Chapitre 29

Le soleil se couche et je les emmène, comme promis, dans l'usine. Nous n'avons pas pris la peine de refermer le passage lors de notre arrivée.

- Tu sais ce que tu fais ? Me murmure Hope.

- Je sais ce que je ne fais pas, dis-je, et c'est vous mettre en danger.

Elle sourit par gentillesse et se rapproche de moi lorsque le chef, prénommé Barry, reprend la parole.

- C'est de là que vous sortez ? Rigole-t-il.

- Oui, le tunnel s'étend sur plusieurs kilomètres et ensuite... c'est la liberté.

- Pourquoi être venu ici, si vous étiez libre ?

- Nous avons pris la fuite... pour des raisons personnelles.

- Pourquoi ne parlez-vous pas à la première personne afin d'assumer vos choix ?

- Je parle au nom de mes amis, nous sommes dans la même galère.

Il me rigole au nez et cherche du regard mes camarades. L'homme se tient à quelques mètres d'une issue improbable et ne cherche pas plus d'explications.

- Rassemblez nos provisions ! Nous partons, mon groupe et moi, en éclaireurs. Nous reviendrons chercher ceux qui souhaitent nous suivre.

La peur de fuir se lit sur beaucoup de visages. Le Destin peut leur tomber dessus pour ça et ils ne l'oublient pas. Pourtant, bon nombre de ces gens sont plus que partants pour déguerpir de la ville.

- Nous t'emmenons avec nous... tes amis t'attendront entre de bonnes mains, ne t'inquiète pas, s'amuse-t-il.

J'aurais préféré les laisser partir et en être débarrassé, mais j'acquiesce.

La route est encore plus longue maintenant que je suis coincé entre deux gaillards, qui me laissent peu de place. L'eau courante et les douches ne doivent plus être une priorité pour eux depuis un bon moment.

- Pourquoi partir en pleine nuit ?

- Pour la sécurité, dis-je avec ironie, intérieurement.

Je pense à mes compagnons de route et souhaite qu'ils aillent bien. J'aperçois l'arrivée et la clarté lunaire qui voile la sortie.

- Nous sommes bientôt arrivés, je conclus.

Les hommes semblent surpris par la véracité de mes dires. Nous dépassons la coupole qui délimite l'entrée et Barry se gare.

- Liberté ! Hurle-t-il en sortant du véhicule. L'odeur de la liberté !

«  Continue de crier, pensé-je, continue de les attirer »

- Vous pouvez aller chercher nos compatriotes et le laisser avec ses camarades. Je vous attends ici, dit l'homme.

« Mauvaise idée »

- Allons-y ! répond l'un du groupe.

Il prend place face au volant et fait demi-tour, laissant Barry seul face à cette étendue de terre et de forêt, prête à lui souhaiter la bienvenue comme il se doit. Je retrouve mes amis et leur saute machinalement dans les bras. Ils sont soulagés de me voir revenir en un seul morceau.

Les habitants ont chargé bon nombre de voitures durant mon absence. Elles attendent en ligne, prêtes à franchir l'accès obscur. Ils s'en vont, groupe par groupe, avec détermination. Je ne vois que des brutes, des voleurs et des assassins. Mon plan fonctionne correctement. La première étape consiste à me débarrasser de Barry et de ses sous-fifres, la seconde est d'atteindre le Destin plus rapidement.

L'usine se vide au compte-goutte mais nous voyons nettement la différence. Il ne reste pratiquement que des femmes et des pères de famille, parfois même des enfants. Leurs conditions sont déplorables. Ils ont souffert depuis trop longtemps, réclamant à boire et à manger.

La dernière voiture démarre et je saisis, lorsqu'elle s'éloigne, une massue sur l'étagère en fer forgé. Je m'approche des interrupteurs qui contrôlent l'ouverture de l'accès, ceux dont Hope s'est servie pour nous faire entrer, et les explose d'un seul coup avec précision. Je retourne rapidement à l'intérieur du bâtiment alors que les portes en pierres se referment. Un système de sécurité leur permet de fonctionner même si le courant ne circule pas. Les murs s'entrechoquent et deviennent hermétiques. Nous ne pourrons plus utiliser ce chemin. La tablette numérique qui réceptionne le code est hors d'usage et il en est de même pour les boutons situés de l'autre côté.

Ils sont pris au piège... je les ai pris au piège.

- Il n'y avait pas d'autre moyen, me justifié-je auprès de mes camarades.

- Cette assurance, me dit Hope, je ne t'ai pas reconnu.

- Je ne pouvais pas les laisser vous faire du mal.

- Tu les as envoyés dans la gueule du loup, rajoute Greg. Je ne te le reprocherai pas... la situation n'était pas en notre faveur.

- Nous ne pouvons pas tuer des gens, s'empresse de répondre la jeune file, nous ne sommes pas des tueurs !

- C'était eux ou nous ! Que voulais-tu que je fasse d'autre ?

- On aurait dû les avertir sur notre réelle intention. Atteindre le Destin...

- Jamais. Je ne pouvais pas laisser faire couler notre plan. Nous avons rétabli l'équilibre. C'est la loi du plus fort à présent. Cela ne tardera pas à arriver dans d'autres villes, comme la nôtre.

- Je ne veux pas être une criminelle !

Greg lâche un rire nerveux et pivote la tête de gauche à droite.

- Nous ferions mieux d'enrayer cette conversation. Aven, tu as fait ce qu'il fallait. Nous n'avons plus qu'à continuer ce que nous avons entrepris.

Je baisse les yeux, gêné par l'embarras que je viens de créer.

- Merci, s'écrie soudain une vieille dame en s'approchant de moi, merci beaucoup !

- Je vous en prie, dis-je, ce n'est rien.

Je suis ravi de voir que la vieillesse existe encore dans un monde où «  la jeunesse est l'avenir ».

- Pouvez-vous faire cesser ces bruits que j'entends ? Reprend-elle.

- Quels bruits ? Je demande.

- Cela fait quelque temps maintenant que cela siffle dans mes oreilles. Comme un infime hurlement qui ne cesse jamais. J'ai du mal à dormir et je suis vraiment fatiguée. Auriez-vous des médicaments pour mon arthrose ?

- Pouvez-vous nous trouver de quoi manger et boire s'il vous plaît ? M'envoie une autre personne un peu plus loin.

- Il me faudrait du lait pour mon bébé, je ne peux plus le nourrir, renchérit une autre femme.

Je ne sais plus où donner de la tête parmi toutes ces lamentations. Ils pensent que je suis là pour les sauver... mais ils se trompent à mon sujet. Je n'en serai pas capable. Je ne suis pas là pour ça.

Je prends une longue inspiration et tente de condenser mon sentiment actuel en un seul mot, clair et significatif.

- Désolé... Soufflé-je avant de tourner les talons.

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