027 | Prendre la mer
Le bonheur était un concept abstrait. C'était ce qui le rendait aussi difficile à atteindre. Il pouvait paraître lointain, à croire qu'il exigeait une longue traversée, alors qu'il était généralement tout près. Et à force de le chercher, il finissait par filer entre les doigts de celui qui tentait désespérément de le trouver.
— Attention, tout le monde. Il est onze heures vingt-sept, s'écria Louis, en grimpant sur la table basse du salon. Ça fait officiellement vingt ans que William a été expulsé de l'utérus de Mélanie!
La formulation du garçon fit grimacer William. Ses amis le prirent par les épaules, chantonnant bonne fête de leur voix teintée par l'ivresse.
Appuyée sur le comptoir de la cuisine, Charlie épiait la scène de loin. Elle se sentait agitée, la conséquence d'un féroce combat entre son cœur et sa raison. Elle luttait contre ses désirs et ses envies. Ne sachant plus comment se comporter, elle avait donc préféré rester à l'écart durant la soirée.
Soirée qui, elle, allait de bon train. Une odeur prononcée d'alcool envahissait maintenant la maison de Mathieu. Les lumières tamisées et la musique animaient l'ambiance festive. La surprise ayant été gâchée par Charlie, William avait pratiqué ses réactions d'étonnement durant le trajet d'aller. Les invités y avaient tous cru, particulièrement Louis.
Un mouvement près de Charlie la tira de son conflit intérieur. Elle se tourna et vit Eugénie s'asseoir sur le comptoir.
— Tu te fais discrète ce soir, Charlie. Je ne t'ai presque pas vue.
En prenant une gorgée de son verre d'eau, la brune haussa les épaules.
— J'étais un peu partout et nulle part, marmonna-t-elle vaguement. Et toi, ça va?
Charlie savait que son amie avait appréhendé la fête avec une grande nervosité.
Mathieu avait mis fin à leur relation, quelques semaines auparavant. Bien qu'Eugénie n'était pas amoureuse, elle était tout de même profondément attachée à lui. Constatant qu'il s'isolait de plus en plus et se refermait sur lui-même, elle s'était inquiétée pour lui. Impuissante, elle avait vu à quel point sa blessure au genou l'avait affecté, autant physiquement que mentalement.
— Ça va. Il a l'air d'aller mieux, se consola-t-elle, apaisée. Il m'a dit qu'il avait rencontré quelqu'un.
Le sourire franc d'Eugénie émut Charlie, autant qu'il l'ébranla. C'était difficile pour elle de s'imaginer tenir autant à une personne et à son bonheur, sans cependant ressentir le besoin de s'engager.
— Est-ce que tu crois qu'un jour tu vas t'investir avec quelqu'un?
La blonde ne parut aucunement ébranlée par la question.
— Ce n'est pas ce que je cherche, du moins présentement, expliqua-t-elle. Mais qui sait ce qui peut arriver? Il y a toujours quelqu'un qui peut nous faire changer d'idée.
L'attention de Charlie se tourna automatiquement vers William. C'était plus fort qu'elle. Toute la soirée, il était partout où elle regardait. Et, plus que tout, il restait accroché à son esprit.
Le jeune homme au visage envoûtant était installé sur un sofa. Il discutait avec une fille à la chevelure rousse. Son interlocutrice le contemplait avec avidité, ses yeux brillants sous la tentation. Ce n'était pas la première qui avait essayé de se rapprocher de lui durant la fête. Charlie avait dû ignorer tous les pincements qui avaient meurtri son cœur jusqu'à présent.
Cette fois-ci, toutefois, elle ne put nier le sentiment étrange qui naissait en elle lorsqu'elle vit la rousse déposer sa main sur le torse de William. Cette émotion douloureuse prit vie dans son ventre. Le malaise vibrait si fort en elle qu'il fit chuter son cœur au fond de son estomac.
Ses iris noyés dans un océan de jalousie, Charlie les fixait avec insistance. Son regard se fit sentir, car c'est à ce moment que William plongea ses prunelles dans les siennes.
