21. Pour Eren

Cela faisait des jours que j'attendais. Je patientais au chevet de mon amour, torturé par le silence et la noirceur. À chaque minute, à chaque seconde, je priais pour que ses paupières se soulèvent à nouveau, que ses yeux d'émeraude croisent mon regard et que son sourire adorable illumine son visage.
Mais non, au lieu d'être accueilli par le bonheur, la mort planait. Le silence m'accompagnait, pesant, alors que je caressais le visage immobile d'Eren. Quand je repoussais l'une de ses nombreuses mèches marron de son visage, en profitant du même coup pour perdre ma main dans sa chevelure épaisse, j'observais le masque à oxygène qui emprisonnait la moitié de sa figure.

Je ne pouvais pas croire qu'un autre malheur s'abattait sur nous. Pourquoi...? Pourquoi un couple aussi normal que nous devait souffrir autant? Plus les jours s'écoulaient dans une lenteur lasse, plus j'étais convaincu que la Vie nous privait de tout bonheur. J'étais un aimant à malchances, cet événement tragique le confirmait. Cette fois-ci, c'était Eren qui en payait le prix. Le destin s'était tragiquement abattu sur lui et il devait payer les conséquences de sa vie.

Après son malaise à son appartement, une ambulance l'avait transporté d'urgence à l'hôpital. Nous avions enfin appris ce qui s'était passé : son cœur, déjà affaibli par sa malformation naturelle, avait bloqué à cause d'un caillot. Tout était fini, nous ne pouvions rien faire pour sauver le cœur d'Eren à ce stade. ll lui fallait à tout prix un nouveau cœur, un donneur devait se présenter le plus rapidement possible. Cependant, la courte liste se rapetissait encore plus, car le groupe sanguin de mon amant était spécial : il devait absolument recevoir un cœur d'un donneur de type O-. Les médecins n'étaient pas encourageants en nous annonçant que les donneurs de cœur étaient extrêmement rares. En attendant docilement qu'une personne décédée qui aurait signé sa carte de don d'organes et qui ait le même groupe sanguin qu'Eren se présente, on avait branché une effrayante machine à mon amant afin qu'il puisse survivre quelques temps sans cœur. De plus, afin de lui éviter de nombreuses souffrances inutiles, les médecins avaient décidé de le placer dans un coma artificiel et contrôlé. Ainsi, les personnes en charge de lui allaient pouvoir garder un œil sur son état de santé.

Les jours étaient devenus insupportables. Sans mon Eren, je n'étais plus rien. Je ne pouvais pas me résoudre à le perdre alors que mon amour pour lui était plus profond que jamais. Je réalisai, à cet instant, que ma vie n'avait plus aucun sens. Les matins n'étaient plus doux ; un goût amer avait pris la place de la sensation sucrée des rayons de soleil. Je ne voulais pas croire que je devais me lever seul, cuisiner pour moi uniquement et aller au travail en n'attendant personne. Je redevenais comme avant, à l'époque que je ne connaissais pas encore Eren, mais j'étais atterré par l'interminable séjour de mon amant à l'hôpital. Une tristesse douloureuse possédait mon corps entier et elle m'affaiblissait. Je n'avais plus cette énergie qui me permettait d'être incroyablement productif au café. Heureusement, tous mes collègues comprenaient la situation qui m'abattait et ils se montraient spécialement doux avec moi. Je donnais tout ce que j'avais lorsque je bossais, mais il était extrêmement pénible de revenir à la réalité une fois le travail terminé. Un soir, Hanji m'avait déjà surpris à me tenir seul, sous la pluie, attendant qu'Eren vienne me chercher pour aller manger un morceau au chaud. Je ne pouvais pas croire que tous ces moments de tendresse venaient de dramatiquement prendre fin.

