Chapitre 11

Gwendolyne laisse échapper un cri de surprise, interrompu par les lèvres de sa prisonnière qui s'emparent des siennes.

À l'inverse de son comportement l'instant d'avant, elle lui offre un baiser doux, patient. La magicienne se détend et, naturellement, ses mains se pose sur les épaules de l'elfe. Son cœur tambourine contre ses côtes, sa raison complètement ailleurs laisse son corps prendre le relais. Illiana insiste et sa langue invite la sienne dans une danse sensuelle. La jeune femme a noué ses bras autour du cou de l'elfe, qui l'étreint avec ferveur.

À bout de souffle, Gwendolyne rompt leur baiser. Sa tête tourne et une chaleur inconnue échauffe son sang. Perdue, elle lève les yeux sur le visage de sa prisonnière qui l'observe, un sourire au coin des lèvres.

– C'est étrange, commente-t-elle. Nous n'avons pas été foudroyé par la colère divine.

La jeune femme la repousse, brusquement en colère.

– Cela t'amuse ? Ce n'est pas un jeu ! Et ce ne sont pas des choses qui se font ! Tu... Tu n'a pas le droit !

– Je pensais que vous aviez apprécié, s'étonne Illiana.

– Non ! Bien sûr que non, s'agace la magicienne en se détournant à moitié.

Heureusement que l'elfe ne peut pas lire dans ses pensées. Sa moquerie l'aide à se mettre en colère et à repousser la voix qui lui murmure à l'oreille des idées folles. Jusqu'où l'aurait-elle laissé aller sans cela ? Probablement beaucoup trop loin. Mais elle ne peut pas, elle ne doit pas la laisser faire. Comme des éclairs, des visions filent sous ses yeux, des rires, des lèvres sucrés, des corps qui s'enlacent... Puis des coups, la douleur, les flammes...

En pleine tempête intérieure, elle ne l'entend pas approcher et sursaute quand elle se trouve de nouveau prisonnière de ses bras.

– Vous mentez très mal, souffle l'elfe dans son cou.

Dans son étreinte, Gwendolyne tremble de peur, d'appréhension, mais aussi d'envie. Elle ferme les yeux et tente de reprendre le contrôle de ses émotions qui se font la malle tandis qu'elle sent le souffle d'Illiana qui se rapproche. La crainte prend finalement le dessus et une boule d'angoisse grandit dans sa gorge pour exploser sur un mot :

– Non !

Sa magie envoie l'elfe percuter le mur dans un choc sourd. Elle s'écroule et ne bouge plus tandis que la jeune femme tombe à genoux et se tient la tête à deux mains, la respiration chaotique.

Il lui faut de longues minutes pour reprendre pieds dans la réalité, pour se rendre compte qu'on la secoue par les épaules.

– Ma Dame ! Ma Dame, il faut revenir !

Gwendolyne prend une profonde inspiration, une deuxième, lève les yeux pour croiser ceux, paniqués, d'Oriane. Celle-ci, voyant le regard de sa suzeraine s'éclaircir, demande :

– Que s'est-il passé ? Elle vous a fait du mal ?

La jeune femme fronce les sourcils, se souvient brusquement. Le baiser, leur étreinte...

– Ma Dame ?

– Non ! Non c'est plutôt moi qui...

Son regard tombe sur Illiana, immobile au pied du mur. Elle se précipite, approche son oreille de son visage et pousse un soupir de soulagement en entendant sa respiration, faible mais bien présente. Elle tâte prudemment l'arrière du crâne, détecte la bosse qui commence à gonfler. La magie fait briller ses mains et soigne l'enflure.

Son esprit examine le reste du corps de l'elfe et guérit deux côtes fêlées. C'est la deuxième fois qu'elle est blessée par sa faute. Gwendolyne ne veut pas provoquer quelque chose qu'elle ne saura pas guérir, elle refuse de la voir souffrir.

– Ramène-la dans sa chambre s'il te plait, Oriane.

– Bien, Ma Dame.

*****

Gwendolyne se laisse tomber dans le canapé et se massant les tempes, exténuée. Elle ne cesse de courir en tout sens depuis deux semaines. Les troupes de l'Empire reculent, mises en déroutes par les elfes et leurs puissants mages. Le Fort s'est vu converti en base de repli, et les blessés viennent y refaire leur force. Elle communique avec les nombreux officiers au front, gère des stocks de plus en plus importants, tandis que les bâtiments, transformés en une gigantesque ruche, se vident et s'emplissent au gré des mouvements de troupes, donnant bien plus de travail que d'ordinaire aux esclaves et domestiques du domaine, débordés.

