Chapitre 2 - Léonard
J'ai le réflexe de rattraper cette femme juste avant qu'elle n'atteigne le sol. Je serre son corps si frêle contre le mien. Son souffle est erratique, ses joues roses. Je passe le dos de ma main contre son front et constate la chaleur qui s'en dégage.
Je la soulève et monte sur le ponton. Je ne fais pas attention aux marins qui ont un regard furieux, nul doute que Stéphane a fait de son nez. Je réglerais cela plus tard. Ma priorité, c'est cette femme. Peu importe qu'elle soit une servante ou non, en ma présence, aucun homme ne lui manquera de respect !
Je me dirige d'un pas pressé vers ma cabine. Premièrement, je dois isoler cette inconnue, ensuite, m'enquérir de son état de santé.
—Mon frère, vous voilà !
Antoinette vient vers moi, un doux sourire sur le visage, mais celui-ci s'efface lorsqu'elle remarque mon paquet.
—Oh, Seigneur !
—Ouvrez la porte de ma cabine, je vous prie, Antoinette.
Sans un mot, elle fait ce que je lui demande. Je pénètre la petite pièce et allonge la jeune femme sur les draps.
—Qui est-ce ?
—Je l'ignore. Restez près d'elle, je vais demander au médecin de l'occulter.
Elle opine et je me dépêche d'aller à la recherche du médecin à bord. Il y en a toujours un qui fait partie de l'équipage lorsque je pars en voyage. Une sécurité.
En chemin, je croise le capitaine qui vient vers moi. Il incline la tête et me regarde ensuite droit dans les yeux.
—Sir, j'ai appris par mes marins qu'une clandestine était parmi nous.
—Effectivement. Le tenez-vous de Stéphane ?
—Oui.
—Vous a-t-il précisé ce qu'il voulait faire de cette demoiselle ?
—Sir..., tente le capitaine. Ce sont des hommes en mer, il ne faut pas...
—Il suffit ! Sous ma supervision, je ne tolérerais jamais qu'on ait de tels agissements.
—Bien sûr, Sir. Mais si vous me permettez, il faudrait la jeter à fond de cale...
—Non. Elle aura tout le respect qui lui est dû.
—Mais... c'est une servante !
—Sous ma protection, désormais.
—Il en sera fait selon vos ordres, mais permettez-moi d'insister sur un fait : vous devez vous occuper d'elle, ce sera votre rôle. Vous en êtes responsable. Et je ne peux lui fournir de cabine, je n'en ai pas de libre.
—Elle dormira dans celle d'Antoinette.
—Comme il vous conviendra. Je ne pourrai pas assurer sa sécurité sur le bateau face aux marins, j'insiste sur le fait que ce sera à vous de veiller sur cette femme.
—Qu'il en soit ainsi.
Il incline à nouveau la tête et je m'en vais dépêtrer le médecin.
Quelques minutes plus tard, je retourne à la cabine avec l'homme en question. Il ausculte la jeune femme qui lentement revient à elle. Son regard s'écarquille, je peux aisément voir une très grande frayeur habiter ses pupilles. Je ne dis rien, reste à l'écart, tandis que ma sœur tente de l'apaiser le plus possible par des mots rassurants et sa douceur.
Le médecin se relève et me rejoint.
—Je pense à une anémie. Elle semble très épuisée, elle est d'une pâleur extrême, elle paraît très faible et un peu trop maigre. Un vertige suivi d'une perte de connaissance est très alarmant. Je ne serais pas étonné qu'elle ait des maux de tête.
—Que précautionnez-vous ?
—Du repos. Beaucoup de repos. Elle doit reprendre des forces et manger. L'anémie n'est pas seulement due à la fatigue, il survient aussi par un manque de nourriture, Sir. Et vu son ossature...
—Merci, docteur.
—N'hésitez pas à m'appeler, si vous avez encore besoin de mes services.
Il incline la tête et, sa grosse sacoche sous le bras, quitte la cabine.
Antoinette me rejoint tandis que l'inconnue essaie de se redresser tout en gardant une main sur sa poitrine pour éviter de la dévoiler.
—Alors ?
—Il faut la changer de cabine.
