Chapitre 16
Comment cela peut-il être possible ? Comment cette jeune femme peut-elle vivre sans manger ? Je crois que l'homme perd les pédales. Cela ne doit pas être facile pour lui de gérer la vie de sa sœur en même temps que la sienne.
- Nous le remercions pour le temps qu'il a su nous accorder puis repartons.
- Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? Me demande Hope une fois à l'extérieur, quand elle t'a sauté dessus... je l'ai entendue te parler.
Ma mère me disait souvent que certaines paroles devaient mûrir avant d'être partagées. Ce que m'a dit Claire n'a pas de sens pour le moment, c'est pourquoi je décide de le garder secret.
- Je n'ai pas pu comprendre ce qu'elle me disait, j'étais trop occupé à me faire étrangler... ironisé-je.
- C'était peut-être une façon pour elle de te montrer que tu étais à son goût, continue Greg.
Je rigole avec insouciance. J'ai envie de me libérer de ce poids qui me ronge l'estomac et redevenir un enfant. Le fait que ma mère soit partie me détruit mais contre toute attente, me soulage aussi. Je n'ai plus à m'inquiéter à chaque minute, à chaque jour.
- Maintenant que nous sommes allés voir la rescapée, reprend Hope, tu comptes faire quoi ? Nous pouvons essayer d'en trouver une qui nous en apprendra plus...
- Nous ne serions pas en sécurité. Mr Decklan avait tout prévu, le sous-sol isolé... la mise sur écoute. Avoir vu l'état de cette jeune femme me suffit amplement. Je suis plus que décidé...
- Décidé pour quoi Aven ?
- Pour partir... de l'autre côté. Il est temps pour moi de savoir ce que le Destin nous réserve.
Leur visage s'est rapidement décomposé lorsque je leur ai annoncé ma volonté. Je prends machinalement le chemin de la maison, sachant bien que plus personne ne m'y attend. Nous marchons encore ensemble mais je sais que je suis seul, désormais.
- Je viens avec toi, me confie soudain Hope après longue réflexion.
- Non ! Je m'écrie, tu dois rester ici, avec tes parents. Tu dois continuer de te battre à leurs cotés.
- Je veux me battre pour Rose... Mais pas en restant ici. Je veux savoir ce qui se trame derrière tout ça.
- J'aimerais aussi savoir ce qui se passe... mais en commençant par ton attitude.
J'essaye de lui soutirer des aveux.
- Pourquoi es-tu aussi impliquée ? Pourquoi risquerais-tu ta vie ?
Elle se met à pleurer. Je m'en veux de lui parler de cette façon et de la mettre au pied du mur.
- Pour Rose, insiste-t-elle.
- Je ne veux pas te mêler à cette histoire... je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose.
- Je viens aussi ! S'écrie Greg, je viens aussi...
- Ce n'est pas un jeu ! On ne peut pas se jeter dans la gueule du loup si facilement. Je ne peux pas vous laisser tomber avec moi.
- Lorsque je t'ai parlé de mon plan pour rater les examens... je comptais sur toi pour m'aider. J'étais prêt à tout... mais pas toi, je l'ai senti. Maintenant que tu l'es, tu peux être sûr que je le suis aussi. Si tu tombes... je tombe.
Hope essuie ses larmes et acquiesce. Ces deux-là ne font pas partie de mon plan et je m'obstine à refuser leur aide. Ils semblent cependant déterminés.
- On aura un avantage considérable, dit soudain Greg, parce que nous décidons d'y aller de notre propre chef...
- Tu peux être plus clair ? Demande Hope.
- Ceux qui reçoivent la Turquoise subissent leur départ comme un échec... une soumission. Leur point de vue sur le système est différent, ils vivront les événements comme de simples victimes. Si nous y allons avec un but différent, une volonté particulière, cela nous paraîtra sûrement différent. Quoi qu'il se passe, nous ferons attention à la moindre faille afin de nous y glisser. La moindre erreur, le moindre faux mouvement de ces personnes pourra nous être bénéfique.
- Et s'ils nous tuaient... simplement, balbutié-je, ce n'est peut-être pas aussi compliqué qu'on peut l'imaginer.
- Crois-moi, m'assure le garçon, une jeune femme qui revient en chantant des comptines et en étant à jeûn depuis des mois permet de prouver le contraire.
- Comment l'explique-t-on ? Dis-je.
- On ne peut pas l'expliquer... pas pour l'instant. Il en est de même pour les croquis représentant ton frère.
- Si c'est lui sur ces dessins... c'est qu'il est peut-être encore en vie ! Dis-je avec entrain.
Je n'ai pas encore établi de stratagème pour m'attirer les foudres du Destin mais je pense que le choix ne sera pas cornélien. Il y a pas mal de critères de sélection qui nous conduiraient, mes camarades et moi, entre leurs mains.
- Ce sera pour quand ? Lance Hope.
- Laissons passer quelques jours... le temps d'y réfléchir et de nous préparer, conseillé-je.
- Parfait, conclut Greg.
Nous nous séparons et programmons un rendez-vous pour le lendemain. Je leur propose de venir chez moi, maintenant que la maison est vide. Nous pourrons parler tranquillement et mettre en place ce qui se doit de l'être.
Le soleil se couche pendant que je traîne dans les rues sinistres. Est-il possible que je sois en plein déni ? Je ne réalise pas encore ce qui se passe autour de moi. Ma mère partie en me laissant seul, la garde à vue éprouvante ou bien même l'agression près de la bibliothèque. Tous ces événements paraissent si insurmontables que je n'ai pas encore l'impression de les avoir vécus. Je redoute le moment où toute cette pression qui me tient debout se relâchera.
