Chapitre 17
En sortant du local, le soleil me brûle les yeux. L'écho des insultes de Pino et de George résonnent avant que la porte ne se ferme derrière moi. Énervé, je descends les marches rapidement tout en jurant.
"Je vais aller prendre un taxi putain, je vais aller prendre un taxi et je vais aller à la droguerie acheter mes calmants et je vais rentrer", marmonné-je en remontant mon jeans slim.
" Merde, ma ceinture.", grommelé-je dans un soupir.
Tirant ma tignasse tombante et grasse à souhait pour y voir plus claire, je scanne le parking. La voiture de George est bien à sa place. Je rectifie :
"D'abord, ma ceinture."
Je m'approche de la superbe Rolls de George. Ma ceinture me fait de l'œil, là, juste là, sur le siège. Je tente d'ouvrir la portière côté conducteur. Fermée. Irrité, j'y fais le tour pour voir s'il n'a pas laissé une fenêtre ouverte. Je tente d'ouvrir la poignée de la porte passager quand j'entends une voix.
- Je vois ta touffe dépasser, Adam !
Je relève la tête et guigne par-dessus le toit. George me fixe.
- Touche pas à ma voiture, merdeux ! Hurle-t-il en descendant les marches deux par deux.
J'arque un sourcil puis un sourire malicieux s'empare du coin de ma bouche. En prenant mon élan, je donne un gros coup de pied dans la jante la plus proche.
- Éloigne-toi de cette voiture, braille-t-il.
- J'ai rien fais, lancé-je avec un air d'enfant angélique, levant les mains à hauteur de mes épaules.
George lève les yeux au ciel.
- Tu veux quoi ? lance-t-il, la mâchoire serrée.
- Ma ceinture, crétin.
Je la désigne du doigt à travers la vitre. Il soupire et dit :
- Tu aurais pu la prendre avant.
- Ça ne t'arrive jamais d'oublier des trucs ?
- Un jour, tu oublieras ta tête. - Je le sent hésiter, mais il finit par la sortir, cette phrase - Si ce n'est pas Alzheimer qui te bouffera, c'est ton foie qui te lâchera.
- C'est ça... Ouvre, rétorqué-je sèchement.
George pointe la clé sur la voiture. Un bip sonore se fait entendre. J'ouvre la portière, récupère ma ceinture et la ferme avec élan.
- Merci, crétin, sifflé-je.
- De rien, foutu alcoolo.
Je lâche un rire nerveux et lance :
- Je ne suis pas alcoolique.
- C'est ça. Tu es dans le déni. Moi, au moins, j'ose te le dire en face.
Mon regard noir se braque sur lui, puis sur sa jolie carrosserie parfaite. D'un revers de la main, je me frotte le nez et de l'autre, j'appuie l'embout de ma ceinture contre sa voiture.
Et un bruit, un bruit aigu se fait entendre. Ce sifflement ressemblant à une craie sur un tableau noir, il m'accompagne, un pied après l'autre. Et ... oui, le bout de ma ceinture longe la carrosserie de sa belle Rolls, maintenant devenue imparfaite. Du coin de l'œil, je vois la mâchoire de George se décrocher, le visage virant au blanc translucide, la clé de la voiture toujours pointée dans ma direction.
- Oops, je crois que j'ai rayé ta voiture, lancé-je d'un ton cynique.
Puis, je reprends ma route. J'essaye d'enfiler ma ceinture dans les passants de mon jeans tout en jetant des coups d'oeil fréquents par-dessus mon épaule pour voir la réaction de George. Je le vois toujours abasourdi et immobile à fixer sa voiture. Je lui tire rapidement un doigt d'honneur et poursuis mon chemin vers la pharmacie la plus proche.
Dans mon dos, je l'entends soudain hurler :
- MA VOITURE !! ENFOIREEEEEEEE !!
J'accélère le pas. Je galère avec ma ceinture que je n'arrive pas à glisser dans le passant arrière.
- SI JE TE CHOPE, JE TE TUE ! CLAIREMENT JE TE TUE !
Cette fois, je me mets à courir, mon jeans commence à tomber mais je le maintiens sur mes hanches pour éviter qu'il m'arrive aux chevilles et j'arque les jambes pour faciliter ma course. Ma ceinture se balance derrière moi au rythme de mes pas.
Quelques minutes plus tard, je me suis suffisamment éloigné de George pour que je puisse arrêter de courir. Je remets mon jeans en place et finit par trouver une pharmacie. J'entre dans le commerce d'un pas sûr. Ne voyant personne, je m'approche du comptoir et commence à toucher les babioles mises en avant.
- Bonbons au miel
- Prospectus sur le cancer
- Dentifrice « White ultra ».
Qu'est-ce que j'aurais besoin de me laver les dents ! Je sens le dépôt qui s'est accumulé depuis hier sur mes gencives.
- Bonjour Monsieur, me lance une petite blonde au sourire "Colgate".
Elle doit utiliser ce dentifrice à l'excès.
- Bonjour.
Comme à mon habitude, je sors les différents papiers de mon porte-monnaie, j'en déplie quelques-uns avant de tomber sur le bon. Puis, content de l'avoir trouvé, je lui tends ma vieille ordonnance froissée.
- J'ai besoin de ça, s'il vous plaît, lui dis-je avec un sourire réservé.
La jeune fille regarde le papier en plissant le regard. J'espère qu'il est encore lisible.
