035 | Deux moitiés

Les flammes s'éteignaient parfois par elles-mêmes. Possiblement à cause de l'instabilité des cœurs.

Ces derniers jours, Charlie avait l'impression que son cœur à elle était bloqué. Comme si elle s'enfonçait tranquillement dans la léthargie. Elle avait le sentiment de reculer alors que le monde autour d'elle avançait. Elle n'arrivait plus à suivre. Elle était déjà trop loin.

Peut-être était-ce la raison pour laquelle son cœur était si distant de celui de William.

Les sentiments qu'elle éprouvait pour le jeune homme n'avaient pas disparu, loin de là. Mais, avec l'approche du repêchage de la Ligne nationale de hockey, ils semblaient s'être endormis, pour laisser place aux doutes et aux craintes de perdre William. Une sorte d'anesthésie qui, peut-être, l'empêcherait de ressentir la douleur lorsqu'il la quitterait.

Par peur de perdre l'étincelle que créait William en elle, Charlie avait préféré l'éteindre par elle-même. Cela s'était fait de manière inconsciente, voire presque insidieuse, laissant ainsi la distance entre eux s'accroître en silence.

Et puis, telle une fatalité, la résignation arriva. Un mélange de prise de conscience et d'abandon.

Ce matin-là, Charlie avait été secoué en lisant un article annonçant que le repêchage de la Ligue nationale de hockey se déroulerait dans moins d'un mois. La gorge serrée, elle éteignit son téléphone et appuya sur le bouton «arrêt demandé» de l'autobus.

Ses pieds claquèrent contre le trottoir et une brise printanière fit virevolter les mèches de ses cheveux. Elle avança machinalement, sa tête perdue dans des nuages sombres. Devant la porte de l'appartement de William et de Louis, elle tenta de remettre de l'ordre dans son esprit embrouillé.

Charlie cogna une première fois, puis une deuxième et une troisième fois. Devant l'absence de réponse, elle fronça les sourcils. Elle était le point d'appeler William sur son téléphone lorsque ce dernier vint finalement lui ouvrir la porte.

Il l'accueillit avec son éternel sourire charmeur. Ses cheveux sombres étaient légèrement décoiffés et ses mèches frisées tombaient sur son front. Il s'approcha d'elle et enroula ses bras autour de sa taille. Charlie se glissa dans son étreinte. Elle aurait aimé se laisser bercer par sa respiration calme.

Je suis content de te voir, lui souffla William contre ses lèvres, avant de les déposer sur les siennes.

Charlie lui sourit doucement en guise de réponse. Elle se maudissait de son silence. Elle se disait qu'elle aurait dû lui répondre, être attentionnée comme il l'était auprès d'elle. Seulement, elle n'y arrivait pas. Aucun mot ne voulait sortir de sa bouche.

Désolé si j'ai tardé à t'ouvrir, reprit William, en rompant leur étreinte, mais sans pour autant s'éloigner de la jeune femme. J'étais en train d'aider Louis.

Une once de perplexité traversa l'esprit de Charlie.

L'aider à quoi? demanda-t-elle avec appréhension.

Devant elle, William haussa les épaules d'un air détaché.

Tu connais Louis, répondit-il simplement. Je pense qu'il ne s'est pas encore remis de sa soirée d'hier.

Charlie pinça sa lèvre inférieure. Pour elle, c'était une certitude: Louis allait mal. Il le prouvait à chaque fois qu'il buvait de l'alcool. Toujours mal en point, son absence régnait de plus en plus dans les évènements. Il n'était même plus en mesure de respecter ses obligations. William devait souvent le remplacer au travail. Ce dernier aidait souvent son ami, pourtant Louis ne lui manifestait aucune reconnaissance. Au contraire, son humeur se détériorait. Toujours sur les nerfs, il était irritable et froid.

Cela contrastait avec le Louis que Charlie avait connu. Elle ne pouvait pas prétendre que leur amitié était vieille, mais elle le connaissait assez pour savoir qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. C'était une toute nouvelle facette du garçon qui se présentait à elle. Il avait beau avoir la même apparence, le même corps, il était méconnaissable.

Malgré cela, Charlie avait l'amère impression que William s'obstinait à ne pas voir la souffrance de Louis.

Tu ne trouves pas que, hmm, commença-t-elle, hésitante. Je pense que Louis a besoin d'aide. Il ne va pas bien.

L'affirmation de Charlie n'avait aucune conviction. Elle était pourtant certaine de la gravité de la situation.

Mais non, il va s'en remettre. Il profite juste de son été.

La réponse de William injecta une sorte de venin dans les veines de Charlie. L'exaspération coulait dans son sang, crispant les muscles de son corps.

Arrête de refuser de voir les choses comme elles le sont, l'accusa-t-elle.

Notant la pointe d'agacement dans la voix de Charlie, William sourcilla. Il ne comprenait pas d'où venait cette soudaine contrariété.

