Tout comme on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs, on ne fait pas d'histoire sans protagonistes.

Permettez-moi donc de vous présenter nos deux vaillants héros.

Vous voyez le jeune homme qui court, là-bas, tignasse brune volant au vent dont les bouclettes rebondissent joyeusement ?

Lui, c'est Kim Taehyung.

Il est le genre d'adolescent que tout le monde jalouse. Vous savez, ceux qui se lèvent le matin avec une gueule de mannequin, qui pourraient bien porter un sac plastique en guise de chapeau et qui n'obtiendraient que compliments et admiration. Ceux qui, on ne sait trop comment, échappent aux tourments de la puberté et à l'acné.

Tout ça, c'est exactement lui. Et il bénit chaque jour le ciel pour ce don exceptionnel qui lui a été offert.

Pour faire court, Taehyung est parfait, et il le sait.

Mais actuellement, il n'a pas le temps de s'en émerveiller. Il est pressé. Très pressé. Il ne regarde même pas devant lui. Comme tous les matins, son alarme n'a pas sonné, et il se retrouve en retard pour les cours.

Et il n'est pas le seul.

Tournez légèrement votre tête vers la droite, juste là, et vous distinguerez un autre minet à qui Mère Nature a fait grâce de sa beauté.

Il s'appelle Jeon Jungkook.

Celui-là aussi a de quoi faire parler. Car en plus d'avoir une bouille d'ange dressée sur un corps d'athlète, il est de ceux qui excellent dans beaucoup de domaines. Multi talentueux, il ne cesse d'épater son entourage en réussissant absolument tout ce qu'il entreprend.

Enfin, absolument tout ? Pas vraiment. Sortir du lit est peut-être une des rares choses qu'il ne maîtrise pas encore. Ce n'est pourtant pas faute d'essayer. Le gars a acheté un lot de réveils sur Ventes-privées, mais rien n'y fait, ils finissent tous contre le mur direction la casse.

Alors il court, lui aussi, sans se soucier des camarades qu'il pourrait bousculer. Taper des sprints, ça le connaît. Il est arrivé premier la semaine dernière à l'épreuve du cent mètres.

Bien sûr, maintenant que vous avez le tableau en tête, vous serez parfaitement capable d'anticiper ce qui va se passer. Deux garçons, situés chacun à des pôles opposés, s'élançant à grande vitesse vers un même point d'arrivée... Ce n'est pas de la physique, ce n'est pas non plus un problème mathématique. Cela s'appelle un cliché.

– Mais putain, tu peux pas regarder où tu vas ?!

– T'es sérieux ? C'est toi qui viens de me rentrer dedans ! Avec ta tronche de lapin, là...

– Ma tronche de lapin, elle t'emmerde ! Puis tu devrais plutôt te soucier de la tienne, avec ton nez de pitbull !

Taehyung écarquille les yeux. De pitbull ? Comment ça de pitbull ? Son nez est absolument équilibré niveau esthétique, rien à voir avec celui écrasé de ces chiens ! Par réflexe, il porte une main à ses narines et découvre avec horreur le liquide rougeâtre qui lui coule sur les phalanges. Faut dire que le choc a été violent.

Bon, pas tant que ça en réalité, mais ici, on ne lésine pas sur les effets dramatiques. Et quoi de plus dramatique que le visage tuméfié de celui qui est considéré comme le plus beau mec du lycée ?

– Tu m'as abîmé... J'y crois pas, Jeon, tu m'as abîmé ! beugle-t-il scandalisé.

Mais ledit Jeon n'en a que faire. Il lève les yeux au ciel et grommèle un « bien fait ! » puéril avant de tourner les talons vers l'entrée de l'établissement.

Et comme toujours, c'est un flot d'insultes qui se déverse de la bouche du grand blessé.

✎...태♡국

Taehyung et Jungkook, c'est une histoire digne des plus grands romans d'amour et des séries à l'eau de rose.

Tout a commencé par un tirage de cheveux et des coups de quenottes dans l'épaule, alors qu'ils n'avaient respectivement que trois et quatre ans.

Ah, si vous aviez vu le petit Kookie, avec son air de lapereau, ses ravissantes joues rondes et ses mèches sombres, épaisses et soyeuses... Sans parler du mignon Taetae, avec sa jolie crinière rebelle, sa bouche rieuse et ses grands yeux malicieux. Vous auriez certainement craqué sur le champ.

Mais ne vous laissez pas berner par leurs adorables minois de bébés animaux. Ces deux-là sont connus et reconnus pour leur tempérament de feu et leurs aptitudes innées à se faire la misère.

C'est le jour de leur rentrée en maternelle qu'ils ont chacun décidé qu'ils ne s'aimeraient pas. Vous savez bien comment sont les enfants à cet âge-là. Ça fait du zèle à la maîtresse pour être le chouchou, puis dès que l'un obtient plus d'attention que l'autre, c'est la guerre qui se déclare, ainsi que les concours de qui volera en premier le goûter de l'autre. C'est aussi simple que ça.

Seulement, qui aurait cru que leurs rapports seraient les mêmes, une décennie plus tard ? Sûrement pas leurs parents qui, à l'inverse de leurs rejetons, ont toujours été très amis. Les pauvres nourrissent encore l'espoir de voir un jour ces deux-là réunis autour d'une même table sans essayer de se planter mutuellement avec leurs couverts, jusqu'à ce que mort s'en suive.

Malheureusement pour eux, les concernés semblent se complaire dans cette relation conflictuelle, alors pourquoi changer ?

D'ailleurs, leurs géniteurs ne sont pas les seuls à être fatigués de leurs constantes querelles. Leurs professeurs s'arrachent littéralement les cheveux. Sans mentionner le proviseur, qui commence à en avoir véritablement marre de les accueillir dans son bureau. Chaque semaine vient avec son incident. Un incident portant les noms de Kim et de Jeon. Depuis des années que ça dure ; lourde conséquence du fait d'être à la tête d'un établissement qui gère à la fois collège et lycée.

Le problème avec Taehyung et Jungkook, c'est qu'ils sont des élèves modèles, leurs résultats frôlent la perfection, ce qui fait d'eux des éléments primordiaux en ce qui concerne la réputation de l'école. Alors les virer serait un choix peu judicieux. De ce fait, les enseignants serrent les dents, priant chaque année pour que le duo infernal ne se retrouve pas dans la même classe et surtout la leur. Ce qui arrive malgré tout, sinon ce ne serait pas drôle.

Ah, ces deux loustiques... S'ils n'existaient pas, il faudrait vraiment les inventer.

✎...태♡국

– Monsieur, c'est une blague, j'espère !

– C'est pas possible, vous ne pouvez pas me faire ça !

– Te faire ça ? Mais quel égoïste ! Tu crois que moi ça me fait plaisir ?

Caché derrière son pupitre comme s'il s'agissait d'un rempart, le professeur observe anxieusement les deux camarades qui s'insurgent ouvertement devant l'assemblée. Il n'ose rien dire, de peur d'empirer la situation. C'est compréhensible. Personne n'aimerait être à sa place. Surtout que s'il souhaite imposer son autorité à sa classe, il va bien falloir qu'il fasse preuve de courage en sortant de sa tranchée.

– Hum... Écoutez... C'est... Comme vous le savez, ce n'est pas moi qui ai décidé... C'était un tirage au sort ! Et je... Enfin, vous allez devoir accepter de garder ces places-là jusqu'à la fin du trimestre, bredouille-t-il sous la pression.

En ce début d'heure, le plan de classe avait été modifié, chacun ayant dû piocher un papier plié dans un bocal pour obtenir un numéro attribué à une table bien précise. Et comme par hasard...

– Franchement, Kim, t'es relou ! Tu pouvais pas choisir un autre chiffre ? Non, fallait que tu prennes celui juste avant le mien, histoire de me faire chier un peu plus !

– Alors là, tu ne manques pas d'air, s'esclaffe Taehyung avec sarcasme. Tu n'avais qu'à pas prendre le chiffre juste après le mien !

– T'es vraiment un bouffon !

– Et toi t'es-

– Eh les gars, intervient une voix vers le fond de la salle.

Subitement interrompus dans leur prise de bec, ils se tournent vers le blondinet qui vient de prendre la parole et le foudroient du regard.

– Quoi ?! s'exclament-ils à l'unisson.

– Vous voulez pas vous pécho une bonne fois pour toutes, qu'on en finisse ? La tension que vous instaurez devient de plus en plus pénible.

Tandis que le plus jeune manque de s'étouffer, l'aîné se retient d'étriper l'auteur des propos venant de susciter l'hilarité générale.

– T'en as d'autres des bonnes comme ça, Jimin ?

– Tout plein, si tu veux.

– Bah tu peux te les garder, parce que-

– C'est bon, on s'en fout, ferme-la.

Le brun s'arrête en plein milieu de sa phrase et reporte son attention sur son voisin de paillasse. Celui-ci s'est assis à la place qui lui est destinée, sortant déjà ses affaires de cours d'un air désintéressé.

– T'as dit quoi là ?

– J'ai dit : « ferme-la et assieds-toi ».

– Tu veux vraiment être à côté de moi pendant des mois ?

– Non, mais je préfère ça plutôt que l'on m'imagine en train de batifoler avec toi.

Taehyung réfléchit.

Le morveux n'a pas tort, se dit-il.

Un frisson de dégoût lui échappe en repensant aux mots de Jimin.

Park n'est qu'un idiot, de toute façon. Se pécho, lui et Jungkook ? Beurk et re-beurk ! Jamais de la vie. Non pas que son physique le rebute, très loin de là. Il pourrait tout à fait envisager de faire des coquineries avec lui. Mais sa personnalité, quant à elle, est bonne pour la déchèterie. Un tel gâchis ne devrait même pas être permis. S'il le pouvait, il foutrait Jeon au recyclage. Avec un peu de chance, il en reviendrait tout aussi attirant, mais largement moins con.

À contre-cœur, il s'assoit à son tour et se tait. Il n'a pas vraiment le choix. Cependant, il n'hésite pas à sortir un gros feutre de sa trousse pour tracer une longue ligne de séparation sur le bois de la table.

– Tu dépasses la ligne et je te caillasse à la sortie.

– Essaye pour voir.

Leurs babines se retroussent pour dévoiler leurs dents, qu'ils exposent en guise de menace. Puis, d'un geste parfaitement synchronisé, ils renâclent et se tournent chacun d'un côté, bien décidés à s'ignorer.

– Bien. Maintenant que la nouvelle disposition est faite, j'aimerais vous reparler du devoir en binôme prévu pour après les vacances de Pâques, annonce l'adulte.

– J'peux me mettre avec Sohee ? demande une rousse près du tableau.

– Et moi avec Junho ?

– S'il vous plaît, moi j'aimerais bien être ave-

– Taisez-vous, je vous prie ! ordonna-t-il. Les binômes se feront avec votre voisin ou voisine de table.

Le silence s'abat brusquement sur la pièce. On pourrait presque entendre les mouches voler. Ou peut-être que ce ne sont pas le bruit de leurs ailes mais simplement celui des commérages murmurés ci et là.

Les œillades fusent dans tous les sens et se rejoignent sur le même sujet : les deux énergumènes placés à côté de la fenêtre. L'un joue distraitement avec son stylo, l'autre tente de déterminer l'origine de la trace rouge sur le plafond.

Taehyung et Jungkook n'ont pas encore l'air de réaliser. Mais une chose est sûre, c'est que ça va encore gueuler dans les chaumières.

✎...태♡국

– Nan mais tu te rends compte ?! Avec Jungkook, quoi ! Il m'a foutu avec Jungkook !

– Oui, chéri, j'ai entendu, soupire madame Kim d'un ton las.

– Et c'est tout ce que ça te fait ?

– Tae, ça fait trois fois que tu nous le répètes... Mange, maintenant. Ça va être froid.

Sentant son fils sur le point de répliquer, c'est au tour de son père de s'interposer.

– Tu sais quoi, mon grand ? Je pense que ce devoir commun vous fera le plus grand bien. Et tu veux connaître la bonne nouvelle ?

– Oh non, pas encore une nouvelle... se lamente le brun, plongeant la tête dans ses bras.

– Non mais celle-là est fantastique !

Prudemment, l'adolescent ressort alors le bout de son nez et zieute son paternel d'un air peu convaincu. Il attend la suite, qui ne vient bizarrement pas.

Papa Kim préfère faire durer le suspense en prenant le temps de mâchonner son bout de patate qu'il vient d'enfourner dans sa bouche.

– Le bonne nouvelle, c'est que...

✎...태♡국

– On va déménager, où ?!

– Dans l'immeuble des Kim ! Ce n'est pas génial ? La résidence est belle et bien entretenue. Et c'est tout près du lycée, tu n'auras même plus besoin de prendre le bus.

