Chapitre 1


Avant, il y a eu la peur. Une peur qui l'a prise aux tripes. Elle ne craignait pas pour elle, mais pour ceux qu'elle devait défendre. L'ennemi était largement en surnombre et ils ne pourraient le vaincre. Ils devaient gagner du temps pour permettre aux autres de s'enfuir. Mais même avec toute la force et le courage du monde, ils avaient perdu...

Ils lui avaient passé ce collier autour du cou, cette affreuse pièce métallique qu'elle ne pouvait ôter. Ils l'avaient battue, torturée, humiliée sans qu'elle puisse se défendre... Au début ils ne voulaient que des réponses... Puis ils avaient décidé de s'amuser. Après tout, avec le collier, elle ne pouvait pas user de magie contre eux. Ils avaient poussé le vice jusqu'à jouer leur tour aux dés. Elle avait tenté de lutter, en vain... L'objet autour de son cou lui causait des souffrances mentales encore plus violentes quand elle leur résistait que toutes celles, physiques, qu'elle subissait déjà.

Le voyage avait duré deux semaines, peut-être trois, elle ne savait plus, elle se renfermait dans les limbes de son esprit pour oublier son corps martyrisé. Elle avait observé de loin leur destination, une forteresse à flanc de montagne, battue par les vents d'Ouest salés...

Ils avaient pris possession des lieux avec d'autres groupes. Dans l'un d'entre eux se trouvait un mage. Lui savait se servir du collier pour la torturer même quand elle obéissait. Les informations ne les intéressaient plus. Leur objectif semblait être de voir jusqu'où elle pourrait leur résister. De jour comme de nuit, ils la torturaient dès qu'elle reprenait conscience. Toujours plus ou moins le même groupe de visages toujours insultants, souvent ivres, parfois exaltés. Ils attendaient de savoir quand elle se suiciderait. Ils lui avaient bien expliqué, le premier jour, que si elle tentait d'ouvrir le fermoir, cela la tuerait.

Recroquevillée en chien de fusil sur le sol de pierre froid d'une cellule obscure, elle ressasse une dernière fois ses souvenirs d'avant. Cette fois-ci, elle ne recule pas, elle veut en finir. Elle sent le sang qui coule dans son dos d'une plaie fraichement rouverte. La respiration sifflante à cause de ses côtes brisées, elle entreprend de faire glisser lentement sa main intacte vers son cou. Celle-ci glisse sur sa peau sensible et fiévreuse. Un bruit extérieur l'empêche de terminer son geste. Des bruits de pas. Ils reviennent encore une fois. Elle tend l'oreille. Non, ce n'est pas eux. Certains pas semblent plus légers. Est-ce qu'elle devient folle ? Ou une lueur d'espoir vient-elle réellement de s'allumer dans le noir absolu de sa souffrance ?

Le cliquetis de la serrure la ramène à la réalité et la lueur de plusieurs torches agresse ses pupilles plongées trop longtemps dans l'obscurité. La fièvre doit lui donner des hallucinations, car il lui semble qu'une silhouette féminine s'agenouille près d'elle, frôle son visage et son bras.

- Puis-je savoir pourquoi je n'ai pas été mis au courant plus tôt ? demande la silhouette.

La voix est indubitablement féminine. Et remplie de colère également.

- On ne voulait pas vous ennuyer avec ça, Ma Dame, elle ne mérite pas que vous gaspillez votre temps pour elle, grommèle une voix familière.

Celui-là, elle le connaît, un des plus pervers du lot. Elle se recroqueville encore plus sur le sol, attirant l'attention de la femme.

- Regardez un peu dans quel état elle est ! Vous pensez vraiment avoir respecté les ordres ? S'exclame-t-elle en se redressant pour se tourner vers son interlocuteur.

Son cri lui vrille les oreilles et elle pousse un faible gémissement en tentant de s'agripper au bas de la robe de celle qui représentait son seul espoir.

- Elle est en vie, Ma Dame, s'interpose une voix traînante. On allais la sortir de là pour la rafistoler de toute façon.

- La rafistoler ?! Vous vous rendez compte que vous ne parler pas d'un objet, magicien ?

- Ma Dame ...

- Je ne veux plus vous entendre ! Je ne veux même plus vous voir, vous et votre bande de dégénérés ! Trouvez-vous une mission à l'autre bout du pays et restez-y, capitaine, ordonne-t-elle glaciale.

- Mais enfin Ma...

