Chapitre 41
Ils reviennent près de moi.
- Vous ne m'avez pas menti en me promettant de ramener Micka dans cette pièce.
- Non, tu sais bien que je ne te mentirai jamais. Je m'occupe de toi depuis longtemps.
- Que va-t-il se passer maintenant ?
- Je vais te ramener dans ta zone, reprend Carl. Mais je veux te laisser un dernier choix avant de le faire.
Je l'écoute attentivement.
- Tes parents sont dans la pièce d'à côté. Veux-tu les voir ?
- Oui ! Je m'écrie, bien sûr que oui !
Je me lève en sursaut et emboîte le pas de l'inspecteur. Il me reconduit dans le bureau où nous étions et je les vois qui se tiennent au milieu de la pièce.
Don Blorton et ma mère, côte à côte. Le visage de cette femme n'est plus comme avant. Il est ridé, vieilli, abîmé. Ses cheveux sont blancs et l'une de ses mains tremblent frénétiquement. Elle porte un vieux manteau et ses jambes sont remplies de varices. Des veines épaisses et violettes qui se répandent sur sa peau et y dessinent des arabesques.
L'homme, quant à lui, est similaire à celui que j'ai rencontré l'heure d'avant. Il ne signifie rien pour moi. Ce n'est ni mon père, ni même un ami ou une connaissance. Qui est ce couple en face de moi ? Je ne les reconnais pas... je ne les ai jamais connus. Je fais un pas en arrière, puis deux. Je les vois qui s'éloignent, mais cette fois, c'est moi qui le décide. J'attrape la poignée de la porte et la ferme sous leur nez.
- Repartons, dis-je, tout de suite.
Mon visage se transforme, je ne suis plus le même. Je laisse derrière moi ce pourquoi je me suis battu... ce pourquoi je pensais me battre. Ma mère ne s'est jamais sacrifiée pour moi. La lettre que j'ai trouvée sur la table basse est la lettre qui m'a amené ici, lorsque j'étais jeune. J'aurais pourtant aimé qu'elle lutte afin de me sauver.
Je vivais seul, depuis tout ce temps. Ce n'est pas Hope qui a déclenché l'incendie, c'est moi. Lorsque Carl m'a interrogé, il savait déjà que j'étais coupable. Il ne m'a pas menacé, il n'a rien dit de tout ce que j'imaginais. Je le revois, en train de me rassurer et de me laisser repartir. Tout ce que j'ai pensé vivre n'était pas réel. L'école a-t-elle un jour fonctionné ? Le marché où je faisais mes courses était-il vraiment là ? La bague d'ambre que ma mère m'a offerte est-elle vraie ?
Je regarde ma main, elle ne s'y trouve pas. Pourtant Beth existe, j'en suis certain. Elle est avec moi depuis le début, derrière ces murailles qui nous séparent du monde. Greg et Hope ne sont que pure invention. Je leur ai inventé un rôle dans cette histoire pour qu'ils m'accompagnent jusqu'à la fin. Hope, la sœur imaginaire de Rose et Greg, un marginal. Je me revois, solitaire, parler à leur place et dialoguer avec moi-même.
Nous empruntons le même chemin qu'à notre arrivée et repassons par le tube de verre. Je me rapproche d'une des parois circulaires et m'attarde sur la foule qui se trouve plus bas.
- Dans quelle zone vont aller tous ces gens ?
- Cela dépend, me dit Carl.
Je n'arrive pas à discerner le visage de ces personnes car elles sont trop éloignées. Pourtant, il me semble voir courir deux jeunes gens, affolés. Je plisse les yeux pour que ma vision soit plus nette et je suis certain de les voir... mes amis. Les cheveux clairs de Hope se balancent dans le vent et Greg lui tient la main. Je les suis du regard puis ils disparaissent dans l'attroupement. Je ne les vois plus.
Il faut que je reprenne mes esprits, tout ça n'est pas réel. Je m'en souviens, à présent. Je suis Micka... Aven n'a jamais existé. J'ai du mal à rester concentré plus d'une minute. Ma tête me fait horriblement mal et mes nausées ressurgissent.
- Tu te sens bien ? S'inquiète Carl.
- Ça va aller, allons-y.