– Mais papa, tu m'écoutes ? Je suis en train de te dire que je vais devoir bosser avec mon ennemi juré, et toi tu me balances qu'on va habiter chez eux ?

– C'est pas chez eux, mon lapin. C'est l'appartement d'à côté.

– Ah, parce qu'en plus, c'est celui d'à côté ?

Un rire hystérique s'échappe de sa gorge. Jungkook est à deux doigts de plonger sa tronche dans la marmite de soupe bouillante pour s'ôter la vie. Un peu extrême, direz-vous, et vous n'aurez pas tort. Mais avouez que le côté drama queen lui donne un charme certain.

– Kookie, tu devrais voir le positif là-dedans, conseille sa mère. La proximité sera un avantage dans l'avancée de votre devoir. Vous n'aurez pas à parcourir toute la ville pour travailler ensemble.

– Hors de question qu'il vienne dans ma chambre, même pour bosser ! Après, ça va sentir son odeur partout.

– Ce que tu peux être intransigeant, c'est pas possible.

– Mais maman...

– Jungkook, écoute, l'interrompt-elle. Il va falloir mettre de l'eau dans ton vin en ce qui concerne Taehyung. C'est le fils de mon meilleur ami, tout de même. Il serait temps que vous appreniez à vous entendre.

Le jeune noiraud souffle tel un taureau prêt à charger. Cependant il ne fait rien d'autre que croiser les bras sur son poitrail en affichant une moue capricieuse.

– Mange ta soupe, maintenant. Ça va refroidir.

✎...태♡국

– Bouge, t'es sur mon chemin, grogne Jungkook.

– T'as qu'à changer de chemin, rétorque Taehyung.

– T'es chez moi, j'te signale.

– C'était mon immeuble avant le tien.

– Mais c'est mon appartement.

– T'es chiant.

– T'es pire.

Déjà dix bonnes minutes que les Kim ont débarqué chez les Jeon. Les nouveaux résidents ayant tenu à inviter leurs amis pour une petite pendaison de crémaillère version goûter, les adolescents n'avaient pu y couper. Et comme toujours lorsqu'ils étaient tous les deux ensembles dans une même pièce, il n'y avait pas moyen de se concentrer sur autre chose que leurs chamailleries.

– Bon, les garçons, vous voulez pas arrêter ? On ne s'entend même plus parler !

Ça, c'est madame Kim, qui n'en peut plus.

– C'est vrai ! Allez jouer dans votre chambre et laissez-nous papoter.

Et là, c'est madame Jeon, qui adore transformer les « tu » en « vous » et les « ta » en « votre ».

– Vous pourriez en profiter pour potasser votre dissertation, non ?

Ah... Et ce bon vieux papa Kim, toujours de bonnes idées.

N'en déplaise à notre Taekook, d'ailleurs, qui n'est pas franchement du même avis.

Les yeux dans les yeux, ces deux-là se lancent des éclairs invisibles comme on jette un mauvais sort sur quelqu'un. Le but de la manœuvre est de voir qui va céder à l'autre en premier. Mais le souci, c'est que le regard du brun est beaucoup trop intense et que Jungkook se fait avoir à chaque fois. Il n'arrive jamais à le soutenir, c'est plus fort que lui. Il a toujours cette impression, lorsque l'autre neuneu le guette, qu'il va se liquéfier sur place. Son cœur tambourine et son sang pulse dans ses veines avec plus de vigueur. Il n'a jamais su expliquer cette réaction, alors qu'au fond, elle est plus que compréhensible. Le pauvre chou...

Qui donc n'a jamais eu cette impression-là devant Kim Taehyung ? Le gars vous toise pendant trois secondes et demie et vous vous désagrégez dans l'espace en moins de deux.

– Bon, viens, on va dans ma chambre.

– Ouh, j'ai cru que tu me le proposerais jamais, commente l'invité d'un ton aguicheur.

Jungkook ne répond rien mais se retient de lui arracher la langue. Il déteste quand il le cherche comme ça. Toujours à faire des sous-entendus vulgaires et salaces, tout ça pour l'embêter. C'est qu'il est un peu prude, le petit Kookie. Il n'a encore jamais rien fait avec personne, pas même un bécot. Alors les allusions de ce type le font rougir. Ce qui, entre nous, est absolument adorable. Et pour le coup, Taehyung serait bien d'accord avec cette remarque.

Dans un silence religieux, ils se dirigent vers le sanctuaire personnel du noiraud. Ils y entrent, et l'hôte part directement s'installer sur son lit, pendant que son parasite inspecte les lieux avec curiosité.

Ce dernier s'approche des esquisses accrochées aux murs. Toutes réalisées par Jeon Jungkook, sans le moindre doute. Son talent pour le dessin n'est un secret pour personne. Et même Taehyung se doit bien de le lui reconnaître.

– Tu regardes mais tu touches pas, prévient le jeune artiste.

– Détend ton slip, beau gosse.

– J'porte pas de slips, s'offusque-t-il.

– Encore mieux, alors !

Ses poings se serrent devant le sourire narquois de son vis-à-vis. Il se contient encore.

– Ça non plus, tu touches pas, annonce-t-il sévèrement en le voyant se diriger vers sa collection de mangas.

Taehyung soupire. Il en a déjà marre. Il ne cherche même pas à en observer davantage, il sait déjà que tout lui sera refusé. Déjà qu'on ne peut même pas faire de blagues en dessous de la ceinture...

Il se tourne alors pour faire face à son camarade et fait quelques pas en sa direction.

– Mon lit aussi t'est interdit.

– Bon, ça va aller, là, monsieur le tyran ?

– Ma chambre, mes règles.

– Et je m'assoie où en attendant ?

– Tu t'assoies pas.

– Tu te fous de moi ?

– Non.

Un ange passe au-dessus du brasier infernal que représentent les deux garçons.

L'atmosphère est pesante, électrique. Ils se dévisagent comme des bêtes sauvages, régies par la loi de la jungle. Ce n'est plus Taehyung et Jungkook, ici, dans cette pièce. C'est un tigre redoutable et un lapin-garou, se battant pour le règne de leurs terres.

Mais une fois de plus...

– Bon, tu... tu peux t'asseoir par terre, si tu veux, cède le plus jeune.

– Sa majesté est trop bonne, lâche l'autre avec ironie.

Taehyung prend donc place sur la moquette, juste en face du lit, choisissant consciencieusement sa position. Il opte pour une posture décontractée, bras tendus derrière lui comme soutien et jambes fléchies. En se faisant, l'ourlet de son pantalon en lin remonte légèrement, juste de quoi révéler la peau douce et hâlée de ses fines chevilles.

À cette vue, Jungkook détourne les yeux et se gratte la gorge, les pommettes florissantes.

– Bon, c'est quoi le thème de notre dissert' déjà ? demande-t-il, comme pour faire la conversation.

L'aîné hausse un sourcil, se remettant en mémoire les indications du prof, puis esquisse un sourire en coin avant de répondre :

– Le destin.

✎...태♡국

– Tu sais ce que je pense ? demande Taehyung, songeur.

– Alors, si on part du principe que rien que l'idée que tu sois capable de penser et réfléchir m'étonne... Hm...

– Vas-y, parle mieux.

– T'es dans ma chambre, je parle comme je veux. D'ailleurs, j'peux savoir pourquoi c'est toujours chez moi qu'on bosse ?

C'est vrai ça, depuis plus de deux semaines qu'ils se retrouvent régulièrement pour travailler sur leur devoir en commun, et à chaque fois, c'est chez Jungkook que ça se passe. Certes, travailler est un bien grand mot. Fidèles à eux-mêmes, ils passent le clair de leur temps à s'embrouiller pour tout et n'importe quoi, et leurs sessions d'études manquent toujours de finir en bain de sang.

– Ton sol est plus confortable, répond le brun, amusé.

– Ha ha, très drôle. Sérieux, ça te suffit pas de me pourrir la vie au lycée, faut que tu viennes le faire dans mon espace privé ?

Taehyung place un doigt sous son menton et le tapote gentiment tout en réfléchissant. Cela dure quelques secondes à peine, puis c'est avec un haussement d'épaules qu'il prononce :

– Très bien, on ira chez moi la prochaine fois.

– Pardon ?

– Aurais-tu des problèmes d'audition, Jeon ? À ton âge, ça craint quand même.

Les paupières du plus jeune se mettent à battre et font voler ses longs cils. On dirait une petite biche perdue dans un centre commercial. Ce petit gars est tellement à croquer, qu'on en oublierait presque son caractère de cochon.

– Mon audition va très bien, merci. C'est juste que je ne pensais pas que tu céderais aussi facilement.

– Je ne cède pas, je donne mon accord, c'est différent.

– Bon, à quoi tu pensais, sinon ?

Le brusque changement de sujet ne fait que démontrer son manque d'argument pour contrer celui de Taehyung. Il saoule aussi, celui-là. Toujours avoir le dernier mot et vouloir avoir raison sur tout ! Enfin, c'est aussi ce qui ajoute du piment à cette histoire, vous ne trouvez pas ?

– Hm, je pensais au destin. Pour moi, c'est franchement un truc suggestif.

– Comment ça ?

– Bah, t'y crois toi, à ça ? Je veux dire, tu penses pas que ce serait un peu gros si chacun avait une ligne toute tracée ? Une vie prédéfinie, un avenir inéluctable...

– Eh bien, figure-toi que oui, moi j'y crois.

– Ah.

Un court silence s'immisce entre eux.

– Tu me juges, observe Jungkook.

– Non.

– Si, tu me juges.

– Ok.

– Ah, tu vois !

Taehyung souffle ; son camarade s'offusque.

– Dis ce que t'as à dire.

– Très bien. Alors je trouve personnellement que ce sont des conneries. Si on part du principe que notre existence entière est écrite avant même notre naissance, t'imagines à quel point les auteurs de nos vies doivent s'emmerder ?

– Mais le destin, ce ne sont pas des personnes qui l'écrivent, t'es nul !

– Bah ce serait qui dans ce cas ?

– Mais j'en sais rien, moi ! Un phénomène qui ne s'explique pas, c'est tout !

– Oh, oui, mais que suis-je con, alors ! On devrait noter ça dans notre dissert', tiens ! « Le destin est inexplicable », point.

Sans s'en rendre compte, les deux viennent de monter le ton, et celui-ci ne fait que croître. La vapeur s'épaississait dans la cocotte-minute, faisant grimper la pression qui ne tarderait pas à faire sauter la soupape.

– Tu sais quoi, Kim ? T'es vraiment un enfer ! Et t'es trop terre à terre. T'as toujours besoin de savoir tout sur tout, c'est ça ?

– Tu peux parler, monsieur-je-suis-meilleur-que-tout-le-monde !

– J'ai jamais dit que j'étais meilleur que tout le monde !

– Arrête, tu fais toujours le fier quand t'arrives premier à un contrôle.

– Oui, mais juste parce que je suis meilleur que toi, c'est pas pareil ! Et je te signale que tu fais la même chose !

– Bon écoute, j'crois qu'on en a fini, hein, vu que c'est impossible de discuter avec toi !

Sur ces mots, Taehyung se lève, prend son cahier encore vierge, se dirige vers la porte à grand pas...

– C'est ça, casse-toi, grand nain ! beugle Jungkook.

...mais s'arrête en entendant cette insulte ridicule.

Il se retourne alors vers lui pour le provoquer une dernière fois.

– J'suis sûr que tu sais même pas que ça s'appelle un oxymore, ce que t'as dit !

– Si, je le sais ! Vas-y, dégage !

Taehyung lui tire la langue et évite de justesse l'oreiller que le noiraud lui jette à la figure. Puis il disparaît de la pièce, emportant son rire arrogant avec lui.

Enfin seul, Jungkook étouffe un cri de rage dans sa main et donne un coup de talon dans son matelas. Il a l'impression de n'avoir jamais été autant énervé de sa vie. C'est ce qu'il se dit à chaque embrouille avec son aîné, en réalité. Parce qu'à chaque fois, il sent son estomac se nouer un peu plus fermement que la précédente.

Parfois, il aimerait bien que cette guerre cesse entre Taehyung et lui. Il en a un peu marre, c'est vraiment fatigant, mais c'est plus fort que lui. Il ne peut pas supporter ce gars, et c'est tellement réciproque que toute entente cordiale est impossible.

Une main sur le cœur, il soupire.

L'image est si triste...

✎...태♡국

Ah, le destin...

Quel concept étrange, quand on y pense. Certains, comme notre cher petit Jungkook, y croient dur comme fer, tandis que d'autres, comme notre beau Taehyung, restent parfaitement hermétiques à cette notion là.

Quoi que l'on puisse en dire, on ne peut que se poser des questions lorsque cela concerne notre duo de choc. Car si vous savez déjà comment leur histoire a démarré, et que vous la connaissez telle qu'elle est aujourd'hui, il reste encore beaucoup de péripéties inexplicables qui échappent à votre connaissance.

