Chap 3.1 : Vendredi 24 avril 2015
*******EMMA*******
- Emma, votre café ! La réunion commence dans dix minutes.
- Merci Ben.
Quand nous sommes seuls, Benjamin mon assistant m'appelle par mon prénom mais il me vouvoie toujours, quelles que soient les personnes en présence ou non. C'est un assistant hors pair. Efficacité, dévouement, discrétion et fiabilité sont les premiers mots qui me viendraient à l'esprit si on me demandait de le décrire. Je lui souris avant d'avaler une grande gorgée du liquide brûlant - prenant soin de ne pas m'échauder la langue, comme trop souvent - et priant pour que cela m'aide à garder les yeux ouverts à la réunion à laquelle je m'apprête à assister.
Je n'ai pas beaucoup dormi la nuit dernière. Après le départ d'Audric je suis restée éveillée une bonne partie de la nuit. J'avais pu résister tout le temps où mon cousin était là mais après son départ, je crois que je l'ai relu une bonne centaine de fois et que j'ai rédigé autant de réponses qui ne sont finalement jamais parties parce que je ne les trouvais pas assez ou trop. Pas assez quoi ? Trop quoi ? Je suis incapable de répondre.
Je ne savais pas trop quoi faire. J'ai été surprise dans un premier temps, heureuse aussi mais ensuite un profond malaise m'a étreint, j'aurais tellement voulu entendre ces mots dans d'autres circonstances. Non je ne remets pas - plus - en cause notre rapprochement post-bombe-atomique. Mais je crois sincèrement que lire cela avant aurait eu un autre impact. J'aurais aimé le vivre, vivre ma réaction d'avant... juste pour voir ce que ça fait et en même temps je m'en veux juste à l'idée d'avoir cette pensée. Le passé est le passé et on ne peut rien y changer. On apprend juste à dealer avec, le mieux possible.
J'ai envie de recommencer à vivre sans que tout passe par le filtre affreux de ma naissance. Je veux l'Emma d'avant, celle qui se fichait bien de savoir d'où elle venait, celle pour qui seul le présent et l'avenir comptaient.
Je vais continuer à prier pour me délester de ce passé, comme je l'ai amorcé avec mon grand frère. Je veux, non je vais me battre pour cela. La mort de mes parents a été un gros coup dur. J'en vis encore un autre deux ans plus tard. Ça ne sera peut-être pas le dernier mais je deviens plus forte à chaque fois. Et puis la prochaine fois, Henri sera là !
Mon cœur rate un battement, le vide se fait dans mes poumons, comme sous l'effet d'une chute dans le vide, des papillons virevoltent dans mon ventre, mon cœur repart au triple galop : L'effet Henri McEverty !
Oui il sera là, parce qu'il n'a pas fui devant mon passé, parce qu'il s'accroche. Cet homme incroyable et incroyablement beau me veut moi, en mettant de côté tout ce qui avait fait sa vie, ses goûts jusqu'alors. Moi avec toute ma complexité, moi si différente, moi qui n'avais imaginé ces scénarios qu'en rêve technicolor sur grand écran. Mais il est là mon conte de fées, il est là l'avenir plein d'espérance* que me réserve le Seigneur. Je n'ai pas le droit de laisser passer cette bénédiction.
Maintenant il faut que je me concentre. Je passe devant le bureau de Ben et avant même que je lui dise quoi que ce soit, il saisit mon mug.
- Je vous le rapporte dans deux minutes.
- Que ferais-je sans toi Ben ?
Il me gratifie d'un sourire et d'un clin d'œil avant de filer en salle de pause et moi de poursuivre en salle de réunion. A mon arrivée Davyn se signale en levant la main vers moi. Je ne risquais pourtant pas de le louper. C'est la réunion mensuelle pour faire le point sur les dossiers en cours et à venir et lui et moi collaborons toujours sur les mêmes, lui en tant que junior. Il est de plus en plus à l'aise et a fait très bonne impression en mon absence. Bon, il est encore loin de passer sénior et d'avoir son propre portefeuille de clients mais indéniablement il en sera capable d'ici peu. Davyn n'est pas non plus un jeune recruté sur les bancs estudiantins, il jouit déjà d'une solide expérience du monde des affaires, ce qui est un atout non négligeable. Juste avant le début de la réunion, Benjamin m'apporte mon mug que je prends avec soulagement, placebo à la fatigue qui m'enveloppe.
