005 | Mélodie d'une accalmie

La vie n'était qu'une simple succession d'instants, de joie, de peine et d'obstacles. Les tragédies remplissaient les coeurs de tristesse, comme si les lumières autour de soi s'éteignaient à petit feu. Une douleur perçante ravageuse guidait les actions de ses victimes. On ne pouvait se permettre de juger les réactions des autres sans avoir soi-même côtoyé la souffrance.

Certaines personnes trouvaient, malgré leurs propres blessures, la force de réchauffer les coeurs les plus froids. Les obstacles qui s'imposaient à eux semblaient n'être, en finalité, qu'une simple opportunité où y naissait la gentillesse profonde et pure.

La gentillesse comme étant le dernier espoir d'une guérison collective.

Platon a dit : «Fais preuve de gentillesse envers tous ceux que tu rencontres, leur combat est peut-être plus dur que le tien.»

Je ne peux pas croire que je suis ici, constata Charlie d'une voix étouffée par les bruits ambiants.

Dès son arrivée dans ce bar sur la rue St-Laurent, cette rue mythique de Montréal, la jeune femme avait été enveloppée par une chaude ambiance. Elle retroussa légèrement son nez, la gorge sèche. Une odeur de peur se mélangeait aux effluves de l'alcool et de la sueur.

Attachée à ses routines strictes, Charlie ne se permettait aucune défaillance. Rares étaient les occasions où elle sortait dans ce genre d'endroit. Et pourtant, ce soir, la faille était là.

À première vue, ce lieu plein à craquer ne semblait qu'être un bar parmi tant d'autres. Un bar circulaire se situait au milieu de cette grande place, autour duquel quelques tables y étaient installées.

De peine et de misère, Eugénie avait entrainé son amie à cette soirée qui célébrait la victoire du Junior de Montréal. Non sans avoir protesté à de nombreuses occasions, Charlie avait trouvé une infime once de courage en elle, bien timide, qui lui avait permis de venir.

L'esprit de la jeune femme était maintenant habité par l'affolement. Chaque fibre de son être appréhendait cette soirée. Elle redoutait particulièrement de croiser le capitaine de l'équipe.

Mathieu est là, s'agita Eugénie en tirant sur le poignet de la brune.

Le coeur de Charlie eut un léger spasme, tout près de l'explosion. Une sorte de torpeur l'envahit et sa respiration commençait à être saccadée.

L'endroit lui semblait étrangement de plus en plus petit. Charlie se concentra donc sur la chevelure dorée d'Eugénie qui dansait derrière ses épaules frêles. Dans la foule, la blonde resplendissait. Elle portait la confiance avec une élégance comme elle seule pouvait le faire.

Elles contournèrent quelques tables pour se frayer un chemin jusqu'au fond du bar. Les lumières semblaient y être plus tamisées. Collée au mur, une petite scène en bois était installée.

C'est un karaoké! s'exclama Eugénie.

Le regard rivé au loin, Charlie se sentait prisonnière de son propre corps. Elle avait l'impression de se rapprocher doucement de l'aboutissement d'une fatalité, complètement impuissante.

Lorsque les deux jeunes femmes arrivèrent à la hauteur de Mathieu, le garçon les accueillit d'un sourire radieux. Envahit par la timidité, seul un sourire crispé prit place sur les lèvres roses de Charlie, sans qu'aucun mot n'en sorte. Son mutisme était sa façon de se déclarer incapable d'affronter la réalité.

Voici Louis et Oliver, présenta le garçon.

Le regard de la brune passa nerveusement sur la table en bois vernis. Assis aux côtés du gardien de but, deux garçons leur souriaient poliment.

Charlie s'assit à la table avec une maladresse qui trahissait son état d'esprit. Devant elle, la carrure imposante d'Oliver était accoté sur le cuir brun d'une banquette. Il passa une main dans ses cheveux courts, presque rasés. La lumière illuminait ses yeux bleus, imitant le reflet de la lune sur l'océan.

I hope you're ready. On célèbre une victoire tonight! s'exclama-t-il avec aisance, aucunement gêné par son accent anglophone d'Alberta.

Aux mots de son coéquipier, Louis leva son verre et termina sa bière d'une seule gorgée. Ses cheveux brun ébène étaient bouclés et parsemés de mèches plus pâles. Lorsqu'il reposa brusquement son verre sur la table, ses yeux noirs frôlèrent ceux de Charlie qui le fixait.

Vous allez voir, autant nous sommes bons au hockey, autant nous sommes un désastre lorsqu'on chante, déclara Mathieu aux deux jeunes femmes.

