Chapitre 4
Trois jours après son échange avec la Dame du Fort, Illiana s'apprête à commencer une nouvelle matinée de tâches éreintantes quand Graham se dresse sur son chemin, l'empêchant de rejoindre les autres.
- Pas toi, bougonne-t-il. Tu accompagnes Dame Gwendoline aujourd'hui.
L'elfe met un certain temps a comprendre le sens de ses paroles. Devant son air perdu, le contremaître consent à préciser :
- Notre Dame veut que tu l'accompagnes dans sa promenade du jour, tu as intérêt à bien te comporter. Maintenant, file aux cuisines chercher des provisions et attend-la devant l'écurie.
Illiana ne se le fait pas dire deux fois et s'exécute rapidement. Elle va enfin sortir de ses murailles grises pour aller à l'extérieur ! Arrivée devant l'écurie, elle peine à garder son impassibilité. Un gros panier de nourriture dans les mains, elle observe le va-et-vient de la basse cour.
Une jeune esclave d'une quinzaine d'années la rejoint avec plusieurs gourde d'eau. Elle lui adresse un sourire timide auquel elle répond par un hochement de tête. Enfin, les palefreniers sortent de l'écurie deux chevaux harnachés. Le premier est un solide destrier au poil gris, le second une jeune jument pie à l'allure racée. Sur un geste du contremaître, les deux esclaves répartissent leur charge dans les sacoches de selle des deux animaux. Illiana doit se retenir de caresser la jument tout en exécutant sa tâche.
L'elfe se retourne au moment où la Dame du Fort entre dans la basse cour. Elle porte une jupe fendue d'un rouge vif, brodée d'argent et un bustier assorti. Ses cheveux de jais sont tressés et tombent sur son épaule droite. Une longue cape de fourrure vole au rythme de ses pas. Une cascade de murmures admiratifs et de révérences l'accompagnent et Illiana se plie elle aussi au protocole. Elle doit reconnaître que la jeune femme a une élégance particulière. Sur ses talons, Oriane, dans son éternelle armure, semble surveiller le moindre geste de toutes les personnes présentes.
L'un des palefreniers s'avance et lui tend les rênes de la jument, qu'elle enfourche avec aisance. Oriane fait de même avec le destrier et elles se dirigent au pas vers la sortie, les deux autres dans leur sillage. Illiana adresse un sourire encourageant à la jeune fille qui semble déjà compter les ampoules qu'elle aura aux pieds demain.
La route qui descend de la forteresse vers la plaine les mènent bientôt hors de vue des guetteurs. À peine l'arête de la montagne franchie, la magicienne s'arrête et se retourne en direction des deux esclaves.
- Venez par ici toutes les deux.
Dociles, elles obéissent.
- Comment t'appelles-tu ? demande la Dame à la jeune fille.
- Néomia, maîtresse, bredouille-t-elle.
La noble hoche la tête, puis se tourne vers Oriane. Celle-ci se penche et saisit Néomia sous les bras pour la faire monter devant elle. Un hoquet de stupeur s'échappe des lèvres de la jeune fille avant qu'elle ne jette un regard plein d'interrogations à la femme-soldat.
- Si vous devez nous suivre à pieds, nous n'avancerons jamais, l'éclaira la magicienne.
Se tournant vers Illiana, elle ajoute en lui tendant la main :
- Aller, en selle.
L'elfe jurerait avoir vu une pointe de malice dans les iris dorée de la cavalière. Elle prend appui sur l'étrier, saisit la main tendue et se retrouve assise en travers de la selle, devant la jeune femme.
- Bien, en route ! s'exclame celle-ci en souriant.
D'un coup de talon elle lance sa monture au petit trot.
Le soleil est presque au zénith quand la Dame décide de faire une halte dans un bosquet où coule un ruisseau. Les elfes ne montent que très rarement à cheval, et quand ils le font, c'est généralement pour des raisons extrêmes. Aussi Illiana se sent coupable de profiter ainsi de l'animal en lui imposant deux cavalières sans objectif autre que se promener. De plus, elle ne l'avouerait pour rien au monde, mais elle commence à avoir le postérieur douloureux. L'elfe descend donc avec soulagement de la jument, qui s'appelle Nirma, comme le lui a appris sa propriétaire.
La jeune noble est d'humeur joyeuse, et ne manque pas de taquiner Oriane à tout propos ou de commenter tout ce qu'elle voit. Si ce comportement séduit Néomia, qui se détend et finit par oser prendre la parole, il agace l'elfe. Depuis qu'elles ont pénétré dans la forêt, elle n'a qu'une hâte, pouvoir combler le vide dans son cœur. Elle profite donc de la première occasion pour s'éloigner en prétextant une envie pressante.