Avec tout ce remue-ménage, elle n'a pas croisé une seule fois sa prisonnière. L'esprit toujours occupé, c'est souvent au moment de se coucher qu'elle a une pensée fugace pour elle.. Mais maintenant qu'elle a réussi à se poser un instant et qu'elle se retrouve assise devant la cheminée, ses pensées reviennent vers l'elfe. Un regard sur la réserve de bois lui apprend qu'il y a peu de chance qu'Illiana vienne la remplir et malgré elle, un soupir franchit ses lèvres.

Les trop peu nombreuses heures de sommeil qu'elle a grappillé durant ces seize jours ont été peuplées de cauchemars, même si la fatigue la maintenue assoupie. Malgré tout, elle redoute de rappeler l'elfe auprès d'elle. Premièrement, il y a fort à parier qu'elle lui en veuille pour son comportement, et deuxièmement, elle a peur que ses sentiments et son corps prennent le dessus sur sa raison. Le souvenir de leur baiser hante son esprit. La tendresse d'Illiana, la douceur de ses lèvres, le goût de sa langue qui joue avec la sienne...

Gwendolyne secoue la tête, les joues en feu. Elle doit absolument cesser de se remémorer ce moment. Tout serait tellement plus simple si elle était un homme, si...

Une douleur fulgurante dans la poitrine la sort de ses pensées. Avec un hoquet, elle porte la main à son cœur. Elle est seule dans la pièce, mais ses oreilles perçoivent une respiration chaotique qui n'est pas la sienne. La certitude l'envahit et elle bondit sur ses pieds. Illiana souffre et par elle ne sait quelle magie, elle ressent son mal-être. Brutalement, elle se souvient, compte les jours et lâche un juron. Il y a trop longtemps que sa prisonnière n'est pas sortie de la forteresse.

Elle sort en trombe de ses appartements, surprenant les deux gardes en faction.

– Qu'on selle mon cheval, et une monture disponible ! leur lance-t-elle sans se retourner.

Elle court presque dans les couloirs, gravit à pleine vitesse les escaliers, au risque de trébucher. Dans son esprit les souvenirs s'emmêlent à la réalité. Elle a voulu l'éloigner d'elle, la protéger des risques, se protéger surtout. Elle a déjà payé chèrement pour son erreur. Aujourd'hui, elle refuse de voir le cauchemar recommencer. Surtout avec Illiana.

Le Soleil se lève à peine et à l'étage des esclaves, tout le monde est déjà debout. Tous sauf une, la magicienne le devine. Elle entend les imprécations du contremaître avant de le voir, sa cravache sortie, menacer l'elfe à ses pieds.

D'un regard noir, elle renvoie l'homme à son travail. Il a à peine disparu dans les marches que la jeune femme est à genoux près de sa prisonnière. Celle-ci tremble, les yeux fiévreux et la respiration anarchique. Elle ne s'aperçoit même pas de sa présence.

Gwendolyne prend son visage en coupe, sonde le regard absent d'Illiana. La douleur dans sa propre poitrine diminue, lui confirmant ce qu'elle pense. L'elfe arrive au bout de ses réserves, elle a urgemment besoin d'un contact avec l'extérieur. Et avec elle. La jeune femme sent les larmes lui monter aux yeux face à ceux de l'elfe qui se ferment malgré sa lutte.

– Accroche-toi encore un peu, je t'en prie, murmure-t-elle.

Grâce à sa magie, elle transporte sa prisonnière dans la cour, sous le regard étonné des gens du Fort. L'elfe ne bronche même pas quand elle l'installe sur la selle de l'animal que les palefreniers ont préparé. Elle bloque les membres de la cavalière, inconsciente, afin qu'elle ne tombe pas.

– Ma Dame ! s'exclame Oriane qui arrive en courant. Vous ne pouvez sortir seule, encore moins en sa compagnie !

– Rattrape-moi dans ce cas, la défie la jeune femme en se hissant sur sa jument.

Sous le regard effaré de la femme, elle s'élance vers la herse à peine ouverte, entrainant la monture de l'elfe à sa suite.

Elle entend à peine Oriane ordonner aux soldats de se préparer, et lance les deux chevaux au galop sur la piste étroite. Elle prie tous les Dieux de la laisser sauver Illiana, tandis que les bêtes avalent la route.

