008 | Éclaircie nocturne
La lune répandait son voile d'obscurité une nouvelle fois dans le ciel. Malgré la noirceur, tout était clair. L'air léger berçait ceux qui désiraient s'évader le temps d'une nuit. Cette soirée remplie de promesses allait créer les derniers souvenirs d'été.
Lorsque les coups de minuit sonnèrent, la fête battait à son plein. Le jardin d'Eugénie était éclairé par un feu installé au centre de la cour. Les flammes orangées semblaient danser au rythme de la musique.
De légères rougeurs embrasaient les pommettes de Charlie. L'alcool coulait dans ses veines, créant ce sentiment éphémère d'apaisement. Bien qu'elle détestait le manque d'inhibition que cette boisson engendrait, elle ne pouvait ignorer le sentiment de bien être que celle-ci lui procurait.
—On se fait une partie de beer pong, Charlie? lui demanda Max.
—J'ai déjà gagné les trois dernières parties, se moqua la jeune femme, un éclat dans les yeux. C'est rendu trop facile.
Derrière les airs fiers et joueurs de Max, Charlie savait que le garçon cachait une profonde déception. Évelyne, sa petite amie, l'avait appelé un peu plus tôt pour l'informer qu'elle ne viendrait finalement pas à la fête.
Depuis, fidèle à ses habitudes, le brun avait caché ses inquiétudes concernant sa relation derrière un sourire forgé. Ses traits semblaient détendus, presque rieurs. Mais tout cela n'était que façade.
Dans cette volonté d'aider son ami à passer une belle soirée, Charlie se dirigea près de la piscine. Elle ramassa un vieux ballon noir et blanc qui trainait sur la pelouse humide du jardin.
Max la regarda, un sourire moqueur sur son visage.
—Tu sais que tu es la personne la plus nulle en sport, lui rappela le garçon.
Charlie ne pouvait prétendre le contraire.
—Tu ne devrais pas avoir peur de perdre alors, le nargua-t-elle en lui lançant le ballon. Et tu es automatiquement un perdant si tu refuses de jouer.
—Okay, mais ne pleure pas quand tu auras lamentablement perdu.
Alors qu'elle était pour s'avancer vers le brun, Charlie reçut des éclaboussures de la piscine. Son attention se porta sur deux garçons qui se chamaillaient dans l'eau.
Lorsqu'un des garçons plongea la tête de son adversaire sous l'eau, une image s'imposa dans l'esprit de Charlie. Elle revit la glace se fendre sous les pieds de son frère. Elle le revit tomber à l'eau. Elle le revit ne jamais sortir sa tête de l'eau.
Un frisson parcourut le corps de la jeune femme. Son coeur se déchira aussi puissamment qu'il l'avait fait la première fois. La douleur était toujours aussi forte. C'était une sensation qui consumait tout.
La seule différence était que Charlie avait maintenant appris à vivre avec cette souffrance.
—Bon. Le premier qui compte trois buts a gagné, expliqua Max en s'approchant de la brune.
D'une seule gorgée, le garçon termina le restant de sa boisson. Il déposa le verre en plastique rouge sur l'herbe pour en faire un cône improvisé, puis alla en chercher trois autres afin de délimiter les buts.
—Prête? demanda-t-il, le ballon entre ses mains.
Charlie regarda le garçon dans la piscine qui, lui, avait réussi à sortir sa tête de l'eau.
Tout comme Max, elle subissait une absence ce soir. Ils étaient seuls, à deux.
Et c'est sur quoi Charlie voulait se focaliser ce soir; sur ce qu'elle avait. Rien ne pouvait apaiser ses traumatismes, mais peut-être pourrait-elle les oublier un instant.
Lorsqu'elle se mit à courir vers son but, une sensation de légèreté apaisa son être fracturé.
—Prête.
C'est ainsi, dans ce match de soccer improvisé, que William vit Charlie à son arrivée.
À travers les branches d'arbres, la lune trouvait son chemin pour illuminer la fine silhouette de Charlie. La jeune femme dégageait une douce quiétude. Ses mèches ébouriffées entouraient son visage détendu.
Lorsque ses pieds touchaient le ballon, la brune mordait inévitablement sa lèvre inférieure. Elle jouait avec une grande maladresse, mais également avec une grande intensité. Et, par un miracle certain, elle réussit à compter un troisième but.
À la réalisation de sa victoire, Charlie leva ses bras dans les airs. Elle éclata de rire devant l'expression ahurie de son compétiteur.
—Impossible! s'exclama-t-elle entre deux rires. Moi, Charlie Dupuis, la fille la plus nulle en sport, je t'ai battu, Max Therrien.
Max secoua frénétiquement sa tête en signe de négation. Il passa une main dans ses cheveux courts. Les traits de son visage étaient marqués par son nez froncé et ses lèvres serrées.