— Je vais aller prendre l'air, déclara-t-elle subitement, faisant sourciller Eugénie.
En ouvrant la porte de la cour extérieure, Charlie laissa le souffle froid de mars emplir ses poumons. Elle s'éloigna de la maison, laissant l'obscurité de la nuit l'envelopper. Qu'elle le veuille ou non, William vivait dans l'ombre de ses plus profonds désirs. C'était un tout nouveau monde pour elle et il lui était encore inconnu.
Thomas Fuller avait dit « Celui qui attend que tout danger soit écarté pour mettre les voiles ne prendra jamais la mer. »
Charlie se sentait abandonnée en pleine mer, sans aucun gilet de sauvetage. Elle se demandait si elle ne s'était pas aventurée un peu trop loin. Elle avait laissé William s'immiscer dans sa vie et elle n'était à présent plus capable de mettre ses sentiments de côté.
— Ça va?
La jeune femme ferma ses paupières, le coeur palpitant. La voix déchirante de William ne faisait que lui rappeler que l'attirance inassouvie grandissait toujours en elle.
Le souvenir de lui et la rousse revint alors submerger son cerveau, et elle fut frappée par les vagues d'une mer agitée. Une image, quelque peu différente de l'originale, s'imposa cependant à elle. Sur ce même sofa, c'était sa main qui se déposait sur le torse de William.
— Je, hoqueta-t-elle, sans contrôler ce qui se passait dans sa tête. Je ne sais pas ce que j'ai. Tu.. Tu me fais chier.
Le langage cru de Charlie déclencha les éclats de rire du garçon.
— Merci. Je te renvoie le compliment, répondit-il amusé, sans se départir de son sourire malicieux. Qu'est-ce que j'ai fait, encore?
Charlie mordit sa langue en essayant de rassembler ses esprits. William lui faisait ressentir des choses qu'elle ne voulait pas ressentir. Elle ne comprenait pas comment ils en étaient arrivés là. Ce n'était pas ce qu'elle avait voulu.
— Rien, bredouilla-t-elle, son cœur battant à un rythme effréné. C'est juste que... Je ne comprends pas ce qui se passe entre nous. Je te l'ai dit, je n'aime pas l'incertitude. Et avec toi, ce n'est jamais clair.
Sa voix était si tremblante que Charlie se demanda si William avait réussi à saisir le moindre mot de son discours décousu. C'est en voyant ses iris plus foncés qu'à l'habitude qu'elle sut, sans l'ombre d'un doute, qu'il avait compris.
— Tu es la seule à créer cette incertitude entre nous, rectifia-t-il, le visage impassible. Les mains enfoncées au fond de ses poches, il ne paraissait aucunement ébranlé par le froid ou la situation. Parce que moi, je sais ce que je veux.
La respiration de Charlie se bloqua. Le ton de William était évocateur. Il ne laissait place à aucune interprétation. Et ça la consumait dans son entier. Elle se surprit à vouloir le réentendre. Encore et plus fort.
— Et qu'est-ce que tu veux?
Illuminés par les reflets du clair de lune, les traits du visage de William se durcissent. Il secoua la tête et la poitrine de Charlie se comprima.
— Ça ne peut pas marcher comme ça, protesta-t-il. Tu ne peux pas toujours me demander de faire les premiers pas et ensuite trouver une excuse pour te déresponsabiliser de tes actes.
Charlie se sentit couler. Elle s'enfonçait de plus en plus creux au fond de la mer. Les mots de William l'étouffèrent, s'infiltrant dans ses poumons.
Elle observa le joueur de hockey s'éloigner, frustrée de ne pas être assez brave. Elle détestait au plus haut point quand il lui prouvait qu'il était plus fort qu'elle. Elle avait l'impression que rien ne pouvait l'atteindre et elle le jalousait. Elle aurait voulu oublier ses craintes et s'abonner dans les bras de William pour s'y perdre.
Le déchainement du désir et de la colère inonda son corps, annihilant toutes ses pensées.
