Chapitre 18
La route s'efface rapidement sous l'averse. Je roule prudemment, tout en suivant le parcours que Hope a tracé sur la carte. Elle m'indique la direction à prendre et je dois dire que cela est bien plus agréable qu'un de ces GPS pré-programmés.
La nuit et la pluie nous permettent de circuler sans attirer d'attention particulière. Qui pourrait se douter de notre tentative de fuite ? Nous pouvons être un groupe d'amis en balade ou en soirée. Pourtant, mon cœur s'affole lorsqu'une sirène, accompagnée de lumières rouges et bleues, retentit derrière mon véhicule.
Je m'arrête sur le bas-côté puis essaye d'apaiser mon angoisse. Je regarde à travers le rétroviseur, mais ne distingue qu'une silhouette sombre. La police est bien la dernière chose que je souhaite voir débarquer ce soir.
- Ne t'en fais pas, me rassure Hope, reste calme.
Un homme imposant et déjà trempé par la pluie se présente à ma fenêtre.
- Papiers du véhicule !
Il s'agit de l'inspecteur Carl... celui à qui je dois ma situation actuelle. Il doit garder un œil sur moi depuis l'incendie. Je fouille rapidement dans la boîte à gants puis lui donne ce qu'il demande.
- Quelque chose ne va pas... Monsieur ?
- Le feu arrière gauche ne fonctionne plus, dit-il calmement, il vaudrait mieux le faire réparer. Ce sera un avertissement, pour cette fois.
Un avertissement ? Pour cette fois ? Il se moque de moi, ouvertement. Il se baisse, jette un coup d'œil dans la voiture puis sourit. Son visage est difforme et ses yeux verts paraissent transpercer la pénombre.
- Bonne soirée... et prudence, ils annoncent de l'orage pour toute la nuit.
Je me mordille la lèvre nerveusement puis referme la vitre et redémarre. « Quel culot ! » me dis-je.
Il ne nous faut pas longtemps avant d'atteindre l'entrée de l'usine. Notre intrusion se fait facilement car cette dernière est actuellement désaffectée. Je prends soin de balayer les alentours du regard afin de m'assurer que nous sommes seuls.
Un grand portail en fer nous sépare du terrain où le bâtiment se trouve. Greg descend de la voiture et essaye de l'ouvrir. Il donne quelques à-coups et arrive à libérer le passage.
- N'importe qui peut y entrer, remarqué-je.
- Dans la cour... peut-être. Mais cela se complique après ! Me sourit Hope tout en agitant un trousseau de clés.
Les affaires de son père auront été d'une grande aide.
- Et s'il les cherche ? Je demande.
- Ne te fais pas de souci pour ça... il ne souhaiterait revenir ici pour rien au monde.
Je pénètre à l'intérieur de la propriété puis me gare près d'une grande façade en pierres. L'usine m'apparaît aussi grande que je l'imaginais d'après les plans.
Nous allons rentrer par l'une des portes secondaires, annonce-t-elle. Si les tunnels partent bien de l'usine, nous pourrons emmener la voiture à l'intérieur plus tard. Il y a trois lampes de poche dans mon sac, prenez-les.
Nous descendons du véhicule et je tente, en vain, de m'abriter sous la pluie torrentielle. La jeune fille se dirige vers une porte en métal rouillé et tente de trouver la clé qui permet de l'ouvrir. Il doit y en avoir plus d'une dizaine et elle peine à trouver la bonne. Le trousseau glisse entre ses mains mouillées et tombe dans une flaque boueuse.
- Et mince ! S'écrie-t-elle.
Je m'approche pour l'éclairer mais elle réussit à déverrouiller l'accès après une dernière tentative.
L'odeur qui émane soudain est presque insoutenable. Des relents de viandes avariées me parviennent et je manque de dégobiller. Mes amis sont dans le même état que moi mais se cachent rapidement le visage avec leurs habits. Je prends cette précaution avant de rentrer, à mon tour, dans cette usine repoussante.
Nous sommes plongés dans un noir des plus profonds. Mes pieds se prennent dans une table que je ne vois qu'au dernier moment. Je me rattrape et m'excuse pour le bruit occasionné.
Le rayon de lumière de ma lampe ne me permet pas d'éclairer le fond de l'usine. Elle paraît encore plus grande, vue de l'intérieur. Chacun de nos pas résonne et le moindre bruit est décuplé. Hope sort de sa veste le plan de l'endroit où nous nous tenons et commence à l'analyser.
- Les tunnels devraient se trouver là-bas, affirme-t-elle en montrant du doigt le fond du bâtiment.
Elle éclaire l'allée principale et nos lumières, une fois réunies, nous permettent d'apercevoir un nombre incroyable de plans de travail, encore ensanglantés. Des chaînes, permettant de suspendre les carcasses, pendent du plafond et certains ustensiles traînent encore sur les tables.
- L'allée centrale est dégagée, nous pourrons rouler à l'intérieur et atteindre les tunnels, dit-elle.