J'écoute distraitement ce qui se dit autour de la table, présente de corps mais pas vraiment d'esprit, ce dernier est loin et je suis incapable de le fixer sur le moment présent. La joie, la peur et la tristesse se disputent mon attention. J'oscille de l'un à l'autre sans vraiment arriver à me fixer. Tant mieux finalement, j'ai une chance ainsi de ne pas focaliser sur le mauvais, celui qui ne m'apportera rien. J'imagine que mon esprit a besoin de ça pour comprendre, maîtriser, classer et accepter les choses. Je vais lui donner ce temps, nous donner ce temps pour qu'aucune blessure résultante de cette période ne viennent assombrir mon avenir. Faire preuve de résilience.
Il avait été décidé - entre nous en début de semaine - que Davyn présenterait nos dossiers à l'équipe, ce qui me semble normal puisqu'il a mené la barque plus ou moins seul pendant mon absence. C'est sa première fois et je suis censée écouter pour en discuter plus tard avec lui, mais comment puis-je me concentrer sur la réunion quand mon esprit fertile et têtu vagabonde sans but ou alors lui seul le connaît.
La réunion prend fin et je souffle assez bruyamment de contentement ou de soulagement. Heureusement pour moi il ne restait plus que Davyn, Patrick et moi dans la salle de réunion. Je n'aurais pas aimé qu'un des associés soit présent et interprète mal la chose.
- Tout va bien Emma ? m'interroge Patrick.
- Oui, oui, ça va... j'ai hâte que la semaine se termine.
- Ton vœu sera bientôt exaucé précise Davyn, tout sourire. Plus qu'un après-midi.
- Oui. Je vais zapper le déjeuner pour en finir plus vite d'ailleurs.
- Je peux nous faire livrer des sushis pour qu'on bosse en mangeant si tu veux, je sais qu'on ne travaille pas sur les mêmes choses mais ça pourrait être sympa non ? On pourrait même débriefer pendant ce temps ?
- Je vois déjà Benjamin ce midi. Une prochaine fois d'accord ? Le débriefing on le fera à l'heure convenue, en début d'après-midi. Tu peux du coup prendre ton temps pour déjeuner en extérieur si tu veux.
- Non c'est bon. Je vais me faire livrer ici, cela ne me tente pas d'aller manger seul. Je vais en profiter pour faire mon auto critique d'avant débriefing.
- Bien. C'est fortement conseillé même.
- Ben moi je vous laisse, je déjeune en ville claironne Patrick avant de sortir de la salle de réunion.
Au vu de son sourire je ne peux m'empêcher de repenser à sa conversation ce matin-là quand il avait laissé la porte de son bureau ouverte. Est-ce cette personne qu'il s'apprêtait à rejoindre pour le déjeuner ?
«- Petite curieuse Emma. Cela ne te regarde pas. Tu as d'autres chats à fouetter non ?
- Pas faux ! »
Je m'apprête à lui emboîter le pas pour sortir à mon tour quand Davyn me retient par le bras. Instinctivement je me fige, pensant que si Henri voyait cette scène, il n'apprécierait pas du tout. Et moi non plus je n'apprécie pas ce contact en fait. Il le sent et me relâche aussitôt, s'excusant en même temps. J'apprécie. Il doit comprendre que c'est le genre de chose que je ne tolère pas... même si j'avais accepté un massage. Mais quelle idiote j'avais été sur le coup.
- Emma, je te sens un peu absente et nerveuse. Tu es sûre que tout va bien ?
- Davyn oui, je vais bien, comme j'ai dit tantôt, je suis juste fatiguée, la semaine a été longue et je n'ai qu'une envie c'est de rentrer chez moi, me servir un verre de vin, un bon livre et m'immerger dans un bain relaxant !
- Wouah ! Beau programme.
- Mais en attendant ce beau programme, je dois encore finir cette journée et nous nous voyons pour le débriefing après le déjeuner. 14h te semble correct ?
- C'est parfait pour moi.
- Alors à tantôt.
C'est dans mon bureau que Benjamin et moi déjeunons, profitant pour établir l'agenda de la semaine à venir et finaliser les encours de celle-ci, histoire de finir plus vite cette journée. On trouve rarement du monde au cabinet après 17h le vendredi.
Henri n'a que très rarement quitté mon esprit. J'imagine qu'il attend un signe de ma part. Normal. Je ne peux pas le laisser sans réponse, ça n'est pas correct. Si j'étais à sa place je serais hyper mal et probablement frustrée de n'avoir aucune réaction à un message comme celui-ci. Et là, concrètement je meurs d'envie de le voir.