—J'ignore si elle pourra marcher, Léonard. Elle semble vraiment être à bout de force.
—Je vais lui faire apporter de la nourriture. Elle a besoin de se restaurer.
Je quitte la cabine et part en direction des cuisines. Je rassemble sur un plateau un bol de potage, du pain, du beurre, du fromage et des fruits. Il faut à tout prix que cette femme, dont j'ignore toujours le prénom et reprenne des forces. Je m'assurerais qu'elle mange à sa faim tout au long de la journée et qu'elle se repose. Il n'y a que comme cela qu'elle ira mieux.
Je retourne dans ma cabine et constate qu'Antoinette a aidé notre invitée surprise à se redresser. En relevant les yeux vers moi, cette dernière me fixe avec frayeur. Je lui offre un pour l'apaiser, mais cela ne semble pas fonctionner. Elle tente de se reculer, mais je pose le plateau sur ses jambes couvertes du drap.
—Tenez, cela vous fera du bien.
Elle garde le silence. Elle porte son regard sur la nourriture, puis à nouveau sur moi, puis encore, vers le plateau.
—Mangez. Après, nous vous aiderons à gagner la cabine d'Antoinette où vous y séjournerez durant la traversée.
Je m'incline et m'efface, percevant sa peur. C'est moi qui l'a crée. Cette femme se méfie de moi, me craint. Car je suis un homme. Elle semble s'apaiser à côté d'Antoinette. Je préfère donc laisser faire ma sœur, même si je meurs d'envie de parler à cette inconnue, savoir qui est-elle, d'où elle vient et surtout, pourquoi a-t-elle tenté de trouver refuge sur mon navire.
***
Penché sur la carte, j'observe les points où j'ai fait une croix. Les eaux sont calmes, si cela continue, la traversée jusqu'en Irlande se fera sans accro et on pourrait même gagner une journée. Mes lèvres s'étirent. Je suis impatient de revoir mon ami. Il ne s'attend pas à ma surprise ni à la cargaison que j'apporte.
Je me redresse, me sers du vin dans un verre, fais danser le liquide avant d'avaler une lampée. Je ferme les yeux sous la saveur qui ravit mes papilles et coule dans ma gorge.
Un regard vers le hublot m'affirme que le jour a décliné. Le soleil s'est couché pour laisser place à la nuit.
Un discret coup est donné contre la porte qui s'ouvre. Je souris à ma sœur.
Antoinette ne voyage pas tout le temps avec moi, sauf quand elle émet le souhait. C'est le cas cette fois. J'aime qu'elle vienne découvrir les contrées en ma compagnie. Elle apporte toujours ce vent frais qui me revigore.
Ses cheveux noirs entourent son visage angélique, mais son petit sourire est crispé. Je retiens un soupir, je sens que ce qu'elle va m'annoncer ne me plaira pas.
Elle s'avance, la longue chemise de nuit dansant autour de ses chevilles. Elle resserre son châle posé sur ses épaules.
—Comment cela se passe, avec notre invitée ? lui demandé-je.
—Elle s'est un peu nourrie, mais pas beaucoup. C'est comme si...
—Elle n'avait pas mangé depuis des jours...
—Oui. Tu l'avais donc deviné...
—Son estomac doit se réhabituer. Elle t'a dit quelque chose ?
—Pas vraiment, mais elle me laisse l'approcher. Du coup, c'est moi qui ai fait la conversation.
—Pipelette comme vous l'êtes, ma chère sœur, je suis certain qu'elle a quand même passé un agréable moment.
—Je l'ai aidé à prendre un bain ! Il fallait que se délasse dans l'eau et puis, le devant de sa robe de servante a été déchiré, semble-t-il.
—L'un des marins qui a eu un peu trop de lestes. Je l'ai remis à sa place.
—Je lui ai donné une de mes chemises pour la nuit. N'a-t-elle rien d'autre comme bagage ?
—Non, j'ai fouillé la cale de fond en comble là où on la trouvé. Je pense qu'elle est montée à bord sans rien de plus de ce qu'elle n'a sur elle.
—Mon Dieu... Mais que fuyait-elle...