Comme le fait, par exemple, que pendant le voyage scolaire au collège, les deux se sont retrouvés à coucher dans la même chambre pendant trois jours. Ou bien encore la fois où, lors d'une tombola, ils ont eu la mauvaise surprise de remporter le premier prix, suite à une erreur de l'organisateur qui avait mis deux numéros gagnants au lieu d'un seul. Cela avait été un drame pour les deux jeunots qui n'ont eu d'autre choix que de céder à l'autre une moitié de la série de mangas contenue dans le lot. Sans parler de ce jour où ils se sont vu partager la même cabine dans la grande roue de la fête foraine, alors qu'ils n'étaient même pas venus ensemble. Cela a été pour eux un moment si gênant et désagréable qu'ils en gardent aujourd'hui un souvenir impérissable, qu'ils seraient d'accord pour le qualifier de traumatisme.

En résumé, tout semblait être fait pour que les chemins de Taehyung et de Jungkook se croisent pour n'en former qu'un. Comme si c'était ce que le destin attendait d'eux. Mais la vie n'étant pas un long fleuve tranquille, c'était évident qu'il y aurait des débordements et des sorties de routes. Et ça, même la fatalité n'y pouvait rien.

– Nan mais j'y crois pas... Même au supermarché, tu viens me les briser ?

– Relax, Kookie, j'viens juste acheter deux trois bricoles pour le dîner.

– M'appelle pas comme ça ! Puis tu pouvais pas aller ailleurs ?

– J'ai toujours été dans celui-là. Je ne vois pas pourquoi je changerais mes habitudes tout ça parce que tu as déménagé dans mon quartier, dans mon immeuble, et que maintenant tu squattes mon rayon fruits et légumes.

En disant ça, Taehyung n'hésite pas à planter son concombre fraîchement choisi dans le ventre de Jungkook pour appuyer chacun de ses mots et leur donner plus d'effet. Ce qui agace bien vite ce dernier, qui attrape le premier objet qui lui tombe sous la main, soit une aubergine, pour le brandir devant le nez du brun en guise de menace.

– Tu veux vraiment te battre ici, au milieu d'un paquet de citoyens innocents ? demande le plus vieux.

– Un Jeon ne recule jamais devant un ennemi !

– Donc toi tu les préfères petites et grosses, si je comprends bien ? reprend-il d'un ton taquin.

Les sourcils de Jungkook se froncent et sa tête penche inconsciemment sur le côté sous l'incompréhension, quand le sens de ces mots fait soudain tilt dans son esprit en voyant le regard malicieux de son adversaire sur son arme de fortune. Il se fige dans un premier temps, la bouche grande ouverte, puis s'éloigne de quelques pas, presque bondis comme ceux d'un lapin.

Il crie alors, outré :

– Mais t'es pas bien ?! T'es toujours obligé de tout ramener au sexe, c'est pas possible !

Mais Taehyung ne se laisse pas impressionner. Il se marre plus qu'autre chose, avec son foutu sourire en coin présent sur son visage bien trop beau.

– Qui a dit que je parlais de sexe ? Je parlais juste de ton aubergine. Moi je les trouve plus savoureuses lorsqu'elles sont plus longues et fines. Mais comme on dit, les goûts et les couleurs...

Il hausse les épaules avec nonchalance, avant de continuer tout en s'avançant :

– En tout cas, il me semble bien t'avoir vu reculer, Jeon.

– Reste loin, gros pervers ! ordonne l'intéressé.

Une petite vieille, non loin d'eux, se retourne en entendant l'accusation. Son air est à la fois choqué et méfiant. Elle juge le brun d'un œil de gendarme, prête à s'en mêler. Taehyung se sent rougir de honte. Pour quoi Jungkook le fait-il passer encore ? Et puis elle peut pas être dure de la feuille, la mamie, comme tous les autres de son âge ?

Très embêté, il reporte son attention sur son camarade et le foudroie du regard.

– T'es timbré, toi ! J'suis pas un pervers, c'est toi qui est trop prude ! Puis tu sais quoi ? T'es même pas mon style !

– Ah ouais, j'suis pas ton style ? T'es sûr de ça ?

– Carrément que je suis sûr !

– Alors pourquoi tu me mates tout le temps en cours de sport ?

Touché...

– Tu me mates aussi j'te signale ! Et même quand je me change dans les vestiaires !

– C'est parce que je me moque de ton bidon tout flasque. Et toi, c'est quoi ton excuse ?

...coulé.

Taehyung n'avait aucune excuse qui justifierait toutes les fois où il s'est mis à baver devant les abdominaux de Jeon Jungkook, les yeux pleins d'étoiles et la langue pendue comme un gosse devant une fontaine de chocolat fondu.

– Redescends de ton nuage, l'albatros. T'es juste tellement blanc que je suis obligé de m'en faire la réflexion à chaque fois que j'vois ton corps !

Voilà, ça devrait faire l'affaire !

Les bras croisés sur sa poitrine, Jungkook le toise en affichant une expression qui démontre bien ses doutes. Il a laissé tomber son légume. L'aubergine petite et grosse traîne maintenant dans le bac à carottes, et cela ne semble perturber personne, mis à part la grand-mère qui s'offusque en marmonnant des choses inaudibles dans sa barbe.

« Non mais les jeunes d'aujourd'hui... Quelle misérable éducation ! »

Oui, ce doit être quelque chose dans le genre. Mais revenons-en au Taekook, qui est bien plus palpitant qu'elle.

Les deux s'observent en silence. La tension règne. Ils se tiennent, menton levés et torse bombés, comme deux coq dans une basse-cour. C'est dingue comme ils peuvent être mignons, même quand ils se disputent le rôle du mâle dominant.

– Tu me fatigues, dit Taehyung.

– Tu m'exaspères, rétorque Jungkook.

– Rentre chez toi !

– Toi, rentre chez toi !

– Tu sais quoi ? C'est exactement ce que je vais faire !

– Eh bah tu sais quoi ? C'est exactement ce que je vais faire aussi ! Marre de voir ta tronche !

– Pour une fois, on est d'accord.

Et c'est ainsi que nos deux vaillants héros abandonnent lâchement leurs paniers de courses au beau milieu de nulle part et tournent les talons vers des côtés opposés, non sans avoir soufflé un « pfeuh ! » puéril et théâtral.

Toutefois, ils n'ont pas bien loin à aller pour se rendre compte que la sortie est la même pour tout le monde. C'est donc devant le magasin qu'ils se retrouvent nez à nez comme des idiots, et se mettent en quête de leurs maisons en ignorant royalement l'autre.

Enfin, jusqu'à ce qu'ils se souviennent d'un détail plus que contrariant : ils habitent au même endroit.

L'un s'arrête dans ses pas, l'autre l'imite.

L'un soupire bruyamment, l'autre lève les yeux et se retient de jurer.

Force est de constater dans ce tableau, qu'à cet instant précis, ils ne semblent pas du tout ravis, contrairement à vous, qui en jubilez sûrement.

– Change de trottoir.

– Toi, change de trottoir.

– Non, toi change de trottoir !

– Non, toi change de...

Bon, on va s'arrêter là, mais vous l'aurez compris. Ils vont très certainement continuer à râler tout au long du trajet, et bien sûr, sur le même trottoir.

✎...태♡국

Vous savez ce qui est pire que d'être attiré par le mec qu'on déteste plus que tout au monde ? Oui parce que, soyons honnête, Jungkook et Taehyung sont clairement attirés l'un par l'autre, c'est aussi visible qu'une vache au milieu d'un champ de souris.

Le pire, c'est de l'être tout en n'acceptant pas de l'être. Car la vérité, c'est que tous deux se sont voilé la face, jusqu'à croire qu'ils n'éprouvaient strictement rien pour l'autre, si ce n'était du mépris et de l'irritation.

Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'il existe encore pire que ça.

Le pire du pire, c'est de s'en rendre compte au moment où on s'y attend le moins. Le genre de révélation si subite qu'elle vous percute de plein fouet tel un TGV.

C'est Jungkook, le premier à être entré en collision avec ses propres sentiments. Et laissez-moi vous dire que le choc a été d'une violence sans nom pour notre petit chéri.

Aujourd'hui, il ne s'en est toujours pas remis. Il est actuellement allongé dans son lit et se demande ce qu'il a fait au bon Dieu pour mériter un cœur pareil. Non mais franchement, tomber amoureux de Kim Taehyung ? Faut le faire quand même ! C'est ce qu'il n'arrête pas de se répéter en boucle, comme si se dire qu'il n'est pas normal le rassure d'une façon absurde. Cela pourrait lui servir de bonne excuse.

Il y a trois jours de ça, il a assisté à une scène bien précise qui a chamboulé sa vie entière. Une scène dans laquelle se trouvait le merveilleux et délicat faciès de son aîné, tout ensanglanté. En sortant de son cours de Taekwondo hebdomadaire, il s'apprêtait à rentrer chez lui, lorsque l'envie de s'acheter une boisson rafraîchissante à la supérette lui est venue. Il s'y est donc arrêté, s'est désaltéré tout en marchant, jusqu'à ce qu'il passe devant une impasse sombre de laquelle s'échappaient les douloureux échos d'une voix plaintive.

Il était assez tard, Jungkook n'y voyait pas grand-chose de là où il était. Mais il a pu deviner dans les ombres, les silhouettes de deux gaillards s'acharner sur une personne à terre. Ni une ni deux, il s'est élancé dans le maigre sillon pour secourir la victime, sans même se soucier de sa propre sécurité.

Mais lorsqu'il s'est approché, et a reconnu son camarade de classe et deux sunbae de son lycée, son sang n'a fait qu'un tour dans ses veines et il n'a pas hésité à les menacer de sa simple présence.

Ça n'a jamais été compliqué pour lui de jouer de sa renommée. Car Jeon Jungkook est doué, très doué. Il est ceinture noire, tout de même, et tout le monde sait qu'il n'est pas l'ennemi à ajouter à sa liste. Alors il n'a fallu qu'un regard meurtrier et une mise en garde grondée pour que les agresseurs déguerpissent la queue entre les jambes.

En se retournant vers Taehyung, le noiraud a pu voir l'état lamentable dans lequel on l'avait laissé. Et c'est là que tout a dérapé. Son cœur s'est serré comme jamais ça ne lui était arrivé, la rage a pris place dans son esprit et il s'est senti d'humeur à faire payer au monde entier cet excès de haine gratuite.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé ? a-t-il demandé sèchement.

– Qu'est-ce que tu fais là ? J'avais pas besoin d'ton aide, a pesté le blessé en crachant son hémoglobine sur le bitume.

– C'est sûr que t'avais l'air bien parti pour les dégommer, ouais. Ils te voulaient quoi ces enfoirés ?

Jungkook ne rigolait pas. Pas du tout. Et en le voyant si en colère, Taehyung a dû laisser tomber sa fierté pour se faire tout petit. C'était la première fois qu'il le voyait comme ça, aussi fort et imposant, alors il n'a pas su comment réagir autrement.

– Apparemment je fais de l'œil à leurs copines et ils sont pas contents.

– Donc quoi, ils te reprochent d'être plus beau et mieux qu'eux ?

– C'est... C'est un peu ça, ouais... a-t-il bredouillé en réponse à ce compliment déguisé.

– Lève-toi, on rentre.

Cet ordre est tombé du ciel pour le clouer sur place. Des ordres, Taehyung en avait bien souvent reçu de son camarade, mais pas un seul à ce jour ne lui avait paru crédible. Jusqu'à celui-ci.

De plus, il aurait bien voulu se lever, mais sa cheville le faisait trop souffrir pour ça. Ce que Jungkook a très vite compris. Après avoir soupiré, ce dernier s'est accroupi pour lui présenter son dos.

– Grimpe.

Et aucun ne saurait dire pourquoi le brun avait accepté sans contester.

Jungkook y a beaucoup pensé sur le chemin jusqu'à la maison, tandis que Taehyung, qu'il portait comme un gentleman, avait d'autres préoccupations.

– C'est dingue quand même que tu sois passé ici pile à ce moment-là, a dit ce dernier, songeur.

– C'est le destin, a répondu sérieusement le noiraud.

– Garde ça pour la dissert', gamin naïf.

– La ferme.

Comme toujours, les mêmes chamailleries. Mais dans la tête du plus jeune, les pensées qui s'y agitaient étaient bien différentes...

✎...태♡국

– Tu comptes dormir sur le palier ou tu vas te décider à entrer ?

Jungkook papillonne des yeux et remarque l'air impatient de son aîné. Celui-ci lui a ouvert la porte de chez lui pour la première fois, et il attend visiblement que le garçon enlève ses chaussures et le suive jusqu'à sa chambre, là où ils ont prévu de travailler.

Mais le noiraud reste statique depuis une bonne minute et c'est assez agaçant pour l'hôte des lieux qui aimerait en finir vite avec tout ça.

