Chapitre 5

Les examens approchent à grand pas. Nous n'avons rien à réviser, rien à préparer. Chaque année, ce ne sont jamais les mêmes. Ils peuvent être écrits, oraux ou parfois physiques. Ils durent plusieurs heures et sont rarement faciles. Ils sont précédés d'une prise de sang, d'une analyse d'urine et d'un examen complet. Notre ancien professeur nous glissait des indices sur les tests à venir afin que nous puissions travailler quelques leçons déjà vues en cours. Ce ne sera plus le cas à présent, avec Mr Decklan. Je suis certain qu'il se réjouit de notre futur échec. Quel est son but exactement ? Travaille-t-il pour le Destin ? Cela ne me surprendrait pas.

Demain est la journée des Retours. La ville se prépare et prend des allures de festivité. Quelques décorations et des banderoles, où sont inscrits des messages en tous genres, sont dispersées sur la place. Des tables sont dressées pour pouvoir alimenter les revenants avant qu'ils ne rentrent chez eux. Elles sont disposées tout autour de la fontaine centrale, si bien qu'on penserait à un restaurant en plein air. Des nappes blanches et rouges, des assiettes et des couverts en plastique. Quelques serpentins sont suspendus le long des devantures de magasins et des lampadaires. Toutes les couleurs sont réunies en cet endroit, toutes sauf ce bleu... ce bleu Turquoise. C'est une manière pour les habitants de rejeter cette teinte synonyme de malheur. Pourtant, il suffit de relever la tête pour y penser, lorsque le ciel s'illumine. C'est partout autour de nous, si puissant et significatif.

Je presse le pas vers le chemin de l'école car il ne faut pas que je sois en retard. Le portail est encore ouvert et cela me rassure. S'il se referme, je devrai passer par les bureaux d'administration pour que mon retard soit comptabilisé dans mon dossier. Être ponctuel nous enlève une épine du pied et ce n'est pas négligeable.

Lorsque je franchis le seuil de l'enceinte, je reste perplexe. Je distingue des groupes d'étudiants répartis un peu partout sur les lieux, mais ils semblent moins denses. Combien ont reçu la Lettre ? Je n'ose pas donner de chiffres, car une seule est déjà trop. L'impact est beaucoup plus important cette année et c'est ce que voulait nous faire comprendre Don Blorton lors de son passage télévisé. Mes jambes se bloquent, ma respiration se coupe. Je réalise qu'en ce moment même, une partie des élèves est de l'autre côté. Ils savent enfin ce qui se trame derrière tous ces secrets. J'aimerais être à leur place, d'une certaine façon. Juste pour que la glace soit brisée, et que la vérité m'éclate enfin au visage. Cela supposerait que je sois parti pour toujours, et c'est ce qui me transperce le cœur. J'essaye de paraître impassible car je réalise que tous les yeux sont rivés sur moi. Je suis resté planté au milieu de la cour, accaparé par mes pensées.

Mon cœur s'emballe lorsque je cherche Beth du regard, car je ne la trouve pas. Je tourne rapidement sur moi-même sans l'apercevoir. La panique me rend vulnérable. Soudain, quelqu'un m'interpelle.

- Hé toi ! Me murmure Greg, un garçon de ma classe.

Je le dévisage avant qu'il ne me fasse signe de la main.

- Viens !

Que veut-il ? Ce n'est pas quelqu'un que j'ai l'habitude de fréquenter. Il m'intrigue tellement que je ne pense plus à Beth. Ma curiosité prend le dessus, j'ai besoin de savoir ce qu'il a à me dire.

Je m'élance vers lui, entouré de ses amis, avant de m'arrêter à une distance de courtoisie. Ni trop près, ni trop loin. Mais cela ne semble pas suffire, il veut que je me rapproche. Je fais encore un pas, puis un autre. Il doit penser qu'il m'effraie et c'est le cas.

- Il faut qu'on parle, m'annonce-t-il.

Le ton de sa voix est différent de celui que je lui connais. Il est plus grave et beaucoup plus sérieux. C'est plutôt le genre à marcher à contre sens du système. Il aime jouer des mauvais tours, tout en anticipant les conséquences. C'est pour ça qu'il est toujours parmi nous, il est très futé. Personne ne pense jamais à lui lorsqu'il s'agit de trouver le cerveau d'une opération quelconque. Il n'a pas l'attitude du meneur, sauf quand on apprend à le connaître.

