Chapitre 11

Ma mère se lève d'un bond.

- Vous n'avez pas le droit ! S'énerve-t-elle.

- Je comprends, dit-il, apprendre que son fils est un criminel ne doit pas être facile à accepter.

Je crois rêver. Cet homme prend plaisir et s'amuse de la situation. Il en devient facilement détestable et je le maudis d'avoir un jour existé. Nous sommes seuls face à cette dangereuse injustice. Les murs semblent se resserrer autour de nous, de moi. Il nous tient entre ses griffes et ne compte pas nous lâcher. Pourquoi cela nous tombe-t-il dessus ? Est-ce le destin comme on l'entendait autrefois ?

- Si c'est moi qui vous intéresse, je lui réponds, laissez-les partir.

- Je ne te laisserai pas seul ici, m'assure ma mère.

L'inspecteur lève la main et claque des doigts. Il ne suffit que d'une dizaine de secondes avant que l'officier Blake et son camarade ne rentrent dans la pièce. Ils nous observaient, depuis le début. J'en déduis que les procédés douteux de leur chef ne les dérangent pas. L'argent est-il leur seule motivation ?

- Laissez-moi seul avec le garçon, leur ordonne-t-il.

Ils obéissent sans rechigner et ce, malgré notre réticence.

- Ne me touchez pas ! S'écrie Beth lorsque l'un d'eux s'approche d'elle, on va te sortir de là Aven ! ça va aller !

Je les regarde une dernière fois avant que la porte ne claque derrière leur dos. Je me retrouve seul, perdu.

- Qu'allez-vous faire de moi ? Je demande.

La pièce est devenue si vide que l'écho de ma voix tremblante me parvient décuplé. Je refoule mes sentiments et reste impassible. Je fais le vide dans mon esprit, j'évite tout débordement. Je contrôle ma colère, ma peur et ma peine. Aucun pleur, aucun cri. J'attends sagement la suite des événements.

- Je vais te placer en garde à vue, répond-il.

Je garde le silence.

- Tu n'iras pas en prison, me confie-t-il, si c'est cela qui te chagrine.

- Non... bien sûr que non. Le Destin s'occupera de moi avant.

- Chacun son boulot.

Il essaie de m'ébranler. J'ai peur qu'il n'y arrive.

- Où étiez-vous, quand ils l'ont tuée ?

Ma question le refroidit.

- Nous n'avions pas ordre d'intervenir.

Mes yeux me piquent et ma vision se trouble.

- Bien entendu. Le pouvoir n'est pas dans votre camp. Vous êtes vide de conscience... vous êtes comme eux.

- Si tu essayes de me faire culpabiliser, je peux t'assurer que tu es loin du compte.

- Ce n'est pas pour maintenant, dis-je, mais pour plus tard. Lorsque vous vous retrouverez comme Rose, dos au mur, vous comprendrez. Il vous reste sûrement de bonnes années à vivre, à profiter de votre malhonnêteté. Mais le jour où la faille se craquellera, vous serez seul. Ils se servent de vous autant que vous vous servez de moi. La différence est que je ne me laisserai pas manipuler.

Mes mots ne sont pas assez forts pour décrire ma colère. Je le fixe intensément et ne cesse de le dévisager.

- Mémorisez mon visage comme je mémorise le vôtre, car je suis certain que nous nous reverrons dans un contexte différent.

Je le sens en pleine réflexion. Ce que je lui dis semble pénétrer la carapace qu'il s'est construite au fil du temps. Il se ressaisit rapidement.

- Il est l'heure. Suis-moi.

C'est ainsi que se termine notre discussion. Je le suis en silence jusque dans ma cellule temporaire, aussi vide et impersonnelle que les employés de l'établissement.

Je me tiens debout, derrière les barreaux en métal. Je suis peut-être en sécurité ici, après tout. Je ne reçois pas de visite, je suis coupé du monde. Ma seule activité est le repas que je reçois à différents moments de la journée. Je n'ai, à mon souvenir, jamais rien mangé d'aussi mauvais. Les journées deviennent de plus en plus longues sur ce lit en fer et des douleurs passagères me tenaillent l'estomac. Je ne sais pas combien de temps je vais rester enfermé. Je peux compter les secondes et sentir les minutes défiler.

Un gardien passe de temps en temps pour voir si je suis toujours là. J'en suis donc venu à me demander s'il y avait un moyen de s'évader. Peut-être me pensaient-ils capable de creuser un trou avec mes dents. Je ne leur prête aucune attention et ils me le rendent plutôt bien.

Voilà plusieurs jours que je suis séparé du monde extérieur. La radio n'émet aucune fréquence intéressante et je suis obligé d'écouter les préférences musicales de mes voisins de cellule. Je laisse donc mes pensées monopoliser ma conscience et mes associations d'idées me font divaguer. Si je pense aux frites molles et douteuses que j'ai avalées plus tôt, je devine la qualité de la pomme de terre puis des champs d'agriculture. Je pense alors aux problèmes climatiques et ce qui en découle. Je cogite ensuite sur les pluies torrentielles et réalise que j'ai soif.

Lorsque mes réflexions futiles se terminent, je m'empresse de boire au robinet de fortune de la pièce. Combien de temps puis-je tenir ainsi ? J'entends soudain les pas lointains d'un policier et me précipite pour coller ma tête entre deux barreaux. Lorsqu'il arrive à proximité, je le questionne.