Une fois de retour, je me mets à l'aise et m'installe dans le salon. La Turquoise est toujours intacte sur la table basse. Voilà qu'elle trône au milieu d'une pièce que j'ai saccagée, délibérément. Pourtant, je ne l'ai même pas déchirée... ni brûlée. Je l'ai gardée indemne, comme une preuve matérielle et représentative de ma situation actuelle. Comment un morceau de papier peut-il faire autant de dégâts ?
Mes paupières deviennent lourdes et je baille à répétition. Je ne tarde pas à m'endormir, souhaitant que mes cauchemars ne soient pas pires que la réalité.
Je me réveille très tôt. Le sommeil m'a quitté lorsque ma nuque et mon dos se sont faits douloureux. Il faut dire que la position que j'ai adoptée sur le canapé n'était pas des plus idéales. Le bras sur lequel je me suis allongé est engourdi et je le bouge frénétiquement pour y faire circuler le sang.
Greg et Hope ne vont sûrement pas tarder à se présenter chez moi et je décide de remettre de l'ordre dans la maison. Le gâteau qui m'attendait à mon retour n'était pas là par hasard. Ma mère l'a cuisiné avant de partir. J'ouvre les placards et constate que les courses ont été faites. Elle avait tout prévu. Me pensait-elle capable de continuer à vivre sans rien faire ? Je me battrai jusqu'à mon dernier souffle pour revoir son visage.
Je finis de me préparer lorsque j'entends taper à la porte. Je me précipite pour les accueillir mais ce ne sont pas eux.
- Salut Aven, me lance Beth.
Je lui souris puis l'invite à rentrer. Je remarque, avant de refermer derrière elle, que le ciel se noircit au loin. Un orage doit se préparer.
- Je ne resterai pas longtemps, dit-elle, j'ai quelque chose à te donner.
Elle fouille dans son sac avant de sortir un mouchoir rouge. Elle le déplie délicatement puis me le tend, ouvert. Ma bague en ambre se trouve au centre du morceau de tissu.
- Comment...
- Je l'ai récupérée au commissariat, quand je suis venue pour t'y retrouver... hier. Je préférais te laisser un peu de temps avant de te la rendre.
Je cligne des yeux car ils commencent à me piquer. J'attrape mon amie et la sert dans mes bras. Elle comprend que je la remercie pour tout ce qu'elle a su m'apporter.
- Cela te donnera toute la force dont tu auras besoin, me confie-t-elle. Promets-moi qu'on se reverra... un jour.
- Beth...
- Je sais ce que tu vas faire, je te connais comme personne. Je sais que je ne pourrais rien dire qui te ferait changer d'avis. Je ne vais pas te dire de rester car je ne veux pas te voir souffrir, chaque jour un peu plus. Je suis fière de toi Aven, tu es très courageux et ne laisse jamais personne te dire le contraire.
- Tu crois que je fais erreur ?
- Ceux qui ne font rien ne font jamais d'erreurs... Garde les yeux ouverts et fais attention à toi.
Ses lèvres tremblotent et dessinent un léger sourire d'émotion. Je la laisse partir sans lui donner d'explications car elle n'en désire aucune. Les « au revoir » ne sont pas un point fort chez nous.
Greg et Hope arrivent au moment même où mon amie part. Elle passe entre eux puis les salue.
- Tout va bien ? Demande ma camarade.
Je la rassure puis nous nous installons autour de la table à manger afin d'exposer clairement nos idées. Nous passons plusieurs dizaines de minutes à élaborer des plans qui ne tiennent pas la route. Nous ne souhaitons pas commettre de crimes ni d'actes irréparables. On ne peut pas devenir des criminels du jour au lendemain.
- On pourrait essayer de s'enfuir ? Dis-je.
- Même si nous dépassons les frontières, répond Greg, il nous sera difficile de remonter jusqu'au Destin. Il faut que nous passions par le même circuit que les autres. C'est le seul moyen pour agir de l'extérieur.
La simple idée d'être assassiné par les hommes de main du Destin me fait frissonner.
- Il faut trouver un moyen pour passer au travers du filet, rajoute Hope, de rester en marge de la distribution tout en suivant son acheminement. Si nous arrivons à suivre un convoi jusqu'à un point déterminant, nous pourrons continuer la route par nos propres moyens.
- Notre chemin s'arrêtera aux frontières, dis-je, nous ne pourrons pas les suivre au-delà.
Nous rentrons dans une réflexion profonde et silencieuse, attendant que l'un d'entre nous puisse trouver une piste intéressante à exploiter. Je dégage les idées improbables de mon esprit pour y laisser celles qui sont envisageables. Je pense aux frontières puis aux flux de circulation qu'elles contrôlent et en viens à penser à leur réelle utilisation.
- Les frontières, dis-je, sont ouvertes et contrôlées pendant le mois de Distribution. Elles permettent aux convois et aux marchandises de circuler, mais sont ensuite impénétrables lors des mois d'Exemption.
- Où veux-tu en venir ? Me questionne Hope.
- Lorsque Janvier touche à sa fin, les entrées de la ville sont condamnées car les convois de Distribution ne circulent plus. Mais qu'en est-il des marchandises ? Lorsque ton père travaillait dans son usine d'alimentation, il devait sûrement recevoir et exporter des produits. Cela signifie...
- Cela signifie qu'il existe un autre moyen pour circuler entre les villes, me coupe Greg, un moyen qui doit être utilisé et protégé par le secret professionnel.
Hope écarquille les yeux lorsqu'elle comprend où le débat nous mène.
- Un moyen que mon père utilisait... conclut-elle.
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