aurait dû s'en rendre compte. Il savait que Louis avait besoin des autres pour sentir qu'il existait. Son ami vivait pour cette attention. Mais les gens ne donnaient pas d'importance aux choses négatives. Ils les fuyaient par peur d'y être confrontés. Louis avait donc dû se forger des façades pour cacher ce qu'il y avait de plus sombre en lui. Il était resté le garçon lumineux, alors qu'il souffrait de l'intérieur, jusqu'à ce qu'il tombe.
Une fois arrivé chez lui, William se buta devant la silhouette de Sarah. L'amertume du garçon s'envenima soudainement. Assise sur la première marche de son escalier, la jeune femme l'attendait. Elle était agitée, prête à exploser d'un moment à l'autre.
Lorsqu'elle le vit, Sarah se leva d'un bond pour lui faire face. Un nouveau trouble, très sinistre, s'empara de William devant cette proximité. Il sentit tous les muscles se tendre et sa tête se mettre à brûler. Il était épuisé et désorienté. Il aurait tellement voulu que tout s'arrête.
—Je peux entrer?
William accepta d'un hochement de tête, malgré que son cœur lui criait de dire non.
Lorsqu'il entra dans son appartement, William eut l'impression que tout était plus sombre à présent. La lumière du soleil semblait refuser de traverser les fenêtres. L'atmosphère était lourde et pesante. Des bouteilles de bière vides et cassées trainaient sur le sol. Une odeur d'alcool et de détresse infectait les pièces.
Derrière lui, Sarah le suivait telle une ombre plombante. Aucun d'eux ne semblait vouloir dire le premier mot. Le silence était lourd de sens, pourtant. Même les yeux de la jeune femme parlaient pour elle. William pouvait voir qu'elle était avide de réponses. Cependant, il n'en avait aucune à lui offrir.
— Est-ce que tu penses qu'il accepterait que j'aille le voir? risqua Sarah.
Sa voix était chancelante. Elle avait perdu toute son assurance. Sarah paraissait si fragile, à cet instant. Néanmoins, William savait que ça ne servait à rien de préserver ses sentiments. Elle connaissait probablement déjà la réponse, de toute façon.
— Non.
Sarah baissa le regard sur le sol. Elle hocha la tête doucement, les larmes coulant sur ses joues.
— Je m'en doutais, renifla-t-elle. Tu sais, la dernière fois que j'ai vu Louis, il m'a dit que j'étais égoïste. Il me le répète toujours, en fait. Et je trouve ça injuste.
Sarah se tut. Il eut un long silence, dans lequel William aurait presque pu rire tellement la situation lui paraissait absurde.
— Quand j'ai appris ce qu'il lui arrivait, ma première pensée a été de me dire que c'était de ma faute. Je me suis dit que j'étais probablement la cause de son malheur. Comme si tout tournait autour de moi, reprit Sarah, l'air grave. C'est là que j'ai réalisé. Peut-être que je suis égocentriste, mais je ne suis pas égoïste.
Appréhendant ce qui allait suivre, William se redressa pour faire face à Sarah. Son corps imposant força la brune à lever son regard vers lui.
— Si tu es là pour que je te rassure, Sarah, tu peux partir, affirma William, la gorge sèche. Je ne serai pas celui qui te dira que tu n'es pas l'une des raisons pour laquelle Louis va mal.
William dévisagea Sarah. Elle lui rendit un regard noir et croisa ses bras contre sa poitrine. Ses longs cheveux lisses encadraient son visage sévère.
— Je ne suis pas ici pour ça, pesta-t-elle. Tu aurais beau essayer de me rassurer, rien que tu puisses dire ne me ferait croire le contraire.
— Alors pourquoi tu es là? s'impatienta William, brusquement.
Sarah parut soudainement secouée, voire embarrassée. Elle se mordit l'intérieur de la joue.
— Par mauvaise habitude, j'imagine.
Cette fois-ci, William n'eut pas la force de dissimuler son rire sardonique.
— Oh, c'était prévisible, Sarah, cracha-t-il, la toisant d'un regard mauvais. Maintenant que Nash est parti à Calgary, tu reviens ici sous prétexte d'être inquiète pour Louis.
— Je voulais juste...
— Je ne sais pas pourquoi tu n'es pas parti avec Nash finalement, la coupa William. Mais tu perds ton temps avec moi.
