009 | Ravage

Le vent froid caressait son corps fragile et délicat d'une douce violence. La température était glacialement brûlante. Sa respiration était au ralenti, sa douleur poignante. L'hypothermie était grave.

Charlie n'avait plus aucun frisson. Le souffle de l'hiver frôlait la base de sa nuque. Ses cheveux volaient dans tous les sens, s'écrasant avec déchainement sur son visage pâle. L'impact pinçait ses joues rougies par l'intensité du climat.

Sur ce fleuve gelé, il n'y avait aucun horizon. La glace s'étendait à perte de vue. Tout était gris: le sol, le ciel, l'air. Seul le vent glacial comblait le silence de sa solitude.

Le froid se répandait jusqu'à ses os. Elle ne pouvait plus rien bouger ni ressentir. Charlie était gelée, devenant elle-même une simple continuité de la glace. Elle aurait pu en pleurer, mais le froid menaçait de glacer ses larmes.

Ses prunelles vides d'espoir fixèrent le sol. À travers la fine couche de glace sous ses pieds, elle pouvait apercevoir la puissance du courant du fleuve. L'eau se déchaînait avec une magnifique brutalité. Une vision hypnotisante face à laquelle le regard de Charlie ne pouvait se détacher. La nature lui présentait une pure démonstration de force.

Dans ce courant, un reflet brouillé lui apparut comme celui d'un miroir brisé. Sans savoir si c'était celui de son frère ou le sien, Charlie fut complètement renversée par l'image qui se présentait à elle.

Telle une prémonition, elle savait exactement ce qui allait lui arriver. La glace sous ses pieds allait se fendre aussi puissamment que son cœur le ferait. C'était une question de seconde avant la chute.

Ce cauchemar, Charlie l'avait déjà vécu. Elle connaissait la douleur à laquelle elle serait confrontée. Elle allait devoir revivre cet enfer glacé à nouveau.

Dans un dernier espoir perdu, elle essaya de fuir. Elle se mit à courir, mais ne sembla pourtant pas avancer. Tout se ressemblait, rien ne changeait. Elle allait si vite qu'une crampe déchira son ventre. Des points noirs embrouillèrent sa vision. Elle peinait à retrouver son souffle.

La glace commença à se fendre derrière elle. Les craquements étaient de plus en plus forts, annonçant leur approche dangereuse. Il n'y avait plus aucune issue possible; Charlie le savait, mais continuait tout de même d'espérer.

Lorsque tout la rattrapa, un cri déchirant brûla sa gorge. La glace se fendit brutalement sous ses pieds. Au contact de l'eau glaciaire, une onde de choc traversa son corps meurtri. La température extérieure n'était rien comparée au froid de l'eau. Elle eut l'impression d'être poignardée par des lames glacées qui déchiraient son être. Devant une telle souffrance, son cœur aurait pu s'arrêter d'un coup.

Dans un élan de désespoir, Charlie se débattit contre son destin. Elle défia le courant, confronta l'eau, frappa la glace au-dessus d'elle, mais rien n'y fit. Le courant était trop fort. Elle était trop faible.

Emprisonnée et condamnée, il prit peu de temps avant que Charlie ne commence à étouffer. Le manque d'air brûla ses poumons. Par réflexe, elle essaya de respirer. La douleur fut insupportable.

L'eau froide s'infiltra en elle.

Son corps s'inonda.

Charlie était ravagée.

Ses cris étaient masqués par le chant de l'eau. Ses muscles affaiblis. Sa peau meurtrie. Son être écorché.

Complètement impuissante, elle fit donc la seule chose qui lui restait à faire: abandonner. Elle laissa l'eau porter son corps épuisé et le courant la mener vers une mort certaine.

Vers Nicolas.

Charlie se réveilla la poitrine compressée par le poids de ses tourments. Une brûlure se faisait ressentir dans sa cage thoracique. Elle était transpercée et déchirée par les traumatismes qui la suivaient, la possédaient, la hantaient.

La panique l'avait saisie jusqu'au bout des entrailles. Le venin de son cauchemar se rendit jusqu'à ses poumons, l'empêchant de respirer. Une douleur suffocante et oppressante qui la consumait totalement.

Sa vision était voilée par la souffrance. Seuls les rayons brûlant du soleil qui éclairaient la pièce l'aveuglaient. Son pouls cognait violemment contre ses tempes. Les bourdonnements dans ses oreilles la coupèrent de la réalité.

Charlie n'avait plus aucun repère. Elle était complètement perdue et loin d'être retrouvée.