– P-pardon, oui, j'arrive, enfin je-

Quelle catastrophe, Jeon Jungkook qui bafouille devant Kim Taehyung. Ça lui arrive de plus en plus depuis qu'il l'a sauvé des griffes de leurs vilains sunbae. Enfin plutôt, depuis qu'il a réalisé ce qu'il ressentait pour son ennemi juré plus si juré que ça.

C'est simple, dès qu'il ferme les paupières, il revoit sous celles-ci la scène entière. La douleur dans les prunelles chocolat de Taehyung, la fragilité dans ses mouvements. Il réentend les brisures dans sa voix, ressent la chaleur de sa peau dans tout son dos lorsqu'il l'a porté. Jamais ils n'avaient été physiquement si proches, jamais ils ne s'étaient touchés pour autre chose que se taper dessus.

À ce souvenir, le cœur de Jungkook s'emballe encore et encore, comme une machine qui devient folle. Il suffoque et rougit, se traite d'abruti.

Il soupire.

– T'es chelou en ce moment, balance le brun. Enfin j'veux dire, encore plus que d'habitude.

– Hm... Si tu l'dis, répond mollement l'autre.

Ça n'arrange rien à son cas. En temps normal, il aurait réagi au quart de tour et aurait incendié le plus vieux. Mais là, rien. Il délace ses baskets et se met en route vers le salon, puis attend que Taehyung lui montre le chemin.

Ce dernier ne dit rien mais n'en pense pas moins. Jeon est devenu vraiment chiant depuis quelques jours. Il n'est même plus drôle et Taehyung commence à souffrir de ce manque de divertissement. Il a beau dire le contraire, mais il a toujours secrètement apprécié leur relation car elle met du piment dans sa vie. Jungkook est le seul qui ne lui cire pas les pompes ou qui ne cherche pas à l'amputer d'un membre par jalousie. Mais voilà, il ne répond plus à ses attaques, se comporte comme un légume périmé et passe son temps à le fixer avec des yeux de faon devant lesquels il se retient constamment de fondre.

– Ma chambre est par là. Tu regardes mais tu touches à rien. Moi non plus j'aime pas qu'on fourre son nez où il ne faut pas.

– D'accord...

Qu'est-ce qu'il disait ? Incroyablement chiant. Presque si ça ne ferait pas plaisir à Taehyung qu'il contourne ses règles. Au moins, ça prouverait que le gosse insupportable qu'il connaît se cache encore dans ce corps sublime.

N'est-ce pas ironique, quand on pense qu'il a toujours critiqué sa personnalité et souhaité la voir changer ?

Dans un silence très dérangeant, ils se rendent sur leur lieu d'études. Le brun le laisse passer en premier, croisant les doigts pour que l'envie de faire une bêtise lui vienne. Mais absolument rien ne se passe. Jungkook va de lui-même s'asseoir sur le sol et tire son bloc-notes de son sac comme un bambin sage et discret, sans même regarder la pièce que le propriétaire a pris soin de ranger pour l'occasion.

– Bon, il va falloir qu'on s'y mette sérieusement parce qu'on a pas vraiment avancé, annonce ce dernier.

– Et on pourra pas dire que c'est ma faute, rétorque Taehyung pour le bousculer.

– Ce n'est pas la mienne non plus.

– C'est toi qui te vexe toujours pour un rien et monte sur tes grands chevaux dès que j'ouvre la bouche.

Un autre soupir s'échappe de celle du plus jeune. Pendant une seconde, Taehyung lorgne sur elle et se perd sur le délicat grain de beauté qui la décore.

Ah, ce grain de beauté... Posé là, seul, juste sous le bombé charnu de sa lèvre inférieure... Quel joli détail.

– Bon, tu viens ?

Taehyung s'ébroue mentalement pour se réveiller. Il part s'asseoir sur son matelas, les pensées brouillées. Il a rêvé ou Jungkook a encore ignoré son petit assaut verbal ? Alors comme ça, le petiot s'est lassé de leur éternelle guéguerre et l'abandonne salement sur le champ de bataille ?

Quel affront. C'est vexant.

Si seulement quelqu'un d'admirable pouvait dire à Taehyung que non, Jungkook ne l'a pas abandonné mais qu'il a juste enfin compris qu'il s'était entiché de lui...

C'est vrai que ça ne serait pas aussi intéressant si on leur soufflait toutes les réponses. L'histoire serait plus terne, il y aurait moins de rebondissements. Et puis, le moment où les deux protagonistes se tournent autour n'est-il pas excitant ?

De toute façon, notre Taetae n'a pas utilisé tous ses atouts. L'obstination, il en est maître. Et la taquinerie, disons qu'il la considère comme sa meilleure amie.

Pour l'instant, il décide de faire profil bas et accepte de se mettre au boulot. Mais ce n'est qu'une couverture, car sous celle-ci, il élabore un plan pour faire sortir son camarade de ses gonds.

Pendant dix minutes, ils écrivent respectivement leurs idées sur leurs cahiers afin de les mettre en commun à la fin de la séance. Jungkook fait ça bien. Du moins, il en a l'air. Sur sa page, une vingtaine de cœurs siègent çà et là. Certains sont remplis, d'autres striés ou vides. Chez Taehyung, ce sont des bonhommes bâtons qui tiennent des lances et qui sont sur ce qu'on devine être des chevaux. On dirait une scène de joute équestre, mais dessinée par un moins de cinq ans.

Au bout de quelques minutes supplémentaires, l'aîné sature, il n'en peut plus. Depuis quand les deux arrivent-ils à rester dans une même pièce sans vouloir s'étriper ? Ça ne peut plus durer. Il doit faire quelque chose et vite !

Il se redresse alors bien droit, se positionne comme un fauve devant une proie. Vous voyez son regard déterminé, là ? Vous la sentez venir, la connerie ? Taehyung s'apprête à frapper d'un coup fort et absolument irréfléchi.

– Jeon.

Le susnommé lève les yeux vers lui et l'interroge silencieusement.

Ça y est, il est trop tard pour reculer.

– Tu t'es foutu du stylo sur la tronche.

Jungkook s'étonne et se met à se frotter la face. Mon dieu, on dirait un lapinou qui fait sa toilette.

– J'en ai encore ? demande-t-il d'une petite voix.

– Ouais, t'es vraiment pas doué. Attends, je vais t'aider.

Taehyung quitte son lit et s'approche.

Le temps se fige, tout comme le corps du misérable Kookie. La proximité le décontenance, il guette son homologue sans ciller. Il voit son visage s'avancer, encore et encore, et sent ses longues phalanges attraper ses joues pour l'empêcher de bouger. Comme s'il le pouvait.

Il retient son souffle. Il attend le moment où Taehyung va lui essuyer les babines avec son pouce comme une grand-mère le ferait.

C'est gênant. Très gênant, d'imaginer ça, mais surtout de l'attendre.

Mais les choses ne se passent pas comme prévues. Il discerne un truc chaud et mouillé sur la tranche de son visage, rien à voir avec la pulpe d'un doigt.

C'est une langue.

Kim Taehyung vient de le lécher, du bas de sa mâchoire jusqu'au haut de sa pommette. Il peut même sentir l'humidité perler à l'orée de ces longs cils épais.

Son poil se hérisse et son cœur s'arrête. Quand d'un geste impulsif, il le pousse de toutes ses forces et se relève, rouge comme un feu de route et chancelant comme un lustre sous un coup de vent.

– Mais ça va pas ? Mais qu'est-ce que tu fais ? hurle-t-il, une paume sur la joue.

– Je te nettoie, répond Taehyung avec légèreté.

Jungkook n'en revient pas. Il est choqué. Il a presque envie de pleurer tellement il est pris par ses émotions. La moutarde lui monte au nez, et il explose :

– T'es vraiment un gros dégueu ! Ne refais plus jamais ça espèce de vieux vicelard graveleux qui pue de la gueule ! Je te déteste, tu mériterais l'ablation de la langue ! De la tête entière, même ! Va te noyer dans un aquarium !

Sa voix résonne contre les murs. Il est furieux, et Taehyung aimerait crier de joie. Enfin il les retrouve, son insupportable môme et sa répartie en carton-pâte. Mais il n'a pas le temps de s'en extasier, Jungkook a déjà récupéré ses affaires et s'est enfui de la chambre.

La porte de l'entrée claque. Il est parti.

– Tss, trop mignon, murmure inconsciemment le brun.

Quelques secondes passent. Il se sent euphorique. Mais lorsque l'ivresse retombe, il réalise ce qu'il a fait et porte une main à sa bouche, les yeux comme deux ronds de flan.

– Meeeerde, souffle-t-il.

Kim Taehyung a léché Jeon Jungkook...

Et le pire, c'est qu'il a vraiment, vraiment, vraiiiiiment aimé ça.

✎...태♡국

– Tu veux quelque chose ? demande sèchement Jungkook.

Cela fait dix minutes qu'il sent le regard perçant de son voisin de table sur sa personne. Ce dernier ne le lâche pas depuis qu'ils sont entrés en classe. En fait, il ne le lâche pas depuis quelques jours. Jungkook l'a cramé depuis longtemps. Il le voit, au loin, le surveiller partout où il va. Pendant les intercours, les récrés, la cantine, où qu'il soit, il perçoit les deux billes chocolat napper sa peau comme un gâteau. Généralement, ça lui donne chaud.

Il ne comprend pas vraiment son aîné en ce moment. La dernière fois déjà, il lui a léchouillé la face comme un magnum. C'était cruellement indécent. Et peut-être un poil excitant ? Oups ! Ça, fallait pas le dire. Au temps pour moi. Reprenons.

C'était cruellement indécent ! Et complètement déplacé ! Aujourd'hui encore, il y pense et son cœur fait de la corde à sauter. Mais ceci n'est pas le sujet, n'est-ce pas ? On parlait de Taehyung et de ses yeux un peu trop collants.

Jungkook se sent mal. C'est comme s'il le déshabillait à la seule force de ses prunelles, l'effeuillait comme un artichaut, le pelait comme un oignon. Il faisait la même chose pendant les cours d'EPS. Et le noiraud a beau savoir que sa silhouette musclée ne laisse personne indifférent, là, il n'y a absolument aucune raison pour qu'on l'étudie à la loupe. À moins que...

– Bon, j'ai quelque chose sur le visage, c'est ça ? s'impatiente-t-il.

« À part la perfection incarnée ? Non, rien », aimerait répondre l'aîné.

Mais ce qui sort finalement de sa bouche est bien contraire à ses pensées :

– Un gros nez.

– Va te faire foutre, rétorque le concerné, vexé.

– Je déconne, t'emballe pas Mireille.

– Je m'appelle pas-

– Ferme-la.

– Ok.

Temps mort.

Leur échange n'est-il pas un imbroglio absurde et insensé ? Oui, c'est bien ce qui me semblait. À eux aussi d'ailleurs. Jungkook secoue la tête doucement, les sourcils froncés, comme s'il jugeait lui-même la maigre qualité de la discussion. Quant à Taehyung, il claque sa langue contre son palais et réinstalle sa joue au creux de sa paume.

Voilà qu'il recommence à le fixer.

– C'était qui le mec tout à l'heure ? lâche-t-il soudain.

Le plus jeune arbore alors une expression intriguée.

– Qui ça ?

– Celui qui t'a demandé en mariage au milieu du réfectoire.

Jungkook pique instantanément un fard et baisse la tête sur son cahier noirci de notes éparpillées. C'est un tel bordel dans ses cours, on y trouve des débuts de phrases sans la moindre fin, des mots rattachés les uns aux autres sans aucun lien logique, et des petits dessins, le genre que l'on fait distraitement pendant les discours ennuyeux du prof. C'est à se demander comment il arrive encore à être premier de sa classe avec un tel torchon en guise de leçons. Enfin, premier ex-aequo avec le camarade à sa droite.

– Un sunbae, tu connais pas, répond-il, évasif.

– C'est bien pour ça que je te demande qui c'est.

– Pourquoi ça t'intéresse ? l'interroge-t-il, réellement curieux.

Taehyung semble réfléchir quelques instants. Il se mordille l'intérieur de la lèvre, le regard planté vers le plafond, faisant patienter le plus jeune qui trépigne sur place.

– Parce qu'il faudrait être fou pour tomber amoureux de toi et que j'aimerais connaître l'identité de l'inconscient qui s'est fait avoir.

– T'es méchant. Hoseok-hyung n'est pas fou.

– Hoseok, donc... Tu le côtoies souvent ?

– On danse ensemble. Il fait partie de mon club de hip-hop.

– Je vois.

Sur cela, le brun se remet droit, face au tableau, et ne dit plus rien. Son visage est fermé, ses yeux encore plus noirs que d'habitude. On tape à présent sur du cacao à 90%, ce qui lui va aussi merveilleusement bien au teint. Tout lui va de toute façon, c'est Kim Taehyung.

