Chapitre 12
Le temps s'arrête autour de moi. Je reste assis, les yeux rivés sur cette enveloppe. Je peux la déchirer et faire comme si je ne l'avais jamais vue mais cela n'arrangerait rien. J'aimerais m'endormir pour ne plus jamais me réveiller. Ce cauchemar quotidien est devenu trop pesant, trop réel.
Nous y sommes, enfin. Voilà que je détiens ce que nous avons toujours redouté. Je suis pris de panique, j'étouffe. Il n'y a pas d'erreur possible, mon nom est inscrit sur le papier. Je suis effrayé à l'idée d'en prendre connaissance car cela rendra officielle sa réception. Pourtant, je me dois de l'ouvrir, de voir ce qui se trouve à l'intérieur. Je n'ai jamais eu l'occasion de savoir ce qui pouvait y être écrit.
La présentation et le soin sont troublants si l'on considère la fonction de ce courrier. Après tout, les faire-parts de décès sont à peu près similaires. Il suffit de bonifier le mal pour le rendre acceptable. Qui s'est déjà laissé berner par ce genre de subterfuge ? Déguiser le diable ne le rend pas meilleur.
Je déplie la feuille et commence à lire.
Monsieur
Nous vous informons, par l'intermédiaire de cette lettre, que nous envisageons à votre égard une convocation irrémédiable.
Nous vous prions de bien vouloir vous présenter à votre domicile dans les prochains jours afin d'éviter toute recherche complémentaire. Les tentatives de fuite seront compensées par la récupération d'un proche de façon arbitraire.
Nous vous informons que les faits que nous vous reprochons ne nous permettent pas de vous maintenir au sein de notre société actuelle.
Si quelqu'un souhaite répondre favorablement à ce courrier et prendre votre place, veillez à remplir le coupon détachable ci-joint. N'oubliez pas d'apposer l'empreinte du volontaire dans la case prévue à cet effet.
Cordialement vôtre.
C'est donc de cette manière qu'ils nous ramassent à la chaîne ? Quelques formules de politesse et une jolie lettre ne suffisent pas pour expliquer leurs agissements.
Soudain, je comprends. Je n'avais pas fait le lien à mon arrivée car cela ne me paraissait pas si évident. J'ai beau chercher et fouiller l'enveloppe à plusieurs reprises mais je ne le trouve pas. Le coupon de remplacement a été utilisé.
Je me lève en sursaut car je ne tiens plus en place. Je fais les cent pas et manque de balayer du bras tout ce qui me passe sous le nez. Je retiens ma colère mais cela ne fonctionne pas. J'attrape une chaise et l'envoie valser à travers la pièce puis pousse un cri à m'en hérisser les poils. J'ai besoin d'évacuer toute cette rage qui grandit en moi et je ne trouve aucun autre moyen. Je vide les étagères murales d'un revers de la main et les bibelots chantent dans un fracas général. Je cogne dans les murs en hurlant. De l'acide semble couler de mes yeux et je tremble nerveusement. Je ne sortirai jamais de cet état second, de cette aversion profonde et violente. Les muscles de mon visage se contractent par spasmes et ma respiration se bloque.
- Aven ! M'interpelle-t-on soudain.
Beth se tient à l'entrée du salon, accompagnée de Hope. Je ne veux pas qu'elle me voie si faible et anéanti. Pourtant je craque et fond en larmes lorsqu'elle s'approche pour me prendre dans ses bras.
- C'est ma mère... elle est partie. Elle a pris ma place...
Je bégaye sous la force du chagrin.
- Je sais Aven... je sais.
Elle attend que je m'apaise avant de reprendre.
- Hope et moi sommes venues au commissariat lorsqu'on a appris que tu allais être libéré, mais tu étais déjà parti. Je ne voulais pas que tu l'apprennes de cette façon, je suis désolée...
- Ne le sois pas, ce n'est pas de ta faute.
J'hésite avant de la questionner.
- Est-ce que tu étais là, quand ils l'ont emmenée ?
- Oui, me dit-elle, je suis restée avec elle jusqu'à la dernière minute. Il n'y a pas eu de complication.
Je n'aurais jamais pu la voir partir sans rien faire. Dire que j'ai empêché le mari de notre voisine de sortir une arme à feu devant ces monstres alors que je ne souhaite qu'une chose... avoir leur peau. Je comprends à présent ce qu'il a pu ressentir. La différence est qu'il lui reste ses enfants près de lui, une attache pour s'y raccrocher. En ce qui me concerne, je n'ai plus rien, excepté Beth. Je ne pourrais plus vivre dans cette maison car la douleur est trop forte. A vrai dire, je ne pourrai plus jamais vivre du tout.
- Tu dois rester fort, me lance-elle.
- Je n'y arriverai pas... pas cette fois.
- Bien sûr que si ! Tu es la personne la plus courageuse que je connaisse.
- Elle a raison, rajoute Hope du coin de la pièce.