Ce que les Jaeger avaient tant redouté venait de se produire. Leur petit venait d'épuiser toutes les capacités de son cœur et il fallait de le remplacer dans l'immédiat. Lorsque je croisais les parents de mon amant lors de visites, je constatais à quel point la perte d'Eren nous ébranlerait tous. Je voyais à travers les yeux de Carla la culpabilité de rester impuissante face au problème de santé de son fils. Grisha, lui, paraissait honteux de ne pas avoir pu éviter ce jour fatidique : en tant que médecin de renom, il s'en voulait énormément d'avoir failli à son devoir - de docteur, mais également de père. Durant cette épreuve déchirante, le lien entre nous trois s'était forgé afin de devenir indestructible. Nous nous encouragions durant cette passe pénible, mais nécessaire, en attendant le cadeau divin. Nombreuses avaient été les nuits où je m'étais assoupi, les joues humides, auprès de mon copain ; trop fréquents avaient été les matins ensoleillés où les parents d'Eren étaient venus me réveiller après multiples songes torturés.

Il n'y avait pas un jour que je ne m'en voulais pas pour les malheurs que j'avais causés à Eren, en commençant par mon avortement. Bien qu'il n'ait jamais bronché, selon mes souvenirs, je m'en voulais de ne pas pouvoir perpétuer sa lignée avant sa mort. Maintenant qu'il était au bord du gouffre, sa vie ne tenant qu'à un fil, je réalisai douloureusement que je n'avais rien de lui, que je n'avais pas eu l'étoffe et le courage de lui offrir un enfant. En pensant que jamais il n'aurait vu sa progéniture par ma faute, je ne pouvais m'empêcher de fondre en pleurs.

Les Jaeger étaient si aimables : ils supportaient l'atrocité que je suis dans cette période difficile en m'encourageant et en m'assurant que j'avais fait le bon choix. Carla avait même émis, comme théorie, que si j'avais donné naissance à un enfant en santé, ce pauvre aurait possiblement perdu son père bien trop tôt. Il aurait été vrai que tout le stress que nous vivions aurait été encore plus insupportable pour un môme d'à peine un an. Penser que mon enfant aurait grandi dans de mauvaises conditions soulageait le fardeau de l'avortement que je portais.
Au final, jamais je ne saurai si j'avais fait le bon choix.

Cependant, cette situation critique me permit d'établir une chose d'importance capitale : j'aimais Eren plus que tout et, s'il se réveillait un jour, j'allais combattre ma peur et fonder un foyer avec l'amour de ma vie. Cette promesse, curieusement, me donnait du courage. Penser à un futur heureux avec l'homme que j'aimais me rendait fort et optimiste, ce que je n'avais jamais été. Je racontais à Eren, alors qu'il semblait dormir paisiblement, comment nous pourrions faire notre vie à deux s'il survivait. Nous aurons quelques bambins, nous nous en occuperions tous les deux, nous aurions une belle et grande maison pour les élever, etc. Imaginer une vie agréable me rassurait pour la suite des choses. Sans savoir d'où ce courage provenait, je continuais tout de même à garder foi.

Au dix-septième matin de coma, je murmurais des mots d'amour à Eren tout en caressant sa main froide. C'était devenu une habitude lors des visites. C'était un samedi, mais mes patrons m'avaient alloué un congé puisque j'étais épuisé et dépassé par toutes les émotions qui me prenaient d'assaut. Saisir la main de mon amant et lui parler me faisait croire à une fin heureuse. Je voulais que mon conte de fée se termine par un « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants », comme tous les autres couples de la planète. Bon, je devais avouer que je n'étais pas très friand à l'idée d'avoir plusieurs enfants : peut-être qu'un ou deux allaient suffisamment me convenir dans un futur éloigné.
Ah, comme j'avais tant envie d'en discuter avec Eren... Lui seul savait ce qu'il pouvait faire avec son état de santé. Tout en tenant compagnie à mon amour endormi, je repensais pour la millième fois à quoi notre future vie pourrait ressembler. Cependant, en revenant à la réalité par les bruits constants de la machine à pomper le sang, je constatais l'impossibilité de tous mes rêves utopiques. Eren était là, faible, en attente désespérée d'un cœur. Que faire alors que toutes les portes étaient closes? Comment faire pour trouver une personne compatible?