- C'est un ordre, et j'exige qu'il soit exécuté immédiatement ! Hurle-t-elle. Vous avez jusqu'à l'aube demain pour plier bagage loin de Fort Qualir ! Passez ce délai, vous et vos hommes serez exécutés pour refus d'obéissance ! Il en va de même pour vous, magicien !

Un silence absolu ponctue son éclat, vite suivi par plusieurs bruits de pas précipités, et elle s'aperçoit derrière ses paupières closes que la luminosité a diminué.

- Oriane, veux-tu bien la porter jusque dans mes appartements s'il te plait ? Je t'y rejoins dans quelques minutes.

- Bien, Ma Dame.

La voix aussi est féminine, pourtant la silhouette qui se penche pour la saisir est en armure. Elle ne peut s'empêcher de pousser un long gémissement quand la femme la cale dans ses bras, la douleur se réveillant dans tout son corps.

- Aller, c'est fini maintenant, bougonne sa porteuse tout en avançant. Ma Dame va s'occuper de toi.

Malgré la maladresse de ces mots, ils la réconfortent un peu. Et avec cette espoir fou qui fait battre son cœur naît la peur que tout ceci ne soit qu'une vaste illusion créée par la fièvre ou la magie. Alors elle s'agrippe comme elle peut avec l'énergie qu'il lui reste à l'armure glacée.

L'atmosphère se réchauffe à mesure qu'elles montent une première volée de marche, puis une deuxième. Les courants d'airs les accompagnent comme elles passent près des fenêtres. Les pas qui les accompagnaient jusque ici s'éloigne sur un ordre bref de la femme soldat. Encore une volée de marches, un couloir illuminé et une porte poussée d'un solide coup d'épaule. Une deuxième porte et l'atmosphère se fait humide en plus d'être chaud. Doucement, sa porteuse se penche et la dépose dans ce qui semble être un bassin enterré, entièrement rempli d'eau presque brûlante.

Un soupir de soulagement franchit ses lèvres et traverse tout son corps qui se détend. Les pas s'éloignent mais ne sortent pas de la pièce. Plongée jusqu'au cou dans l'eau, elle perd la notion du temps et de l'espace. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas pris de bain chaud ? Elle ne se souvient plus. Le bruit de pieds nus marchant sur les dalles la rappelle à la réalité. Un mouvement dans l'eau lui indique que sa sauveuse vient de la rejoindre. Elle ouvre brusquement les yeux en sentant une main fine se poser sous sa poitrine.

- Chhht, reste tranquille, murmure l'autre.

Le collier autour de son cou l'oblige à obéir mais elle se rend vite compte que la jeune femme ressoude ses côtes grâce à la magie. Elle reconnaît qu'elle est douée, la souffrance diminue rapidement dans sa poitrine et elle prend une profonde inspiration.

- Ils t'ont salement amoché, constate la guérisseuse. Est-ce qu'ils ont ... Question stupide, il est évident qu'ils ont dû en profiter un maximum...

Tout en murmurant des injures à l'encontre de ses geôliers, la jeune femme a saisit la main brisée et la guérit comme elle l'a fait pour les côtes. Parce qu'en effet sa sauveuse est jeune. Elle a peut-être une vingtaine d'année, ce qui est relativement jeune, même pour une humaine. La prisonnière profite de ce qu'elle est occupée pour la détailler. Des iris dorées et des cheveux aile de corbeau, des traits doux et aristocratiques, une silhouette mince et élancée, elle est clairement noble, probablement même de la haute noblesse.

Que fait-elle donc si près de la frontière ? L'hypothèse la plus probable repose sur son statut de magicienne. Elle doit être en charge de la forteresse. La reconnaissance que la blessée avait jusqu'ici à son égard se teinte de méfiance et de crainte. Elle la sortit de sa cellule, certes, mais que compte-t-elle faire d'elle à présent ?

Durant ses réflexions, la jeune femme n'est pas restée inactive, après avoir soigné ses fractures, elle s'est occupée des plaies en tout genre et des brûlures, jurant à voix basse à chaque fois qu'elle en trouvait une infectée. Se faisant, elle avait ôté les derniers lambeaux de tissu autour de ses hanches et de ses seins.