Une fois l'agenda bouclé et le déjeuner terminé, Benjamin quitte mon bureau me laissant en proie aux affres de l'incertitude malgré mes résolutions, sur ce que je vais bien pouvoir répondre. Allez, un message tout de suite, un appel ce soir. Je commence à le rédiger. Je l'efface, pas assez pertinent. J'en recommence un autre. Mes doigts restent suspendus au-dessus de l'écran, les mots ne viennent pas. Mon pouce droit trouve la touche retour arrière. Et puis non, je vais l'appeler sans passer par la case message. Je peux au moins faire cela, c'est la moindre des choses après tout ce que je lui fais subir ces derniers temps. Au bout de la deuxième sonnerie, il décroche.
- Bon... bonjour Henri.
- Emma ? Est-ce que tout va bien ?
D'abord surprise par sa question, je me reprends assez vite.
- Oui, oui ça va. Je... je voulais savoir si on pouvait se voir ce soir ?
- Tu veux qu'on se voie ? Ce soir ?
Il a l'air surpris. Bizarre. Il ne pensait quand même pas que j'allais rester silencieuse après ce message. Si ? Bon pour sa défense, il faut dire que je ne lui ai pas rendu les choses faciles, du coup il ne sait plus trop quoi penser.
- Oui. Tu pourrais passer chez moi après le boulot, enfin je veux dire si tu es d'accord avec ça. Ce soir ça serait bien. Je... Nous pourrions souper ensemble si tu n'as rien d'autre de prévu.
- Je n'ai rien de prévu et même si c'était le cas je... Emma, je serais très heureux de dîner avec toi ce soir.
- Ok. Alors je te dis à tantôt.
Je souffle bruyamment en raccrochant, soulagée que l'épreuve soit terminée. J'ai le cœur qui bat à tout rompre. Je ne sais pas pourquoi je suis aussi nerveuse, ce n'est qu'Henri après tout. Henri que je connais. Je n'avais pas eu l'intention de l'inviter à souper en composant son numéro mais cela m'est apparu comme la chose à faire, une évidence ! Tout cela a pour effet de libérer mon esprit assez pour que je me concentre le reste de l'après-midi pour terminer au plus vite et avoir le temps de faire mon épicerie.
Il est finalement 17h quand je quitte mon bureau. Le temps de faire un saut au supermarché et je rentre chez moi me mettre aux fourneaux. Je prévois quelque chose de simple, une bonne salade fraîcheur composée, du pain frais et une côte de bœuf que je prévois de faire au barbecue.
De retour à mon appartement, je prends le temps de prendre une douche rapide, mon bain relaxant, mon verre de vin et mon livre sont bien loin, mais je ne regrette pas ce sacrifice pour un souper avec Henri.
J'opte ensuite pour une simple robe en cotonnade blanche à petites manches et taille empire. Je relève mes locks en haut de mon crâne de façon à dégager entièrement ma nuque. Je chausse des claquettes blanches elles aussi, un peu de gloss et je suis prête à accueillir mon invité. Mon mari même. Je suis soudainement prise de vertige et m'agrippe au chambranle de la porte pour ne pas m'étaler. Mon mari. C'est tellement bizarre.
Décidément je n'aurai jamais rien fait comme tout le monde.
*******
18h45. Il est temps de passer en cuisine. Je mets une compilation de Coldplay, allume les deux lampes sur pieds du salon et sors les verres à vin. C'est sur les premières notes de The Scientist que je me sers un verre de vin rouge avant de glisser sur moi mon tablier, tout en me faisant la promesse de l'enlever avant d'ouvrir à Henri.
Je sors les ingrédients pour ma salade : mélange de jeunes pousses gourmands, de la roquette, radis, oignons bottes, tomates cerises, champignons de Paris, et trois fromages différents : Fêta, Edam et Mimolette. Voilà encore une des choses que j'apprécie en Europe, la variété impressionnante de fromages. Je coupe ce qui doit l'être et installe le tout dans un grand bol à salade en bois. Je commence par la salade, les fines rondelles d'oignons, les champignons avant de terminer par les radis et les tomates cerises. Je parsème de dés de fromages. Je sors la côte de bœuf que je mets sur un plat avant d'y mettre des pincées de fleurs de sel et du poivre de Sichuan et de réserver le tout au réfrigérateur en couvrant de saran wrap**.