— Tu n'as pas le droit de me dire ça, tonna-t-elle, reportant toute sa frustration sur William. Elle était accablée par le regret et la désillusion. Je sais ce que je veux.
William se retourna vers elle pour la dévisager. Son visage sombre était tendu et quelque chose de sauvage flottait maintenant dans ses yeux.
— Et qu'est-ce que tu veux, Charlie ?! s'impatienta-t-il.
— Je... haleta-t-elle, l'estomac noué. Elle aurait voulu répondre « que tu sortes de ma tête », mais elle savait que c'était un mensonge. Elle ne voulait plus se mentir.
Depuis qu'elle avait rencontré William, les choses avaient changé. Avant, elle croyait que le chaos dans son esprit l'empêchait de laisser quiconque prendre une place importante dans sa vie. Elle voulait y remettre de l'ordre, avant de laisser la chance à quelqu'un de faire encore plus de dommages.
William n'était pas celui qui dompterait ses inquiétudes. Pourtant, il restait tout de même là, jamais bien loin d'elle, comme s'il se foutait de son chaos. Il l'acceptait, elle, dans son entièreté, et Charlie fut forcée de constater qu'il y avait plus de beaux que de peurs avec lui. C'était touchant, bouleversant et, plus que tout, rassurant.
Ainsi, elle céda. Son regard se posa sur la commissure des lèvres de William. Elle ne voulait plus le rêver ou le désirer. Elle voulait le vivre.
— Je ne veux pas de ça, l'avertit-il, en secouant la tête. Sa voix paraissait plus lourde qu'à l'habitude. Il faisait une fois de plus face à cette attirance incontrôlable contre laquelle il craignait être incapable de lutter. Si on s'embrasse ce soir, tu vas mettre la faute sur l'alcool ou sur...
— Je n'ai pas bu, le coupa-t-elle. L'adrénaline coulait dans ses veines, alors que son corps tremblant trahissait son supplice.
Les yeux de William sur elle laissèrent Charlie sans souffle. Il avait cette manière singulière de la regarder, lui donnant la sensation d'être la seule au monde. C'était comme si, à chaque fois, il la contemplait pour la première fois. Tout autour d'eux disparaissait, l'affection du garçon n'étant réservée qu'à elle.
La forte tension autour d'eux reflétait la confrontation de leurs pulsions sauvages. La situation menaçait de déraper. La passion et les sensations étaient de retour.
— Et les incertitudes, qu'est-ce que tu en fais?
Charlie s'approcha de lui, ne pensant plus à rien si ce n'était qu'à William. Il envahissait tous ses sens. En inspirant son odeur masculine, elle ressentit soudainement ce besoin d'être insatiable. C'était un sentiment tout près de la folie.
— Je suis certaine d'une chose. Je veux t'embrasser.
Sa respiration devint haletante lorsqu'elle vit le choc traverser le visage de William. La beauté du brun la fit frémir. Son cœur était sur le point d'exploser.
— Mais j'ai peur, poursuivit-elle d'une voix basse, presque implorante. Elle s'interrompit pour prendre une grande inspiration. J'aurai toujours peur. Regarde l'effet que tu as sur moi. Tu.. Tu pourrais me briser si facilement.
Sans un mot, William s'attarda sur les rougeurs qui teintaient les joues de Charlie. Son pouce effleura la peau douce de son visage. Le contact les fit tressaillir. Le froid n'y était pour rien, puisqu'un brasier incontrôlable au creux de leur estomac réchauffait leur corps.
L'attention de William glissa jusqu'aux pupilles dilatées de Charlie. Il admira la lueur qu'il aimait tant au fond de ses yeux. C'était une petite étincelle qui ne demandait qu'à s'enflammer.
— Tu es plus forte que tu ne le crois, assura-t-il d'une voix douce.
Dans une lente ascension, il approcha son visage de celui de Charlie. Il colla son front au sien, mélangeant leurs souffles avec une appréhension brûlante. L'attraction entre eux était insoutenable. C'est la jeune femme qui, comme si William lui avait donné le courage manquant, déposa sa bouche glacée sur la sienne. Elle voulait lui prouver l'effet qu'il avait sur elle, tout en lui montrant à quel point leur proximité lui avait manqué ces derniers temps.
