Chapitre 15

Bouteille de Whisky en main, je fais les cents pas chez nous. Ou plutôt : Chez moi.

Notre salon est assez grand mais paraît extrêmement petit entre nos deux métiers d'artistes. A l'entrée, à droite, le canapé en cuir de ma grand-maman que Maggie m'a laissé emporté avec nous. En face de celui-ci, un grand et vieux miroir mural trône au dessus d'une vieille commode qui vient aussi de ma grand-mère, ou se trouve pinceaux et peintures à l'aquarelle de Maggie. Au mur, au dessus du canapé, une grande oeuvre que Erik nous avait envoyé lors de notre emménagement, d'autres sont posés ici et là dans la pièce, surtout des tableaux que Maggie a réalisé. Par terre, un tapis victorien, usé par le temps. Maggie avait flashé dessus lors d'une brocante. Au dessus, une table en verre où s'entasse bouteilles vides et cendrier rempli de mégots. A gauche, quelques plantes pendantes, un vieux tourne-disque ainsi que tout mon matériel de musique : Des guitares, des amplis, un système d'enregistrement, des câbles, beaucoup de câbles, mon ordinateur portable branché au système midi .

Je finis par m'avachir dans le canapé, sifflant ma bouteille comme de l'eau, goulot aux lèvres, l'alcool ne brûle même plus ma trachée.

Les ténèbres.

Voilà mon dernier arrêt en date. Le terminus, je suppose ? Enfin ... on ne touche jamais vraiment le fonds.

Mes démons ? A porté de main. Ils s'amusent avec moi. Il s'accrochent à moi, heureux de m'avoir retrouvé après trois longues années.

Malgré tout, ce concert m'a fait du bien, j'étais heureux de partager ce moment avec mes amis, et je suis soulagé qu'ils m'aient pardonné de mes erreurs, de les avoir laissé, abandonnés ces derniers mois.

Soudain, la sonnette retentit. Je me lève avec peine, l'alcool me montant déjà à la tête. J'approche, bouteille toujours en main. Qui pourrait me déranger à cette heure aussi tardive ? Pino. Il peut pas me foutre la paix, juste quelques heures.

J'ouvre la porte tout en lançant :

- Pino, il est une heure et demi du matin, fous-moi la paix.

En relevant la tête, je remarque Heather. Dans ses mains, un petit sachet rempli d'herbes légèrement violacés.

- T'as des feuilles ? Me demande-t-elle.

- Euh... Désolé, c'est George qui fume.

Toujours dans mon optique d'être seul, je soupire et referme la porte. Mais elle la bloque, je lève les yeux au ciel:

- Quoi, Heather ? Je ne fume pas, je n'ai pas de feuilles, putain.

- Hum... Dans ce cas, heureusement que j'en ai prévu, il faut se détendre. Sinon, j'ai de la cock, si tu préfères.

- Je ...

Elle me bouscule et entre. Elle se dirige directement dans le salon.

- Je ne te voyais pas si bordélique.

- C'est artistique, pas bordélique, fais-je remarquer.

- Oh, je vois, dit-elle en enlevant sa veste en cuir et la jetant sur le canapé.

Elle fait le tour de la pièce, regardant les bibelots et les photos.

- T'as pas un truc à boire ? lance-t-elle, regardant la bouteille que je tiens dans les mains.

Je la lui tends. Elle prends une longue gorgée puis la pose entre les cadavres des autres bouteilles disposés sur la table basse, puis, elle se fait un peu de place et entame la roulette de son joint. Elle semble très concentrée. Je me laisse tomber  sur le canapé, qu'est-ce que je peux faire d'autre de toute façon ? Elle s'est invité.

Quelques minutes plus tard, elle lance fièrement :

- Tadam ! Me montrant le joint parfaitement roulé. Tu veux l'allumer ?

- Je te l'ai dis, je ne fume pas.

Elle l'allume et me lance la fumée au visage.

- Ce n'est pas avec une latte que tu vas être déchiré, tu sais. Enfin ... - Elle réfléchit - Avec mes joints, j'en sais rien.

