Chapitre 10

Gwendolyne se promène dans un bois. Elle ne sait pas comment, ni pourquoi elle se trouve là. Elle pile soudainement, horrifiée. Un homme en armure pose des yeux vitreux sur elle, une blessure béante au niveau de l'estomac. Elle recule d'un pas avant de faire demi-tour et de partir en courant le plus loin possible de la scène. Elle ne fait que quelques mètres avant de tomber sur un nouveau cadavre, avant d'entendre une voix. Affolée, elle file dans la direction approximative du son. Entre les arbres clairsemés sont montées des tentes. Des cadavres jonchent le sol, qu'elle refuse de regarder.

Finalement, elle s'arrête. Une petite silhouette lui tourne le dos. Debout au milieu du carnage, elle est immobile, silencieuse.

– Eh, petite ? l'interpelle la magicienne.

L'enfant ne bouge pas. La jeune femme s'approche, pose une main sur son épaule.

– Tu es toute seule ici ? Qu'est ce qu'il s'est passé ?

– C'est ici que tout à commencé... souffle la fillette.

Elle lève la tête et Gwendolyne plonge dans son regard plus vert encore que la végétation qui les entoure.

« Illiana a les même yeux... mas ils comportent plus de nuances. » songe la jeune femme avant de se morigéner.

– Qu'est ce que tu veux dire ? s'inquiète-t-elle à voix haute.

– Je ne l'avais jamais compris avant. Mais déjà à l'époque, ils complotaient contre nous...

– Qui ça ? Qu'est ce que tu racontes ?

– Je ne sais pas où les trouver, mais si tu es là, c'est que tu peux m'aider. Nous nous reverrons... Je crois.

– Je... Eh ! Attend ! s'écrit Gwendolyne alors que sa jeune interlocutrice s'enfuit.

La jeune femme s'élance à sa suite, tandis qu'elle louvoie entre les obstacles. La fillette finit par se jeter dans les bras d'une femme en armure, qui la soulève pour la blottir contre elle. La magicienne, les deux pieds soudain cloués au sol, ne peut que les regarder, voir l'amour entre elles et s'en trouver chamboulée. Elles venaient de créer une bulle de sérénité qui faisait oublier les morts autour d'elles.

Quand la bulle éclate, la magicienne ouvre les yeux dans la pénombre. Le souffle dans sa nuque mais surtout, le bras autour de sa taille lui rappellent brutalement qu'elle ne dort pas seule. Étrangement, la peur qu'elle a ressenti dans son rêve s'est dissipée, ne laissant qu'une sensation agréable. Elle ignore si cette impression est due à la dernière scène du songe ou à la présence de l'elfe dans son dos.

Dire qu'Illiana a accepté de partager son lit. Si son père l'apprend... Non, elle préfère ne pas y penser. Ces souvenirs sont trop douloureux, elle préfère les enfouir tout au fond de son esprit. De toute façon, il n'y a rien entre elles, à part les espoirs de son imagination. Néanmoins, elle ne peut s'empêcher de se coller contre le corps de l'elfe et de glisser sa main sur la sienne avant de sombrer de nouveau dans le sommeil.

*****

Illiana se réveille confortablement installée, un corps chaud contre le sien. Sa raison encore embrumée ne se donne pas la peine de sonner l'alarme quand elle se presse contre ce corps et embrasse la peau pâle du cou exposé.

C'est finalement l'information transmise par son nez qui la sort de sa rêverie, alors qu'elle s'apprêtait à réveiller sa partenaire par des caresses plutôt ciblées. Sous la surprise, elle se relève brusquement, se dégage des draps. Elle a complètement oublié où elle se trouvait et pendant un moment s'est cru avec Laurélyn.

L'elfe soupire. Un rapide coup d'œil à l'humaine toujours endormie lui apprend que ses gestes sont passés inaperçus. Illiana se mettrait bien une paire de claques. Il faut absolument qu'elle garde son contrôle, même si elle lui plaît, même si elles se rapprochent de plus en plus. Elle reste une ennemie de son pays et tant que la guerre n'est pas réglée, d'une manière ou d'une autre, cela ne doit pas changer.

L'elfe se lève, ranime le feu dans l'âtre, entrouvre la porte de la chambre pour se glisser dans la pièce à vivre et faire de même avec celui de la pièce. Assise devant la cheminée, elle se perd dans ses pensées. Laurélyn est-elle seulement en vie à l'heure qu'il est ? Elle n'a jamais eu la passion d'Illiana pour les armes, ses plantes lui suffisaient...

– À quoi penses-tu ? l'interrompt une voix désormais familière.

– Rien de bien important, esquive Illiana en levant les yeux sur la jeune femme.

Une onde de tristesse passe dans les yeux de la magicienne, si vite que l'elfe se demande si elle l'a imaginée.

– Bien dormi ? demande l'humaine.

– Très bien. Et vous aussi à ce que je vois.

La jeune femme hoche la tête, s'assoit sur le divan. Une idée vient de lui traverser l'esprit.