Je pense que je connais mieux Louis que toi, Charlie, lui indiqua-t-il d'un ton calme, mais ferme. C'est peut-être une passe un peu plus rough, mais il va s'en remettre.

Charlie secoua la tête, sans oser affronter le regard de William. Elle se demanda s'il ne valait pas mieux abandonner. Cela ne servait à rien, le garçon ne se résoudrait jamais à voir la réalité en face.

Une partie d'elle ne pouvait pas lui en vouloir. William avait déjà été confronté à une situation similaire, avec son père. Il en souffrait encore, d'ailleurs. Charlie se demandait si ce n'était pas la raison pour laquelle le jeune homme refusait d'y être confronté à nouveau.

Néanmoins, une autre partie d'elle, de plus en plus présente et influente, était irritée de l'attitude de William. Il avait toujours été rempli d'espoir. Celui qui y croyait, qui n'avait peur de rien. Il portait ce masque, comme si rien ne pouvait l'atteindre.

Mais l'espoir, ce n'était rien. Ce n'était que du vide. Ce n'était pas la réalité.

Tu vois juste le positif, souffla Charlie, si faiblement qu'elle douta que William ait pu l'entendre. Elle n'avait pas eu l'intention de le dire à voix haute.

Et toi le négatif, assena William, prouvant que les mots de la brune ne lui avaient pas échappés.

C'est mieux que de se voiler la face, rétorqua-t-elle. Des fois, les choses vont mal, William. Et il faut l'accepter.

William souffla durement. Il passa ses deux mains dans ses cheveux. Il se mit à réfléchir et Charlie put presque voir le combat qui s'était déclenché dans son esprit. Il semblait agité et, pourtant, calme à la fois. Cela ne la surprenait pas. Il avait toujours été en contrôle sur lui-même.

Ok, ok, céda-t-il, doucement. Je vais lui parler et ça va s'arranger. C'est bon?

D'un geste conciliant, William prit Charlie dans ses bras. Il déposa des baisers sur le haut de son front, en soufflant quelques mots pour la rassurer.

Cependant, la jeune femme n'entendit rien. Étrangement, aucune once de soulagement n'apaisa son mécontentement. Ce sentiment amer ne faisait que se transformer en une sorte de tristesse.

Non, déplora Charlie. Elle s'éloigna de l'étreinte de William, la poitrine comprimée. Je suis tannée. Je suis tannée de devoir garder espoir, alors que ça ne mène à rien. Tout ça, c'est de la bullshit.

Je ne te suis plus, Charlie.

Charlie perdit, le temps de quelques secondes, son souffle. Elle renifla péniblement avant de reprendre.

Ça va s'arranger, répéta-t-elle les mots qu'avaient employés William. C'est toujours ça que tu dis. Pour Louis. Pour nous, quand tu seras repêché par une équipe.

Charlie savait que son discours ne faisait pas de sens. Il était décousu, comme le fond de sa pensée, et elle ne pouvait pas en vouloir à William de paraître aussi confus.

Qu'est-ce que tu essayes de me dire? demanda-t-il, d'un ton modéré qui se voulait rassurant.

Un sanglot déchirant s'échappa entre les lèvres de Charlie. Les larmes brillaient dans ses yeux.

Je dis juste que tu vas partir, dit-elle, la voix brisée. Tu vas être loin. Et je ne pourrai pas te suivre. Je ne serai pas capable.

William attrapa les mains de Charlie, le regard rempli de douceur. Avec son pouce, il caressa le dos de la paume de la jeune femme.

Hé, l'arrêta-t-il d'une voix réconfortante. Il essuya les larmes sur les joues de la brune. La bienveillance guidait chacun de ses gestes. Tu vois la fin avant de voir le début, Charlie. On ne sait même pas si je vais être repêché. Mais ce que je sais, moi, c'est ce qu'on a. Et j'y crois.

C'était vrai. William avait toujours cru en eux, depuis le début. Même lorsque Charlie avait des doutes, il y croyait assez pour les deux. Ça avait toujours été suffisant. Jusqu'à présent.

Je n'ai pas envie d'avoir mal, implora Charlie.

Je ne te ferais jamais souffrir.

Charlie sourit tristement, alors que son coeur était en train de se briser.

Je sais, pleura-t-elle.

Elle aurait aimé que cela soit assez. Mais elle avait trop peur. Peur de se laisser aller. Peur d'abandonner. Peur de tomber. Elle voulait s'éloigner pendant qu'il était encore temps. Avant que cela fasse encore plus mal et qu'elle ne puisse jamais se relever.

C'était probablement la voie facile, celle qui était la plus proche de la déception.

Charlie, susurra William. Qu'est-ce que tu attends de moi?