Elle me le tend à nouveau. Je cède, je le prends et fume quelques lattes et le lui redonne.

- Tu vois, ça destresse juste, me sourit-elle, les yeux vitreux. Et ça fera du bien à ta gencive dégommée par ce mec.

- Ouais... j'en sais rien. La drogue, j'aime pas vraiment ... la drogue est illégal et du coup, ce trafique là rejoins sûrement les autres.

- De quoi ? Demande-elle, intéressée.

- Je veux dire... Les différents trafiques d'organes, d'êtres humains, d'armes à feu, d'animaux, tout ça ...

Heather plante son regard dans le mien, elle paraît ailleurs, mais intéressée aussi. Est-ce qu'elle se payerait pas juste de ma tête ? Un bref instant plus tard, elle lance gaiement :

- Mais la mienne vient d'un pote qui cultive pour lui ! Donc, on peut fumer !

- Oh ...

Une fois le joint terminé, je me laisse aller dans le canapé. Heather se glisse dans mes bras, je passe mon bras par dessus ses épaules. Ses grands yeux bruns me dévore, sans la moindre hésitation. Je souris, mais cache rapidement ma bouche avec ma main.

- Pourquoi tu caches un si beau sourire ? Me demande-t-elle, tentant d'enlever ma main.

- Arrête, j'ai l'impression d'avoir mon sourire qui monte jusqu'à mes oreilles.

- Oh, es-tu heureux ?

Mon sourire disparaît aussitôt. Elle ajoute :

- En ce moment précisément.

- En ce moment ? répondé-je.

- Oui. Maintenant.

- Je suis défoncé en ce moment, bourré et défoncé ! Lâché-je en rigolant.

Heather me regarde plus intensément. Sa main se pose sur ma joue.

- Tu aimes la vie ? me demande-t-elle.

- Pourquoi cette question ?

- Parce que moi, je ne l'ai jamais aimé. Ou alors, elle ne m'a jamais aimé.

Ses yeux descendent sur moi, ses doigts frôlent le tissu de mon t-shirt.

- En tout cas, l'amour, ne signifie rien pour moi. Je ne sais pas ce que c'est, pas comme toi.

- Heather, tu ...

- Chut, dit-elle en me regardant avec ses grand yeux bruns.

Ma vie ressemble à un feu d'artifice mal étudié... Explosant aléatoirement, rempli de couleurs dépareillées... Son doigt circule avec douceur sur ma joue.

- Pourquoi pas oublier ensemble ? Me susurre-t-elle dans l'oreille.

Qui en est l'artificier ? Je le déteste ... Heather frôle mon cou avec son index. Je me surprends à frissonner.

- Heather ...

Maggie était mon rayon de soleil, mon âme-sœur, ma vie, mon tout, ma passion, ma meilleure amie.

Tout me manque: Sa douceur, ses grands yeux, son odeur de menthe poivrée, ses gestes tendres, ses mots réconfortants.

Mon âme-sœur. Mon amour. Ma lumière. Mon souffle. Mon univers... ma vie entière, jusqu'à ma mort. Jusqu'à notre mort.

À jamais. Jamais.

- On s'envoie en l'air, alors ? Me sors-t-elle de mes pensées en reprenant une certaine distance entre nous. Parce que si c'est le cas, on ne fera rien dans ce Bronx.

- Quoi ? Balancé-je, surpris .

- On s'envoie en l'air, oui ou non ?

- Je sais pas trop ... balbutié-je en détournant le regard.

- C'est pas comme si on ne l'avait jamais fait.

- Mais ça c'était avant que je rencontre Maggie.

- Et alors ? Tu n'es plus avec elle.

- Ça change rien, répliqué-je.

- Oui, ça change tout. Ça change que tu n'es pas obligé de culpabiliser par la suite. Tu ne la trompes pas, vu qu'elle veut plus de toi.

Ces mots me font mal car au final, c'est vrai.

Mais je bondis du canapé, si brusquement que Heather sursaute. Ma tête tourne avec toutes les substances absorbées mais je suis tellement dégoûté que je veux juste qu'elle sorte de chez nous. Chez moi.