– Tu as quelqu'un qui t'attend, chez toi ?

L'elfe pivote, se pose sur les genoux pour la regarder.

– C'est-à-dire ?

– De la famille, des amis, un... amant ? précise la magicienne.

– J'avais tout cela, souffle Illiana. Aujourd'hui, je l'ignore puisqu'il est probable que vos soldats ont attaqué l'endroit où je vivait. Et même si nous sommes plus forts, moins nombreux et pris par surprise, j'ignore combien ont pu en réchapper. Aucun n'était des guerriers, surtout Laurélyn.

Décidément, elle enchaîne les gaffes aujourd'hui. Pourquoi par tous les Dieux lui parle-elle de son amante ?

– Laurélyn ? répète la jeune femme. Qui est-ce ?

– Ma... Nous... étions en couple avant ma capture, soupire l'elfe.

– Ah, je pensais que c'était un prénom féminin.

– C'en est un, murmure Illiana en levant les yeux.

Elle veut voir la réaction de l'humaine, qui ne loupe pas. Elle écarquille les yeux, bouche bée et dévisage sa prisonnière comme elle ne l'a jamais fait auparavant.

– Donc tu... Aimes les femmes... finit par se reprendre la magicienne.

– Hommes, femmes... Tant que la personne me plaît. Rassurez-vous, vous ne risquez rien, ajoute-t-elle en voyant la jeune femme se renfoncer dans son siège.

– Mais c'est... Enfin ce... Deux femmes ensembles, ce n'est pas normal, souffle l'humaine.

L'elfe penche légèrement la tête sur le côté, fronce les sourcils.

– Qu'est-ce que vous entendez par là ? interroge-t-elle.

– Eh bien, tout le monde sait qu'un couple c'est un homme et une femme.

– Vraiment ? insiste l'elfe.

– Oui, les Dieux ont voulu que nous soyons fait ainsi pour pouvoir perpétuer l'espèce et nos lignées. Donc deux femmes ou deux hommes ensemble, ce n'est pas naturel, récita la jeune femme.

C'est plus fort qu'elle, Illiana éclate de rire. Un rire franc qui rebondit sur les murs et frappe la magicienne, stupéfaite.

– Mais qui vous a appris ce tissu d'imbécilité, ricane-t-elle.

– Les religieux, évidemment, ce sont eux qui communiquent avec les cieux, déclare sérieusement l'humaine.

L'elfe retient un gloussement.

– Ils communiquent autant avec les Dieux que vous et moi. Et ce sont des bêtises qu'ils servent aux gens sur ordre de vos dirigeants. Vous voyez un couple comme une étape nécessaire pour faire des enfants. Oui, il faut effectivement deux personnes de sexe opposé pour cela. Un couple, c'est deux personnes qui s'aiment. Rien à voir avec la progéniture.

Elle se retient d'ajouter que certains ne se contentait pas d'un seul partenaire. Une seule chose à la fois. La magicienne fronce les sourcils en la regardant, le visage sur ses mains et les coudes appuyés sur ses genoux.

– Tout le monde pense comme ça, chez toi ? s'intéresse-t-elle.

– Bien sûr.

– Mais vous ne craignez pas que les Dieux vous punisse ?

– Les Dieux eux-mêmes batifolent à droite et à gauche, s'amuse l'elfe. Dagmar a eu des amants des deux sexes avant de se marier, ses enfants aussi. Il est de notoriété publique que Delthéa a été longtemps amoureuse d'une elfe... Non vraiment, je ne vois pas d'où votre peuple a tiré une énormité pareille.

– Mais... Les lois... souffle la jeune femme, perdue.

– Des lois ? Pour quoi faire ?

– Pour interdire ce genre de... relations. Les lois interdisent ça ! Elles ne peuvent pas se tromper !

– Vos lois ont été faites par des humains. Connaissant votre pays, probablement par des hommes qui se croient plus malin et viril que les autres. C'est un ramassis de bêtises qu'ils vous ont foutu dans le crâne depuis des générations. Tout le monde est libre d'aimer qui il veux.

L'humaine se tut, prit sa tête à deux mains. Illiana comprend que son discours la perturbe, mais ce qu'elle soutient n'avait aucun sens. Des lois pour interdire à deux personnes d'être ensemble ?

L'elfe se lève et s'assoit près d'elle, hésite à la toucher. Elle pose finalement une main sur son épaule et la magicienne sursaute. Elle veut enlever sa main mais la jeune femme la retient. Elle visse son regard dans le sien, cherche au fond de son âme où est le mensonge dans ses paroles. Mais Illiana n'a dit que la vérité, celle qu'on lui apprend depuis qu'elle a l'âge de s'intéresser à ces choses-là.

– Tu veux dire qu'ils mentent, depuis toujours ? murmure l'humaine.

– Je suis convaincue qu'ils croient que c'est vrai. Mais ils se trompent.

– Et si toi, tu te trompais ?

– Mon peuple se souvient encore de l'époque où les Dieux parcouraient cette Terre. Libre à vous de croire que les souvenirs de mes aïeux sont erronés.