Il n'y avait aucun doute ou une once d'hésitation dans la voix de William. Il était vrai que, un jour, Sarah lui avait tapé dans l'œil. Ça s'était d'abord développé en quelque chose de physique, puis des sentiments étaient peut-être apparus, mais tout cela était terminé.
William ne voulait pas d'un retour en arrière. Il préférait laisser sa relation avec Sarah dans le passé.
— Tu te trompes, se défendit Sarah. Elle pesa sur chacun de ses mots comme pour être certaine que William comprenne bien. Je ne suis pas ici parce que Nash est parti. J'ai fait le choix de ne pas partir avec lui.
William ne cilla pas.
— Qu'est-ce que tu veux, alors? insista-t-il, en criant presque.
Sa question sonnait comme un supplice. Il était à bout d'énergie et de patience. Agacé, il bouillonnait de l'intérieur.
Sarah pouvait le sentir. Elle prit une longue respiration pour retrouver son calme.
— J'ai été avec Nash pour les mauvaises raisons, tempéra-t-elle, d'une voix plus basse. Et je réalise que j'ai aussi été avec toi pour les mauvaises raisons. Dans les deux cas, je suis désolée si je t'ai blessé.
— Je ne comprends pas.
William se fit alors remarquer qu'il n'avait jamais réellement compris Sarah, au final.
— Je ne sais pas quoi te dire, souffla Sarah. J'ai juste... Louis ne m'a jamais vu comme sa sœur. Il s'est toujours montré distant envers moi. Pourtant, il semble proche de tout le monde. Mais moi, je n'existais pas à ses yeux. Et je ne l'ai jamais vraiment accepté, je crois. Je, je voulais juste avoir un frère.
William sourcilla, incertain.
— Qu'est-ce que j'ai à voir avec ça?
Les yeux verts et profonds de Sarah s'ancrèrent à ceux de William.
— Je n'ai jamais voulu t'impliquer là-dedans, s'excusa-t-elle, presque honteuse. C'est juste que quand on a commencé à se rapprocher, toi et moi, j'ai eu l'impression de faire partie de son monde. Tu vois? Il a commencé à me parler et à m'inclure dans la gang.
La respiration de William se bloqua. Il était pétrifié face aux paroles de la jeune femme.
— Mais c'était faux, continua Sarah, sa voix laissant entendre une sombre désillusion. Je l'ai compris quand tu m'as parlé de son homosexualité, sans savoir que je n'étais pas au courant. J'ai ensuite appris que toute ma famille le savait. Louis l'avait dit à tout le monde, excepté à ceux à qui il ne faisait pas confiance.
William n'ajouta rien. Il écouta Sarah avec attention. La complexité de la jeune femme se transformait devant lui, laissant entrevoir des nuances et des éclaircissements.
— Il ne me faisait pas confiance, sanglota Sarah, avec quelque chose qui ressemblait à de la rage. Alors que j'étais là, comme une conne, à attendre que mon frère me voie comme sa sœur. J'ai été le supporter à chacun de ses matchs. Assise sur le banc froid de l'aréna, après des heures et des heures de route, j'ai été là pour lui, dans ses défaites comme dans ses victoires. Mais il s'en foutait. Parce qu'on le sait bien, Louis a toujours été au-dessus de tout. Seulement, moi, j'avais besoin de lui. J'avais besoin d'un frère et il n'a jamais été là pour moi.
Sortant soudainement de sa torpeur, William lança un sourire suffisant à Sarah.
— Alors quoi, tu as voulu te venger puérilement en allant trahir ton frère dans les bras de Nash? déclara-t-il, d'une voix claire et provocatrice.
Sarah avala difficilement.
— Je savais que Louis n'aimait pas Nash, expliqua-t-elle. Je ne comprenais pas les raisons et je trouvais ça injuste. Aussi injuste que la manière dont il me traitait. J'ai été avec Nash pour les mauvaises raisons, peut-être, mais je n'ai jamais cru qu'il menacerait Louis de la sorte.
Ça n'avait été que ça, au final. Elle avait été avec Nash dans l'objectif désespéré de heurter Louis. De le faire réagir. Pour qu'enfin, peut-être, il lui porte attention.
— Je voulais juste le sortir de ma vie, parce que je n'étais pas capable d'accepter que je ne faisais pas partie de la sienne.
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