- Fous le camp, Heather ! Hurlé-je. Disparais !

Elle reste immobile, un peu interloquée par mon soudain changement d'humeur.

- Non. Réplique-t-elle sarcastiquement.

Elle se lève à son tour et s'approche d'un pas lent. Elle tente de poser ses mains sur mon torse. Je recule pour lui échapper, trébuche sur des câbles qui traînent sur le sol et fous le pied sur mon ordinateur. Sous la pression, le clavier fait un craquement bizarre.

- Putain ! Il y avait toutes mes futures chansons dessus ! m'emporté-je.

- Oui, c'est ton futur, tandis que ça...

Elle se saisit d'une des toiles de Maggie et me regarde ironiquement :

- C'est le passé. Achève-t-elle en jetant son pied à travers l'oeuvre, la déchirant.

J'explose :

- Espèce de sale conne ! Hurlé-je en essayant de lui reprendre la toile.

Heather en profite pour se jeter sur moi et passer ses bras autour de mon cou. Elle tente de m'embrasser mais je la repousse encore une fois.

- Fous le camp ! m'égosillé-je.

- Non.

Elle enlève son haut, dévoilant ses sous-vêtements.

Il faut que je me casse. Maintenant. 

Je me dirige dans le corridor pour m'éloigner de cette folle mais Heather se précipite sur moi et m'envoie dans une commode, faisant tomber les cadres photos de Maggie et moi.

- J'ai envie de toi maintenant, Adam ! Susurre-t-elle.

Je tente de lui agripper le poignet pour la faire lâcher prise mais elle s'accroche à moi comme une sangsue.

- Heather, t'abuses ! Lâche-moi et laisse-moi tranquille !

- Je ne te laisse pas partir. S'il te plaît...Commence-t-elle à me supplier avec des yeux de chien battu.

- Je ne veux pas, pas dans ton état.

Heather se met à hurler :

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il a mon état ? Laisse-toi faire, et je me calme direct. Ajoute-t-elle d'un ton enjôleur.

- Tu as consommé quoi avant de venir ?

- Du LSD. Et alors ? Ça te dérange ?

Cette fois, je lui serre le poignet si fort qu'elle finit par me lâcher en grimaçant de douleur. Je recule de quelques pas pour m'éloigner d'elle.

- La drogue, ce n'est pas bien, Heather. Tenté-je de la raisonner.

- Et tu crois que l'alcool c'est mieux ? Crache-t-elle. C'est juste légal !

- Non, l'alcool à petite dose ça va.

- Parce que tu consomme à petite dose ? Réplique-t-elle en désignant les cadavres de bouteille éparpillées sur la table du salon.

- Je n'ai pas de leçon de morale à recevoir d'une toxicomane !

Heather hurle de rage et se jette à nouveau sur moi. Mais je l'attrape au vol par les épaules et l'envoie valdinguer contre la porte d'entrée.

- Pour la dernière fois : fous le camp de chez moi, Heather ! Avant que je n'appelle les flics !

- C'est moi qui vais les appeler, bébé.

- Ouais, ouais, c'est ça...

Heather m'envoie un baiser avant de sortir de la maison. La porte claque violemment derrière elle.

Je me précipite sur les cadres photos pour les replacer. Je fonce ensuite sur la toile pour évaluer les dégâts. Cette conne d'Heather ne s'était pas loupée ; l'oeuvre que Maggie avait pris tant de temps à peindre était détruite.

Je me sens vidé de toute mon énergie. Je ne comprends pas comment Heather a put changer de comportement si soudainement. Je reprends ma bouteille encore remplie et m'assois contre le mur, juste à côté de la toile déchirée.

Quelques minutes plus tard, j'entends la sonnette retentir. je soupire en me levant. Cette fois, c'est sûrement Pino qui vient me voir. J'en ai tellement besoin.

Mais quand j'approche de la porte d'entrée, j'entends de l'autre côté du battant une voix grave appeler :

- Monsieur Nolly ! C'est la police ! Ouvrez !

Je m'immobilise au milieu du couloir, sous le choc.

Cette pute d'Heather avait réellement appelé les flics.

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