—Je n'y crois pas, je t'ai battu, répéta la jeune fille, hors d'haleine.
À cause de son handicap auditif, ou peut-être était-ce simplement à cause de l'euphorie du moment, Charlie n'entendit les pas se rapprocher d'elle.
—Je vois que tu as un esprit sportif, toi aussi.
La vision de William s'imposa devant Charlie et son coeur fit un bond. Quelque chose vacilla dans ses yeux noisette. Complètement déstabilisée, elle glissa ses doigts nerveusement dans ses cheveux ébouriffés.
Le ballon toujours sous son bras, Max s'avança vers le duo.
—Max, se présenta-t-il. Et sache que je suis meilleur qu'elle. Je lui ai simplement laissé une chance.
—William.
Charlie, toujours figée dans son mutisme, observa l'échange d'un oeil mauvais. La présence plombante de William avait brusquement changé son moral.
—Oh oui. William, répéta Max, une lueur d'amusement traversant ses iris. C'est toi le joueur de hockey qui a presque convaincu Charlie à monter sur une scène de karaoké.
La brune écarquilla les yeux, avant que son expression tendue ne se fige dans un froncement de sourcils désapprobateur.
Devant elle, William éclata de rire. Le corps du garçon se pencha légèrement vers l'avant et de légers effluves de son parfum titillèrent le nez de Charlie.
—Bon. Je vous laisse, je vais aller me chercher un verre pour oublier ma défaite.
Charlie regarda Max s'éloigner, les yeux horrifiés. Son pouls battait anormalement vite, et elle en oublia presque de respirer.
Lorsqu'elle tenta de suivre son ami, une main s'accrocha à son poignet. Charlie se retrouva à nouveau face à la carrure imposante de William. La poigne ferme qu'il avait sur elle déclencha une trainée de frissons qui monta le long sa colonne vertébrale.
Comme brulée vive par le bout des doigts du garçon, elle se dégagea de son emprise. Le mouvement brusque ne déstabilisa aucunement le joueur de hockey. Une once de malice s'était même accrochée à la commissure de ses lèvres.
Une bulle les entourait maintenant. Une tension électrique gravitait et chargeait l'atmosphère autour d'eux. La situation menaçait de déraper.
—Je savais que tu parlais de moi à tes amis.
Un sourire suffisant gravait le visage de William. Ses pupilles claires et provocatrices brulèrent Charlie.
Les muscles du visage de la jeune femme se contractèrent dans une grimace et sa respiration se souleva. Quelque chose au creux de son estomac commençait à bouillir. Elle sentit une boule d'animosité se bloquer dans sa gorge.
—C'est faux, s'obstina-t-elle, les yeux à moitié voilés.
Son souffle était court et ses pieds vacillèrent légèrement, mais elle refusa de regarder ailleurs.
—Arrête, j'ai vu tous tes amis s'abonner à mon compte Instagram en une seule soirée, rit-il. Tu sais, si tu veux me stalker, pas besoin d'utiliser le compte de tes amis.
Elle lui lança un regard durci par la honte. Ses lèvres tremblaient sous la colère et le joueur de hockey vit un profond mépris assombrir les iris de la jeune femme.
Bien que Charlie aurait voulu aspirer à l'indifférence, William l'emportait toujours. Il avait le don de sortir ce qu'il y avait de pire en elle.
—Mais tu te prends pour qui? Tu sauras que je n'en ai rien à faire de toi et...
—Dit la fille qui me stalk, la coupa William avec un sourire arrogant.
La vision de Charlie était flouée par un voile de frustration. Un sang brûlant semblait avoir inonder son cerveau, annihilant toute ses pensées. Elle détestait au plus haut point quand le garçon prenait ce ton moqueur et condescendant.
—Je ne, elle s'interrompit brusquement, ses pommettes rehaussées par ses lèvres pincées. Tu es tellement prétentieux.
—Entre autres. Mais ça, tu me l'as déjà dit.
—Et arrogant, poursuivit-elle avec persistance.
—Pour n'en nommer que quelques-uns.
Le rire qui s'échappa entre les lèvres William déstabilisa complètement Charlie. Elle pouvait sentir le battement de son coeur contre sa propre poitrine.
Le regard du joueur de hockey s'attarda sur les rougeurs qui teintaient les joues de la jeune femme et les éclairs qui illuminaient ses pupilles dilatées. Son attention se posa sur ses lèvres rosées pour attendre leur habituel tremblement de colère.
—Alors, Charlie, commença le brun. Puisque tu es une gagnante, je cherche une partenaire pour une partie de beer pong.