Appuyée contre un arbre, les yeux fermés, elle écoute les bruits qui lui ont tant manqués : la brise qui joue dans les feuilles, le chant d'un oiseau, le trottinement d'un petit rongeur. Le parfum de la terre et des plantes emplit ses poumons et cicatrise les plaies de son cœur. Un sourire s'épanouit sur ses lèvres. Sans ouvrir les yeux, elle a sentit une présence qui la réjouit. Elle tend la main et un museau humide et doux vient se nicher contre sa paume.
Elle entrouvre les paupières et un sourire encore plus grand étire ses lèvres. Avec la biche qui réclame ses caresses, un faon de quelques jours se presse contre ses jambes. Il est encore maladroit et manque de tomber quand elle se penche pour passer sa main dans son pelage doux. L'elfe aimerait bien entrer en contact avec eux, leur donner de la force, mais le maudit collier l'en empêche.
- Si Fermark voyait ça, il deviendrait fou, déclare posément une voix que l'elfe commence à trouver familière.
Illiana tourne la tête. À quelques mètres, la Dame du Fort observe le spectacle incongru qui s'offre à ses yeux. Les animaux ne la craignent pas, au contraire, ils cherchent sa protection devant le menace qu'elle-même représente pour eux. D'une caresse, l'elfe les apaise puis les laisse partir avant de se tourner vers la magicienne.
- Qui est Fermark, maîtresse ?
- Le grand veneur de la Cour, répond distraitement la jeune femme en regardant s'éloigner les cervidés.
L'elfe recule instinctivement. Elle déteste la chasse qu'organisent les humains. Elle a déjà sentit à travers l'esprit des proies, ce déferlement de peur et de panique, l'agonie avant la mise à mort...
- Tu as l'air d'aller mieux, s'avance la noble, la tirant de ses pensées lugubres.
- C'est le cas, maîtresse.
- Tant mieux, murmure-t-elle.
Elle s'approche et pose une main sur l'épaule d'Illiana.
- Mais arrête de te faire du mal, continue-t-elle.
Illiana détourne le regard. Elle ne peut pas arrêter de penser à la liberté qu'elle veut retrouver. Ce qu'elle lui demande est impossible. Même si elle a renoncer à l'idée de les faire payer, elle en particulier, au vu de leur comportement envers elle, elle ne peut pas supporter l'idée d'être enfermée à leur service.
- Je ne peux pas te rendre ta liberté, ce n'est pas en mon pouvoir, souffle la magicienne qui suit le cours de ses pensées. Ce n'est pas moi qui décide du sort des prisonniers de guerre, ni des esclaves.
- Vous ne pouvez pas comprendre, vous avez l'habitude de vivre entre quatre murs et d'obéirent à des lois injustes, moi non.
Elle bride la douleur du collier avant que celle-ci ne se fasse trop dure et Illiana lui adresse un regard reconnaissant. Son visage est mortellement sérieux quand elle lui dit :
- Il faut du temps pour changer les lois, du pouvoir et de l'influence également. Je l'ai appris à mes dépends, les gens n'aiment pas le changement. Surtout ceux qui sont au sommet de la hiérarchie.
- En réalité, vous êtes en exil à Fort Qualir, n'est ce pas ? conclut l'elfe.
- Officiellement je suis là pour mâter votre population et vous obliger à vous soumettre à l'Empire... Officieusement tu as raison, mon père m'a éloignée de mon oncle sur lequel j'avais, selon lui, une très mauvaise influence, confie la jeune femme.
- Vous n'avez pas l'air de beaucoup l'aimer...
- Qui ça ?
- Votre père.
- C'est ... compliqué, lâche la Dame en se renfermant sur elle-même.
Illiana aimerait insister mais un bruit de pas accompagné d'un cliquetis métallique oblige la magicienne à réactiver précipitamment le collier.
- Ma Dame, je vous cherchais, vous ne devriez pas vous éloigner ainsi de moi ! la tança Oriane.
- Ma chère Oriane, il y a des lieux où même moi je dois aller seule, lance la noble avec un ton à nouveau enjoué et un visage souriant.
Derrière le masque, Illiana voit maintenant la tristesse et la souffrance sous-jacente. Et pendant le reste de la journée, elle s'interroge sur les confidences de la jeune femme. L'elfe se rend bien compte qu'il y a quelque chose de louche derrière tout cela. Ce dont elle s'aperçoit également, c'est que ses sentiments à l'égard de la magicienne sont en train d'évoluer. La haine et la méfiance ont disparu, laissant la place à quelque chose d'encore flou. Encore une fois, elle se demande si elle n'est pas tombée dans un piège quelconque destiné à l'amadouer. Mais elle aimerait croire à la sincérité de la jeune femme.