Elle s'élance, sans peur ni crainte, vers l'arrière de l'usine. Je prend le temps d'éclairer ma droite puis ma gauche, à chaque pas. Greg est derrière moi et cela me rassure. Pourtant, l'idée que des centaines d'animaux se sont fait découper en morceaux ici me donne froid dans le dos. Je les imagine dépecés puis conditionnés pour la vente. Et si ce qui nous attendait de l'autre côté était similaire à ces pratiques barbares ? Si les bêtes avaient conscience de leur existence, elles seraient soulagées d'apprendre que cet endroit a stoppé son activité.
A en juger par la tranquillité d'esprit de Hope, je suppose qu'il n'y a personne d'autres dans ce bâtiment. Les accès sont verrouillés et ne permettent pas aux personnes étrangères à l'usine d'y pénétrer.
- Il n'y a rien, nous apprend-elle, seulement des étagères insignifiantes.
Nous la rejoignons puis constatons qu'il n'y a aucune entrée de tunnel apparente. Lorsque j'éclaire les grands meubles, composés d'étagères superposées, un détail attire mon attention.
- Pourquoi y aurait-il des roues si cela devait rester immobile ? Dis-je en m'approchant.
Je me place au centre de ces rangements en métal puis essaye de les écarter. Greg me vient en aide et nous libérons un passage emmuré. Son encadrement est assez large pour y laisser passer des véhicules de transport mais l'épaisseur du mur le rend inaccessible.
- Cela doit être l'entrée du passage souterrain, je conclus.
Je continue d'inspecter les éléments alentours et découvre une plaque numérique fixée sur la façade en pierre.
- Il faut un code ! Un code ! Comment ne pas y avoir pensé plus tôt... ça ne pouvait pas être aussi simple.
- Il faut surtout rétablir le courant, reprend mon amie, car cela ne fonctionnera pas sans. Le disjoncteur doit se trouver au sous-sol. Aven, tu peux m'y accompagner ?
- Je vais rapprocher la voiture près de l'entrée de cette galerie, propose Greg.
- Parfait ! lance Hope, tu pourras faire entrer le véhicule en ouvrant de l'intérieur les grandes portes principales.
Je ne suis pas sûr de vouloir la suivre dans les caves mais accepte sans rechigner. Je réalise que je n'aurais rien pu faire sans son aide et comprends que partir seul était perdu d'avance.
Nous passons à proximité d'une table à découper usée et commençons à descendre, après avoir emprunté un escalier circulaire.
- Tu connais bien l'endroit ? Je demande.
- Je m'en souviens plutôt bien... je venais souvent voir mon père après l'école. Je le trouvais courageux de travailler autant pour nous faire vivre.
- Il n'a pas retrouvé de nouveau boulot depuis ?
- Ici ! coupe-t-elle, nous ne sommes pas loin.
Nous passons devant plusieurs chambres froides avant d'atteindre un point inconnu du sous-sol. J'aimerais que ma lampe puisse éclairer la totalité des lieux, car chaque courant d'air me paraît être un souffle humain. J'entends des bruits, des grattements et des couinements de toute part.
- Ça grouille de rats par ici, dis-je.
- N'y fais pas attention, ils sont attirés par l'odeur de la viande. Ils ne nous feront rien.
Mon faisceau de lumière éclaire ses pieds, où un rat aux yeux luisants se balade et ronge quelques fils. Je l'entends crier puis venir derrière moi, avant de me sauter sur le dos. La violence de son saut me fait perdre l'équilibre mais je réussis à rester debout. Nous restons un moment dans cette position, hilares de constater que le courage n'a pas de définition précise.
- Moi qui pensais que tu n'avais peur de rien, rigolé-je.
- Je n'ai pas eu peur... j'ai été surprise ! Se défend-elle.
Je ris aux éclats puis me calme lorsque j'entends le grondement de ma voiture à l'étage du dessus.
- Il a réussi à rentrer, constaté-je.
- La lumière nous permettra d'être plus efficaces.
- Comment va-t-on faire sans le code qui donne accès au tunnel ?
- Cet endroit appartient à mon père. Il a dû souvent emprunter ce système d'échange. Si c'est lui qui a défini le code d'accès... je le trouverai.
J'espère que sa confiance ne nous jouera pas de mauvais tour pour la suite des événements.
Nous continuons notre traversée dans cette pénombre poussiéreuse, où le silence est souvent interrompu par des éclats de tonnerre. J'entends la pluie qui tape contre le toit du bâtiment alors que nous sommes à plusieurs pieds sous terre. Ce temps est propice à une investigation de la sorte, car il nous entoure d'un voile de protection. Il camoufle le bruit et réduit la visibilité de l'usine.
- C'est ici ! S'écrie soudain Hope.
Un assemblage indéfini de boutons, juxtaposés de part et d'autre, se confondent et se différencient par couleur. La jeune fille y fait quelques réglages incompréhensibles puis enclenche un levier rouge assez lourd.
- Ça devrait être bon ! Se réjouit-elle.
Au même moment, une lumière aveuglante explose et me fait plisser les yeux. Le temps que nous venons de passer dans le noir rend l'adaptation de mes pupilles difficile. Je place la main sur mon front pour atténuer la luminosité, mais ne tarde pas à la diriger vers mon oreille. Je doute que l'orage puisse couvrir ce genre de bruit.
Une alarme assourdissante vient de se déclencher.
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