Mais la contrariété, cependant, est peut-être la seule chose qui peut lui faire défaut. Non pas qu'elle altère sa beauté, elle lui donne même un certain charme, vous savez, celui qu'ont les grands bruns ténébreux sortis tout droit des romans bien clichés pour adolescents en fleur. Mais entre nous, le sourire n'est-il pas son arme fatale ?

– Mais sinon, hum... Tu l'aimes bien ? s'obstine-t-il.

Tiens ! Une pointe de timidité. Alors ça, c'est nouveau. Ça laisse Jungkook complètement coi. Sans réfléchir, il se penche légèrement pour mieux entrevoir les pommettes drôlement colorées du concerné. C'est plutôt mignon, se dit-il. C'est la première fois qu'il le voit comme ça. Il a presque l'impression de découvrir une facette de lui jusqu'alors séquestrée tout au fond de ce personnage dégoulinant d'égocentrisme et de narcissisme. Il pourrait bien y prendre goût.

– Bien sûr. Qui n'aime pas Jung Hoseok ? dit-il alors pour le tester.

Dans un premier temps, Taehyung ne pipe mot. Il s'amuse à corner une page de sa feuille à carreaux. Ses ongles parfaitement limés claquent sur le papier. Il n'a pas l'air très content, ses lèvres se sont avancées en une moue boudeuse.

Jungkook attend.

– Tu vas sortir avec lui ?

Dire que la question le surprend serait mentir. Il n'est pas le premier à la lui avoir posée. En revanche, Taehyung continue de l'étonner par son simple filet de voix hésitante et sa fixette à propos de cette affaire.

– Je ne sais pas, avoue-t-il alors.

Et c'est vrai. Il ne sait pas. Car si son cœur battait pour le garçon même avec qui il discutait présentement, il s'entendait excessivement bien avec son compagnon de danse et était conscient du fait que, jamais, sa relation avec Taehyung ne pourrait-être aussi idéale que celle qu'il entretenait avec Hoseok.

À cette réflexion, il sent une petite douleur piquer sa poitrine.

– Si tu veux mon avis, tu ne devrais pas accepter, le tire Taehyung de ses pensées.

– Pourquoi ça ?

– Il n'est pas pour toi, c'est tout. Vous seriez moches ensemble. Puis il a l'air un peu trop niais.

– Qu'est-ce qui te prend ? se fâche alors Jungkook. C'est pas ton genre de parler mal des gens.

Oui, Taehyung était toujours gentil avec tout le monde. Il n'était en temps normal pas quelqu'un qui jugeait facilement. Poli, courtois, il traitait les autres avec respect alors que beaucoup ne lui rendaient pas la pareille. Sauf Jungkook, car Jungkook était un énergumène qui méritait une autre forme d'attention. Il était spécial, hors du lot, le vilain petit canard, ou peut-être juste... la différence à l'état pur.

– Il me prend rien du tout, lâche-moi la grappe, maugrée-t-il avant d'enfoncer la tête dans ses bras.

Le calme s'instaure dès lors qu'il se décide à ignorer son camarade.

En silence, Jungkook l'observe d'un œil hagard. Il ne comprend vraiment rien à ce qui se passe. Kim est trop bizarre, et sa réaction est plus qu'inquiétante. Aurait-il de la fièvre ? Quelle mouche l'a donc piqué ?

Ah... Si seulement il savait qu'il ne s'agissait en rien de fièvre ou d'insecte, que l'Amour avait juste encore frappé et venait d'ajouter une nouvelle victime à son tableau de chasse...

✎...태♡국

Un coup d'œil à gauche.

Un coup d'œil à droite.

C'est bon, la voie est libre !

Le regard fureteur et tout le corps en alerte, Taehyung se faufile entre les arbres de la cour du lycée tel un ninja diplômé. Il bondit de tronc en tronc et de banc en banc, jusqu'à se glisser habilement derrière celui où étaient assis deux étudiants qui échangeaient chaleureusement.

Bien entendu, il n'est pas assez stupide pour se mettre à découvert. Le p'tit gars s'est planqué dans un buisson qui lui offre invisibilité et discrétion. Bon, ça pique un peu, mais ce ne sont pas non plus des orties ou des ronces. Puis tant qu'il ne dégrade pas son doux faciès, cadeau du ciel dont il tient comme à la prunelle de ses yeux, il ne va pas chouiner pour deux trois égratignures aux bras. Il est en infiltration, une mission de la plus haute importance qui vaut bien quelques blessures.

Bien calé dans son abri de fortune, il tend l'oreille vers sa cible qu'il traque depuis maintenant une semaine.

– Du coup, que t'a dit Jungkook ? questionne l'un des garçons.

Jungkook ?

À la mention de ce prénom, Taehyung se redresse prestement comme s'il venait de se brûler le derrière, et s'avance un peu, juste suffisamment pour entendre plus distinctement ce qui se raconte non loin de lui. Si on parle de son ennemi juré, il tient à savoir de quoi il en découle. Ça c'est sûr !

– Rien pour l'instant... Seulement qu'il allait y réfléchir, désespère l'autre.

– Bon, c'est plutôt positif, non ? Ce n'est pas un refus catégorique.

– Oui, c'est certain mais... J'espère que ça ne va pas jeter un froid entre nous. On danse ensemble toutes les semaines.

– Jungkook est un bon gars, d'après ce que tu m'as dit sur lui. Je pense qu'il saura faire la part des choses et ne pas laisser vos histoires interférer avec le bon déroulement de vos cours.

Roulant des yeux, l'espion des bacs à sable soupire de déception. Leur conversation est grave nulle. Y a rien d'intéressant là-dedans, pas même une info croustillante à se mettre sous la dent. Pour l'instant, il est au même stade que ce fameux Jong Hoseuk. Il sait pas.

– Je suis vraiment attiré par lui, Nam. Il est doué, il est beau, il est drôle et attentionné, il bouge comme un dieu. Et alors tu verrais son corps...

Les poings de Taehyung se serrent vivement.

– Oui, bon ça va on a compris que tu le kiffes à mort, crache-t-il.

Soudain, les deux amis se taisent et guettent les alentours. Ce n'est qu'alors que le brun se rend compte de sa bourde. Il porte une main à sa bouche et se recule dans les branchages. Il n'a pas réfléchi, c'est sorti tout seul. La colère l'a toujours fait réagir inconsidérément. Et de la colère, il en a à foison actuellement.

Il déteste entendre les louanges que les autres font sur Jungkook. Car s'il est en mesure de juger son physique et donner raisons aux compliments à ce sujet, le reste, il en est malheureusement incapable. Jungkook ne s'est jamais montré attentionné envers lui. Il n'est jamais drôle, du moins il l'est à ses dépends, mais il ne fait rien volontairement pour faire rire Taehyung. Le Jeon Jungkook qu'il connaît n'est pas celui que tout le monde admire et aime. Le sien est désagréable, vilain et condescendant. Le sien le déteste, surtout.

Et c'est en se rendant compte de ça qu'il découvre ce qu'est la jalousie. Ce sentiment que nombreux éprouvent à son égard et qu'il peut désormais comprendre.

En y réfléchissant, c'est comme quand il est tombé sur cette scène affligeante, quelques jours plus tôt, au self de l'école. Son plateau entre les mains, il avait aperçu ce rouquin, au milieu des tables, en train de discuter avec Jungkook. Curieux de n'avoir jamais vu ce garçon, au visage bien plus mature que les leurs, il s'est donc approché pour grappiller quelques miettes de leur dialogue. Et c'est là que tout a capoté.

– Kook, il y a un truc que j'ai toujours voulu te dire... a dit Hoseuk qui s'appelle en réalité Hoseok, avant de s'asseoir en face du noiraud.

– Je t'écoute, hyung, a répondu l'intéressé.

Dès ce moment, Taehyung a connu un certain désagrément dans son ventre qui s'est mis à grogner. Ou peut-être était-ce sa gorge, qui sait ? Jungkook l'avait appelé hyung, ce qui démontrait là une intimité évidente entre eux. Et ça, ça ne lui a pas plu du tout. Mais alors du tout, du tout.

– En fait, voilà. Depuis un bon moment, j'ai des sentiments pour toi. Et je sais que ce n'est pas le meilleur endroit pour te les déclarer mais... J'ai eu peur de ne pas avoir le courage si je repoussais encore le moment.

Mon dieu, si vous aviez vu les yeux du pauvre Taetae, dont la mine tombait en lambeaux... Exorbités qu'ils étaient. Ce qui peut tout à fait se comprendre. Les aveux d'Hoseok étaient tombés comme un cheveu sur la soupe, coupant net son appétit.

Dans la salle, on pouvait entendre jaser. Les messes basses, les mandibules qui s'arrêtent de mâcher, les regards vissés sur le couple...

Mais alors que le suspense et l'excitation étaient à leur comble, lui, avait de la fumée qui lui sortait par les oreilles. Il débarquait d'où, ce gars ? Quelle idée de faire une telle scène en public ? C'était si risible. D'un ridicule sans nom, même !

Son sang bouillonnait, il avait du mal à se retenir d'envoyer son plat d'épinards à la tronche de l'inconnu téméraire. Alors, ne voulant pas en écouter davantage, il s'est débarrassé vite fait bien fait de son plateau sur l'échelle prévue à cet effet, et a quitté la cantine sans entendre la réponse, et sans rien avaler, si ce n'était son dégoût et sa fureur.

Secrètement, il avait espéré que le type se soit fait rembarrer comme un malpropre.

Aujourd'hui, il a la confirmation que ce n'était pas le cas. Il ne l'avait pas rembarré.

Mais il ne l'avait pas accepté non plus ! Et ça, les amis, c'était une excellente nouvelle.

Car ça voulait dire que Jungkook était, potentiellement, encore à lui.

Attendez...

Comment ça, à lui ?

✎...태♡국

Ah le printemps...

Que l'on aime ses parterres florissants et ses senteurs herbacées, ses températures qui s'adoucissent et ses grands ciels bleus épurés... On s'imprègne de ses couleurs, de sa légèreté, de ses rayons de soleil qui caressent notre épiderme et de ses brises tièdes qui s'engouffrent dans nos cheveux. Lorsque les beaux jours arrivent, notre cœur s'emplit d'un sentiment joyeux. On contemple, on respire, on se promène dans les allées de cerisiers fleuris et-

Oui, pardon. Je m'emballe un peu sur la poésie. Mais vous savez ? Le printemps, ce n'est pas que ça.

Le printemps, c'est la saison des amours.

Tenez, vous voyez ce petit couple heureux qui se balade les doigts entrelacés ? Lui, avec son petit polo noué autour de son cou, elle avec sa jolie robe blanche qui volète dans le vent, ne sont-ils pas ravissants ?

Et ces deux-là, un peu plus loin, un peu plus vieux, mais toujours aussi amoureux, qui partagent une gaufre au sucre avec gourmandise et générosité. Le soleil se reflète sur leurs chevelures de neige immaculée et les fait scintiller comme un diamant. C'est si beau et si touchant.

Et puis eux, là-bas. Ces beaux garçons en fleur qui flânent, le nez en l'air et les mains dans les poches. Ils semblent régis par une sorte de timidité ingénue qui les poussent à ne pas se regarder. Mais tendez l'oreille. Ils se parlent. Et je me demande bien ce qu'ils peuvent se raconter comme un secret.

Rapprochons-nous, si vous voulez bien.

– Il va bientôt pleuvoir, dit l'un.

– N'importe quoi, il va faire beau toute la semaine, contredit l'autre.

– Les oiseaux volent bas, pourtant. Ça veut dire qu'il va pleuvoir.

– Ah oui, excuse-moi monsieur l'ornithologue. C'est vrai que ton savoir a le pouvoir de défier celui des météorologues.

– La météo se trompe tout le temps. Tu devrais le savoir mieux que personne, toi qui es toujours en décalage avec le temps.

Celui aux cheveux bruns ondulés s'arrête net, offusqué.

– Je ne suis pas en déca-

– Si, tu l'es. T'es toujours en t-shirt les jours d'averses et en parka quand il fait au moins vingt degrés. Inutile de nier, je te vois.

– Jungkook, tu commences à me les briser.

– Toi ça fait bien longtemps que tu me les brises.

Ah, il me semblait bien les avoir reconnus. C'est Taehyung et Jungkook ! Mais que font-ils ensemble, à part se plumer le bec ?

– Je sais même pas ce que je fous là avec toi, soupire le brun.

Bah tiens ! C'est exactement ce que je me demandais. Ce garçon est fantastique. Heureusement qu'il est là pour remettre les choses dans leur contexte et nous apporter des précisions.

– Il n'y a que toi pour me le dire, Kim. Ce n'est pas moi qui ai décidé de m'incruster pendant ta balade en solitaire.

– Ose me dire que ma présence te dérange.

– Ta présence me dérange, répond Jungkook de but en blanc.