Prise d'un violent vertige, son corps engourdi tomba lourdement au sol. Ses jambes se mirent à trembler sur le parquet froid. Des milliers de frissons mutilaient sa peau glacée. Ses yeux se fermèrent sous le poids de la douleur.

Un violent sanglot s'échappa de sa gorge. Ses larmes chaudes se mélangèrent aux gouttes de sueur sur son visage humide. Comme si ses pleurs avaient créé un chemin, Charlie retrouva un semblant de souffle. Bien maladroit et douloureux, mais il y était.

Elle respirait.

Elle était vivante.

Cette pensée lui fut d'une douce amertume.

Un feu s'était créé dans ses poumons. Elle pouvait entendre les bruits forts de sa respiration déchirante. Les palpitations de son cœur battaient à un rythme effréné. Elle mit instinctivement une main sur sa poitrine.

Inspire. Expire.

Ce n'était pas la première fois que Charlie était confrontée à une crise de panique. À chaque fois, elle devenait prisonnière du désarroi. Il fallait qu'elle gère avec impuissance ces pulsions brutales.

En reniflant péniblement, la jeune femme ouvrit ses paupières lourdes. Son regard brouillé par les larmes analysa les murs pâles autour d'elle. La pièce inconnue lui semblait froide. Lentement, elle reconnut la chambre des invités chez Eugénie. Les souvenirs de la veille lui revinrent alors abruptement en tête. La fête de la rentrée.

Charlie ressentit le besoin vital de partir. Elle devait retourner chez elle, dans sa maison, dans sa bulle, dans ses choses, dans sa souffrance.

Chancelante, elle s'appuya difficilement sur le lit près d'elle. Ses muscles affaiblis peinèrent à la lever. Ses lourdes jambes la trainèrent de peine et de misère à l'extérieur de la chambre. Un de ses pieds buta un objet au sol, manquant de peu de la faire tomber, mais sa vision était trop floue pour qu'elle ne puisse voir qu'est-ce que c'était.

S'accrochant au cadre de porte, Charlie rentra maladroitement dans la salle d'eau. Sa hanche se cogna brutalement sur la poignée de porte, faisant violemment claquer celle-ci contre le mur. Un bruit sourd résonna dans la pièce.

Les mains moites de la jeune femme glissèrent pour ouvrir le robinet. Elle aspergea son visage d'eau froide, chassant les larmes sur ses joues brûlantes. La tête penchée vers l'avant, les battements de son cœur résonnaient dans ses oreilles.

Ça va?

La voix grave et matinale de William fit sursauter Charlie.

Réveillé par l'agitation, le garçon était simplement vêtu d'un jogging et d'un t-shirt gris ample. Ses cheveux sombres en bataille encadraient les traits de son visage plissé par l'inquiétude. Ses lèvres semblaient rougies par les questions qui brûlaient sur sa langue.

Dans une respiration houleuse, Charlie bloqua un sanglot dans sa gorge. Un mélange d'émotion l'empêchait de répondre. Elle accota ses paumes sur les rebords froids du lavabo et releva ses prunelles vers le miroir devant elle. Le reflet imposant, presque intrusif, de William lui apparut.

Dans l'embrasure de la porte, le jeune homme était droit sur ses jambes. Des mèches rebelles tombaient sur son front plissé. Son regard sauvage cherchait celui de Charlie. Les iris noyés de la jeune femme semblaient pourtant trop loin, malgré la proximité de leur corps. Elle avait l'air absente de la réalité.

Jamais Charlie n'ancra son regard dans celui du garçon. Elle n'avait pas ni la force ni l'envie d'affronter sa présence. William brimait le peu de ce qui lui restait: la paix de la solitude.

Une lourde ambiance prit possession de la salle de bain. La pression pesait sur les épaules de la brune. Un brouillard s'éleva autour d'elle.

William ressentait le mal-être de Charlie. Il pouvait voir son corps endoloris trembler devant lui. Il pouvait entendre sa respiration rapide et peu profonde. Il pouvait sentir sa détresse. Il aurait pu gouter à ses peurs. Il aurait pu toucher aux blessures de son âme en peine.

Il était imprégné de sa souffrance.

Cette réalisation envahie Charlie d'une immense gêne. William la voyait dans son état le plus vulnérable. Il voyait sa fragilité, sa douleur, sa peine. Il la voyait, elle, sans les masques, les carapaces et les barrières.

La jeune femme ferma lourdement ses paupières, les traits de son visage plissés par la honte. Ses lèvres tremblantes et un sanglot brisé trahirent son état.

Tu peux me laisser seule? demanda-t-elle d'une voix faible et cassante.

Le garçon ne cilla pas. Il continuait d'imposer sa présence, alors que Charlie ne voulait que vivre son drame en paix.