Toujours avec autant d'aisance, Eugénie éclata de rire. Elle déposa ses coudes sur la table, ce qui eut pour effet de diminuer la distance qui la séparait du garçon.

Elle est rendue où ta confiance? Je pensais que les sportifs en avaient toujours.

Mathieu passa fièrement une de ses mains dans sa chevelure blonde, se mordant le coin de la lèvre inférieure. Quelques reflets dorés brillaient sous la lumière.

J'ai toujours confiance. L'un n'empêche pas l'autre. Nous assumons totalement notre médiocrité, répondit-il en riant.

L'attention de Charlie se détacha de la conversation. Son regard se bloqua sur un point derrière l'épaule de Mathieu. Accoté sur le comptoir du bar, William discutait avec une femme aux cheveux noir corbeau qui lui servait une bière dernière le comptoir.

Sur son visage, le capitaine du Junior de Montréal avait cet habituel air de confiance qui irritait particulièrement Charlie. Il dégageait cette impression de tout contrôler, sans que rien ne puisse l'atteindre. Bien que les souvenirs de leur altercation au garage biaisaient peut-être ses perceptions, la jeune femme considérait son assurance comme étant de la simple prétention.

Lorsque les iris émeraudes de William se plantèrent dans ceux de Charlie, son sourire en coin se baissa doucement sous l'étonnement. Quelques-unes de ses mèches brunes tombaient sur son visage défini. D'un détachement des plus total, il prit d'une main son verre et avança vers la table.

Une tension palpable habitait la jeune brune. William vint s'assoir sur la chaise libre à sa droite, et l'effet fut immédiat. La présence du garçon était plombante pour Charlie.

La jeune femme s'efforça d'éloigner son regard du garçon, prétendant écouter la discussion devant elle. Son attention était pourtant tournée sur la curieuse sensation qu'elle éprouvait au creux de son estomac. Un malaise gonflait en elle.

La façon dont Charlie devenait presque inapte à interagir dans le groupe fit presque pitié à William.

Le joueur de hockey comprit sans difficulté que la brune était une véritable proie à la frayeur. Il la voyait se tordre sur sa chaise, jouant nerveusement avec ses doigts fins sous la table. Pendant un instant, il ne reconnut pas la fille avec qui il s'était disputé.

Après avoir pris une gorgée de sa bière, William se pencha vers elle, si bien que Charlie sentit son souffle chaud à la base de son cou.

En passant, de rien pour ta voiture, se moqua-t-il à quelques centimètres de son oreille.

La brune se retourna vivement vers lui, les yeux écarquillés. Une lueur de moquerie dans les iris du garçon trahissait ses intentions. Elle pinça ses lèvres, s'efforçant de chasser son amertume.

William se réjouit de l'effet qu'il eut sur elle. Un défi interne se créa en lui. Il voulait la faire réagir et, par le fait même, la délivrer de ce sentiment oppressant qu'était la nervosité.

Tu sais, ça serait la moindre des choses de me payer un verre pour me remercier.

Malgré les tonnes d'insultes qui brulaient sa langue, Charlie ne cilla pas.

Ah non, j'y pense, ne fais pas ça. Tu irais probablement t'obstiner avec la serveuse concernant le prix des boissons.

Un air triomphant s'étira sur le visage du garçon lorsque la jeune femme se retourna brusquement vers lui, le regard sauvage. Elle ouvrit la bouche, mais fut rapidement coupée par Eugénie qui n'avait rien manqué de la scène.

Attendez. Vous vous connaissez?

William émit un rire, hochant la tête de haut en bas.

Elle est venue faire réparer son auto au garage et je lui ai gentiment fait un prix d'ami.

C'est faux, s'empressa de le couper Charlie, le toisant d'un regard mauvais. Ton prix était ridiculement élevé.

Parce que tu t'y connais, peut-être?

Contrairement à leur précédente dispute, il n'y avait aucune irritation dans les remarques de William. Celui-ci semblait même se réjouir de la tournure de la situation.

Et ton service à la clientèle était pire que médiocre, rajouta la jeune femme, ignorant la dernière question.

Tu es simplement une éternelle insatisfaite.

Charlie laissa échapper un rire sardonique entre ses lèvres crispées.

Tu étais arrogant et grossier, cracha-t-elle. Et insolent.

William ouvrit la bouche pour répondre, mais les rires autour de la table interrompirent son élan.

Qu'est-ce que tu as encore fait, Will? demanda Mathieu entre deux rires.

Rien, elle est seulement susceptible, se défendit la capitaine.