Délicatement, comme tout ce qu'elle fait jusqu'à présent, elle fait basculer sa patiente sur le côté pour s'occuper de son dos. Elle n'oppose aucune résistance, trop heureuse qu'on la soulage, même de façon éphémère. Alors que les mains magiques glissent dans sa nuque, elle entend nettement un cliquetis métallique et sursaute. Elle vient de lui enlever la pièce métallique qui enserre son cou. Dans son état, elle ne représente aucun danger mais la jeune noble vient de lui rendre l'usage de la parole. Tandis qu'elle la retourne sur le dos et s'active à soigner les dernières plaies sur son visage, la prisonnière tousse doucement pour s'éclaircir la voix.

- Pourquoi ? demande-t-elle d'une voix rauque et cassée par les cris de souffrance.

- Parce qu'ils n'avaient pas le droit de te traiter ainsi, répond la magicienne. Pas une fois que tu leurs avais donné les informations qu'ils cherchaient. Ils ont reçu, comme tous les autres, des ordres précis en ce qui concerne les prisonniers de guerre comme toi. Malheureusement, ils ont décidé de ne pas les respecter. Je suis arrivée la semaine dernière pour prendre le contrôle de la forteresse et j'ai eu beaucoup à faire pour la rendre fonctionnelle. Et bien sûr, ils ont tu soigneusement ton existence. J'aurais dû faire exécuter le capitaine et ses soldats, mais Raquin est un excellent stratège et meneur d'homme et mon père a besoin d'homme comme lui.

La fin de son discours la fait tiquer. Le Haut Chef des armées des Hommes est le frère du Roi, le duc de Rimath, donc la magicienne qui se tient devant elle ...

- Vous êtes Gwendoline de Rimath, souffle-t-elle.

Un sourire se dessine sur le beau visage de la jeune femme.

- Au moins n'ont-ils pas réussi à nuire à tes capacités de réflexions. Oui je suis bien celle que tu penses, confirme-t-elle tranquillement. Et toi ? Quel est ton nom, elfe ?

- Iliana...

- Iliana, répète-elle doucement. C'est joli.

L'elfe en aurait presque sourit. Elles étaient ennemies, elles prenaient un bain et elle avait guéri ses blessures. Et elle s'attardait sur la beauté de son prénom ? Les humains étaient vraiment des créatures étranges.

Les mains de la jeune noble dans ses cheveux la ramènent au moment présent. Elle vient de se glisser dans son dos et étale doucement une lotion au parfum fruité dans la masse argenté, nettoyant par la même occasion la crasse et la sueur. Ses gestes sont doux, elle lui masse le crâne, s'attarde sur les tempes... Iliana attend qu'elle est terminé de rincer sa chevelure pour demander :

- Que comptez-vous faire de moi ?

La jeune fille lui jette un regard en biais et ne répond pas. Voilà qui n'annonce rien de bon. L'elfe se renferme à nouveau dans sa coquille, elle a été stupide de croire qu'elle avait une alliée en ces lieux. Pourtant, comme si de rien n'était, la magicienne sort de l'eau, s'emballe dans un épais peignoir crème et l'aide à faire de même. D'un geste, elle déclenche le mécanisme qui permet de vider la baignoire tandis que de l'autre main elle la guide jusqu'à un tabouret devant un miroir.

Ce court trajet la vide de ses forces. Même guérie, elle reste extrêmement faible. Malgré tout, elle tente de rester alerte, de détecter le geste qui trahira les intentons de la Dame du fort. Celle-ci s'attache à démêler ses longs cheveux d'argent en évitant de croiser son regard interrogateur dans le miroir.

- Vous n'avez pas répondu à ma question.

Elle tente, après tout elle n'a rien à perdre. La brosse se fige un instant avant de reprendre son mouvement régulier.

- Tu sauras ce que j'attends de toi le moment venu, murmure-t-elle finalement.

- Oui, quand je ne pourrais plus reculer ou me rebeller, ironise l'elfe.

Elle ne relève pas et continue sa tâche. Iliana décide de prendre son mal en patience. Après tout, elle a visiblement besoin d'elle en bon état, sinon elle l'aurait laisser crever en bas.

Quelqu'un frappe et la femme en armure, toujours debout dans un coin, bondit pour entrouvrir la porte et réceptionner ce qui semble être à travers le miroir, un paquet de vêtements.

Sa coiffeuse improvisée termine de brosser ses cheveux et s'éclipse sans un mot. La femme soldat lui tend le paquet et lui ordonne d'une voix bourrue :

- Aller, habille-toi, Dame Gwendoline n'a pas que ça à faire.