Le refus silencieux de William injecta une dose de rage et de désespoir dans les veines de la jeune femme. Elle resserra son emprise sur les parois de l'évier, faisant blanchir ses phalanges. Ses yeux s'ouvrirent difficilement, laissant paraître les larmes de frustration qui voilaient son regard.

Je t'ai demandé de me laisser seule, s'énerva-t-elle en se retournant fébrilement vers William.

Une tempête faisait ravage dans l'esprit de Charlie. C'était un réel océan de douleur où chaque vague de tristesse remontait à son cœur. Elle ne savait pas comment affronter ce courant qui noyait toutes ses ancres.

Sans qu'elle ne saisisse trop pourquoi, William cherchait désespérément son regard, comme s'il voulait noyer ses iris avec les siennes. Charlie le lui refusa, évitant à tout prix les prunelles transperçantes du garçon. Elle voulait plonger dans les profondeurs de ses traumatismes, seule.

Ses souffrances les plus intimes.

Dis-moi ce qui se passe, Charlie.

Charlie ne parlait jamais de l'accident. En silence, elle y pensait, le ressentait, le vivait, le souffrait, et tout cela était bien assez. Néanmoins, elle n'avait pas eu besoin d'en parler à William. Il l'avait vu.

L'inquiétude se lisait sur le visage du garçon et cela laissa un goût amer dans la bouche de la brune. La pitié l'écœurait. Son malaise se creusa de plus en plus. Elle avait besoin de retourner chez elle et de s'isoler dans sa détresse, la solitude comme seul témoin de son chagrin.

Voyant que le joueur de hockey n'était pas prêt à lui offrir l'isolement, Charlie sortit en vitesse de la salle d'eau. Incapable d'exprimer toute pensée sensée, elle ne pouvait que fuir.

Son faible corps bouscula celui de William et ses pas lourds butèrent le sol. Elle dévala les escaliers, non sans trébucher, et se précipita vers l'entrée de la maison. Ses mouvements saccadés étaient brusques et maladroits.

Lorsque la main tremblante de Charlie attrapa les clés de sa voiture, William l'arrêta en agrippant ses doigts autour de son poignet.

Tu ne peux pas conduire dans cet état, l'avertit-il d'une voix tranchante.

Le joueur de hockey la tira vers lui, tentant de saisir les clés. Lorsque Charlie commença à se débattre brusquement dans ses bras, William dut agripper son coude pour l'empêcher de bouger.

Charlie ressentit un nouveau trouble l'emparer face à cette proximité. Sa poitrine se souleva difficilement. Une onde glacée glissa sur la surface de sa peau. Le parfum masculin du garçon titillait son nez.

Lorsqu'elle releva son visage vers William qui n'était plus qu'à quelques centimètres d'elle, un frisson parcourut sa nuque. Pour la première fois, son regard vitreux s'ancra à celui du garçon et leurs iris se noyèrent ensemble.

Ils se noyèrent ensemble.

William semblait attendre des réponses, mais le silence de Charlie n'était pas assez fort.

Qu'est-ce qu'il y a? souffla-t-il d'une douce fermeté. Ses pupilles détaillaient le visage pâle de la brune. Parle-moi, Charlie.

Les yeux de William ruinèrent Charlie. Les lueurs de sensibilité et de pitié dans ses prunelles frappèrent violemment la jeune femme. Sa poitrine se comprima sous l'impact. Les respirations chaudes du garçon tombaient sur ses joues, la laissant complètement en éclats.

Son corps et son esprit appelant à la solitude, Charlie cherchait à tout prix de mettre cette distance entre William et elle. Elle tenta de reculer afin de s'éloigner de lui, mais sa poigne ferme l'en empêchait.

Il s'imposait. Il était là.

Son odeur, son toucher, sa voix, sa pitié.

En quoi ça t'importe? Je t'ai demandé de me laisser tranquille, s'écria-t-elle furieuse.

La respiration saccadée, elle mitrailla William de son regard tempétueux. Son cœur battait douloureusement contre ses tympans. Elle tenta de cacher sa souffrance derrière la frustration qui s'était créée en elle.

La volonté de William à vouloir l'aider devenait oppressante pour Charlie. Elle haïssait plus que tout l'inquiétude qui se lisait sur son visage. Rien de tout cela ne faisait de sens pour elle. Elle préférait de loin ses moqueries, son attitude arrogante et ses provocations.

Je veux simplement t'aider, assura-t-il sur la défensive.

Charlie le toisa d'un regard durci par la haine et le désespoir. Elle sentit la colère filer le long de ses veines jusqu'à en hérisser ses poils.