La sonnerie retentit juste quand je termine de mettre la table. Mes pulsations cardiaques accélèrent dangereusement et je porte instinctivement ma main à ma poitrine m'exhortant ainsi à recouvrer un rythme plus lent.
« Emma, c'est qu'Henri. Calme ! »
J'ouvre la porte de l'immeuble sans même parler et me poste devant l'entrée, porte ouverte attendant qu'il sorte de l'ascenseur. Je veux lui faire un meilleur accueil que ce à quoi il a eu droit ces derniers temps. Lui prouver que je suis vraiment heureuse de l'avoir à souper ce soir.
Le ding de l'ascenseur me signale son arrivée. Je respire lentement. Il avance vers moi, un sourire timide étire ses lèvres, ses yeux sont doux et me fixent intensément. Il a un énorme bouquet dans la main. Il porte un jean stone, un polo bleu comme ses yeux, col V et à manches longues sur une chemise blanche. Son cardigan bleu marine est sur son avant-bras. Il a dû profiter de la montée pour l'enlever. Son sourire timide se fait moins discret quand il porte le regard sur ma poitrine.
Zut j'ai oublié d'enlever mon tablier.
- Je confirme mais demande à l'expérimenter tout de même. Je ne sais pas tout.
Un clin d'œil et je rougis furieusement devant l'allusion que je ne sais pourtant même pas dans quelle catégorie ranger.
- Bonsoir.
Il me fait la bise, son parfum me chatouille agréablement les narines déclenchant l'envol d'une myriade de papillons dans mon ventre. Il me tend le magnifique bouquet de fleurs.
- Bonsoir Henri. Merci c'est très gentil. Il est magnifique ce bouquet.
Je le lui prends des mains et l'invite à entrer et à suspendre son manteau au perroquet.
- Alors comme ça, tu es une femme parfaite ? J'ai hâte que tu me prouves cela.
- C'est de l'humour hein. Un cadeau de mon cher cousin.
- Oh, fait-il mine d'être déçu.
- Ehh fait semblant au moins lui dis-je en le tapant, libérant une main de l'énorme bouquet.
- A l'instar d'une certaine femme, presque parfaite, je ne mens pas !
Je lève les yeux au ciel pour lui faire comprendre que je ne suis pas dupe.
- Je vais mettre les fleurs dans un vase. Je te sers quoi ? Scotch, bière, vin, autre chose ?
- Comme toi.
- Vin rouge alors. Je te ramène ça. Mets-toi à l'aise, je reviens.
- Tu... es très en beauté ce soir.
Je sursaute en entendant Henri derrière moi.
- Désolé, je ne voulais pas te faire peur.
- Non ça va, je te croyais resté au salon, je ne m'y attendais pas c'est tout.
- Je voulais me rendre utile...
- Tout est quasi prêt. J'ai prévu un barbecue ce soir.
- Un barbecue ?
- Oui une côte de bœuf. J'ai un barbecue à gaz, donc ça va vite et surtout pas besoin de s'emboucaner pour l'allumer.
- Je m'en occuperai si tu veux bien.
- Ça me va souriais-je, sincèrement heureuse de sa présence.
La tête légèrement penchée, la mèche tombante, il me sourit en retour laissant apparaître sa petite fossette à la joue gauche. La fameuse. C'est bien qu'il demande à s'occuper du barbecue non ? Je trouve en tout cas, ça veut dire qu'il se sent assez à l'aise pour le faire. Je m'en réjouis. Je déteste cette réserve qui s'est installée entre nous et oui je sais que j'en suis responsable.
- Je vais devoir emprunter ton tablier du coup.
- Tu as peur de te salir ?
- Non. C'est juste histoire d'être une femme parfaite moi aussi.
Moqueur le bonhomme ? A peine.
Je sens que cette histoire de tablier va faire les choux gras à l'avenir. Son rire joyeux cascade en moi et m'accompagne au salon où j'ai prévu d'installer mon magnifique bouquet. Je mets les fleurs dans le plus grand vase que je possède et Henri me le prend des mains pour le poser sur la console en bout de canapé. Un magnifique bouquet de roses roses, et des blanches qui entourent quelques branches de pivoines, judicieusement disposées au centre. Le rendu est vraiment de toute beauté. Je chercherai plus tard la signification de ces fleurs car je suis certaine qu'il y en a une. Je vois bien Henri utiliser les fleurs comme langage. Je trouve ça un tantinet désuet et j'adore. Ma fibre romantique vibre d'émotion.