Une main posée sur le cœur, Taehyung ouvre la bouche et pousse un couinement mélodramatique.

– Si méchant...

Le noiraud lève les yeux au ciel et continue sa marche sans se soucier de lui. Il ne lui dira jamais que, non, sa présence ne le dérange pas. Plus maintenant en tout cas. Il se rend compte que, contrairement à avant, il n'apprécie pas que son aîné soit loin de lui. Il aime l'avoir toujours dans son champ de vision, sentir son parfum léger et la chaleur de sa peau dorée lorsque leurs bras se frôlent dans leurs pas.

Et il en va de même pour Kim Taehyung. Il a un peu honte de l'avouer, mais son camarade lui a cruellement manqué depuis la veille. C'est bien pour ça qu'il a sauté sur l'occasion de le rejoindre pendant sa sortie du week-end. Il est au courant que Jungkook aime se promener le samedi matin, dans le grand parc près de chez eux. C'est sa petite routine que le plus vieux a fini par apprendre par cœur, à force de regarder à travers l'œil de bœuf de sa porte dès qu'il entend celle des voisins claquer.

Alors, aujourd'hui, notre commère a anticipé et a attendu derrière celle-ci pendant une heure, faisant le pied de grue jusqu'à ce que Jungkook quitte enfin son domicile. Et c'est sans aucune hésitation qu'il en a fait de même, pour qu'ils se rencontrent de manière tout à fait hasardeuse. Ou pas.

– Oh mais quelle coïncidence ! a-t-il même prononcé. Le destin est un sacré petit farceur.

Un rire forcé s'est échappé de ses lèvres roses, tandis que l'autre le dévisageait sans moufter, la méfiance cependant présente sur ses traits. Kim ne croyait pas au destin. Il se foutait juste de lui, comme toujours. Mais qu'importe. Jungkook a choisi d'ignorer ce détail et a accepté qu'il vienne avec lui. C'est bien une première dans l'histoire de notre Taekook adoré.

Depuis, ils traînassent ensemble, comme s'ils étaient les meilleurs amis du monde. Enfin, ça, c'est l'image qu'ils renvoient aux autres.

– Alors, du coup... hum...

Taehyung s'éclaircit la voix avant de reprendre :

– Ça y est, t'es en couple ?

La question sort de nulle part.

Les sourcils de Jungkook se creusent doucement et il penche la tête sur le côté, comme à chaque fois qu'il ne comprend pas quelque chose.

– Euh, non... Pourquoi le serais-je ? rétorque-t-il.

– Ben ce Jong Hoseuk, il t'aime, non ?

– Effectivement.

– Et donc ?

– Tu es tellement curieux, souffle-t-il, désespéré.

– Effectivement.

– Je me suis excusé auprès de lui en lui disant que j'aime déjà quelqu'un, si tu veux tout savoir.

Les yeux de Taehyung s'arrondissent et il s'écrie :

– Attends, tu l'as rejeté ?!

– Hm. Je l'apprécie beaucoup mais je ne partage pas ses sentiments.

– Je vois. C'était la bonne décision.

Le ton du brun se fait très solennel et mature. M'enfin, la maturité, ce n'est pas vraiment ce qui déborde de lui. Intérieurement, il saute de joie et fait un pied de nez à son rival déchu. Sa tête est baissée vers ses pompes. Il réprime difficilement un sourire conquérant qui n'échappe néanmoins pas au plus jeune.

– Ça a l'air de te faire plaisir.

– Hein ? Quoi ? Alors là, ça me passe complètement au-dessus de la tête ! se défend piteusement le concerné.

Mais le petit Jungkook est crédule. Il ne détecte pas l'énorme mensonge. Il lâche alors un soupir mitigé, quelque chose entre le soulagement et la déception.

– Ah, ouf... Pendant un instant, j'ai cru que tu étais jaloux.

Taehyung se fige subitement et le silence s'abat sur eux. Son mutisme est plus que suspect et la tension est palpable. Il a des yeux de merlan frit, son corps est droit comme un piquet, et l'autre commence à se poser des questions.

– Kim, tu... Me dis pas que t'es amoureux de moi ?

Leurs prunelles se croisent et s'accrochent fermement. Le temps se suspend, et nombreuses paroles inaudibles s'envolent et flottent en apesanteur autour d'eux. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas envisageable, n'est-ce pas ?

Kim Taehyung ne peut pas avoir un crush sur son ennemi de toujours. C'est insensé.

Brusquement, les lèvres de l'aîné se mettent à frémir. Un léger soubresaut annonciateur d'un rire nerveux.

Et le premier éclat s'échappe de sa gorge.

Taehyung s'esclaffe bruyamment, ses épaules sautillant à chaque écho hilare, et Jungkook l'imite dès lors sans en comprendre la raison, embarqué par son petit coup de folie fugace un peu trop contagieux.

Au milieu des pétales de cerisiers qui tournoient dans le ciel, ils se marrent comme des bambins à qui l'on aurait fait une grimace.

Cette blague était vraiment drôle. Ils ont même de fines larmes qui perlent au coin des yeux. Jungkook rit si fort qu'il en perd son équilibre et se retient à l'épaule de l'autre qui se ceinture le ventre de son bras.

– Pfou... Oh mon dieu, j'ai... j'ai mal à force de rire, s'étouffe à moitié ce dernier.

– Moi... Moi aussi...

Ils peinent à se calmer mais y arrivent finalement au bout de quelques minutes.

– Nan mais franchement... Moi être amoureux de toi ?

– Ouais, je sais, oublie. C'est ridicule.

L'allégresse passée, Jungkook ne peut empêcher son cœur de se serrer douloureusement. Qu'avait-il espéré ?

De son côté, Taehyung le regarde rêvasser avec un air sérieux. Pourquoi son camarade semble-t-il attristé ? Il n'aime pas du tout ça. Il doit y remédier.

– Bon, tu veux que je te dise un secret ? lui dit-il pour le réconforter.

Jungkook lève alors ses grands yeux curieux vers lui et hoche doucement la tête.

– Peut-être que ça me rendrait un peu jaloux, confesse le brun. Peut-être que ça m'énerverait. Parce que je n'aurais plus autant d'occasions de me chamailler avec toi.

L'aveu en bouche un coin au lapinou. Il entre par ses oreilles décorées de jolis bijoux et diffuse une agréable chaleur dans tout son être. Son visage prend des couleurs, il le sent, mais ses poumons sont gonflés d'euphorie et il ne pense qu'à la joie de savoir que son aîné tient rien qu'un tout petit peu à leur relation.

– Non pas que ta sale tronche me manquerait, hein, prends pas non plus le melon.

Aîné qui aurait mieux fait de s'abstenir de faire ce commentaire. La bulle qui entourait le noiraud éclate et le laisse pantois. Il est un peu vexé. Beaucoup, même. C'est qu'il est un tantinet susceptible, mais je pense que depuis le temps, vous l'avez déjà remarqué.

Alors il reprend sa route, le dos bien droit, le menton levé et les poings serrés. Une allure d'apparence fière pour masquer son air renfrogné.

Il boude, c'est évident.

Mais Taehyung s'en fiche. Il a déjà été suffisamment gentil comme ça, et faut jamais abuser des bonnes choses. Puis une pensée bien précise a soudain popé dans son esprit. Un souvenir récent qui le titille.

– Jeon, t'aimes quelqu'un en ce moment ?

Le susnommé est pris de cours. Il se stoppe brièvement avant de dire sèchement :

– Absolument pas.

Il presse ensuite le pas, désirant échapper à cette situation délicate dans laquelle il s'est foutu, mais Taehyung trottine pour rattraper la distance. Il lui colle au train, lui tourne autour comme une abeille devant un pot de miel.

– Si, t'as dit que t'aimais quelqu'un, insiste-t-il.

– T'as mal entendu.

– C'est qui ?

– Ça te regarde pas.

– C'est quiiii ?

– J'te dirais pas !

– Allez, Kookie, s'il te plaiiiit !

– Si tu continues je vais vraiment te briser les testicules, gronde-t-il avec hostilité.

Mais la menace tombe à l'eau.

– Oh tu sais, il y a plein d'autres choses plus sympathiques à leur faire.

– Ah non, je t'en supplie, recommence pas !

– Tu pourrais les caresser, les toucher...

– Aaaaah, j'entends rien, rien du tout !

Le voilà maintenant qui se met à courir, les paumes bien plaquées sur ses oreilles et Taehyung toujours à ses trousses qui n'hésite pas à rajouter une couche.

– Tu pourrais leur faire des bisous, ou alors même les lécher, les gob-

– Blablablablabla !

– Bah pourquoi t'es gêné ? Eh, pourquoi tu rougis ? Kookie, t'es amoureux de qui ? Eh, eh...

Et c'est ainsi qu'ils prennent le chemin de chez eux, sans cesser le petit spectacle qu'ils offrent généreusement aux gens qu'ils croisent.

Ah, le printemps, quelle saison émoustillante ! Les oiseaux qui chantent, les fleurs qui éclosent, le soleil qui brille, les bras et les jambes qui se dévoilent...

Et alors, je ne sais pas vous, mais moi je trouve que la température n'est pas la seule à s'être adoucie.

✎...태♡국

Les vacances de Pâques venaient de s'achever tranquillement. Jungkook et Taehyung ont passé leur quasi-totalité ensemble à bosser sur leur travail en binôme. Étonnamment, comparé au reste de leur classe, ils sont ceux qui y ont mis le plus d'implication et de cœur. À croire qu'ils aiment vraiment se voir, finalement.

En fait, c'est complètement le cas. Pendant cette petite dizaine de jours, ils n'ont jamais autant apprécié la compagnie de l'autre et ont d'ailleurs pris un immense plaisir à se le montrer par le biais de stylos et oreillers utilisés comme projectiles, de piques à deux balles et de tirages de langue puérils.

Si je devais choisir une anecdote à vous raconter, à propos de ce petit entracte scolaire, ce serait celle où Taehyung est allé demander à sa maman, en plein milieu d'après-midi, comment on pouvait savoir si on était amoureux ou non de quelqu'un. C'était foutrement adorable de le voir avec ses pommettes toutes roses et son air timide. Car si Jungkook, pour sa part, avait bien vite compris, l'aîné avait mis plus de temps à réaliser que la jalousie qu'il éprouvait n'était que la partie visible de l'iceberg nommé "Amour".

Désormais, on peut dire qu'ils sont respectivement en paix avec leurs sentiments, chacun de leur côté, mais ce n'est pas une raison pour lâcher du leste et faire des cadeaux à son soupirant. Manquerait plus que celui-ci découvre le pot aux roses et c'est foutu. Ils ont tout de même une réputation à tenir.

C'est la raison pour laquelle ils sont actuellement en train de se gueuler dessus comme des chiffonniers par téléphone. Nous sommes le jour de la rentrée, et également celui où ils doivent rendre leur devoir, et tandis qu'ils s'étaient jurés d'aller à l'école ensemble pour avoir la garantie de ne pas se faire poser un lapin par l'autre, Jungkook s'est levé en retard et se fait maintenant enguirlander par le brun. Ce n'est tout de même pas de sa faute si son réveil n'a pas sonné...

– T'es chié quand même, sale lièvre ! T'avais promis d'être à l'heure et t'es même pas foutu de le faire !

– C'est bon, gros tas, on aura qu'à dire qu'il y avait de la circulation !

– On prend pas le bus, je te rappelle !

– Ils sont pas censés le savoir, je te signale ! Bon, je mets mes chaussures et j'arrive.

– Ok, rendez-vous devant l'ascenseur.

Ils raccrochent enfin, Jungkook tout essoufflé de devoir courir dans tous les sens en plus de discutailler avec son camarade. Sautillant sur un pied pendant qu'il enfile sa basket sur l'autre, il se rapproche de la porte d'entrée en jurant. Qu'est-ce qu'il déteste les réveils en fanfare comme celui-ci. Taehyung n'a pas arrêté de le harceler, lui promettant même que s'il ne se magnait pas le cul, il viendrait le tirer par sa peau jusqu'à ce qu'il en rougisse de douleur.

Quel insupportable, merveilleux, magnifique enfoiré et- Oh mon dieu, ce qu'il est à tomber par terre !

Comme convenu, ce dernier l'attendait dans la cage d'escalier et bon sang, Jungkook a bien manqué de perdre son cœur. Pourquoi faut-il qu'il soit aussi parfait même lorsqu'il est en retard et ronchon ? La vie est parfois si injuste.

Oui, bon, c'est clair que le p'tit Kookie est franchement mal placé pour parler.

Sous le regard réprobateur du plus vieux, que l'on pourrait bien interpréter comme un : « ah bah c'est pas trop tôt ! », Jungkook ne peut s'empêcher de le provoquer.

– T'as même pas appelé l'ascenseur, encore ? Bah dis-donc t'es pas pressé, toi !

