Chapitre 7
Illiana soupire en attrapant un nouveau sac de grains. Un nouveau convoi de ravitaillement est arrivé, au grand soulagement des habitants de la forteresse qui voyaient d'un œil inquiet les réserves s'amenuiser, pour cause de surpopulation. La troupe de soldats blessés se remet doucement d'aplomb et nécessite des efforts constants de la part des esclaves. Mais l'elfe ne soupire pas à cause du surplus de travail. Elle s'inquiète pour la Dame du Fort, partie en tête d'un détachement pour chasser une bande d'elfes localisée à une dizaine de kilomètres de là.
Illiana lâche un grognement en réceptionnant une caisse de bougies. Le piège est beaucoup trop évident. Son peuple aurait pu aisément déjouer les guetteurs si leur but avait été de s'infiltrer dans l'empire comme le soupçonnait l'officier en charge du détachement. Elle avait tenté d'en avertir la magicienne, mais celle-ci l'ignore consciencieusement depuis l'autre soir où elle lui avait transmis son énergie.
L'elfe aurait du s'en douter, les humais sont perfides et inconstants. L'intérêt qu'elle a feint de lui manifester n'avait pour but que de lui soutirer cette information sur les siens. Elle a écouté sa compassion et le regrette amèrement. Maintenant que la noble sait qu'elle peut lui soutirer un surplus d'énergie de cette manière, elle lui ordonnera de recommencer, c'est certain.
Malgré tout, elle ne peut empêcher une partie d'elle-même de s'inquiéter pour la jeune femme. Si ses compatriotes l'attrapent, ils sont capables de choses horribles pour lui faire payer cette guerre dont elle n'est pas responsable. La sagesse légendaire des elfes n'est rien face à leur colère et leur envie de destruction quand on s'en prend aux leurs.
Voilà donc pourquoi, une fois l'extinction des feux sifflée, elle n'arrive pas à trouver le sommeil. Un mauvais pressentiment la fait se tourner et retourner sur sa couche, observant les étoiles à travers la mince fente de la fenêtre. Ce n'est que tard dans la nuit qu'elle parvient à s'endormir d'un sommeil agité.
Le lendemain, une tempête s'abat sur Fort Qualir. Le vent et la pluie frappent sans pitié les pierres grises, confinant tout le monde à l'intérieur. Même absorbée par ses tâches quotidienne, Illiana sent une angoisse sourde grandir au creux de son ventre. Cette tempête n'est pas naturelle, elle le sent dans ses tripes. Si son peuple a décidé de répliquer à l'agression des humains, cette tempête pourrait être une première manœuvre d'intimidation ou une manière d'affaiblir les soldats cherchant à se replier.
Trois jours durant, des trombes d'eau s'abattent sur le Fort, si bien qu'on ne distingue plus le jour de la nuit. Les cours se transforment en marre de boue, les guetteurs dans les tours n'ont aucune visibilité et la tension monte entre les soldats forcés à l'inactivité. L'elfe s'inquiète de ne pas voir revenir le détachement conduit par la Dame du Fort, mais aucun renseignement ne franchit les lèvres des officiers qui tentent tant bien que mal d'occuper les troupes.
C'est finalement en début de soirée qu'un des guetteurs distingue une troupe qui gravit le sentier menant au Fort. Il faut néanmoins attendre que les soldats aient franchit les murs pour avoir confirmation qu'il s'agit bien de ceux menés par Gwendoline de Rimath. Au dîner, les esclaves chargés d'aider aux écuries confirme les craintes d'Illiana, il semblerait que la magicienne ait essayé de tenir tête aux jeteurs de sorts des elfes et ait été blessée. Personne n'a le droit de l'approcher à part Oriane et les guérisseurs.
L'elfe expire bruyamment par le nez, contrariée. Les guérisseurs sont des incompétents pour la plupart, à peine capable de soigner une écorchure. Elle a eu l'occasion de les observer pendant qu'ils soignaient les blessés. Ils risquent surtout d'aggraver la situation. Mais les contremaîtres veillent à ce que chacun regagne sa chambre sous les toits une fois le repas terminé, impossible de s'éclipser, surtout avec le collier actif.
Encore une fois, l'elfe peine à dormir. Si la jeune femme meure, le commandement du Fort risque de tomber entre les mains de quelqu'un de bien moins indulgent. Elle risque gros si ce changement venait à se produire. Elle ne peut rien faire pour arranger la situation et cela l'agace profondément. Elle est en train de réfléchir à un moyen de se retrouver seule dans les appartements de la magicienne pour voir de quoi elle souffre, quand la porte s'ouvre brutalement, claquant contre le mur.
