Chapitre 28

Je me gare à plusieurs rues du vacarme afin que nous puissions nous déplacer discrètement. Je suis rassuré de savoir qu'il y a encore du monde pour maintenir cette ville en marche.

- Ils font peut-être la fête ! Suppose Greg, alors que nous empruntons une petite ruelle boueuse.

Les maisons sont accolées à des bâtiments de trois étages qui semblent encore habités. J'évite les déjections canines sur mon chemin et m'empresse de découvrir l'origine de cette agitation environnante. Lorsque nous tournons au coin de la rue, nous voyons une quantité indénombrable de personnes qui se positionnent en cercle. La musique résonne et m'irrite les tympans pendant que de vieux camionneurs poussent la gueulante. Des chiens enragés sont tenus en laisse et de fortes odeurs se dégagent de la foule.

- Vous voulez boire quelque chose ? Nous demande une métisse très peu habillée.

Elle mâche son chewing-gum avec tellement d'entrain que j'aperçois ses amygdales.

- Non... merci, refuse Hope.

La jeune femme continue sa route et nous nous rapprochons avec précaution de l'attraction principale. Une arène de fortune encadre deux hommes de forte morphologie. L'un d'eux ne porte qu'un short rouge et le second un débardeur gris avec un pantalon troué. Ils sont pieds nus, le visage ensanglanté.

- Je mise sur Patrick, annonce un homme en posant un gros billet sur le comptoir en fer à quelques mètres de nous.

- Bon choix ! Renvoie son interlocuteur.

Que souhaitent-ils reconstruire en créant des combats illégaux ?

- J'ai déjà vu ça quelque part... lance Greg. C'est une façon de faire tourner les vivres et l'argent. Le gagnant du combat ne repart pas les mains vides... et de même pour les parieurs.

Tous ces gens ne cherchent plus à résister au système. Ils sont détruits et ne souhaitent plus consolider leur patrimoine. Ils ont déclarés forfait. Ils survivent.

- Les règles ne changent pas ! s'écrie l'animateur, celui qui gagne remporte quatre portions de nourriture.

Une étincelle de hurlements fait s'embraser la foule. Voilà que l'adrénaline monte pour les combattants ainsi que pour les spectateurs. C'est impensable. L'un de ces hommes, sûrement père de famille, doit se battre pour manger à sa faim.

Les premiers coups de poing paraissent difficiles à supporter pour les deux adversaires. J'entends leurs os craquer et l'un d'eux crache une dent noirâtre mêlée à des glaires. Leurs peaux, tatouées et grasses, laissent apparaître des muscles hors-normes. Le gagnant ne se fait pas désirer, il s'agit de Patrick. Cet homme semble avoir un palmarès de victoires et s'empresse de narguer son rival. Sous le contrôle de l'animateur, ce dernier se relève et quitte les lieux, tête baissée. Si seulement je pouvais lui redonner espoir et rétablir la justice. Pourtant je reste là, plus faible que jamais.

Je détourne mon regard de la scène artificielle et croise celui d'un vieux chauve barbu. Il nous fixe pendant que la jeune femme qui nous a abordé plus tôt lui chuchote quelques mots imperceptibles.

- Je crois que nous attirons l'attention, je murmure à mes camarades.

- Avec tout ce monde ? Comment veux-tu que l'on nous repère ?

- Regarde-nous ! Dis-je, nous n'avons ni l'attitude, ni l'apparence de ceux qui vivent dans une telle misère.

- Nous avons échappé à des dizaines de psychopathes dégénérés qui voulaient nous faire la peau. Je pense que nous sommes déjà dans la misère.

Elle se tait et constate que les bruits qui commencent à circuler à notre sujet prennent de l'ampleur. Le chauve a averti deux gros bras qui eux-mêmes sont allés chercher du renfort.

- Partons, ordonne Greg.

Nous faisons demi-tour et empruntons, de nouveau, les ruelles étroites qui nous ont permis d'atteindre les lieux.

- Que veulent-ils ? Lance Hope, nous n'avons rien fait de mal.

Mon instinct ne se trompe pas. Je me retourne... Nous sommes suivis.

- La voiture n'est plus très loin...

Je presse la marche et mes amis suivent le rythme. Nous atteignons la rue où j'ai laissé la voiture en stationnement et m'y précipite. Ils sont trois à nous emboîter le pas et ne paraissent pas ravis de le faire. Nous grimpons à bord du véhicule et je démarre en quelques secondes.

- Allons-y ! S'écrit Greg quand il voit débarquer les hommes baraqués.