Après un petit passage à la cuisine pour enlever mon tablier noir avec l'inscription blanche et rose « La femme parfaite » m'ayant valu les quolibets d'Henri, je reviens dans la salle à manger avec un plateau contenant la salade, la côte de bœuf, la panière de pain, la vinaigrette et le vin que nous avons déjà entamé. Mon invité se tient debout devant ma bibliothèque un CD à la main.
- Tu as un goût musical très sûr.
- Le tien est pas mal non plus répondis-je sincèrement.
Il se retourne avant de se précipiter vers moi pour me prendre le plateau des mains.
- Attends, laisse-moi t'aider.
- Merci. Tu peux déposer le plateau sur la desserte juste là.
Son regard revient sur moi et un sourire taquin, étire ses lèvres et fait briller ses yeux.
- Pourquoi t'en être débarrassé ?
- Je ne m'en suis pas débarrassé comme tu dis, je l'ai juste enlevé puisque j'en ai plus l'utilité. Et arrête ça tout de suite !
- Quoi ? Fait-il, haussant les épaules pour montrer son étonnement ?
- Ne fait pas l'innocent tu veux ? Je vois bien que tu te moques.
- Non c'est faux. Je ne me moque pas, je m'en amuse. Ce n'est pas pareil.
Pour toute réponse, devant son manque flagrant d'empathie, je lui lance le torchon posé sur mon épaule, qu'il attrape sans peine dans un grand éclat de rire.
*******
Une fois la côte cuite, nous nous installons pour manger. L'ambiance est détendue. Je n'ai pas encore trouvé le courage de lui parler de son message mais je savoure le délicieux moment que nous passons ensemble.
Après le dessert - une tarte aux pommes - on s'installe sur le canapé. La gêne du début a disparu et je nous retrouve presque comme avant tout cette histoire.
- Je n'ai pas eu le temps de préparer le dessert moi-même.
- Ce n'est pas grave, il est très bon.
- La prochaine fois je te promets de le faire moi-même.
- Il y aura donc une prochaine fois ?
- Je... tu ne veux pas ?
- J'en serais très heureux et sache que je n'ai aucun doute sur tes talents de pâtissière, tes talents en général d'ailleurs.
- Merci Monsieur McEverty pour ce vote de confiance.
Je fais une légère courbette, autant que me le permet la position assise, lui arrachant un sourire, ses yeux brillants d'amour ? J'aime ce regard qu'il porte sur moi.
- Tu es très en beauté ce soir.
- Tu me l'as déjà dit...
- Je voulais être sûr que tu avais bien entendu.
Je lui souris, sentant une légère chaleur sur mes joues et d'un coup je trouve assez de courage pour m'autoriser à lui poser la question de son message.
- Henri... à propos de ton message d'hier...
- Hier ?
- Ben oui hier... tu... tu sais celui où tu disais m'aimer ?
- Pardon ?
Son air surpris me déstabilise un instant et je ne sais pas s'il convient de continuer ou de m'arrêter là. Me serais-je trompée d'expéditeur ? Bien sûr que non. Je suis certaine que ce message venait de lui. Mais il n'a pas l'air de plaisanter, on dirait qu'il ne sait pas du tout de quoi je parle.
- Tu m'as bien envoyé un message hier soir ? Tu... tu ne t'en souviens pas ?
- Non je suis certain de ne pas t'avoir envoyé de message hier soir. Je m'en serais souvenu quand même. Le dernier message date de dimanche dernier. Je ne comprends pas...
Son ton plein d'assurance me fait douter...Il n'est pas en train de se moquer de moi. Je n'ai pas rêvé ce message quand même ?
Il sort son portable de la poche arrière de son jean et le déverrouille avant d'afficher la conversation entre nous. Je le vois blêmir avant de lever les yeux vers moi.
- Je... je ne comprends pas, je n'ai pas tapé ce message, je... Je n'ai aucune raison de m'en cacher si je l'avais dit parce que - il s'arrête net - Edward !
- Quoi Edward ?
- Je crois que c'est lui qui a envoyé ce message.
- Pourquoi Edward m'aurait envoyé ce message ? Attends, je ne comprends pas.
Je suis un peu perdue et déçue il faut bien le dire. Je me sens bête sur le coup mais comment imaginer que quelqu'un d'autre pourrait m'envoyer un message du portable d'Henri et surtout CE message !!
- Hier soir il était chez moi et nous avons bien sûr parlé de toi. Je lui confiais que j'étais un peu perdu, sans nouvelle de toi, que tu... que je ne savais pas quoi faire et il m'a dit que je devais marquer le coup, être plus agressif dans mon approche et je crois qu'il a trouvé ce moyen pour cela.