-Qu'est-ce qui se passe ? Je demande.

- Souris... fais comme si ce que je vais te dire t'amuse.

Il jette un œil à l'un des surveillants qui passe non loin de nous. Je comprends que ce qu'il veut me dire ne doit pas s'ébruiter. Je me mets à feindre un rire dont j'ai du mal à me convaincre. Mais Greg a l'air satisfait du naturel qui émane de notre discussion.

Je remarque qu'il a un tic nerveux à l'œil. Il est sur ses gardes.

- Il faut que nous rations les examens... tous autant que nous sommes.

Sa phrase me paraît lointaine, presque inexistante. Je prends un instant avant de l'analyser et d'en comprendre l'importance ainsi que les possibles répercutions. Il plaisante ? Ce serait mieux pour lui, pour nous.

- Tu n'es pas sérieux, je lui renvoie avec un sourire jaune, on va tous y rester !

Je suis passé du murmure à une tonalité correcte. Ses yeux s'élargissent mais personne ne nous a entendu. Je m'avance encore plus près de lui, si bien que je peux sentir l'odeur du tabac sur ses habits.

- On ne peut pas prendre un tel risque, je chuchote.

- Regarde autour de toi, si on ne fait rien, il n'y aura plus assez d'élèves pour remplir une seule classe.

- Qui te dit qu'il en restera si nous sabotons les examens ?

- Il y a pas mal d'étudiants prometteurs ici, ils ne pourront pas se permettre de les sacrifier.

Qui a parlé de sacrifices ? Serait-il au courant de ce qui se déroule après réception de la Turquoise ? Ses convictions sont similaires aux miennes, mais ce serait de la folie d'agir ainsi.

- Je suis sûr de mon coup, m'assure-t-il.

- Tu es toujours sûr de tes coups, je lui affirme.

- Pas faux, mais cette fois, il n'est pas question d'une farce.

- Comment imagines-tu le déroulement de ton plan ? Je lui demande, intrigué.

- C'est simple, on échoue aux tests, et tout le monde s'en tire. Il ne pourront pas tous nous choisir, alors ils n'en choisiront aucun. Les semaines avant la fin de la Distribution seront sûrement plus strictes, nous n'aurons plus le droit à l'erreur, mais ce sera un grand pas de fait. De la solidarité, pure.

- Je bois ses paroles. Tout ce qu'il dit est si attirant, si percutant. Son discours me captive et je ne sais pas si c'est grâce à la façon dont il expose les choses, ou plutôt à la cohérence de ses propos.

- Tu me demandes donc de bâcler mon examen ?

- Oui, mais pas seulement. J'ai vu que tu traînais avec Beth et Hope. Il faudrait que tu arrives à les faire marcher dans notre plan.

J'hésite avant de reprendre.

- Tu veux que je diffuse tes intentions ? Comme une épidémie ?

- Exactement !

- C'est donc ça qu'il veut. Que je nous mène, mon amie et moi, à notre perte la plus évidente.

Je ne peux pas me permettre de jouer avec leurs vies. Si je décide de participer et de tomber dans leur plan, je ne souhaite mener personne dans ma chute. C'est pourtant ce qu'il s'apprête à faire, lui. Son acte sera sans retour possible, à moins que je ne me trompe et que ce qu'il avance tienne la route. Après tout, je ne serais pas en train de l'écouter si une partie de moi n'était pas captivée par ses dires.

- Je ne sais pas... ça me paraît si...

- Impossible ? Me coupe-t-il, ce mot n'a plus de sens. Ce qu'on ne pensait pas possible avant l'est devenu. Nous sommes des marionnettes, nous l'avons toujours été. Je te laisse y réfléchir. Donne moi ta réponse après la journée des Retours.

Je hoche la tête en signe d'affirmation et lui tourne le dos. Je repense soudain à Beth car je ne la vois toujours pas. Où peut-elle bien être ? Je ne me pose plus la question lorsque je la vois arriver, au pas de course. Je me précipite vers elle et la serre contre moi, sans même lui laisser le temps de reprendre son souffle.