- Quand pourrais-je voir ma mère ?

- Aucune visite n'est autorisée, me répond-il.

- Je peux peut-être lui téléphoner ? Ou appeler un avocat ?

Des rires explosent de toute part lorsque le terme « avocat » m'échappe. Voilà un moment que plus personne n'est défendu correctement.

- Nous ne sommes pas au cinéma, rigole-t-il.

- Qu'est-ce qu'on attend ici ? Je reprends. Si nous n'allons pas en prison, pourquoi nous garder dans ces conditions ?

Il ne répond pas à ma question car son collègue le fait à sa place. Je l'entends descendre les marches d'escaliers menant dans ces sous-sols lugubres.

- Courrier ! S'égosille-t-il, du courrier !

L'homme affiche un sourire narquois lorsqu'il commence à distribuer les enveloppes. Ce ne sont pas des lettres banales, ce sont des Turquoises. Leur couleur est différentiable parmi des centaines d'autres.

- Voilà pour toi ! Lance-t-il à un jeune homme dans la première cellule, le trafic de drogue ne paye plus comme avant on dirait !

Il continue dans sa lancée et ne semble pas prêt de s'arrêter.

- John Stade, voilà pour toi. Steve Drome... Bart Harme, Clever Fost...

L'officier les énonce un par un. A-t-il oublié la signification de ces lettres ? C'est la fin pour une partie d'entre nous. Je me sens si mal à l'aise dans cet endroit. Je n'y ai pas ma place et ils le savent. Le Destin, lui, ne cherchera pas à connaître la vérité. Il se peut que ce soit terminé pour moi aussi.

- Rien pour notre cher pyromane, me confie-t-il.

Si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain. J'ai le sentiment d'avoir gagné du temps mais ne sait pas comment l'utiliser. Il me faut de l'aide, quelqu'un qui puisse intervenir de l'extérieur. Que se passe-t-il depuis mon absence ? Beth et ma mère essayent-elles de me sortir d'ici ? Je ne veux pas qu'elles s'attirent d'ennuis.

Les lumières sont éteintes depuis plusieurs heures lorsque la voix de l'inspecteur Carl résonne dans le couloir. Il agite nerveusement un trousseau de clés.

- Tu peux partir, me lance-t-il tout en déverrouillant la porte de ma cellule.

- Comment... dis-je abasourdi.

Nous avons eu ce qu'il nous fallait. Tu n'intéresses plus le Destin à présent.

Je n'attends pas une seconde avant de bondir du lit. Je sors de cette cage en métal à toute vitesse et frôle le vieil homme. Je ne lui laisse pas le temps de changer d'avis et atteins déjà le rez-de-chaussée. Je me souviens parfaitement du chemin menant vers la sortie et m'y précipite. Je passe devant les bureaux et l'accueil situé à l'entrée de l'établissement. Je ne prends même pas la peine de m'arrêter pour signaler mon départ.

Une fois dehors, je respire à pleins poumons. L'air pur m'a tellement manqué. Je sens le soleil réchauffer mon visage et me remplir d'énergie. Je n'ai pas d'argent pour appeler qui que ce soit ni pour rentrer plus rapidement. Je m'élance donc dans une course effrénée où je peine à garder l'équilibre. Mes articulations semblent rouillées et sont douloureuses. Je marque plusieurs arrêts afin de reprendre mon souffle et repars de plus belle. Les maisons s'enchaînent et le sol défile sous mes pieds.

Tout s'arrange, je suis enfin libre. L'histoire qu'a inventée Carl a dû se vendre à bon prix. Les journaux et les médias lui ont sûrement laissé un gros chèque pour qu'il leur soumette.

Pendant ma course, je ne cesse de me demander si les habitants de la ville sont capables de croire en ce mensonge. S'ils me considèrent comme un criminel, mon quotidien ne sera plus le même. Je serai la cible d'attaques et de rumeurs infondées. La liberté a un prix mais je trouverai le moyen de démentir les faits.

Lorsque j'arrive sur le perron de la maison, je souris. Je suis enfin chez moi, sain et sauf. Je tambourine à la porte alors que celle-ci est restée entrouverte.

- Maman ! Je hurle une fois à l'intérieur.

Elle ne répond pas. Je ne veux pas l'effrayer alors je continue de l'appeler, sans retour. Je vérifie l'étage pensant qu'elle puisse être sous la douche mais ne la trouve pas. Je redescends puis m'arrête à la cuisine. Je bois à plusieurs reprises et me sers un morceau de gâteau laissé au centre de la table. Je me dirige ensuite au salon, où tout est parfaitement rangé.

Je ne la vois pas tout de suite mais elle est là, silencieuse. Je n'ose pas m'approcher d'elle car elle m'effraie au plus haut point. Pourtant elle reste là, ne disparaît pas. Je ferme les yeux, les frotte, mais rien n'y fait. Je m'avance doucement, puis m'assois. Elle est toujours là, immobile sur la table basse. Que fait-elle ici ? Quelqu'un a dû se tromper, ce n'est pas possible.

Je lance ma main tremblante et l'attrape. Je la tiens mais hésite à la relâcher. Je la sens qui diffuse en moi une haine incontrôlable, inimaginable. Je la sens qui me dévore et me tue à petit feu.

Elle est là, entre mes doigts.

La lettre Turquoise.

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