- Aller, lève-toi ! gueule une voix en lui administrant un coup de pied dans le dos.
Illiana bougonne une vague réponse, se retourne pour découvrir la figure colérique d'un contremaître.
- Bouge-toi le cul, l'elfe !
Il l'attrape par la tunique longue qu'elle garde pour dormir et la mets brutalement sur ses pieds avant de la pousser vers l'extérieur.
- Tu t'habilleras un autre jour, on n'a pas le temps ! aboie-t-il en continuant de la bousculer devant lui.
La prisonnière descend donc les escaliers, poussée à la fois par le contremaître et par le collier qui lui provoque de violentes douleurs sous la colère de son bourreau. Elle met un moment à comprendre qu'ils se dirigent vers les appartements seigneuriaux. Arrivés, le contremaître entre sans frapper et la tire derrière lui.
- La voilà, grogne-t-il à Orianne qui les attends.
- Merci, tu peux disposer, répond-elle posément.
L'homme s'en va, refermant derrière lui, la première chose qu'enregistre l'esprit de l'elfe sont les gémissements de douleur qui lui parviennent depuis la chambre. Oriane se rapproche et vient planter son regard glacé dans le sien.
- Qu'est ce qu'ils lui ont fait ? demande-t-elle, menaçante.
- Qui maîtresse ?
Le revers de main gantée de fer qui répond à sa question laisse une trace cuisante sur la joue d'Illiana qui lâche un cri de douleur.
- Ne me prend pas pour une imbécile ! s'énerve la femme soldat. Qu'est ce que tes foutus amis lui ont fait ?
- Comment voulez-vous que je le sache ? Je n'y étais pas ! rétorque l'elfe.
Alerte, elle esquive le second coup qui arrive dans sa direction, mais la douleur déchargée par le collier du fait de son impertinence l'envoie geindre aux pieds d'Oriane.
- Ah ! Tu fais moins la fière maintenant ! s'exclame la femme.
Mais elle perd bien vite son assurance quand un cri de souffrance déchire l'air. Elle pivote aussitôt et abandonne l'elfe au sol, désactivant l'action punitive du collier.
Illiana ferme les yeux, s'oblige à respirer lentement, à détendre ses muscles contractés sous la douleur. Elle se redresse ensuite, s'avance vers la chambre et s'arrête devant la scène qui se joue sous ses yeux.
La jeune femme allongée dans le lit se tord de douleur, criant de plus en plus fort, le corps agité de spasme, tandis qu'un des guérisseurs psalmodie une litanie sans queue ni tête et que d'autres essayent de l'empêcher de bouger, le tout sous les yeux d'Oriane qui grince des dents. S'apercevant de sa présence, la garde du corps l'attrape par le col et gronde :
- Alors dit-moi, quel sort tes saloperies de compatriotes lui ont jeté, hein ?
- Je n'en sais rien, il y a des dizaines de sorts qui peuvent provoquer la douleur ! Et je ne peux pas user de ma magie pour l'aider avec ça autour du cou ! réplique-t-elle.
L'instrument de torture lui balance une nouvelle décharge mentale et elle se mord la lèvre pour ne pas geindre. En revanche, c'est un hurlement déchirant qui sort de la bouche de la Dame du Fort, qui assomme un des guérisseurs. Oriane se détourne vers le lit et le collier s'éteint, en même temps que le hurlement.
Illiana fronce soudain les sourcils, elle a peur de comprendre la nature du sort qu'ils lui ont jeté. Il faudrait vérifier. L'autre la tient toujours par le col et perçoit aussitôt son changement d'humeur.
- Quoi ? aboie-t-elle.
- Il faudrait que je la touche pour vérifier mes soupçons, maîtresse, prononce l'elfe le plus calmement possible.
- Certainement pas !
- Alors, elle va mourir.
Oriane hésite, observe sa suzeraine de plus en plus agitée, les guérisseurs qui ne font plus rien, inutiles, et pousse finalement la prisonnière vers le lit.
Illiana s'avance rapidement et pose sa main sur son front. Presque aussitôt, la Dame du Fort l'agrippe des deux mains en pleurant. L'elfe s'assoie sur le lit, la blottie contre elle.
- Chhhht, je suis là, c'est terminé, lui chuchote-t-elle tandis qu'elle se cramponne à sa tunique.
- Maman... je... vais... mourir, hoquète la jeune femme.
- Plus maintenant, ça va s'arranger.
- Ils... m'ont... dit... que...