- Calme-toi, me chuchote-t-elle, je suis là. Il y a eu du grabuge près de chez moi. Une famille qui a fait de la résistance...

Ses yeux deviennent humides et brillent sous de faibles rayons de soleil. Je comprends la raison de son retard. Elle s'est sûrement interposée, comme je l'ai fait avec les Ledercroft.

- N'y pense plus, lui dis-je. Ce n'est pas de ta faute.

- Si seulement je pouvais faire quelque chose...

Son souhait me percute.

- Il y a peut-être quelque chose, vient... il faut que je te parle.

*

- C'est de la folie. Nous serions la cible première ! On leur faciliterait même la tâche. Plus besoin pour eux de chercher du monde si des classes entières se portent volontaires.

Sa réaction me rassure car elle est proche de celle que j'ai pu avoir face à Greg.

- Je sais, mais si cela marche, ce serait génial, je lui confie plein d'espoir.

Elle passe sa main sur mon front pour replacer quelques cheveux.

- Ton optimisme légendaire...

- Tu vois les choses comme elles se doivent d'être vues. On ne peut plus se permettre de rêvasser. Tu as raison.

- Ne nous mettons pas en danger. On a encore des proches sur qui veiller.

Elle n'a pas tort. Je ne peux pas abandonner ma mère sur un coup de tête. Il faut que j'oublie cette idée et que j'en informe mon camarade. Je me sens lâche un instant, mais ce n'est pas le cas. Si je refuse c'est pour continuer de me battre.

- Les Retours peuvent toujours nous réserver une jolie surprise, je lui lance.

Elle sourit.

- Oui, bien sûr !

Elle me répond par politesse. Il y a un moment qu'elle a perdu foi en ses espérances. Pour ma part, je continue de croire en l'Homme et en la bonté humaine. Je ne suis pas naïf, mais désespéré.

Les cours ne vont pas tarder à débuter. Je remercie le ciel d'avoir laissé à mes côtés ceux qui comptent le plus pour moi. Ce n'est peut-être que temporaire, mais chaque jour est un de moins à prier. Soudain, sans vraiment en connaître la raison, l'idée que Hope puisse aussi avoir des ennuis me traverse l'esprit.

Lorsque nous prenons place sur nos sièges, la classe se remplit petit à petit. A ma grande surprise, il ne manque pas beaucoup d'élèves. La plupart est sûrement en retard de la même façon que Beth l'a été. L'altruisme est l'une de nos règles les plus importantes. Pendant que certains se ferment au monde, d'autres continuent de voir la lumière au bout du tunnel. C'est un équilibre que nous avons toujours connu, un équilibre perpétuel mais qui se démarque à présent. Il y a deux catégories distinctes de personnes, celles qui se battent et celles qui se terrent.

Dans laquelle puis-je me considérer ? En refusant d'aider Greg, je refuse d'aider tous les autres. Je ne sais pas quoi faire, je suis complètement perdu.

Decklan entre dans la pièce, confiant. Il pose sa sacoche en cuir noir près de son grand bureau en bois laqué et ne dit rien. Il fouille dans ses affaires, ouvre quelques cahiers et y inscrit des notes au stylo. Il ne nous calcule pas... Il attend.

- Bon, il semble que plus personne ne va arriver, lance-t-il après une minute de silence.

Je détourne mes yeux de lui lorsque son regard se pose sur moi. Je ne veux pas qu'il lise en moi, je ne veux pas qu'il voit la moindre once de terreur sur mon visage. Il ne me fait pas peur, pas vraiment. Je ne lui accorde aucun intérêt, aucune valeur. C'est un pantin articulé, il est vide de conscience.

- Puisque vos amis ne seront plus là pour y assister... le cours peut commencer, nous affirme-t-il.

Mes poils se hérissent sous la noirceur de ses propos. Je me redresse et plaque mon dos sur le dossier de ma chaise. J'attrape un crayon et le fais trembler sous mes doigts, l'agite dans tous les sens. Je deviens nerveux, anxieux.

Elle n'est toujours pas arrivée.

Hope.

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