En retour, William ne l'avait jamais embrassée avec autant de tendresse. Ses lèvres telles des caresses, Charlie eut l'impression qu'il l'enlevait des profondeurs. Il encercla sa taille de ses bras musclés, et elle sut qu'elle n'allait plus se noyer. Elle avait la conviction d'être exactement où elle devait être.
Sous l'impulsion, Charlie le tira encore plus près d'elle afin d'approfondir le baiser. Ses mains froides glissèrent jusqu'à sa nuque, se perdant dans sa chevelure. William répondit avec ardeur et le bout de sa langue réclama l'accès à sa bouche.
Une fièvre augmenta la frénésie de leur échange. L'étreinte devint hâtivement passionnée et ne cessa de monter d'intensité. Le baiser ressemblait à William; il était attentionné, délicat, mais quelque peu arrogant. Et Charlie s'y abandonna complètement.
Les mains du garçon se faufilèrent sous son chandail et se posèrent sur la chute de ses reins. Il attira son bassin contre le sien et Charlie émit un soupir de plaisir en sentant toute l'excitation de William. Un long et délicieux frisson la parcourut, en parfaite contradiction avec son bas ventre qui chauffait sous l'intensité de leurs ébats.
Les mouvements du jeune homme se faisaient de plus en plus enivrants et torturants. Il fit traîner ses doigts avec une lenteur calculée sur la peau de Charlie, montant jusqu'à la base de son soutien-gorge. Le corps fougueux de la brune réagit naturellement à ses avances. Elle le plaqua doucement contre la façade de la maison et William grogna en sentant la pression téméraire qu'elle exerçait sur sa fébrilité.
— William, ton téléphone n'arrête pas de sonner.
Charlie éloigna son visage de celui de William, le faisant grommeler quelques paroles de frustration contre Mathieu. Sans détacher leur corps, ils restèrent l'un devant l'autre à se fixer. Leurs souffles chauds et saccadés s'entrelaçaient.
Le pouce de William longea les lèvres de Charlie encore rosées et gonflées. Ce n'était plus qu'un simple baiser, c'était devenu beaucoup plus. Et tous les deux le savaient, à présent.
Leur cœur battait en harmonie.
William relâcha ses épaules et commença à déposer une multitude de doux baisers sur les lèvres de Charlie. Le bout de ses doigts effleura la hanche dénudée de la jeune femme, provoquant une traînée de frisson qui longea sa colonne vertébrale.
— Will? appela à nouveau Mathieu au loin.
Malgré les plaintes de William, Charlie se résigna à s'éloigner de lui. Elle entremêla leurs doigts et le tira vers elle. Main dans la main, ils sortirent de l'ombre pour rejoindre Mathieu qui les attendait patiemment dans le cadre de porte de la cour extérieure.
Une fois à la hauteur du garçon, Charlie fut d'abord soulagée que celui-ci ne fasse aucun commentaire. Il se contenta de tendre le téléphone cellulaire à son propriétaire, une expression neutre sur le visage. Cette atmosphère sérieuse l'inquiéta.
Elle qui, auparavant, était bercée par les vagues de l'euphorie, fut rapidement ramenée à la réalité lorsqu'elle vit William sourciller devant son écran. De nombreux appels manqués et messages privés étaient affichés. Il porta son téléphone à son oreille et se précipita dans la maison.
Charlie eut tout juste le temps d'apercevoir le dernier regard qu'il lui lança par-dessus son épaule, qu'elle le perdit de vue. Elle prit un temps avant de réagir. Une boule dans la gorge, elle se décida finalement à le rattraper. Elle se fraya un chemin entre les invités, alors que toutes ses pensées étaient tournées vers William.
C'est lorsque, derrière elle, Mathieu l'arrêta en attrapant son poignet que son malaise se creusa. Elle n'entendit pas tous les mots qu'il prononça, mais son coeur rata un battement lorsqu'elle lut sur ses lèvres :
— ... Il est parti.
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