Charlie leva ses yeux au ciel et se précipita à raconter leur confrontation aux autres. Elle fut parfois coupée par les remarques arrogantes de William, le garçon aimant bien jeter un peu d'huile sur le feu. Ses commentaires ne faisaient toutefois qu'amplifier l'intensité des explications de la jeune femme.

Emportée par l'outrance, Charlie sentit tranquillement son corps reprendre vie. Son sang se réchauffait dans ses veines et ses muscles se détendaient. Comme un nouveau souffle, le poids de la gène qui l'étouffait auparavant lui pesait de moins en moins.

Elle était réactive.

C'est vrai que t'es un con, Will, conclut Louis.

Merci! s'exclama Charlie en levant les bras dans les airs.

William se tut, cachant un sourire fier derrière son visage impassible. Il observa le visage pâle de Charlie reprendre doucement des couleurs. Ses lèvres rosées étaient étirées en un sourire, alors qu'elle commençait à se mêler à la conversation autour de la table.

Le garçon avait accompli ce qu'il voulait faire. Charlie était sortie de son mutisme.

Le poids que créaient les iris de William sur la jeune brune la fit retourner vers lui. Prête à lui lancer une réplique cinglante, elle se trouva complètement désarmée par l'étincelle qui dansait au fond du regard du garçon. Elle l'observa, à la fois intriguée et confuse, jusqu'à ce que William coupe leur contact visuel en prenant une nouvelle gorgée de sa bière.

L'atmosphère du bar se chargea d'une certaine douceur. Le stress de Charlie diminuait au rythme de la soirée. Un sentiment de confiance grimpait en elle, détruisant les barrières de sa timidité. Elle expliqua ce changement d'attitude par l'alcool qui commençait à couler dans ses veines, ne voulant s'avouer l'influence qu'avait eue William.

Alors vous êtes colocs? demanda Eugénie, en pointant Louis et William du doigt.

Oui, répondit le frisé en portant son verre à ses lèvres. Et on travaille tous les deux au garage. Je tiens à préciser que mon service à la clientèle est bien meilleur que celui de Will.

Parce que c'est le garage de tes parents, espèce de fils à maman, se moqua le concerné.

Ooh Monique, chantonna Mathieu d'un ton niais.

On se calme les hormones ici, c'est tout de même ma mère, grogna Louis en frappant le torse du gardien de but.

Dans un élan enflammé, les garçons commencèrent à se chamailler. Charlie rit comme elle ne l'avait pas fait depuis longtemps, oubliant momentanément ses blessures du quotidien. Dans cette bulle de quiétude, son esprit était enfin paisible.

Une douce accalmie.

Eugénie profita de l'euphorie du moment pour aller interpréter une chanson. Sous les encouragements du groupe, la blonde monta sur la scène pour chanter avec entrain «Girlfriend» d'Avril Lavigne. Son choix de chanson ne manqua pas de faire éclater de rire Charlie. La brune se remémora des souvenirs d'enfance où Eugénie et elle dansaient sur cette chanson comme si rien ne pouvait les arrêter.

Charlie! s'écria Louis.

La jeune femme se retourna vivement vers son interlocuteur à sa gauche. Le garçon était maintenant assis près d'elle, sur le siège d'Eugénie.

Ça fait deux fois que je te pose une question, lui expliqua le frisé en riant.

Désolée, je n'entends pas de l'oreille gauche, répondit Charlie naturellement, s'étonnant elle-même d'avoir partagé l'information avec une telle facilité.

Ses joues rosies par l'alcool se mirent à chauffer face au poids de l'attention que sa révélation avait créé sur elle.

Comment ça? Si c'est pas trop indiscret, demanda Mathieu, curieux.

Un frisson grimpa dans la colonne vertébrale de la jeune femme. Elle sentait à nouveau l'eau glacée couler sur sa peau pâle. Des images lui apparurent comme des fantômes du passé.

Le gel commençait à la ronger jusqu'aux entrailles.

Un accident. Je me suis noyée lorsque j'étais jeune, répondit-elle de manière à peine audible.

Une lueur de pitié traversa les visages des garçons, et un goût amer d'écoeurement se créa dans la bouche de Charlie. Les quelques secondes de silence lui furent insoutenables. Elle se mordit la lèvre inférieure, le regard perdu dans le vide.

Au moins tu as seulement perdu l'ouïe d'une oreille. Ça aurait pu être bien pire, tenta de relativiser Louis.

Charlie se tut, incapable d'exprimer une pensée sensée. La remarque avait eu l'effet d'un coup de poignard à son coeur, sa poitrine toujours aussi terrassée par le gel. Elle avala difficilement, avant de retourner à ses vieilles habitudes en offrant un sourire vide, faux et douloureux.