Nous quittons le centre du Destin grâce à l'un des nombreux convois de distribution. Je me souviens avoir été assis là, plus jeune, apeuré. La route est beaucoup moins longue que je le pensais. Nous nous arrêtons au village abandonné pour que Carl puisse mettre l'essence. Je revois mes attaquants rebrousser chemin après avoir senti la décomposition de mon corps, lorsque j'étais dans le placard.
- Mince, s'écrie-t-il.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? Je demande par la fenêtre.
- Je n'ai plus ma carte de déverrouillage... j'ai dû la perdre en chemin.
Je fouille dans ma poche de pantalon et sors celle que Hope et moi avons trouvée dans le tiroir de la commode. Je l'ai gardée sur moi pendant tout ce temps, pendant tous ces mois loin de ma ville. Lorsque je la tiens dans ma main, je me souviens où l'avoir réellement trouvée. Je l'ai dérobée à Carl après l'incendie, lorsqu'il m'a interpellé. Je me vois l'attraper avec discrétion sans savoir comment j'ai bien pu faire. Hope n'a rien trouvé... je l'avais déjà sur moi. Je m'en suis aussi servi pour quitter la zone, car elle permet la désactivation de nombreux accès.
Les kilomètres défilent et nous arrivons près de l'arche du tunnel.
- L'usine était bien réelle ? Je demande.
- Oui, mais elle ne fonctionne plus depuis la mise en place du Destin.
C'est évident.
Nous prenons l'accès principal des frontières afin de rentrer dans la ville. Ces murs hauts de plusieurs mètres que je rêvais de franchir... Ces murs qui nous gardaient prisonniers, qui nous contenaient. Le chemin que nous empruntons une fois à l'intérieur nous mène vers la place principale, près de la fontaine.
- Dans quelle zone suis-je ? Je demande.
- Dans une zone où nous regroupons tous les gens comme toi...
« Tous les fous comme moi, pensé-je »
Les maisons et les rues sont délabrées. La fontaine, asséchée, tient difficilement sur sa structure. Je reconnais à peine la ville où j'ai grandi. Voilà plusieurs mois que je suis parti, que la Distribution a cessé et que la vie a repris son cours. Se peut-il que, pendant ce temps, le Destin ait attaqué les lieux, le laissant pourrir et sombrer ?
Des gens s'attroupent lorsque je reviens. Ils me dévisagent, me reconnaissent. S'attendaient-ils à des Retours ? Non, les Retours sont annulés... Je me souviens de Rose et de ses paroles. « Les Retours sont annulés, définitivement ». Ce message était pour nous, pour eux, pour tous ces gens qui n'attendaient que de rentrer chez eux.
Sa mise en garde prend son sens. Ils ne savent sûrement plus quoi faire de nous, de moi. Aucune explication ne m'a été donnée. J'ai besoin de savoir.
- Pourquoi ce système ? Questionné-je.
- Je n'ai pas le droit d'en parler, me répond-il.
Je n'ai pas la force de le convaincre. Je me déplace près de ces personnes qui ne tiennent pas en place. Certains sautent, tournent sur eux-mêmes et d'autres sont accroupis, tanguant, comme Claire l'était.
- Vous n'avez pas peur de vous déplacer parmi tous ces gens ? Ils pourraient vous faire du mal.
- J'ai de quoi me défendre, m'assure-t-il.
- Que va-t-il se passer si rien ne s'arrange ?
- Mieux vaut ne pas y penser. J'espère que le traitement de Béa tardera à s'estomper.
- Que m'a-t-elle fait ?
- Elle a réduit l'inflammation de ta tumeur.
- J'oublie tout, à chaque fois ?
- Disons que tu transformes la réalité et que tu crées une boucle infernale.
- Pourquoi me ramenez-vous ici ? Vous n'avez qu'à m'enfermer...
- Nous n'avons pas besoin de te garder en huis clos lorsque le vaccin te rend lucide.
Je baisse les yeux, gêné par mon incapacité à être indépendant psychologiquement.
- Combien de temps me reste-t-il à vivre ?
- Ne t'inquiète pas... tu en as encore pour un moment, répond-il, songeur.
Il manque quelqu'un, près de moi. Elle existe, elle est quelque part par là. J'ai partagé beaucoup de moments avec elle et je ne souhaite que la retrouver.
- Je dois aller la voir ! Dis-je. Beth doit m'attendre.
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