Taehyung ferme les yeux et inspire par le nez. Se retenant de lui en foutre une, il appuie sur le bouton, un sourire forcé aux lèvres, puis attend, les bras croisés et la chaussure frappant le sol avec impatience.

Lorsqu'il ouvre enfin la porte, c'est avec un air suffisant que le noiraud lui passe devant et se faufile dans la cabine. Quel malpoli, se dit l'aîné, entrant à son tour. Il presse le bouton du rez-de-chaussée, et l'ascenseur entame sa course des sept étages, dans un calme presque inquiétant.

Quand ce qui devait arriver arriva bien évidemment.

Une brusque secousse fait trembler leurs pieds en même temps qu'un bruit détonne et les fige. La boîte métallique s'arrête net et...

Je vous laisse deviner la suite ou je vous aide ?

Oui, pour parfaire ce tableau si cliché, la lumière s'éteint.

Les deux lycéens restent statiques. Ils n'osent pas bouger, comme si le simple fait de se déplacer signifierait que ce qui se passe est bien réel. Dommage pour eux, il n'y a pas de doute à se faire : ils sont bel et bien enfermés.

– C'est pas vrai... Dis-moi que c'est pas vrai.

– C'est vrai...

– Putain, Jungkook ! Tu me cherches vraiment aujourd'hui, c'est pas possible !

– Non, je te cherche p- Ah, mais ! T'es où ? Je te vois pas !

– Aïe, mais bon sang, c'est mon pied, abruti !

Non pas que l'espace dont ils disposent est grand, mais pour on ne sait trop quelle raison, les deux ont tendu les mains devant eux pour trouver quelque chose à quoi se raccrocher. Ce n'est pas comme s'ils risquaient de se perdre ou de chavirer.

Enfin, peut-être bien qu'ils risquent de chavirer. Mais ne serait-ce pas plutôt dans les bras de l'autre que dans le vide ?

En essayant de se diriger vers une cloison, Jungkook a trébuché et a atterrit sur une surface un peu moins dure que prévu. Il sent quelque chose de plat et de ferme sous ses paumes, mais ce n'est pas comme un mur. C'est chaud, ça vit et ça palpite.

C'est un cœur, celui de Taehyung.

– Il bat vite... souffle inconsciemment le noiraud.

Cette remarque provoque un sursaut de conscience chez l'aîné qui se recule promptement. C'est pas qu'il aime pas se faire peloter par Jungkook, mais l'idée de se faire trahir par son organe vital n'est pas dans la liste de ses priorités, ni celle de ses préférences.

Dans l'obscurité la plus totale, il rougit comme c'est pas permis. Il est heureux d'être au moins à l'abri du regard de son cadet. C'est con quand même, s'il n'avait pas dit ça, Taehyung aurait été à deux doigts de l'enlacer fermement, de plonger la tête dans son cou et de...

– Qu'est-ce qu'on va faire ? se lamente soudain Jungkook.

Des bêtises ! Des bêtises !, crie le peuple.

– Hum...

Le brun peine à réfléchir. Il est encore tout chamboulé par leur proximité.

– Appeler les secours ? Mettre de la lumière sur nos téléphones ? tente-t-il sans trop de confiance.

C'est pas une mauvaise idée. Aussitôt, les deux fouillent à l'aveuglette dans leurs poches pour en tirer leurs portables. Quand une pensée fugace traverse l'esprit du plus jeune :

– C'est là qu'on a plus de batterie, comme dans les dramas et les manhwa, pouffe-t-il.

– On n'est ni dans un drama ni dans un manhwa, le rabroue Taehyung, toujours aussi terre à terre.

– Nan mais, imagine ! Ce serait vraiment un sacré coup du destin.

– Tss, arrête de dire n'importe quoi. Et arrête avec ton...

Soudain, il s'arrête de parler et passe son pouce sur le bouton de déverrouillage plusieurs fois.

– Oh le con, j'ai oublié de le charger hier soir, s'insulte-t-il.

– Moi ça va, il est à fond.

Un petit soupir de soulagement leur échappe. Et tandis que Jungkook allume son flash pour y voir plus clair, Taehyung fronce les sourcils, sa mauvaise humeur revenue en force.

– Pourquoi tu fais la gueule, encore ?

– Parce que tu m'soules avec ton destin. Et tu m'soules à toujours faire mieux que les autres. Et tu m'soules avec ton air de petit malin que je peux voir, maintenant qu'il y a de la lumière.

– Et toi tu m'soules avec ton karma de merde. J'suis sûr que si on est bloqués, c'est à cause de toi !

– Pardon ? Si tu t'étais réveillé à l'heure, on aurait sûrement pas eu de problèmes d'ascenseur !

– Ah ! Donc c'est de ma faute ?

Et voilà, encore... Ils pourraient pas juste s'embrasser et se taire ? Ou au moins envoyer un signal d'alarme, qu'ils puissent sortir plus vite ?

– Bon, je vais déjà prévenir, qu'on sache au moins pour combien de temps on va devoir se supporter.

Merci Jungkook. Même si nous aurions préféré la première option.

Sitôt dit, sitôt fait. Son index presse le bouton symbolisé par une cloche, et ils ne tardent pas à entendre une voix sortir du haut-parleur. Le noiraud explique alors leur souci, et c'est ainsi que l'homme chargé de la sécurité répond joyeusement :

– Très bien, messieurs, nous allons envoyer des dépanneurs. D'ici une trentaine de minutes, ça devrait être bon. Une heure tout au plus !

L'appel se termine et s'impose un silence lourd comme du plomb.

Jungkook et Taehyung se regardent, les paupières battantes et les épaules affaissées.

– Eh bah on n'est pas sortis...

– Tais-toi ou j'te fais bouffer ton portable déchargé.

✎...태♡국

– Dis, pourquoi tu m'aimes pas ?

Après précisément quarante-trois minutes d'attente dans une ambiance très embarrassante, c'est Jungkook qui décide d'enfin prendre la parole. Il faut croire qu'être enfermé dans une boîte de conserve avec son ennemi juré, en plus d'être en retard pour l'école le jour où l'on doit rendre un devoir important, rend l'instant propice aux confessions.

C'est surtout qu'il n'en peut plus de ne pas savoir. Cette question, il n'en a jamais eu que faire avant de tomber amoureux, c'est à peine s'il y a déjà pensé. Mais depuis, celle-ci lui fait mal dans son petit cœur tendre.

– Parce que t'es chiant.

D'accord, ce n'était pas du tout la réponse espérée. Il n'a cependant pas le temps de verser une larme car l'autre enchaîne :

– Et toi ?

Jungkook prend un moment pour y songer. C'est vrai que lui non plus n'a pas vraiment d'excuse. Et peut-être que c'est l'amour qui le rend aveugle et efface tous les méfaits, mais il se demande soudain s'il a déjà réellement détesté Taehyung et si oui, pour quelle raison.

Toutefois, il répond :

– Parce que t'es pire.

Le silence reprend dès lors sa place si confortable et c'est seulement maintenant qu'ils remarquent qu'ils se sont assis à côté, partageant la même cloison ainsi qu'un peu de leur propre chaleur avec l'autre. En chœur, ils se raclent la gorge et pivotent leurs têtes vers un opposé, de sorte à ne pas avoir à se regarder.

Jungkook tripote nerveusement ses doigts. Quant à Taehyung, il passe et repasse inlassablement sa langue sur ses lèvres qui lui semblent aussi sèches que sa gorge. Des mots veulent en sortir, mais c'est difficile dans un environnement aussi aride.

– Je... commence-t-il d'une voix râpeuse.

Le plus jeune s'oriente immédiatement vers lui, une attitude pleine d'espoir, comme s'il avait attendu tout ce temps qu'il prenne la parole. Il le dévisage sans rien dire et cela ajoute un peu plus de pression sur les épaules de Taehyung. Mais il ne se laisse pas impressionner. Ou pas trop. Comme d'habitude, il met ses talents d'acteur à l'œuvre pour paraître le plus nonchalant possible.

– Je ne te déteste pas.

Le cœur du noiraud entame une course effrénée. Il a bien entendu ?

– Je ne te déteste pas, au contraire.

– C'est... C'est vrai ?

L'aîné hoche la tête ; Jungkook n'en revient pas.

– Moi non plus, je ne te déteste pas.

– Quoi, tu vas me dire que tu me tolères, c'est ça ? ricane le brun, amer et fataliste.

Son regard happe son camarade dont les lèvres se pincent et il remarque un détail, très léger. C'est pas évident à voir, mais ses yeux semblent briller sous la lumière artificielle du flash. Jungkook l'observe avec un mélange de curiosité et une pointe d'autre chose. Il y a de la douceur, une douceur que Taehyung ne lui connaît pas.

– Je te tolère un peu plus que ça... murmure-t-il.

C'est étrange comme l'atmosphère a changé. Il y a cette tension presque palpable qui flotte autour d'eux et alourdit leurs corps. C'est pas si désagréable, c'est juste perturbant. C'est comme un mélange d'attente, d'impatience et d'envie.

Leurs prunelles assombries glissent et se déportent sur la bouche de celui qui lui fait face. Y a ce besoin de venir l'attraper entre ses dents qui se développe, de tester son moelleux et de goûter à sa saveur. Ils n'ont jamais connu ça, jamais aussi fortement.

Sans s'en rendre compte, leurs visages se rapprochent, leurs nez se frôlent. Ça les chatouille et les fait frémir. Ils se caressent, quelques secondes, sans jamais aller plus loin que ça, et Taehyung prononce dans un souffle qui s'abat sur les lèvres purpurines du noiraud :

– Si je t'avouais avoir affreusement envie de t'embrasser... Qu'est-ce que tu me dirais ?

Un sourire s'esquisse, et une voix à la fois séduisante et impertinente lui répond :

– Je te dirais de succomber à ton destin.

Sans plus attendre, Taehyung brise les quelques centimètres qui les séparent et s'empare de sa bouche. Délicatement, posément, sans précipitation.

Le baiser est lent, expérimental, timide à souhait. C'est d'une tendresse à devenir fou. Ils ne savent pas vraiment s'ils ont le droit de se laisser aller. Surtout que pour Jungkook, c'est son premier.

Il découvre, accueille avec une innocence si touchante le plaisir d'embrasser quelqu'un, quelqu'un qui l'attire et lui fait tourner la tête. Une bouche, c'est un peu comme un coussin rembourré, chaud et apaisant. On s'enfonce dedans pour apprécier sa fermeté ou sa mollesse selon ses préférences, et on en soupire de satisfaction une fois bien installé.

Alors, quand Taehyung tente de s'éloigner, il le rattrape par la nuque et le force à rester. Parce qu'il est beaucoup trop bien, là, et qu'il veut approfondir le baiser. Le brun gémit de surprise et de contentement en même temps. Il grogne contre lui, ronronne lorsqu'il sent une langue lécher prudemment sa lèvre, et l'invite à explorer des parcelles encore inconnues de sa personne.

Tout s'intensifie, le contrôle leur échappe et ils relâchent toute la frustration accumulée depuis si longtemps. Il n'y a dès lors plus de timidité. Juste deux garçons qui osent et assument leurs actes, du moins pour l'instant. Jungkook est même monté sur les jambes croisées de son camarade dont les mains parcourent désormais son dos, se délectant de chaque centimètre de peau qu'il croise sous son haut.

Dans la cabine, on peut entendre leurs souffles qui s'entremêlent, leurs vêtements qui se froissent et leurs baisers humides qui se succèdent dans une ronde infinie. Les doigts se perdent dans les cheveux, les brins de voix expriment leur bien-être commun, les bassins s'échauffent.

Quand la lumière se rallume brusquement dans un bruit électrique qui les statufie.

Ils ouvrent les yeux, les écarquillent, après s'être éloignés du visage de l'autre qu'ils ne peuvent s'empêcher de détailler. Ils sont rouges, transpirants, haletants et surtout échevelés. Et ce n'est que lorsqu'ils se rendent compte qu'ils ont le profil parfait de deux amants ayant fait des cochonneries en public, qu'ils se repoussent violemment et lèvent directement la tête vers le plafond, posant un œil alarmé sur la caméra de surveillance accrochée dans un des coins.

Leurs mines se déconfisent, l'horreur déforme leurs traits. Ils ont la bouche encore pleine de salive et les lèvres boursouflées.

Alors, quand le haut-parleur se met à grésiller de manière inattendue...

– Oh mais ne vous arrêtez pas pour moi, les jeunes !

... ils décident d'un accord tacite de mettre fin à leurs jours dès qu'ils seront sortis (ou de ne plus jamais prendre cet ascenseur, ce qui est tout de même moins radical).

✎...태♡국

– Tae... Arrête, quelqu'un risque de nous voir, murmure le petit noiraud, entre deux gémissements.