Son intervention hésitante me rappelle sa présence. Elles ne peuvent rien faire pour moi, plus personne ne le peut. Qui sait ce que ma mère est en train de subir au moment où nous parlons. Je n'arrive pas à imaginer qu'on puisse la faire souffrir. Mon sang bouillonne, j'en veux à tout le monde. Même si la première personne qui me vient à l'esprit est l'inspecteur Carl, je n'arrive pas à trouver de réel fautif. Nous étions au mauvais endroit, au mauvais moment. Je ne cesse pourtant de penser que le responsable premier de ma situation est celui qui a mis le feu à l'école. Le poids de l'injustice m'a desservi et ma mère en a payé le prix.
- Il faut que je fasse quelque chose, dis-je.
- Il y a peut-être un moyen pour réparer tout ça, reprend Hope, de prouver que tu n'as rien à voir avec l'incendie... que l'histoire est montée de toutes pièces.
- C'est trop tard, répond Beth, l'affaire est classée. Plus personne ne prendra la peine de rouvrir une enquête. Ils ont choisi un coupable.
Leur discussion me paraît secondaire car je n'y suis pas attentif. Je suis en pleine réflexion. Il y a sûrement quelque chose que je puisse accomplir. J'ai peut-être une idée, un désir. Désormais, je suis prêt à tout.
- Je vais à l'étage, j'ai besoin de prendre une douche, dis-je.
- Nous t'attendons ici, m'affirme Beth.
Je les laisse dans le salon et grimpe les marches d'escalier. Le morceau de gâteau que j'ai avalé n'a pas eu le temps de descendre et je le rends une fois aux toilettes. Mon abdomen se contracte affreusement mais cela ne dure pas. Je ferme la porte de la salle de bain et fais couler une eau si chaude que la pièce se remplit de vapeur. Il faut que je trouve un moyen d'arranger la situation, de la surmonter.
La chaleur sur ma peau et mon visage me fait un bien indescriptible. Je n'ai eu le droit qu'à quelques douches très froides lorsque j'étais en garde à vue. J'aimerais y rester des heures, mais je n'ai pas de temps à perdre. Chaque minute compte à présent.
Mes larmes déferlent sur mes joues mais se confondent avec l'eau limpide. Il faut que je me ressaisisse. Je me frotte le visage puis compte jusqu'à dix. Pendant ce laps de temps, je me déconnecte. Je laisse la souffrance m'envahir et me dévorer. Par contre, une fois le décompte effectué, je reprends le contrôle. Je lave mon visage et mes cheveux puis me savonne le corps. Je sors de la douche et prends quelques cachets contre la migraine. Je ne tarde pas à m'habiller afin de rester présentable. Je suis calme, de nouveau. Je sais ce qu'il me reste à faire et je compte bien agir, quoi qu'il en coûte.
Une fois auprès de mes amies, je ne garde pas le silence. Je n'ai rien à cacher et elles ne pourront pas me dissuader de faire marche arrière. J'ai peut-être un plan, une piste à exploiter.
- Est-ce que l'une d'entre vous connaîtrait un rescapé des Retours précédents ?
Je les laisse dans l'incompréhension.
- Non... pas à mon souvenir, m'avoue Beth. Mais pourquoi cette question ?
- Je veux savoir ce qu'il se passe après... après la Turquoise.
Mon amie démarre au quart de tour et cela ne me surprend pas.
- Aven ! Ne fais pas de bêtises. Tu sais ce qui se passe si tu cherches à en savoir trop !
- Je veux... j'ai besoin de savoir. Il n'y a pas d'autres moyens. Que peuvent-ils cacher de si important ? Pourquoi ne pas simplement nous dire ce qu'ils font de nous ?
- Cela créerait des émeutes, des attentats, des révolutions, ajoute Hope.
- Comment se fait-il que personne n'ait jamais tenté de riposter ?
- Parce qu'ils nous contrôlent Aven, me confie mon amie, par la peur, l'espoir, le doute. Ils se protègent en agissant dans le secret. Qui voudrait aggraver la situation de façon aussi violente qu'une guerre civile ?
L'incendie de l'école a sûrement été considéré comme un acte de rébellion... c'est pour ça que l'inspecteur y porte de l'intérêt. Il savait à l'avance que cela lui rapporterait plus que de l'argent. Il gagne en protection, en notoriété. S'il fait partie de ceux qui luttent efficacement contre les opposants, le Destin n'a d'autre choix que de le garder à ses côtés.
- Tu as raison, m'assure Beth, mais ne risque pas ta vie pour combattre un complot aussi monstrueux.
J'abrège la conversation. Rien qu'elles ne puissent me dire ne me fera changer d'avis sur mes intentions.
- Où puis-je trouver des informations sur les Revenants de l'année dernière ? Il y a sûrement un moyen pour remonter jusqu'à l'un d'eux.
- Les archives ! S'écrie soudain Hope avec enthousiasme.
Elle ne semble pas contre mes idées. Je la sens avec moi, prête à m'accompagner comme j'ai pu le faire lorsque nous avons enterré sa défunte sœur.
- Les archives... à la bibliothèque, reprend-elle, il y a des notes manuscrites qui servent à produire des statistiques sur les Retours de chaque année. Une sorte de schéma que certains ont cru pouvoir décoder.
Tout cela me semble très intéressant. Beth reste muette mais j'ai entendu ce que je désirais savoir.
- Je peux t'accompagner... si tu veux, me propose Hope avec hésitation.
Je lui souris.
- Alors allons-y, je réponds, la bibliothèque nous attend.
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