22. Vaincre
C'était le silence le plus complet. Il n'y avait que le « bip » sonore de l'électro-cardiogramme qui s'émettait de temps en temps, m'assurant que le nouveau cœur d'Eren battait de façon régulière.
En effet, mon amant était sorti du bloc opératoire deux jours auparavant. On avait enfin trouvé un donneur compatible, mais ce ne fut pas sans vivre de fortes émotions. Peu de temps après avoir appris la nouvelle, les médias s'étaient emparés de cette tragédie afin que tous puissent la connaître et satisfaire leur dose de drame de la journée. Ils disaient que c'était « une histoire touchante et dramatique », bien qu'« émouvante et poignante ». Puisque les journalistes, avides de découvrir la vérité à propos de l'état de santé de mon amant, désiraient plus que tout venir troubler notre paix et nous harceler sans cesse, des gardes de sécurité devaient veiller à ce qu'aucune caméra n'entre dans la chambre d'Eren. Il n'était pas rare, à la sortie de l'hôpital, que les Jaeger ou moi-même étions apostrophés par les médias inquiets et impatients. C'était encore plus douloureux leur expliquer que de le vivre, car nous revivons sans arrêt la même tragédie et nous pesions le poids du malheur qui s'abattait sur nous. Il n'y avait pas un seul instant où nous pouvions souffler en paix : le reportage le plus diffusé était le nôtre. C'était pourquoi la télévision de la chambre d'hôpital était toujours éteinte. Il était curieux de constater à quel point nous pouvions devenir populaires grâce à nos malheurs et non pour les jolis accomplissements que nous pouvions réaliser professionnellement ou personnellement.
Enfin, en ce doux matin de silence, j'étais aux côtés de mon amour en attendant qu'il se réveille. Son organisme avait bien réagit à la présence du nouvel organe et le corps d'Eren avait parfaitement intégré ce changement drastique. L'opération avait été un succès, sans complications, et comme l'état de mon amoureux s'améliorait de plus en plus, les médecins avaient pris la décision de l'émerger tranquillement de son coma. Sous peu, Eren allait retrouver ses esprits et apprendre tout ce qui s'était passé durant les précédentes semaines.
Pendant son sommeil, je tentais de trouver une façon de lui annoncer la mauvaise nouvelle. Comment allait-il réagir? Devais-je attendre que la poussière retombe avant de lui avouer ce qui s'était passé? Quels mots devais-je employer pour alléger le drame de ce fardeau? Comment Eren allait-il réagir?
J'étais si inquiet que j'avais de la difficulté à sortir de mes pensées. C'était rendu que je ne pensais plus qu'à ce malheur. Eren, à cet instant, devenait très important pour moi : tenir sa main chaude me permettait de rester connecté à la réalité et de demeurer dans le présent.
Non, je me dois pas m'en faire pour le passé ni me soucier du futur : je ne peux que vivre, impuissant, le moment présent. Je dois profiter de ces jours tampons où je peux prendre le temps de savourer le calme et le silence. Ce sont les seuls instants où j'ai le pouvoir de prendre une petite pause avant la tempête ; je suis dans l'œil du cyclone.
Alors que je somnolais tout en serrant la main d'Eren, j'entendis un bruit plus fort que les autres. Je sursautai tout en ouvrant mes yeux, cherchant la source de ce qui m'avait éveillé. Lorsque mes yeux se posèrent sur mon amour, celui-ci fronça des sourcils et il tourna légèrement sa tête sur le côté. Je me redressai, le cœur rempli de joie, et j'encourageai doucement mon amant à revenir à lui tout en caressant tranquillement sa main. Je contenais ma joie afin de rester calme ; Eren était toujours fragile. Cependant, je ne pus contrôler un sourire euphorique d'apparaître sur mon visage alors que je regardais mon amoureux se battre afin de soulever ses paupières. Je posai avec délicatesse ma main sur sa joue alors que ses magnifiques yeux émeraude se révélèrent à la douce lumière du matin. Ma vision se brouilla d'eau.
- E... Eren... fis-je avec difficulté, la gorge nouée par l'émotion intense.
Mon amant n'arriva pas à faire de son, souffrant légèrement. Alors que je caressais son visage tranquillement, quelques larmes de joie m'échappèrent, tachant la peau foncée de mon amoureux. Celui-ci ouvrait la bouche pour parler, mais aucun bruit ne se faisait entendre à cause de la présence du masque à oxygène. Sans penser à mes actions, je retirai cet objet encombrant afin d'embrasser doucement les lèvres agréables d'Eren. Il ne put pas répondre, mais je sentais, de par ses tremblements, qu'il était heureux de me revoir. Rapidement, je me dégageai et je remis le masque à oxygène à sa place. Faiblement, le brunet leva sa main afin de venir chasser mes larmes. Je serrai sa paume chaude contre mon visage.
- Oh, Eren, ne me fais plus peur ainsi... J-Je croyais te perdre à tout jamais... bredouillai-je avant de sangloter.
- L-L-Le... v-vi...
- Eren, oh, Eren...
Tout ce que je pouvais faire, à cet instant, était de brailler comme un enfant tout en serrant affectueusement la main de mon amant. Plusieurs pensées, remords et craintes refaisaient surface, emmêlés avec le soulagement, la joie et la paix. J'étais si confusément en perte de mes émotions que pleurer était mon dernier recours. J'en avais honte... Ce n'était pas un comportement qu'une personne se devait d'avoir lorsque son amoureux avait frôlé la mort.