Tremblante, elle serra brutalement ses poings. Les clés dans sa paume la blessèrent jusqu'au sang, mais rien n'équivalait à la douleur de son âme fracturée. Elle se mit à frapper le torse du garçon, tentant désespérément de le repousser. Ses coups, bien que faibles, étaient incessants.

William lâcha le coude de la jeune femme pour attraper ses mains qui avaient entrepris de le frapper. Elle ne cessa de s'agiter, pourtant prise dans ses filets.

Lâche-moi, ordonna-t-elle d'une voix cassante. Je ne veux pas de ton aide.

William ne bougea pas. Ses doigts brulants restèrent agrippés aux mains de Charlie. Il la fixait avec intensité, analysant son visage tordu par la souffrance.

Elle le fusillait sur place, comme si elle espérait l'éliminer d'un simple regard.

Tu sais quoi? C'est typiquement toi. Tu te crois si important. Tu aimerais que je veuille de ton aide, l'insulta la brune avec quelque chose de dévastateur, tout près du désespoir. Ta prétention pense que j'ai besoin de ton aide, n'est-ce pas?

Les muscles du visage de William se contractèrent et quelque chose de sombre apparut dans ses yeux.

Un rire sévère s'échappa de ses lèvres.

Oh, parce que tu me connais tellement bien maintenant, cracha-t-il ironiquement avec mépris.

Oui, c'est ce que tu es. Essaye de prétendre le contraire. Mais tu sais quoi? Tout ne tourne pas autour de toi, William. Ta prétention ne fait que prouver...

C'est bon, Charlie, change ton discours. Dis-moi quelque chose que je ne sais pas déjà, tonna-t-il d'un ton cinglant.

C'est parce qu'il n'y a rien d'autre à dire, cria-t-elle, les larmes coulant sur ses joues. Je veux simplement que tu me laisses tranquille, comprends-tu?

Les yeux emparés par la foudre, William resserra son emprise autour des mains de Charlie. Sa mâchoire se crispa et il secoua brièvement la tête, comme s'il se retenait de faire quelque chose de stupide.

Je ne veux rien de toi. Pas de ton aide, pas de ta présence, cracha Charlie dans un sanglot. Je ne veux tout simplement pas de toi dans ma vie, alors arrête de t'y imposer.

Les iris verts du garçon se durcissent et quelque chose de froid et d'illisible flottait dans ses yeux de pierre. Un froncement de sourcils colérique marquait son expression.

William lâcha l'emprise qu'il avait sur Charlie, scellant une promesse à ses demandes.

Lorsqu'il s'éloigna brusquement d'elle et brisa leur proximité, le soulagement passa sur les traits pâles de la jeune femme. Elle sentit toutefois quelque chose tomber dans sa poitrine.

Sans attendre, Charlie sortit en vitesse de la maison. Le soleil levant s'était cacher derrière d'épais nuages. Une brève et coupante rafale de vent fit tressauter son corps fragilisé. Tous ses membres tremblaient lorsqu'elle embarqua sur le siège du conducteur.

À travers la fenêtre, William regarda la voiture quitter le stationnement. Son visage était tendu, figé dans une expression qui vacillait entre la colère et l'inquiétude. Ses lèvres et ses poings se serrèrent lorsque la voiture disparut au loin.

La vision voilée par les larmes, Charlie ne roula pas plus que deux coins de rue. Les remords, la souffrance et la honte coulaient toujours dans ses veines. Ses tempes battaient sous les coups de la peine.

Elle se stationna maladroitement sur le côté d'une rue et éclata en sanglots. Ses mains froides frappèrent avec violence le volant. Elle émit un long hurlement jusqu'à s'en époumoner.

Ses doigts se mirent à tirer violemment quelques-unes de ses mèches de cheveux. Ses larmes brûlaient ses joues rougies. La violence de ses soupirs terrassait ses poumons. Ses cris écorchaient sa gorge.

Elle avait viscéralement mal.

La mort la rendait vulnérable. Charlie avait perdu une véritable partie d'elle-même. Ses blessures avaient du mal à cicatriser. Ses plaies chauffaient. Ses entailles s'infectaient. Ses deuils n'étaient pas faits.

Submergée par ses traumatismes qui lui collaient à la peau, Charlie se sentait proche d'un précipice. Un trou béant ne cessait de se creuser dans sa poitrine. Un trou que rien ni personne ne pouvait remplir.

Ce trou, c'était la seule chose qui lui restait de la mort qu'on lui avait volée. Ce trou, c'était sa culpabilité de vivre. Ce trou, c'était ce qui allait la détruire.

Parce qu'elle était toujours vivante, et lui mort.

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