Sa voix transperça Charlie. Il avait prononcé son nom comme une plaidoirie, ses yeux verts implorant de lui laisser une chance. Elle sentit alors son estomac se tordre. Elle avait l'impression que le sol déliait sous ses pieds.

Ça n'a rien à voir avec toi, ok, regretta-t-elle. C'est moi qui...

Alors fais en sorte que ça ait quelque chose à voir avec moi, la coupa William d'une voix désespérée comme pour empêcher sa condamnation.

Il ferma la distance entre eux, mais Charlie recula en trébuchant à moitié. Elle secoua la tête, fuyant le regard vitreux de William. Elle baissa les yeux et sentit de nouvelles larmes glisser sur le bout de son nez. Elle pleurait silencieusement, tandis que le parfum du garçon était partout dans l'air.

Elle savait que, malgré tout, un fond d'espoir animait le corps de William. Il y croyait encore. Il espérait qu'elle change d'idée. Et cela brisait le cœur de Charlie davantage, car elle était obligée de le décevoir. Elle avait presque l'impression de le trahir. Cependant, prétendre d'encore y croire reviendrait à trahir ce qu'elle était.

William avait toujours été plus fort qu'elle. Elle, elle était faible.

Charlie aurait aimé lui offrir quelque chose d'autre. Quelqu'un qu'elle n'était pas. Mais elle n'avait rien à lui donner. Elle avait d'abord besoin de se fortifier.

Je ne peux pas, souffla-t-elle. Elle détestait le fait que sa voix soit si geignarde et tremblotante. Ça ne faisait que prouver qu'elle était fragile. J'ai besoin de temps. Je ne suis pas à la même place que toi. Je ne demande pas que tu m'attendes.

Le visage de William se referma d'un coup, ses traits déformés par la douleur. Son armure était fissurée à présent. La dernière lueur dans ses yeux s'était éteinte.

L'âme tempétueuse, tout se bouscula en lui. Il se sentait au bord du précipice. Comme une tornade qui détruisait tout sur son passage. Son cœur semblait être déchiré. Il n'était qu'un sinistré.

Quelque chose monta dans sa poitrine, sa gorge puis derrière ses yeux. Il ferma ses paupières le temps d'un instant. Son pouls battait douloureusement dans ses orbites. Il cru qu'il allait s'effondrer devant Charlie.

Tu fais ça, tu sais? Tu as créé ces murs pour te protéger, gémit William, en ouvrant les yeux. La détresse dans sa voix blessa chaque parcelle du corps de Charlie. Tu as peur que je parte loin, mais c'est toi qui imposes cette distance entre nous. Peut-être que je serai loin, physiquement, mais toi, tu n'es déjà plus là.

Prête à lâcher un torrent de larmes, les mots de William fendirent le cœur de Charlie. Elle n'était plus en état de l'affronter. Elle appuya ses paumes contre ses yeux brillants, comme si cela pouvait la bloquer de la réalité.

Elle n'avait pas voulu que ça se passe ainsi. Rien de tout cela n'était planifié.

Un sanglot obstrua sa gorge, l'empêchant les mots de sortir. William a cru que ce silence allait le rendre fou. Il aurait voulu que Charlie change d'avis. Qu'elle le prenne dans ses bras. Ou simplement qu'elle lui promette de revenir.

Mais elle n'en fit rien. Elle l'aurait voulu, de tout son être. Seulement, elle n'en avait pas la force. Nul cœur ne pouvait corriger tout problème. C'était parfois insuffisant.

Charlie, implora William. Ne fais pas ça, s'il te plait.

C'était une supplication désespérée qui ne servait plus à rien, il en avait conscience.

William colla son corps à celui de Charlie. De ses grandes mains, il encadra le visage de la jeune femme, la forçant à le regarder. Son regard douloureux sur elle eut l'effet d'un coup de poignard dans son cœur. Des larmes de désespoir coulèrent maintenant sur les joues de William.

Dans un élan de chagrin, le garçon écrasa ses lèvres contre les siennes. C'était un cri muet de désolation et de souffrance. Il aurait voulu l'enlacer comme la première fois. Sa main glissa sur la taille de Charlie et cette dernière répondit au baiser avec ardeur et regret. Leurs cordes mélancoliques se frôlèrent à travers leur souffles précipités. Tous leurs repères s'effondraient sous le poids pesant qu'il y avait entre eux.

Lentement, William se détacha de Charlie. Il posa son front contre le sien. Le silence s'étira telle la distance qui se creusait entre eux. Ils étaient si proches, mais si éloignés. Il n'y avait rien et un infini à la fois.

Dans un sanglot brisé, Charlie s'éloigna. Cette fois, William ne chercha pas à l'arrêter. Sans jeter de coup d'œil par-dessus son épaule - elle en était incapable de toute façon - elle quitta l'appartement.

Ne laissant que deux moitiés de cœur s'éloigner loin de l'autre. 

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