- Ils se trompaient. Chhhht, c'est fini, c'est fini...
L'elfe continue de la serrer contre elle sous les regards abasourdis tandis que ses spasmes s'apaisent peu à peu. Un sort de présence, voilà ce qu'ils lui ont jeté. Ce genre de sort s'utilise normalement, à un degré bien plus faible, pour empêcher les enfants téméraires de s'éloigner des adultes. Les siens l'ont utilisé d'une manière extrêmement cruelle sur la jeune femme, pensant qu'elle allait finir par mourir sous l'effet de la douleur provoquée par l'absence d'elfes dans les environs. Leur erreur a été de ne pas envisager le fait qu'il pouvait y avoir des elfes prisonniers à proximité d'elle. La puissance du sort va obliger Illiana à rester à proximité de la jeune femme pendant un certain temps, mais elle s'en remettrai. Encore faut-il le faire comprendre à Oriane qui la regarde d'un œil noir, maintenant que la surprise est passée.
- Éloigne-toi d'elle maintenant !
- Écoutez, il faut que je reste avec elle pour...
- J'ai dit éloigne-toi ! Je ne me laisserais pas avoir par vos tours de passe-passe !
Elle attrape Illiana et l'arrache à l'étreinte de la magicienne. Celle-ci pousse aussitôt un cri et s'évanouit. L'elfe se retourne contre la femme et s'énerve :
- Vous voyez ce que vous provoquez ? Elle va y passer si je ne reste pas physiquement proche d'elle ! Ils lui ont balancé un sort de présence à la figure, et vu la puissance, si vous m'éloignez d'elle, elle ne passera pas minuit ! Si vous voulez avoir sa mort sur la conscience, libre à vous !
La garde du corps plisse les yeux tandis que le collier délivre sa punition.
- Si tu me racontes des salades, l'elfe, tu vas le payer très cher, menace-t-elle.
- Je ... vous dis... la vérité, articule-t-elle difficilement. Laisser-moi ... l'aider.
- Très bien.
La femme-soldat la relâche et chasse les guérisseurs toujours abasourdis qui tentent vainement de protester. Illiana ne perd pas de temps et s'installe dans le lit en ramenant la jeune femme contre elle. Le souffle de la jeune femme dans son cou se régularise peu à peu avant de se faire plus profond. Elle dort paisiblement dans ses bras, sa tête sur son épaule et les jambes mêlées aux siennes.
Oriane revient s'assurer qu'elle n'a pas déjà tenté d'étrangler la Dame du Fort et, à contrecœur, indique qu'elle va dormir juste à côté, en laissant la porte ouverte. Illiana hoche la tête pour signifier qu'elle a compris tandis qu'elle écoute le cœur de la jeune femme battre tout près du sien, qu'elle sent son parfum mêlé de sueur envahir ses narines. Elle lui en veut toujours de l'avoir ignorée, mais elle ne peut pas s'empêcher de se sentir bien avec elle dans ses bras. Trop bien, même.
Des souvenirs de leur baiser lui reviennent en mémoire et elle se mordille la lèvre. Elle aurait pu se contenter de poser ses lèvres sur les siennes, mais elle l'a embrassée sans même s'en rendre compte. Elle a dû se faire violence pour interrompre le moment avant d'aller plus loin. Le pire, c'est que la jeune femme ne l'a même pas repoussée, elle a même eut l'air d'apprécier, l'espace d'un instant.
L'elfe soupire. Elle a toujours eut un don pour s'attacher aux mauvaises personnes. Mais encore une fois, les obstacles entres elles sont bien trop nombreux, à commencer par la volonté de la prisonnière de s'enfuir d'ici. Tant pis pour les élans de son cœur, elle n'a pas le droit de laisser paraître le moindre sentiment à l'égard de la Dame du Fort.
Comme pour mettre à mal ses résolutions, la magicienne remue doucement dans son sommeil, son bras vient s'enrouler autour de sa taille, tandis qu'elle frotte son visage dans son cou et que son souffle vient frôler cette zone sensible. Illiana ne peut réprimer entièrement un bruit de satisfaction sous la caresse et laisse son nez s'égarer dans les cheveux parfumés de la jeune femme, avant de s'écarter brusquement.
Dans les secondes qui suivent, le visage détendu de la jeune noble se crispe et l'elfe secoue la tête en la reprenant dans ses bras. La jeune femme se blottit contre elle dans son sommeil et Illiana comprend que les jours suivant vont être longs et éprouvants, si elle doit discipliner son cœur mais aussi son corps.
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