Elle avait perdu beaucoup plus.

La conversation se détourna pour féliciter Eugénie qui revenait s'installer à la table. Charlie, toujours aussi déboussolée, se battait contre des souvenirs qui la hantaient beaucoup trop souvent.

Les iris pesants de William restèrent pourtant concentrés sur la jeune femme, tentant de déchiffrer son visage tordu par ses traumatismes. Ses yeux bruns embués reflétaient sa douleur. Elle semblait loin, absente.

Alors, Charlie, quelles sont les chances que tu ailles sur scène? demanda le capitaine, un sourire moqueur sur le visage.

La jeune femme retourna lentement ses yeux vers lui. En revenant du passé, elle se racla difficilement la gorge pour éclaircir son esprit ombragé.

Aucune.

Le capitaine laissa échapper un rire arrogant.

Ça ne m'étonne pas, se moqua-t-il, dans le seul but de la provoquer.

Sa remarque eut à nouveau l'effet escompté. Charlie se redressa devant lui, le regard furieux.

Sur dix, répondit-elle finalement.

Dix? pouffa William. Peureuse.

Charlie serra ses poings. Bien qu'elle savait qu'il avait raison, elle en voulait à William d'avoir cette impression d'elle. Personne n'avait jamais étalé devant elle ses faiblesses de manière aussi abrupte comme le faisait constamment le joueur de hockey.

Un désir inexplicable de lui prouver le contraire naissait en elle.

Sur cinq. Mais si tu perds, c'est toi qui va sur scène.

Toute l'attention autour de la table était maintenant déposée sur eux.

Sur trois, et on a un deal, conclut le brun.

Charlie le défia du regard, déchirée entre la peur de monter sur scène et la satisfaction de prouver à William qu'il avait tord à propos d'elle.

La surprise fut transparente sur le visage de William lorsque la jeune femme accepta le marché d'un timide hochement de tête.

Ouuh. Alors vous devez dire un chiffre entre un et trois. Si vous avez le même, Charlie doit aller sur scène, résuma Louis.

Trois, deux, un, go.., crièrent en coeur Louis, Oliver, Eugénie et Mathieu.

Un!

Trois! s'exclama Charlie, en même temps.

Un sourire vainqueur s'étira sur les lèvres de la jeune femme. Elle leva les bras dans les airs en signe de victoire tant le soulagement était plaisant. Une légère flamme de fierté réchauffa son ventre.

En se levant vers la petite scène en bois, William ronchonna quelques mots incompréhensibles entre ses dents. Pourtant, aucun signe de nervosité ne le trahissait.

Pauvre lapin, seul et abandonné à lui-même. Je vais y aller avec lui, déclara Mathieu en riant.

Dans un élan de bonté, il se leva pour aller rejoindre son ami.

Préparez-vous à saigner des oreilles, avertit Louis, d'un ton dramatique, ce qui lui valut une tape derrière la tête de la part de Mathieu qui partait.

Les deux jeunes femmes éclatèrent de rire.

Comme si tu étais mieux, St-Pierre, intervient Oliver avec son accent anglophone.We all remember la soirée où le gérant nous a kick out du bar car tu chantais trop mal. That was horrible.

Apprends ton français avant de m'insulter! Tu sais que rien ne t'empêche à retourner dans ta province si tu n'es pas satisfait de mes capacités musicales, hein?

Oliver lui répondit d'un simple coup à l'épaule. Une bataille entre les deux garçons se déclencha, les premières notes de la chanson «Don't look back in anger» comme trame de fond.

Le regard rivé sur la scène en bois, Charlie vit les deux joueurs de hockey se tenir droits sur leurs jambes. Leurs voix se mélangèrent à celles de plusieurs clients du bar, mais la voix grave et mélodieuse de William était bien distincte.

La jeune femme ne put s'empêcher d'être impressionnée par la prestation. Elle se retrouva à nouveau complètement intimidée par l'assurance du brun. Ironiquement, elle se sentait vulnérable, malgré le fait qu'il était celui sur la scène.

La chanson terminée, la foule se mit à applaudir les deux garçons. Ils revinrent s'assoir à la table sous les félicitations de leurs amis. Charlie se contente de sourire brièvement à William, sans oser complimenter sa performance.

La soirée continua de se dérouler sous les anecdotes d'Oliver, les insultes de Louis concernant l'accent de l'anglophone, les rires d'Eugénie et les questions incessantes de Mathieu concernant la meilleure amie de Charlie.