Le retour se fait dans une ambiance détendue. Assise à nouveau devant la Dame du Fort, Illiana tente de faire abstraction de sa gène d'exploiter la jument. Pour cela, elle entreprend de renseigner la jeune noble sur les différentes espèces végétales qu'elles croisent sur le chemin. Le printemps bien installé maintenant leur permet d'avoir de nombreux sujet de conversation. La curiosité de la magicienne paraît sans limites et son esprit vif lui permet de mémoriser rapidement les informations que lui transmet l'elfe.
- Et celles-là ? lui demande encore la jeune femme en désignant un amas de petites fleurs jaune pâle.
- Oh celles-là ... On les appelle couramment des nuits blanches, maîtresse.
- Pourquoi ce nom ?
- Eh bien... Elles ont un effet aphrodisiaque particulièrement puissant... d'où ce nom très... imagé...
- Je vois, fait la Dame en souriant. Tiens regarde, il y en a encore là !
- Ah désolé de vous décevoir, Ma Dame mais celles-ci sont des étoiles jaunes, elles se ressemblent mais la forme des feuilles n'est pas la même. En tisane, c'est un remède contre la migraine.
- Les confondre serait ennuyant, commente la jeune femme, amusée.
- En effet, toussote l'elfe, gênée.
La magicienne lui lance un regard curieux avant d'ouvrir grand les yeux et de s'écrier :
- Ne me dis pas que tu l'as fait !...
Illiana sent la pointe de ses oreilles s'échauffer et elle lâche un peu agacée :
- Auriez-vous l'obligeance de cesser de lire dans mon esprit, Ma Dame ?
- C'était pour quelqu'un ou... Non c'était pour toi... pouffe la jeune noble en voyant l'elfe rougir un peu plus.
- Et alors, elles portent bien leur nom ? L'expérience a été concluante ? continue-t-elle.
L'elfe lui lance un regard tellement gêné qu'elle lui donne confirmation. La jeune femme ne se retient plus et éclate de rire. Un rire cristallin qui rebondit sur la paroi de la montagne et fait faire un écart à leur monture. Oriane et Noémia, en arrière, leur lancent un regard curieux tandis que la magicienne doit arrêter sa jument. Son fou rire est tel qu'elle s'appuie sur l'épaule d'une Illiana rouge écarlate, secouée de hoquets.
L'hilarité de la jeune femme est contagieuse et Illiana esquisse un sourire. Sa fierté n'apprécie pas qu'elle se moque d'elle, mais son cœur devine que la jeune femme n'a pas souvent l'occasion de rire à en perdre haleine comme elle le fait. Illiana la laisse se détendre, la tête toujours posée sur son épaule, la jeune noble respire profondément, cherchant à reprendre le contrôle de ses émotions.
- Navrée, je ne devrais pas mais...
- Ce n'est pas grave, je m'en remettrai, maîtresse, ironisa l'elfe. Je vous rassure, vous n'êtes pas la première à vous payer ma tête à ce propos.
Les yeux pleins de larmes contenues, la magicienne laisse échapper un gloussement en se redressant.
- Ma Dame, il commence à se faire tard, déclare Oriane en s'avançant. Il faut que nous pressions le pas si nous voulons être rentrées à temps.
- Je sais, Oriane, mettons-nous en route.
Le soleil se couche quand elles franchissent les portes de la forteresse, Illiana et Néomia à pied comme si de rien n'était. Aussitôt, les garçons d'écurie s'avancent pour prendre les rennes des montures, ainsi qu'un homme de faible corpulence, qui s'approche de la Dame du Fort et lui murmure brièvement à l'oreille. Le visage de la jeune femme se durcit dans la seconde suivante et ses yeux s'illuminent d'une colère noire. Dans un envol de cape, elle quitte la basse-cour d'un pas vif, Oriane sur les talons et le messager courant derrière.
Son ouïe fine n'a pas pu percevoir ce que l'homme a chuchoté, mais elle entend clairement un des soldats dire à son voisin :
- Je ne sais pas ce qui se trame, mais je plains celui qui va essuyer la colère de la Dame...
- De ce que j'ai entendu, y'a un message de la capitale et un autre du centre de Commandement ... Mais t'as raison, personne a intérêt à moufter ces prochains jours.
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