Jungkook est tout chose en ce début d'après-midi. Son aîné l'a traîné jusqu'aux escaliers menant au toit du lycée pendant l'intercours. À présent, adossé maladroitement contre la rampe, il peine à garder son équilibre alors que les lèvres du brun jouent avec les veines de son cou.

C'est assez indécent. Taehyung ressemble à une bête affamée en plein dîner. On adore ça. Sa bouche embrasse, lèche la chair tendre et la mordille inlassablement, provoquant ainsi plusieurs frissons et couinements au plus jeune qui ne sait plus sur quel pied danser.

Malgré sa demande d'arrêter, Taehyung fait la sourde oreille. Il n'a pas envie, et Jungkook non plus, en réalité. Il a juste peur du moment où on les surprendrait.

Ça fait tout de même une semaine que ce petit manège dure. Depuis leur baiser torride dans l'ascenseur, Taehyung a développé une insatiabilité. Son envie d'être proche de son cadet et de le choyer coule à flot, comme l'eau d'un robinet que l'on aurait oublié de couper.

Alors il le kidnappe à chaque opportunité pour l'emmener ici.

– Si quelqu'un doit nous voir alors il nous verra. Si ça se fait c'est que ça devait se faire, dit-il contre sa bouche qu'il picore encore et encore.

– Tu vas pas me dire que tu t'es mis à croire au destin ? pouffe Jungkook.

En fait, il fait son mec fier qui prend la chose à la légère, alors qu'en vrai, il ressemble juste à de la pâte à modeler sous les mains de son ancien ennemi juré.

– Et si c'était le cas ? Il faut bien reconnaître que c'est grâce à lui si nous sommes ensemble.

– En... Ensemble ?

– Bah oui... T'es mon mec maintenant.

Jungkook se fige et se recule instantanément. Son air troublé ne manque pas de contaminer celui du brun qui commence à avoir peur.

Incertain, il demande :

– T'es pas mon mec ?

– Je- J'ai pas dit ça, c'est juste qu'on en a pas vraiment parlé et, hum...

– Oh, c'est juste que ça me semblait évident...

Son visage prend une expression triste et déçue. On dirait un enfant à qui on aurait arraché son jouet préféré. Il fait de la peine, franchement. On a envie de le câliner, de le serrer fort et lui faire pat-pat sur la tête en lui jurant que tout ira bien.

Jungkook ne résiste pas. Il plonge dans ses bras pour masquer le sourire qui s'étend sur sa bouille et prononce tout bas :

– Bien sûr que j'suis ton mec.

Taehyung se retient de hurler de joie et de sauter partout tel un bienheureux. Pour canaliser ses pulsions, il enlace son désormais petit-ami aussi fort que possible.

– Donc t'es à moi maintenant ! glousse-t-il.

– Euh ouais, m'enfin c'est sous condition.

Interloqué, il s'écarte et l'interroge du regard.

– Je serais à toi si, et seulement si, tu admets que c'est grâce à moi que l'on a obtenu quinze à notre devoir.

– P-Pardon ? manque-t-il de s'étrangler.

– Bah ouais, t'y croyais même pas au destin. Puis rappelle-moi qui a réussi à caser le mot "synchronicité" en le connectant à divers exemples hyper pertinents ?

– Et moi, puis-je te rappeler qui a quasiment rédigé la totalité de tes notes illisibles et incompréhensibles avec ton écriture en pattes de mouche ?

– Oh, pauvre bébé... Si j'avais le temps je te plaindrais !

– Tu sais quoi, Jeon ? Si on était pas au lycée, crois-moi que je t'aurais déjà retourné comme un pancake pour t'apprendre le respect !

– Re... Retourné ?

Ses yeux s'arrondissent et ses joues se colorent comme si ce mot l'avait l'avait giflé.

De son côté, Taehyung se marre sous cape. Il jubile de voir son cadet toujours aussi prude et innocent, mais surtout, toujours aussi expressif. Alors il n'hésite pas à le taquiner davantage.

Tout doucement, il se penche et murmure :

– Oh oui... Je t'aurais pris les mains pour les bloquer dans ton dos tout en te plaquant face contre le mur. Pour ensuite te...

Et bien sûr, l'effet est escompté. Tandis qu'il continue de lui susurrer des choses cochonnes comme un secret, Jungkook colle ses paumes sur ses oreilles en chantant bien fort, n'importe quel air qui pourrait l'empêcher d'entendre ça. Il vient même de s'enfuir à toutes jambes, manquant de peu de louper une marche tant l'embarras est fort.

Comme quoi, y a des choses qui ne changeront jamais, destin ou pas.

✎...태♡국

Cela fait à présent six mois que nos deux tourtereaux sont officiellement en couple. Et on peut dire qu'ils savourent chaque seconde de leur vie commune. Toujours fourrés chez l'un ou chez l'autre (et cette fois, rien à voir avec une fichue dissertation), leurs parents n'ont de cesse de s'émerveiller sur la manière dont leur relation a évolué. Tous aussi excessifs les uns que les autres, ils s'imaginent déjà, accompagnant leurs enfants dans la grande allée jusqu'au prêtre qui bénirait leur union.

Si ça amuse beaucoup Jungkook, qui est un peu fleur bleue finalement, Taehyung, lui, pique un fard dès que l'on sort le mot interdit qui commence par un grand M. Non pas que ça ne lui plairait pas, mais bon sang, c'est gênant ! Ils n'ont même pas encore couché ensemble, et lui n'est sûrement pas du genre à vouloir attendre sagement la prononciation des vœux sacrés.

Au lycée, tout le monde est désormais au courant. C'est Jimin qui les a cramés et a tout répété à tout le monde, ce fourbe. T'façon, c'est pas comme s'il s'en était jamais douté. Il est même celui à avoir le plus souhaité qu'ils concluent le plus rapidement pour enfin avoir la paix en classe.

Pas de chance pour lui, si le Taekook a toujours su user de sa voix pour manifester le mécontentement, c'est toujours bel et bien le cas. Les raisons ont juste changé.

Maintenant, ils ne crient plus lorsqu'on les met ensemble pour une sortie ou un exposé, ils crient lorsqu'on les sépare, s'insurgeant plus que nécessaire et hurlant au complot. C'est vrai quoi ! Faut jamais déjouer les plans du destin. C'est interdit. Et s'il a décidé de les réunir, ce ne seront ni les profs, ni le proviseur qui y changeront quoi que ce soit.

Aussi, Taehyung peut maintenant profiter de la notoriété de son petit-ami. Les jaloux n'ont qu'à bien se tenir, il est sous la protection de Jeon Jungkook, ceinture noire de Taekwondo et bien résolu à faire mordre la poussière au premier péquenaud qui voudrait s'en prendre à lui. Il lui arrive même de grogner devant les filles des autres classes lorsqu'elles lorgnent un peu trop longtemps sur le beau brun.

Kim Taehyung lui appartient, et tout le monde a bien fait d'être au courant.

✎...태♡국

– Tu sais, j'crois que je t'aime vraiment beaucoup.

Allongés sur le lit du plus vieux, nos petits amoureux se dorlotent depuis le début d'après-midi. Ils ont séché les cours d'éducation sportive, ces chenapans. Les parents de Taehyung travaillent, alors ils ont voulu être tranquilles et profiter d'avoir le champ libre.

Cependant, la déclaration de Jungkook a provoqué un léger silence. C'est la première fois qu'il emploie le mot « aimer » dans une phrase qui le concerne. Taehyung est soudain tout intimidé. Mais hors de question de le montrer.

Se redressant sur un coude, il fond ses prunelles chocolat dans les siennes et se la joue cool.

– Je crois que moi aussi, répond-il avec un brin d'espièglerie.

Il plante ensuite un bisou sur les lèvres rebondies du noiraud qui fronce dès lors les sourcils.

– Oui mais moi je t'aime plus que toi, décrète-t-il.

– Ah non c'est moi qui t'aime plus que toi, contredit Taehyung.

Un jeu de regards commence dès lors, ainsi que le début des protestations.

– Non c'est moi. Puis j'étais le premier à m'en rendre compte.

– Je te dis que c'est moi. Puis t'as p't'être été le premier mais moi en tout cas j'ai pas hésité avec un mec qui sait faire que sourire.

– Laisse Hoseok et son sourire tranquilles. Puis tu fais chier hein, pourquoi t'es obligé de casser tout le romantisme comme ça ?

– Je casse pas tout le romantisme, c'est toi qui-

– Oh allez, ferme-la et embrasse moi.

– D'accord.

Taehyung suit l'ordre tel un garçon docile et lui roule une grosse galoche tel un garçon... pas docile du tout. Ça bave, ça claque, y a des langues qui se laissent entrevoir et des gémissements un peu aigus qui cognent contre le plafond. Y a même une main qui se perd sous le pull de l'un et une seconde qui malaxe les fesses de l'autre.

La température augmente en un clin d'œil. C'est fou comme des hormones en ébullition marchent bien mieux qu'un radiateur.

– Tu sais, j'me disais... commence Taehyung sensuellement.

– Je t'écoute, poursuit Jungkook, une lueur coquine dans les yeux.

– C'est vraiment pas raisonnable d'avoir manqué le cours de sport. Alors peut-être qu'on pourrait se rattraper, toi et moi.

– Ah oui ?

La voix du plus jeune se fait joueuse. Il sait pertinemment ce qu'a en tête son aîné mais choisit de le laisser aller au bout de son idée.

– Et qu'est-ce que tu proposes ?

– Hm, eh bien... Si je t'avouais avoir très envie de faire l'amour avec toi, qu'est-ce que tu me dirais ?

– Je te dirais de succomber à ton destin.

Des sourires se dessinent et les habits commencent à voler dans la pièce. Ils sont tous deux emprunts d'impatience et d'excitation. Ça se voit dans leurs gestes pressés et leurs regards désireux. Taehyung embrasse le torse de son cadet avec envie. Ses doigts caressent ses flancs.

Jungkook pourrait bien mourir d'amour, là, maintenant. Mais une question le taraude. Alors, quand son petit-ami tend sa langue pour la poser sous son nombril, il se redresse pour l'observer, un air curieux sur le visage.

– Hum... Juste, t'imagines ça comment ?

Taehyung interrompt ce qu'il fait et penche la tête sur le côté.

– Comment ça, comment?

– Ben... Comment tu visualises... le truc ?

– Je visualise moi, au-dessus de toi, en train de donner le maximum de mes capacités pour te combler pendant que je te donnerai des coups de rein du turfu et que je te ferai crier mon-

– Aaah stop, j'ai compris, pas besoin d'aller autant dans les détails...

Jungkook ferme les yeux et recouvre de ses mains ses joues passées sous une salamandre. Quand il réalise soudain quelque chose. Il se relève cette fois complètement pour s'asseoir en tailleur, envoyant à moitié valdinguer son Roméo dans le processus.

– Attends... Pourquoi ça devrait être moi en dessous ?

Taehyung est désarçonné par la question. Pourquoi ?

– Beeeeen...

– Tu m'fais pas confiance c'est ça ? J'te jure que je ferai un super top !

– Nah ! réfute-t-il. T'es trop timide pour ça.

– Et toi t'as pas assez de muscles ni d'endurance !

– Bien sûr que si !

– Trois minutes de course à pied et t'es essoufflé comme un bœuf !

– Et toi t'y connais rien en sexe ! Y a six mois, t'avais encore jamais roulé une pelle de ta vie.

– J'apprends très vite.

Au milieu de leurs éternelles chamailleries, les deux se sont rapprochés l'un de l'autre, allant jusqu'à cogner leurs fronts ensemble en se jetant un regard menaçant.

– J'suis top dans le sang, vieille tâche !

– Eh bien moi aussi, petit lapin véreux !

– Alors prouve-le !

– Nan, toi prouve le !

– Nan toi prou-

– Tu sais quoi ?

– Quoi ?

– Laissons le sort décider !

Jungkook se la ferme aussi sec. Il réfléchit le temps de trois secondes et demi.

– Tu veux laisser ça entre les mains du destin ? Très bien !

Puis il se jette sur lui pour un nouveau baiser enflammé.

Au final, nous ne saurons jamais la conclusion de leur débat (ni de leurs ébats), car je n'ai pas du tout envie d'écrire un lemon.

Mais ce que nous retiendrons de toute cette histoire, c'est que le destin fait vraiment bien les choses. Seulement, je suis un peu vexée lorsqu'ils disent que c'est grâce à lui s'ils peuvent aujourd'hui vivre d'un amour explosif.

Je dirais plutôt que tout ça, c'est grâce à moi, sans vouloir me jeter des fleurs, bien évidemment.

Mais comme tout est bien qui finit bien, c'est donc ici que j'abandonne mon clavier, pour aller me faire un café bien mérité. Ctrl + S, enregistrer ; il ne me manque plus qu'à trouver un titre à ce oneshot.

Parce que nous serons bien d'accord pour dire que l'on a déjà vu mieux...

... que « Destin.doc ». 

✎...태♡국

Astëlya