Elle les laisse ralentir à proximité d'un ruisseau, se désaltérer et remonter le cours d'eau à une allure modérée. Assez rapidement, elle arrive en vue d'un bosquet. Elle démonte, enlève le mors des chevaux et les laisse libres. Ils ne s'enfuiront pas, dressés pour rester non loin de leur cavalier. Un peu de magie et la prisonnière est allongée dans l'herbe, la tête sur les genoux de la magicienne.

– Reviens, je t'en prie, murmure la jeune femme en lui caressant les cheveux. Ne me laisse pas seule... J'ai besoin de toi... Je sais que j'ai été ingrate et égoïste mais... mais il faut que tu me pardonnes parce que je ne supporterais pas de te voir mourir par ma faute. Je t'en prie, Illiana...

Sa supplique s'étouffe dans un sanglot. La magicienne pleure en serrant contre elle le corps de l'elfe dont le cœur ralentit peu à peu. Persuadée qu'elle agonise, la jeune femme sanglote, enfermée dans une lourde chape de peur et de solitude qui vient de se refermer sur elle.

Quand des lèvres se pressent sur les siennes, elle ne réagit pas, trop coupée du monde qui l'entoure. Les sensations familières qui l'envahissent ne provoquent pas plus son esprit embrumé. C'est seulement quand elle glisse ses mains dans les cheveux de l'elfe et qu'elle effleure ses oreilles pointues qu'elle prend conscience de la situation.

Interdite, elle se recule brusquement pour plonger dans des yeux aussi verts que les feuilles qui les entourent. Des yeux qui l'observent, dans l'attente, la crainte même, de sa réaction. Des yeux bien vivants, et pour le moment, c'est la seule chose qui compte dans la tête de la magicienne qui l'embrasse avec fougue.

Elles se séparent essoufflées. Illiana se laisse glisser sur le sol, interceptée par la jeune femme qui dépose sa tête sur ses genoux. L'elfe soupire, les yeux clos.

– Je suis désolée, s'excuse Gwendolyne. J'ai été égoïste, et je t'ai bien mal remerciée pour ce que tu as fait... Mais cela doit cesser, nous ne pouvons pas...

– Chhht, souffle Illiana en posant un doigt sur sa bouche. Regarde-moi.

Sans faire attention au tutoiement, la magicienne baisse la tête. La paume de l'elfe vient se nicher contre sa joue, rassurante, tandis que son regard l'interroge.

– Qu'est ce qui te terrorise à ce point ?

La jeune femme ferme les yeux. Sa respiration se bloque et les souvenirs affluent en même temps que les larmes.

– Toi... Toi sur un bûcher parce que... Parce que nous nous sommes embrassées... gémit-elle.

L'elfe devine sans mal ce qu'elle tait. Une autre jeune fille, des sentiments naissants et quelqu'un qui les surprend. L'application brutale de lois immondes et un traumatisme pour celle qui reste, probablement parce qu'elle est de noble naissance et que son père lui a évité le même sort. Encore incertaine, elle se redresse à l'aide de ses bras, veut enlacer la jeune femme qui la repousse doucement, les yeux encore embués, en secouant la tête.

– Il ne faut pas...

– Tant que tes gens n'apprennent pas à parler aux arbres, on s'en moque, réplique l'elfe en l'attirant d'autorité dans ses bras.

Le contact les apaise toutes les deux. Tandis qu'Illiana refait ses forces, la magicienne profite de sa présence. Tant d'émotions en si peu de temps, ajoutées à la fatigue cumulée la font somnoler dans les bras de sa prisonnière, qui ne l'est plus vraiment. Gwendolyne hésite encore à mettre des mots sur leur relation. La peur est tenace et ses sentiments encore trop incertains.

Un hennissement et le bruit de plusieurs chevaux et cavaliers la rappellent brutalement dans la réalité. Illiana la relâche, attentive aux paroles que la magicienne ne fait que deviner sans les distinguer.

– Oriane, la rassure l'elfe.

Elle n'a pas besoin d'en dire plus. La jeune femme se relève, époussette sommairement la terre et les traces vertes sur sa robe.

– Ça ira ? s'inquiète-t-elle soudain.

– Je survivrais.

Quelques secondes encore et la patrouille dirigée par Oriane les entoure. On les ramène à Fort Qualir, en sécurité, là-haut sur la montagne, loin de la végétation si nécessaire à Illiana. Pendant le trajet, La Dame du Fort reste muette, perdue dans ses pensées. Les hommes s'interrogent sur cette soudaine folie de partir seule avec une esclave, mais Gwendolyne ne les entend pas. Son esprit cherche une solution au problème de l'elfe.

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