La magicienne détourne le regard, se perd dans les flammes. Illiana se tait, patiente.

– Tu me raconterais encore des histoires ? demande soudain la jeune femme.

– Nous avons encore des mois devant nous avant que je n'épuise mon répertoire, sourit l'elfe.

*****

Des jours paisibles ont passé à Fort Qualir. La majorité des soldats est à l'extérieur et les esclaves peuvent souffler. Illiana a jonglé entre ses tâches et sa présence auprès de la Dame du Fort, nécessaire à son rétablissement. Elles ont passé du temps à échanger sur les histoires du Peuple de la Forêt. La magicienne maîtrise de mieux en mieux l'ancienne langue, et guérit bien, reprenant la majorité de ses activités la journée. La nuit, elle la passe entre les bras de l'elfe qu'elle a convaincu de rester, jour après jour, dès qu'Oriane tourne le dos pour donner ses instructions aux gardes devant la porte de la jeune femme.

Mais ce soir, l'elfe la dit complètement guérie et l'angoisse serre le cœur de Gwendolyne. Elle va devoir dormir à nouveau seule et renouer avec ses cauchemars, chassés par la présence d'Illiana.

Face à la cheminée, elle n'a pas le courage de la voir terminer son repas et s'en aller. Elle lui souhaite une bonne nuit, elle répond par automatisme. La porte s'ouvre.

– Reste, s'il te plait, chuchote-t-elle comme une prière.

Un instant de flottement, le feu crépite.

– C'est un ordre ? demande l'elfe.

La jeune femme sursaute. Elle ne pensait pas qu'elle l'entendrait.

– Non, ça n'en est pas un.

Une interminable poignée de secondes s'écoule avant que la porte ne se ferme. Gwendolyne ferme les yeux, s'appuie sur le linteau de la cheminée. Elle est partie sans un mot.

Sa respiration se bloque dans sa gorge quand une main trouve son poing crispé. Les paupières closes, elle ouvre les doigts et une paume chaude vient se blottir contre la sienne. La deuxième main se pose sur son épaule, la fait pivoter avant de glisser sur sa joue.

La jeune femme ouvre les yeux pour plonger dans un océan émeraude. L'elfe la regarde, une expression indéchiffrable sur le visage.

– Pourquoi ? demande-t-elle.

– Je... J'ai besoin de toi.

Illiana hausse un sourcil et elle s'empresse d'ajouter :

– Depuis une semaine, mes cauchemars ont disparus, depuis que tu dors avec moi la nuit... Je ne veux pas les affronter de nouveau.

Un deuxième sourcil se lève, la main se retire de sa joue.

– Vous voulez que je reste parce que je suis votre somnifère personnel ?

– Non... Enfin, si mais... Ce n'est pas ce que je voulais dire, balbutie la magicienne.

Un somnifère ! Dieux, si elle savait les rêves qu'elle faisait quand elle dormait dans ses bras. Rien que d'y penser...

– Que vouliez-vous dire, alors ?

– Que ta compagnie me plaît et que je... J'aimerais te garder près de moi.

Illiana plisse les yeux, penche la tête sur le côté pour la dévisager. Gwendolyne secoue la tête, dénoue leurs doigts et se détourne, espérant que le feu justifiera la rougeur qui monte à ses joues. Les mots sont sortis tout seuls et maintenant, elle va probablement partir, la laisser seule affronter ses peurs.

Les deux bras qui enlacent sa taille la clouent sur place. Elle a chaud, trop chaud, et le feu ronflant dans l'âtre n'y est pour rien. Cela fait des jours qu'elle lutte contre son corps qui n'aspire qu'à se laisser caresser par les mains sagement posées sur son ventre. Elle veut échapper à l'étreinte, mais l'elfe la maintient contre elle sans effort.

– Près ? À quel point, exactement ? chuchote-t-elle dans son oreille.

– Beaucoup trop près pour notre bien à toutes les deux... Je n'aurais pas dû dire cela, il ne faut pas, c'est mal. Lâche-moi, je t'en prie, murmure la jeune femme.

Illiana s'exécute et recule, permettant à la magicienne de s'écarter et de mettre de la distance entre elle. Ce qu'elle lit dans les yeux de sa prisonnière l'effraie. Il y a de la colère, et surtout, cette lueur d'envie qu'elle comprend enfin.

– Ils vous ont appris que c'est mal, mais ce n'est pas le cas, gronde l'elfe. Ce n'est pas quelque chose de honteux ou de sale, c'est tout ce qu'il y a de plus naturel entre deux personnes qui s'aiment.

– Arrête ! C'est peut être quelque chose qui se fait chez vous, mais ce n'est pas le cas ici !

Illiana avance et la jeune femme recule, inquiète de la colère qu'elle lit dans ses yeux. L'elfe soupire d'exaspération et d'un mouvement trop rapide, l'agrippe à la taille. Gwendolyne laisse échapper un cri de surprise, interrompu par les lèvres de sa prisonnière qui s'emparent des siennes.

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