- Je vais regarder avec le pharmacien, je reviens tout de suite.
Je me retourne et remarque le rayon bambin. Je m'y approche. Différents biberons de plusieurs marques sont soigneusement rangés. À côté se trouve des tétines de toutes les couleurs. Un modèle cependant attire mon regard. Je le lis à mi-voix :
« Meilleur papa du monde »
Quel foutage de gueule.
Et l'instant plus tard, je réfléchis.
Est-ce que j'aurais été un bon père ? Est-ce que j'aurais été assez présent malgré les tournées avec le groupe ? Est-ce que j'aurais toujours été avec Gemma ?
Est-ce que ma vie aurait été si désastreuse qu'elle ne l'est actuellement ?
- Monsieur ?
Une voix d'homme me sort de mes pensées, le pharmacien me regarde et me fait signe de le rejoindre.
- Pardon, j'étais curieux de savoir ce qu'il y avait comme nouveautés pour les bébés ... marmonné-je en me grattant l'arrière du crâne, mal à l'aise.
- Hum ... Je regrette, mais votre ordonnance est échue depuis plusieurs mois. Malheureusement, je ne peux pas vous vendre ce médi...
- Quoi ? Le coupé-je brusquement. Mais j'en ai besoin !
- Je suis désolé, Mon...
- Vendez-le moi, réclamé-je, suppliant.
- Je ne peux ...
- J'en ai vraiment besoin !
Ma voix se casse.
- Mais pourquoi n'êtes-vous pas allé voir votre médecin traitant ? S'étonne le pharmacien avec les yeux ronds.
Je reste quelques secondes muet face à la logique de sa remarque.
- Mais...mais...Balbutié-je. Vendez moi ce médicament ! Vendez-le moi le double de son prix, ou le triple, je m'en fous mais vendez-le moi !
- Monsieur, s'il vous ...
J'arrache mon ordonnance de ses mains et envoie dans un geste rageur le présentoir de bonbons au miel, ainsi que le reste des objets placés sur le comptoir par terre.
- Allez vous faire mettre.
Je me rends vers la sortie en passant par le rayon bambin. Les biberons si bien rangés auparavant volent sur le sol.
- Je vous emmerde, vous et votre putain de magasin !
Dans la rue, je m'allume une cigarette et tire une longue bouffée. Je psychote. Je sens que je commence à psychoter réellement.
Je panique.
Maintenant, j'en suis certain et je n'ai pas mes médicaments.
Quelqu'un passe à côté de moi. Je suis sûr qu'il me fixe, il sait qui je suis, il va me foncer dessus, il va m'étouffer. Je ne veux pas.
Mais au lieu de ça, il passe seulement à côté de moi, bien que son regard soit planté dans le mien.
- Qu'est-ce que t'as à me regarder comme ça ? Hurlé-je, ma voix déraillant complètement.
L'homme se retourne en haussant les épaules. Ma respiration devient saccadée. Je m'arrête et tente de reprendre mon souffle, mais à nouveau, je vois des passants autour de moi. Ils m'examinent. Ils me dévisagent. Je sens leurs yeux sur moi. Leurs yeux ignobles, infects, qui me scannent de la tête jusqu'aux pieds. Je ferme mes paupières. Est-ce qu'ils savent qui je suis ? Est-ce qu'ils peuvent me comprendre ? Non, ils ne peuvent pas. Il n'y a rien à comprendre. Trop de choses tournent dans ma tête et soudain, sa voix.
Lorsque j'ouvre les yeux, Maggie me murmure à l'oreille :
- Ça va aller, concentre-toi.
Mais elle disparaît aussitôt.
Je remarque une ruelle et m'y précipite. Je m'adosse au mur de brique. Cette ruelle pue l'urine et les déchets. J'entends à nouveau Maggie. Je place mes deux mains sur mes oreilles et explose :
- Ta gueule, tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! Putain.
La voix de Maggie disparaît aussitôt. Je me redresse. En face de la rue se trouve une station-service. Je fonce à l'intérieur et me jette dans le rayon des alcools forts. J'y prends deux bouteilles de whisky bas de gamme et me déplace à la caisse. Le vendeur, sur son téléphone, relève la tête d'un mouvement si long que même un escargot m'aurait déjà encaissé.
- Bonjour, dit-il en me dévisageant.
Je lance le billet sur le comptoir.
- Gardez la monnaie, dis-je déjà à la porte de la station.
Dans la seconde, je dévisse le bouchon et j'avale plusieurs grandes gorgées. Je suis maintenant échoué dans cette partie de la ville qui me fait frissonner. Autour de moi, je ne vois que la misère du coin. Pourquoi notre local est situé ici ? Pourquoi ?
Maggie a montré aucune pitié envers moi. Elle a pris mon cœur, je crois même qu'elle a pris mon âme. Elle m'a saigné à sec, elle a laissé l'orage se manifester à nouveau, laissant chaque atome, chaque particule infimes s'entrechoquer inlassablement dans ma tête, me faisant chavirer, encore une fois. Je dérive chaque jour un peu plus. Je n'ai plus rien à donner, je n'ai plus rien à espérer non plus.
Je suis définitivement perdu. Je ne supporterai plus cet enfer que je ressens encore longtemps. Tout ce que j'essaye désespérément de retenir entre mes doigts, qu'importe la force et à quel point je ferme ma main, tout s'échappe. Tout m'échappe, y compris ma vie.
Surtout ma vie.
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