Lorsque son nom traversa les lèvres de William, un frisson parcourut l'échine de Charlie. Son coeur bombardait dans sa poitrine. Elle n'arriva pas à détacher son regard du garçon, détaillant chaque détail et chaque trait de son visage plié par l'amusement.
Le vent autour d'eux se leva et se mit à souffler sévèrement.
Charlie prit quelques secondes avant de répondre, bâtissant une véritable forteresse derrière ses iris. Elle ne laissait plus aucune émotion trahir son visage.
—Jamais, déclara-t-elle d'un ton clair et sans appel.
Suivant le courant du vent, Charlie partit brusquement. Ses pas étaient précipités par la frustration. Les éclats de rire de William derrière elle sonnaient en trame de fond.
La jeune femme alla s'assoir devant le feu. Le corps bouillonnant, elle ne sentit pas la chaleur des flammes. Sa respiration courte et saccadée brulait sa poitrine. Elle semblait être près de l'explosion.
La simple arrivée de William avait complètement chaviré la soirée de Charlie. Il bousculait tout. Elle avait brutalement été projeté à l'extérieur de son cocon.
Derrière les flammes orangées, le capitaine du Junior de Montréal s'était rapidement intégré à la soirée. Il monopolisait l'attention. En équipe avec Oliver, il affrontait Max et Louis dans une partie de Beer Pong.
Tout le monde semblait apprécier sa présence. Tout le monde, sauf elle.
Charlie était l'exception isolée.
Se sentant soudainement seule, la brune quitta la cour de son amie pour se diriger vers la maison. Elle avait l'impression de marcher à reculons. Plus rien ne faisait de sens.
Cherchant un peu de répit, Charlie traîna ses pieds jusqu'à la salle de bain.
Dans cet état de torpeur, la jeune femme se sentait perdue et introuvable. Si ce n'était pas de son état d'ébriété, elle serait reparti chez elle. Mais dans les conditions, il était hors de question qu'elle conduise sa voiture.
La simple pensée de sa voiture la mit encore plus sur les nerfs.
William.
—Merde, jura-t-elle en tremblant de colère.
Des tonnes de pensées inondèrent son cerveau. La jeune fille passa de l'eau fraiche à son visage, ne sachant pas ce qu'elle trouvait le plus pathétique; la situation ou bien elle-même.
Elle fut saisie d'un vertige qui la poussa à poser ses paumes sur le bord de levier froid. Elle plongea sa tête vers l'avant, entre ses deux épaules. Les battements de son coeur se faisaient sentir contre ses tempes, ou peut-être était-ce simplement l'orage dans son esprit qui grondait.
La colère et l'avanie la ravageaient. Ce genre de situation lui était malsain. Elle se sentait fragile et chaque fibre de son être en souffrait. Jamais elle n'avait laissé la rancune s'imposer aussi violemment en elle.
La haine qu'elle portait à l'égard de William la rongeait jusqu'au bout de ses entrailles. Mais, ironiquement, ce mépris ne faisait que la brimer elle.
Comment se faisait-il que Charlie soit si malheureuse à cette soirée, alors que lui s'y plaisait?
C'était elle qui s'imposait ce mal.
Après quelques minutes, la jeune femme sortit de la salle de bain aussi bouleversée qu'elle y était entrée. Elle sursauta lorsqu'elle vit William, accoté sur le mur, l'attendre patiemment devant la porte. Les battements de son coeur s'accélèrent furieusement. Elle peina à retrouver sa respiration.
Les iris remplis d'assurance, le brun releva la tête dans sa direction. Elle resta complètement pétrifiée face à lui. Leurs regards se verrouillèrent l'un dans l'autre. Seul le souffle précipité de Charlie troublait le lourd silence.
Le raclement de gorge de William brisa leur mutisme.
—Désolé pour mon attitude au garage, souffla-t-il faiblement, comme s'il n'avait pas eu l'intention de le dire à voix haute.
Le choc traversa le visage de Charlie. Sa respiration devint haletante. Un froncement de sourcil marqua pourtant ses traits fins, trahissant sa suspicion.
Voyant que William s'apprêtait à partir sans rien ajouter, la brune l'arrêta d'une voix cinglante.
—Et es-tu désolé pour ton attitude au bar? Et ton attitude de tout à l'heure...
—Non, la coupa William, retournant sa carrure imposante devant elle. Ça, c'est seulement à cause de toi et ta rigidité.
—Belle façon de t'excuser en m'insultant, l'accusa-t-elle, les iris flamboyants.
Le garçon rit d'un rire sincère et mélodieux qui fragilisa toutes les barrières de Charlie.
—Ce n'était pas une insulte.
—Ce n'était pas un compliment non plus.
William ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Ses yeux brillants étaient toujours accrochés à ceux de Charlie. Il se rapprocha légèrement d'elle, laissant un court soupir rieur s'échapper entre ses lèvres.