Des rires aux regards furtifs lancés en direction de William, elle ne vit pas le temps passer. Les nombreuses facettes paradoxales du garçon, qui pouvait aller de l'arrogance à l'amabilité, l'intriguaient particulièrement.

Shit, souffla Louis. Il fallait qu'ils viennent ici.

Tous les membres assis à la table levèrent leur regard vers le point que fixait le frisé. À l'entrée du bar se trouvait un grand blond à la carrure imposante accompagné d'une jeune fille élancée.

Une pointe de curiosité dans les yeux, Charlie analysa le duo qui s'installait à une table. La mâchoire carrée du garçon semblait serrée, mais ses iris ne vinrent jamais dans leur direction. Il commanda une boisson à un employé, sans daigner de lui adresser un regard.

C'est toutefois la fille à ses côtés qui intrigua Charlie. L'étincelle de curiosité dans son regard se transforma en véritable flamme lorsqu'elle reconnut Sarah, la jeune femme avec qui William s'était disputé au garage.

Aussitôt, Charlie tourna son regard intrigué vers le concerné. Le garçon toisait le couple d'un regard mauvais. Ses prunelles avaient viré au noir. Ses épaules étaient tendues, accentuant sa stature athlétique, alors que sa main droite serrait son verre fermement.

Qui c'est? demanda Eugénie, sans aucune gêne.

Nash McMillan, un de nos coéquipiers, lui répondit Mathieu en reposant son regard sur la table, une note d'amertume dans sa voix.

Aucun membre de l'équipe ne semblait apprécier l'arrivée de leur coéquipier. Les traits sur les visages étaient durs.

Complètement dans l'incompréhension, Eugénie et Charlie échangèrent un coup d'oeil confus.

Il a reçu une offre pour jouer avec les Flames de Calgary l'an prochain, expliqua le gardien de but. Et crois-moi, il ne manque pas une occasion de s'en vanter.

Et la fille? osa demander Charlie, prise d'un élan de confiance engendré par la curiosité.

Une fois sa question posée, William se retourna brusquement vers elle. La jeune femme tenta d'ignorer son regard perçant, presque destructeur.

Sarah, ma soeur, répondit Louis d'une voix grave.

En repensant à la photo des deux enfants qu'elle avait aperçue au garage, Charlie fit rapidement le lien. Effectivement, quelques traits de famille reprochaient les deux St-Pierre.

Et tu ne proposes pas à ta soeur de rejoindre notre table? tenta Eugénie.

Son regard toujours aussi dur et glacé, William émit un rire sec. Aucun mot ne sortit pour autant d'entre ses lèvres.

Vu que c'est ma soeur et lui mon ami, Will n'a techniquement pas le droit de l'insulter, expliqua Louis. Mais, bon. Je considère que moi, en tant que frère, je peux.

Le frisé chercha ses mots, augmentant la curiosité indiscrète d'Eugénie et Charlie.

Nash a du succès et Sarah aime le succès. Même s'il est con, elle est prête à tout accepter pour avoir quelqu'un à ses côtés. Ce qui, par le fait même, la rend elle-même.., résuma Louis, sa phrase laissée en suspend.

La première pensée de Charlie fut de trouver Sarah un peu triste et pathétique, ce qui lui rappela qu'elle se sentait elle-même triste et pathétique la majorité du temps. Qui était-elle donc pour juger?

Personne n'était indifférent à l'arrivée du couple. D'une simple explication de cause à effet, la présence de Sarah et Nash avait changé en une fraction de seconde l'atmosphère autour de la table.

Charlie fut ébranlée par cette constatation.

Le regard auparavant doux de Louis était maintenant amèrement posé sur sa propre soeur. Oliver avait échangé son habituel rire pour une mâchoire serrée. Le sourire lumineux de Mathieu s'était tordu sous un visage crispé.

Les prunelles de Charlie se bloquèrent sur la vision de William et son âme tempétueuse. Ne pouvant s'empêcher de repenser à leur conflit au garage, elle reconnut les traits durs sur le visage du garçon.

Ce soudain changement d'ambiance, parfaitement en contraste, permit à Charlie de réaliser qu'il y avait du bon et du mauvais dans tout. Bien que rien n'était simplement noir ou blanc, elle avait pourtant tendance à s'accrocher, oubliant les nuances.

Les yeux toujours ancrés sur le garçon à côté d'elle, Charlie réalisa que diminuer William à sa simple arrogance avait été injuste de sa part. Elle l'avait jugé sur une causalité, sans se pencher sur les raisons derrière ses réactions.

On ne pouvait résumer une histoire entière en un simple instant.

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