Je m'élance sur la route et dérape dans un crissement de pneus. Plusieurs dizaines de mètres et le véhicule s'arrête.

- Qu'est-ce que tu fais ? Me crie Hope.

- Je crois que cette fois, c'est vraiment foutu, dis-je, la voiture est à sec...

Le jeune garçon jure de toute part et s'excuse auprès de Dieu pour son blasphème. J'hésite à verrouiller les portes et attendre que ces hommes brisent les vitres pour nous en extirper un par un. Cela pourrait les dissuader.

- Sortez de là, ordonne le caïd.

Ils ouvrent les portières avant même que je puisse y remédier.

- Que nous voulez-vous ? Je demande, la voix tremblante.

- Suivez-moi et fermez-la !

Nous sortons du véhicule de force et suivons la bande qui nous tient fermement par le bras. Je vérifie que Hope aille bien et qu'ils ne la brusquent pas.

- Où nous emmenez-vous ? Vous n'avez pas le droit de nous toucher !

Le chef du groupe éclate de rire.

- Nous avons tous les droits, désormais, rétorque-t-il.

Ils nous ramènent sur la place où se déroulent les combats et font stopper net l'activité.

- Mesdames et messieurs, votre attention !

Il fait libérer l'arène et nous y jette sans ménagement. Je trébuche et me cogne le visage contre le sol râpeux. Je sens que ma lèvre saigne et que de la peau s'est arrachée.

- Nous avons de la visite !

Il réussit à captiver la foule en quelques secondes. Tout le monde nous dévisage.

- Nous ne vous avons jamais croisés par ici, reprend-il. D'où venez-vous ?

Nous ne pouvons risquer de leur dévoiler les passages souterrains. C'est l'un de nos avantages et je ne souhaite pas leur en faire cadeau. Mes amis le voient dans mes yeux et ne disent pas un mot.

- D'où venez-vous ? Répète l'homme, impatient.

- De la périphérie, improvisé-je.

- Mensonge ! Crie une femme au loin. La périphérie est désaffectée !

- Qu'avez-vous à répondre à ça ?

Je me tais sous la contrainte.

- Je sais d'où vous venez... lance-t-il, et je pense que nous le savons tous ! Vous faites partie du Destin ! Vous êtes sûrement une Jeunesse d'espions ou de taupes comme nous en avons croisés auparavant !

La foule acclame et boit les paroles du chef. Ses dents se déchaussent et ses yeux sont jaunis par l'alcool. De nombreuses cicatrices parcourent ses bras et son visage tandis que ses articulations craquent à chacun de ses mouvements.

- Et vous savez ce qu'on leur fait à ces petites taupes ?

Il m'attrape le visage et je reçois des postillons sur la joue.

- Et vous ? Crie-t-il au public, savez-vous ce qu'on leur fait ?

Je me croirais dans l'un de ces shows télévisés de catch mais ce n'est, malheureusement, pas le cas. Le bras droit du chef traverse la populace et lui tend un gros bidon terreux. Hope m'envoie un appel au secours et je lis le même message dans les yeux de Greg.

- Vous allez bientôt le savoir ! Rajoute l'homme toujours dans son délire psychotique.

Je transpire d'angoisse et m'essouffle sous un rythme cardiaque irrégulier. Le caïd s'approche de nous trois, le tonneau à la main.

- Je vous laisse dix secondes pour changer d'avis, propose-t-il.

Le décompte commence et je ne sais plus quoi faire. Nous ne pouvons pas périr ici, pas avec le plan que nous avons élaboré pour nous enfuir.

- Trop tard, annonce-t-il.

- Aven ! S'écrie Greg.

Mes camarades attendent de moi des directives. Me considèrent-ils, depuis le début, comme le cerveau du trio ? L'homme envoie une vague de liquide sur mon visage et je reconnais son odeur de gazole.

- Arrêtez ! Je m'écrie. Arrêtez ! Nous ne faisons pas partie du Destin !

Il sourit, ravi de me voir succomber sous la menace. Je secoue rapidement les cheveux pour éliminer le liquide huileux et corrosif.

- Je vais vous dire d'où nous venons, je peux vous faire sortir de la ville si vous le souhaitez !

Des exclamations de joie proviennent de l'attroupement. Toutes ces personnes prêtes à nous regarder brûler vifs ne méritent pas ma sympathie. Je pense pouvoir tirer cette situation à notre avantage.

- Je peux même vous montrer par où nous sommes arrivés, mais à une seule condition...

- Et quelle est-elle ? Demande-t-il, curieux.

Que nous partions à la tombée de la nuit.

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