Je me dois d'être fort et inébranlable - un pilier - pour Eren. Quand il sera faible, je serai là pour le soutenir et l'encourager.
Je ne dois plus être celui qui est faible.
Rapidement, mon amant fut pris en charge par les infirmières. Elles lui administrèrent les soins adéquats afin que son état s'améliore après l'opération. Ensuite, la journée suivante, les parents d'Eren étaient venus nous rejoindre à l'hôpital. Nous nous étions entendus pour tout révéler à mon amour ensemble. Ce fut en fin de journée, lorsqu'il fut totalement lucide et attentif, que nous nous lançâmes.
Trois jours après la visite inattendue de l'ancien copine d'Eren à l'hôpital, les policiers avaient fait une terrible découverte chez elle : elle s'était pendue dans sa chambre. C'était ses collègues de travail qui avaient remarqué son absence inhabituelle et que, inquiets, ils avaient signalé leurs craintes au service de police municipal. Rapidement, nous avions appris la nouvelle. Cependant, déjà que ce suicide était affreux, une note laissée par la jeune femme avait soigneusement été déposée sur son lit avant qu'elle ne commette l'irréparable. Voici ce qui était inscrit sur le morceau de papier:
« Mon cœur appartient entièrement à Eren Jaeger.
Je suis compatible, donnez-lui la chance de vivre.
Eren, je t'aime. »
En un éclair, j'eus compris ce qu'elle voulait dire par « passer à l'action » : dans son épisode de délire maladif, elle voulait que l'un des proches d'Eren se sacrifie afin de lui permettre de vivre. Cependant, étant moi-même incompatible, je n'avais jamais songé à m'enlever la vie. Disons que la maladie mentale de cette femme lui avait fait perdre la boule au point de se suicider.
Il serait totalement inadmissible de profiter et de remercier sa mort, mais, au final, c'était ce qu'elle voulait pour son ex-copain. Le désespoir de cette femme avait été si grand qu'elle n'avait pas su comment le gérer. Pour elle, accorder la vie à Eren tout en se la privant était la seule façon possible pour régler ce dilemme.
Heureusement, comme la pendaison n'avait pas affecté le cœur de cette jeune femme, nous avions eu l'accord des médecins - et le consentement de la défunte - pour donner l'organe à mon amoureux. Les enquêteurs responsables de l'affaire avaient émis la théorie que l'ancienne copine d'Eren s'était enlevé la vie de cette manière afin de préserver son cœur intact, ce qui venait confirmer les mots de la note ; un empoisonnement avec des médicaments auraient affecté le sang et se mutiler aurait été une perte de sang inutile. À vrai dire, elle avait été plutôt vive d'esprit de penser aux dégâts que le cœur pourrait subir selon le type de mort et elle avait fait le bon choix en se passant la corde au cou.
J'ai l'impression que je n'ai pas le droit d'être reconnaissant de ce décès volontaire, mais je ne peux pas m'empêcher, à chaque nuit, de prier pour l'âme de cette jeune femme désespérée.
Ce n'était pas une façon de mourir : elle était jeune et active elle aussi, elle avait encore toute la vie devant elle. Cependant, elle avait, grâce à son geste courageux, put sauver la vie d'Eren et nous permettre une fin heureuse. Quand je pensais à tout ce que ce sacrifice nous permettait, j'étais coupable d'être aussi soulagé par le dénouement de cette histoire.
Une vie pour une autre ; la loi de la jungle.
Afin de nous rassurer et d'apaiser notre culpabilité, les médecins nous avaient rassurés que ce cœur en pleine santé était l'occasion rêvée : le cadeau divin que nous attendions. Il s'était présenté soudainement, sans avertissement, et d'une manière totalement épouvantable, mais nous ne pouvions pas refuser cet ultime sacrifice. Nous avions été forcés, d'une part, à accepter cette unique chance. Malgré tout, selon la morale, nous ne pouvions pas être reconnaissants d'un tel drame. C'était pourquoi nous nous sentions terriblement coupables de remercier le décès de cette brave jeune femme.
Eren, lui, avait très mal réagi. Dès que nous lui avions appris la douloureuse nouvelle, il s'était effondré en pleurs, hystérique, et il répétait sans arrêt qu'il ne méritait pas cette chance. Il arrivait difficilement à porter le fardeau qui pesait sur ses épaules. Le voir en larmes après ce cadeau fatidique avait déchiré mon cœur ; c'était à cet instant que je m'étais promis de soutenir et d'accompagner Eren peu importe le chemin qu'il allait suivre. J'allais devenir le pilier incassable, sa béquille irremplaçable, qui allait l'aider à avancer. Grisha, Carla et moi-même nous sentions profondément coupables du choix que nous avions dû faire, mais Eren l'était encore plus. Il était le principal concerné dans toute cette tragédie : il était la raison première du suicide de son ancienne copine.
Mon amant avait été inconsolable pendant plus d'une semaine. Je ne l'avais jamais vu aussi dépressif et morose. À chaque jour, je venais le voir afin de le supporter moralement, mais malgré tous les efforts que je déployais, rien ne soignait sa peine. Enfin, les seules paroles qui allégèrent son fardeau furent celles prononcées par son père :
- Eren, Mikasa était sportive. Elle prenait soin de son corps et de son cœur. Si tu veux la remercier et lui rendre hommage, tu dois suivre ses traces. C'est l'ultime preuve de respect que tu peux lui offrir.
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