—Cela aussi, je l'ignore. Garde-la près de toi, s'il te plaît. Le mot tourne entre les marins sur le fait qu'une clandestine est montée à bord...
—Une clandestine ? Voyons, que de sobriquets, ces marins ! C'est ma Dame de compagnie ! Je me sens parfois si seule durant ces longues traversées...
Elle agite son éventail devant elle et me fixe en clignant des paupières. J'éclate de rire. Antoinette m'épatera toujours !
Cependant, elle regagne son sérieux.
—J'ai fait revenir le médecin, après le bain.
—Pourquoi donc ?
—Elle était blessée aux pieds. Elle n'avait pas de chaussures !
—C'est ce que j'avais cru remarquer.
—Ce n'est pas tout.
—Allez-y, ma chère sœur, parlez !
—Elle a des traces sur son dos, ses fesses et l'arrière de ses cuisses. Sa peau est rouge en plus de certaines lignes plus pourpres. Cette servante a été battue, mon frère.
—Comme si on l'avait fouetté avec un objet..., murmuré-je.
—Un fin bâton, très certainement. Je n'ai pas pu retenir un cri de douleur pour elle quand j'ai vu ça. Elle a voulu se cacher. Sa lèvre inférieure et tout son corps tremblaient ! Mais j'ai quand même réussi à l'apaiser un peu.
—Elle dort ?
—Pas encore, mais j'ai pu faire installer un second lit dans ma cabine où elle pourra se reposer autant qu'elle le désire.
—Parfait. Donnez-moi quelques minutes, j'aimerais m'entretenir avec elle.
Antoinette hoche la tête. Je délaisse la cabine qui me sert de bureau et me dirige vers celle d'Antoinette. Je frappe un petit coup pour manifester ma présence et éviter qu'elle ne s'effraie plus qu'elle ne l'est déjà. Je repousse la porte pour qu'elle m'aperçoive. Elle est assise sur le lit et coiffe ses cheveux bruns. Elle a meilleure mine. Manger, dormir un peu et s'être lavée lui a visiblement fait un peu de bien. Elle porte l'une des chemises de nuit blanches à langues manches de ma sœur. Cette vue me donne la sensation qu'elle est encore plus vulnérable. Et elle est si belle ! Même avec cette tristesse et cette peur dans les yeux.
Lentement, je m'approche. Elle se crispe.
—Bonsoir. Vous sentez-vous un peu mieux ?
Elle opine, sans prononcer le moindre mot.
—Je ne me suis pas présenté un peu plus tôt et je m'en excuse. Léonard, Duc de Vallois, fais-je en me courbant légèrement vers elle.
Ses mains s'entortillent l'une dans l'autre. Elle semble encore plus tendue. Par mon titre ou ma présence ? Les deux peut-être ?
—Je peux ? demandé-je en désignant une place près d'elle.
Elle y jette un regard, se recroqueville un peu plus sur elle-même et se recule légèrement, alors qu'il n'y a pas lieu de le faire. Je m'assieds au bord du lit.
—Vous êtes mon invitée sur ce navire. Vous n'avez rien à craindre. Plus un marin ne s'approchera de vous. Vous êtes sous ma protection.
Elle me dévisage, je lui souris pour la rassurer.
—Je peux savoir votre nom ?
Elle se mordille la lèvre inférieure en fuyant mon regard, puis, dans un souffle, elle dit :
—Constance.
Ma main se pose sur les siennes, nichée l'une dans l'autre. Elle sursaute et me fixe à nouveau.
—Vous n'avez plus à craindre quoi que ce soit, Constance. Vous êtes en sécurité.
—Non... je ne le suis pas...
Ces quelques mots sont à peine chuchotés, mais je les entends. Je m'agenouille face à elle, encercle ses doigts des miens comme dans un étau et les embrasses. Constance retient sa respiration quelques secondes. Ce toucher semble la désarçonner.
—Sur mon honneur, je puis vous assurer que vous l'êtes.
***********
Coucou mes chatons ♥
Chapitre débloqué sur Fyctia, alors je vous offre le suivant. Ici, nous avons le point de vue de Léonard. Peut-on lui faire confiance? Mystère...
Des bisous ♥
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