- Oh, fis-je peinant à masquer ma déception. Je croyais que le message était de toi.
- Emma... je ne l'ai peut-être pas dit cette fois, mais c'est pourtant ce que je pense.
- ...
- Et je te l'ai déjà dit aussi...
Je le regarde, arquant un sourcil, surprise par sa déclaration et me demandant surtout, quand avait-il pu me le dire et sans que je m'en souvienne.
- Le mercredi où je suis venu pour t'inviter à déjeuner, le jour de ton cauchemar, tu t'en souviens ?
- Oui...
Et comment que je m'en souviens. Cela aurait presque pu se transformer en drame. Henri m'avait surprise en train de me faire masser les épaules par Davyn, mon collègue. Je ne risque pas d'oublier son regard rempli de déception et de colère.
- Je t'ai dit une phrase en gaélique : Tha gaol aga mort, Mo chridhe. Je t'avais aussi dit que je te dirais à ton retour de Cornwall ce que ça veut dire. Quand tu serais de retour dans mes bras. Cela a pris un peu plus de temps que je l'avais imaginé mais tu es là maintenant et....
Il s'arrête et me regarde intensément, ce regard qui fait instantanément bouillir mon sang dans mes veines.
- Et ?
- Ça veut dire : Je t'aime, mon cœur.
- Oh ! Alors Mo chridhe c'est mon cœur ?
- Oui.
Je hoche la tête d'assentiment, mon cœur vibrant d'amour pour cet homme. Je voudrais lui crier que moi aussi je l'aime mais quelque chose me retient.
- Excuse-moi... je... je... je ne sais pas quoi dire Henri.
- Que tu partages mes sentiments peut-être ? Ça serait un bon début ? Enfin si c'est le cas bien sûr et je ne crois pas me tromper en disant que c'est justement le cas.
Je m'approche de lui, émue au possible par ses mots. Je prends son visage en coupe et plonge mon regard dans ses prunelles bleues où j'ai envie de plonger toute entière. Moi aussi je l'aime mais je n'arrête pas de lutter contre ça depuis que je sais... J'ai peur comme jamais j'ai eu peur de ma vie.
- Henri, tu n'imagines pas à quel point je suis heureuse d'entendre ces mots. Je... j'aurais adoré les entendre avant tout ça...
- ...Tout quoi ?
Je le lâche, pour m'adosser à nouveau au canapé, incapable d'affronter son regard en évoquant le sujet.
- Tu sais bien... la lettre, mon secret...
- Emma je me moque de cette lettre, je me moque de ta naissance, je te veux toi et ce que tu es, le reste n'a aucune importance.
Je le regarde en souriant tristement. La fougue qu'il met dans ses propos est rassurante mais moi je sais qu'il ne sait pas tout et que ce tout pourrait changer la donne.
- Tu ne peux pas dire ça, Henri. Qu'est-ce que ta famille va penser de moi quand ils sauront ? Quand ils sauront toute l'histoire. Je ne veux pas que tu défies ton père en te mettant avec moi, je ne veux pas que...
- Tu crois que mes sentiments pour toi sont pour défier mon père Emma ? C'est réellement ce que tu crois ?
- Non... ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, je me suis mal exprimée. Je... - baissant la tête - Je sais que tes sentiments sont sincères mais j'ai peur de te décevoir, de ne pas être la personne que tu attends que je sois... de ne pas être la femme que tes parents espèrent pour toi... J'ai peur de m'attacher à toi et de voir mon rêve s'effondrer.
- ...Tu es exactement la personne que j'attendais, la personne que j'espérais sans même le savoir et rien de ce que tu pourrais dire maintenant ne pourra y changer quelque chose. Je me moque de qui sont tes parents biologiques. Je ne te reconnais qu'un seul père, qu'une seule mère, Richard et Gayle et si je dois avoir un regret c'est celui de ne pas avoir eu la chance de les connaître et de les remercier d'avoir une fille aussi, vive, drôle, belle, intelligente, qui me rend parfois fou en ne voyant pas - naïve comme elle est - le désir qu'elle provoque chez les hommes. Emma tu es celle, que je ne savais pas que j'attendais !
(*) Fait référence au verset Jeremy 29.11 : « Car les projets que j'ai pour vous, ce sont des projets de paix et non de malheur, afin de vous assurer un avenir plein d'espérance. »
(**) Saran wrap : film plastique alimentaire au Québec.
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