Ce matin de mai en particulier, un visiteur inattendu s'était présenté. Lorsque je le vis, mon regard s'assombrit. Je me demandais ce que cette garce voulait alors que son ex-copain était au plus bas. Elle ne me lança aucun regard : elle ne fit que se diriger, les yeux ronds, vers Eren, semblant atterrée. Presque paniquée, elle s'adressa à lui.

- Eren... Non, Eren! Tu ne peux pas me faire ça! Tu... Comment...?

- Il avait une malformation au cœur, intervins-je d'un ton froid. Le savais-tu?

- Ah...? Non, je... je ne le savais pas...

Elle parut désemparée. Elle sembla réaliser qu'Eren lui avait caché, tout ce temps, ce problème qui le rongeait de l'intérieur. Elle constata, enfin, que celui qu'elle aimait de manière maladive ne lui avait pas fait confiance au point de s'ouvrir sur sa fragilité. C'était triste à voir, mais en même temps, elle méritait ce malheur : j'espérais qu'elle paie pour tout ce qu'elle avait arraché à Eren lors de leur relation toxique. Le jeune homme avait trop souffert par ma faute, pourquoi l'avait-elle également torturé? Je ne voulais plus qu'elle fasse du mal à mon Eren.

Comme si elle était en train de délirer, elle fit les cent pas dans la pièce, se prenant la tête des deux mains. Je l'observais faire sans dire un mot, devinant très bien quel mal la prenait.

- Eren... Comment... Il va mourir... Non... Il ne doit pas... Il ne doit pas...!

Lorsqu'elle se posta devant moi, ferme et droite, le regard accusateur, je me figeai, effrayé par ses yeux meurtriers. Je serrai davantage la main d'Eren, ne quittant pas l'asiatique des yeux. Je remarquai clairement une lueur malsaine dans ses yeux, voire malade. Ses traits se crispèrent alors que sa voix rugit bruyamment.

- Et vous ne faites rien? cria-t-elle de façon hystérique. Vous ne faites absolument rien alors qu'Eren est mourant! Indignes! Faibles! Lâches! S'il compte pour vous, vous devriez faire quelque chose! C'est inhumain l'abandonner à son sort ainsi! Il ne mérite pas d'être laissé pour mort! Faites quelque chose! Faites quelque chose! Il va mourir si vous restez plantés là à attendre que le Bon Dieu le sauve! Le Bon Dieu n'existe pas! Revenez sur Terre! Le Bon Dieu n'existe pas! Eren va mourir! Il ne peut pas mourir! Il a encore toute la vie devant lui! Faites quelque chose! Vous devez faire quelque chose, sinon je le ferai, moi!

Elle cria des injures ainsi pendant près de deux minutes sans s'arrêter pour respirer. Elle me faisait peur, carrément : ma théorie de la maladie mentale prenait de plus en plus forme. Ce jeune femme était folle, c'était confirmé. Elle pensait que nous ne faisions rien? Nous avions tout essayé, mais nous étions dans l'obligation d'attendre un cœur compatible. Que pouvions-nous faire de plus? Qu'est-ce qu'elle pensait faire pour sauver Eren? Elle n'avait pas le pouvoir de le sauver, tout comme Carla, tout comme Grisha, tout comme moi... Elle était aussi impuissante que nous tous.

Enfin, les infirmières en charge d'Eren, ayant sans doute entendu la jeune asiatique hurler comme une cinglée depuis le corridor, vinrent la sortir de force de la pièce. Les pauvres eurent besoin de faire appel aux gardes pour pouvoir faire partir l'ancienne copine de mon amant. Alors qu'elle se faisait traîner de force, elle fondit en larmes. Cet événement m'avait profondément bouleversé : je ne savais pas quoi en penser. Devais-je m'inquiéter aussi? Devais-je « passer à l'action », comme elle le répétait sans cesse? Avais-je réellement le pouvoir de changer les choses?

J'avais de la difficulté à croire en ma capacité à faire bouger les choses. Non, pour le bien d'Eren, je ne pouvais qu'attendre qu'un donneur se pointe. Pour la santé d'Eren, je devais patienter sagement.

Pour Eren, je ne pouvais que prier.

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