Des effluves de son odeur masculine chatouillèrent à nouveau le nez de la jeune femme.
—En tout cas, désolé d'avoir versé ma colère sur toi au garage. Tu n'y étais pour rien. Enfin, presque rien, car tu étais vraiment...William se tut devant le regard noir que Charlie lui lançait. Bref, désolé.
La jeune femme fut complètement désarmée.
Elle ne put cacher son trouble. Son regard ne voulait se détacher du garçon. Elle analysa les moindres traits sur son visage. La sculpture de sa mâchoire définit était détendue. Rien ne trahissait malice ou arrogance. Seul un doux sourire était étiré sur ses lèvres rosées.
Elle tenta de trouver une faille dans les iris émeraudes de William, en vain.
—Pourquoi étais-tu en colère? C'était bien la soeur de Louis au garage, non? osa-t-elle demander.
Tous les muscles de William se tendirent. Ses épaules relevées le rendaient soudainement plus imposant. Il fixa la brune devant lui avec une intensité qui lui était unique. Son souffle chaud chatouillait les joues brulantes de Charlie.
Pourtant, la jeune femme ne cilla pas devant le visage tordu du garçon. L'effet que sa question avait eu sur le joueur de hockey avait injecté une dose d'audace dans ses veines.
—Sarah, c'est ça? C'est bien elle que l'on a aperçue au bar, n'est-ce pas?
—Pourquoi tu veux savoir ça? demanda-t-il sévèrement, d'un ton qui frôlait le mépris.
Les iris de William, teintés d'une certaine douleur, transperçaient Charlie avec force. Ses sourcils froncés accentuaient son regard perçant, presque sauvage.
—Et bien, c'est à cause de ça que tu as été d'une humeur massacrante avec moi, alors j'estime avoir le droit d'en savoir la cause.
L'intensité du regard de William migra vers son sourire. Les traits de son visage se détendirent.
—Tu estimes, répéta-t-il d'un ton clair et défiant. Et après, tu affirmes que c'est moi le prétentieux?
Malgré ses efforts, Charlie ne pu retenir un sourire. Elle ne fit que hocher la tête.
—Et bien, si madame estime avoir le droit de savoir, commença-t-il avant d'inspirer fortement. Sarah voulait que je protège Nash McMillan pour une connerie qu'il a encore faite.
—C'est son copain?
William hocha brièvement de la tête, mais resta silencieux. Un flash d'émotion traversa ses prunelles avant que celles-ci ne se voilent.
La curiosité enflait en Charlie. Elle avait l'impression d'ouvrir une plaie fraiche, qui n'avait pas eu le temps de complètement se refermer.
—Et tu l'as fait?
Le capitaine du Junior de Montréal pencha légèrement sa tête vers l'avant. Des mèches frisées de ses cheveux tombèrent sur son front.
—J'imagine, répondit vaguement William en reniflant.
—Tu imagines? répéta-t-elle en riant. Est-ce une façon de dire oui sans réellement l'assumer?
Quelque chose de lumineux éclata dans les iris de William. Ils retrouvèrent leur chemin vers ceux de Charlie pour s'y cadenasser. L'horizon semblait être dans ses yeux.
Un sourire doux et mystérieux regagna le visage du garçon, contrastant avec ses airs moqueurs habituels.
—J'imagine.
Cette fois, un rire franc s'échappa des lèvres de Charlie.
Elle réalisa alors à quel point ils étaient proches. Le souffle chaud des rires de William faisait trembler quelques unes de ses mèches brunes. Malgré le fait qu'une partie de son esprit lui criait de s'éloigner, elle ne bougea pas.
Charlie captura sa lèvre inférieure entre ses dents, un sourire en coin sur le visage.
—En tout cas, merci pour les excuses. Bien qu'elles aient été plutôt médiocres, je dois préciser.
—Ne t'attends pas non plus à ce que mon attitude change.
Charlie retourna son attention vers la baie vitrée pour apercevoir le jardin projeté par la nuit. La lune brillait toujours, éclairant ses amis. Eugénie et Mathieu, assis l'un à côté de l'autre sur le bord du feu, discutaient paisiblement. Dernière eux, Louis, Oliver et Max étaient pris d'un fou rire.
Enveloppée par cette ambiance de complicité, un sourire discret s'étira à la commissure des lèvres de Charlie. Ce fut comme un rêve éveillé. Quelque chose céda en elle, et les étoiles auraient pu en pleurer. Les sentiments de colère qui habitaient la jeune femme s'évanouirent un instant, pour une courte éclaircie nocturne.
La nuit allait leur accorder la paix et le bénéfice du doute.
—Et bien, il va falloir que je m'y habitue, j'imagine.
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