Elle obéit tandis que l'appréhension lui sert le cœur. Porter des vêtements propres la rassure un peu. Une chemise en lin, un pantalon de la même matière et une solide paire de chaussure en cuir forme un ensemble correct et à peu près à sa taille. Les sous-vêtements sont un peu trop grands et la gratte au niveau des coutures, mais elle ne va pas s'en plaindre.

Elle se relève et sa gardienne hoche la tête. D'un mouvement du menton elle lui indique qu'elle doit passer devant. Elle tente de prendre un pas assuré mais ses jambes se dérobent sous elle et elle s'étale sur les dalles de pierres. Un soupir retentit derrière elle et avant d'avoir eu le temps de dire ouf, elle se retrouve à nouveau dans les bras de la femme.

- Je peux marcher seule, proteste-t-elle dans un dernier élan d'orgueil.

- C'est ça et moi je suis une princesse, ricane l'autre.

Sans plus de cérémonie, elle la transporte jusqu'au bureau en traversant le salon. Elle la dépose sur un des deux siège présents, la maîtresse des lieux occupant déjà l'autre, et se place dans son dos. L'elfe en comprend la raison quand elle voit la magicienne contourner le bureau avec un autre collier dans la main. Hors de question que ça recommence ! Elle tente de se débattre mais l'autre la maintient fermement pendant que la jeune femme referme le collier autour de son cou.

- Arrête de lutter et reste assise, ordonne-t-elle aussitôt.

Craintive, elle obéit mais lui lance un regard noir, ce qui lui vaut une décharge mentale de la part de l'objet. Elle se mord la lèvre pour ne pas crier. Elle aurait dû savoir qu'elle la trahirait. Résolue à ne rien laisser paraître, elle affiche un visage impassible tandis que sa nouvelle geôlière s'appuie sur le bureau.

- Tu voulais savoir ce que tu vas devenir, je vais te répondre, déclare-t-elle. Le Roi a publié un nouveau décret qui stipule que tous les prisonniers de guerres acquièrent dès à présent le statut d'esclaves. Il est temps selon lui qu'ils gagnent la nourriture qu'on leur donne. En conséquence de quoi...

Iliana n'écoute plus. Elle ne se laisserai pas réduire en esclavage par ces fichus humains ! Vivement, elle porte la main à sa nuque et trouve le fermoir de l'objet de son asservissement. Au moment où elle tente de l'ouvrir, une douleur atroce, mille fois pire que ce qu'elle a déjà pu ressentir, explose dans son corps. La sensation ne dure qu'une seconde avant de s'interrompre aussi brutalement qu'elle a commencé, mais la laisse pantelante et les larmes aux yeux.

La magicienne s'est déplacée, elle se trouve sur son côté. Elle lui tient la main et de l'autre caresse ses cheveux alors qu'elle appuie sa tête sur sa poitrine. Quand diable s'est-elle laissé aller ainsi ?

- Pourquoi as-tu fait cela ? l'interroge la jeune femme.

- Ils avaient dit... que cela me tuerait, hoquète-t-elle péniblement.

- Ils t'ont menti, tenter d'ouvrir le collier ne te tuera pas, explique-t-elle doucement. Mais tu souffriras comme tu viens de le sentir jusqu'à ce que quelqu'un arrête le sortilège.

L'elfe serre les dents en voyant son dernier espoir s'envoler. La jeune noble la relâche et prend son visage entre ses mains pour l'obliger à la regarder pendant qu'elle parlait.

- Je sais ce que l'esclavage évoque pour toi, dit-elle. Mais tous les esclaves ne vont pas trimer dans les mines ou sur les navires de guerres. Ce sont essentiellement les rebelles qui y sont envoyés. Toi, tu resteras à la forteresse, à mon service. Et tant que tu me serviras bien, tu seras bien traitée. Est-ce que tu comprends ?

Iliana hoche la tête. Elle ne croit pas aux mensonges qu'elle profère. Des esclaves bien traités ? Quelle plaisanterie !

- Le collier que tu portes est différent de celui que tu avais avant, lui signale la jeune femme. Il t'empêchera de te faire du mal, d'aller dans certains lieux sans autorisation, et bien sûr d'entrer en contact avec ta magie. Tu commenceras à travailler dès que Graham t'estimeras suffisamment remise. Maintenant, suis Oriane, elle va te conduire jusqu'à lui.

Elle la relâche et retourne s'assoir derrière le bureau. Oriane qui se doute qu'elle est incapable de marcher l'attrape négligemment et la prend dans ses bras. L'elfe ne se plaint même pas, elle vient de voir s'envoler au loin son dernier rêve de liberté.

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