Chapitre 30. Peut-être





- Pas question! Vocifère Noam quand je lui expose mon idée. Pas question, tu entends? Tu sais bien qu'elle n'a rien à faire là dedans. Ne l'implique pas, compris!

- C'est justement ça, le problème, on ne l'a jamais impliqué nulle part! Elle a pourtant le droit! Je m'obstine, sans masquer mon enthousiasme naissant. Ça va marcher, Noam. On la tient à l'écart alors que c'est elle, la solution.

- Ce n'est pas une solution, mais ma fille! Tempête le jeune homme, les pupilles étrécies de colère.

- Je sais, Je soupire. Et c'est aussi la sienne. S'il te plaît, Noam. Tu me fais confiance, pas vrai?

- Je te fais confiance, mais...

- Pas de mais! Où Howard l'a-t-il emmené, Noam? Il te l'a dit, non?

- Amaryllis. Essaie-t-il encore, partagé. Am, je ne crois pas que...

Un infirmier passe à côté de nous dans le couloir, et nous jette un coup d'œil furtif qui trahit la curiosité. Je ne lui accorde pas plus d'une seconde d'atention, avant de me focaliser sur Noam et de planter mes yeux dans ceux de mon employeur, animée pour la première fois d'une véritable ferveur, d'une confiance en moi qui m'échappe depuis des semaines. Je suis certaine que ça va fonctionner, que mon plan a des chances importantes de se concrétiser, tout simplement parce que nous n'y avons jamais songé. Elsa ne se doute pas un instant de ce que je mijote, et si Noam ne me fait pas obstacle trop longtemps, nous pourrions parvenir à ramener la jeune femme sur la bonne voie avant qu'il ne soit trop tard.

Je me prépare à l'assaut, plantant résolument mes poings sur mes hanches. Ses yeux me lance des éclairs, je ne m'en soucie guère et assène, refusant de me détourner:

- Noam, écoute-moi, je t'en prie! Il faut qu'on aille la chercher. C'est notre unique espoir. Tu veux aider ta femme, pas vrai? Tu veux aider ta femme malade, et qui va recommencer à risquer sa vie dès qu'elle sera sortie d'ici? Tu veux la perdre, ou la secourir. Elle a besoin qu'on la soigne davantage, ou au moins qu'on la motive à faire des efforts pour s'en sortir. Et qui de mieux placer qu'Angel pour accomplir cette tâche. J'ai conscience que tu désires la protéger, mais ça n'est plus possible dans le contexte actuel des choses. Elle a le droit d'être au courant de ce qui se passe, et tu sais quoi? Je parie qu'elle s'en doute déjà. Elle est jeune, mais loin d'être idiote. Noam, je t'aime, j'ai besoin que tu sois heureux. Et ton bonheur passe par le sien.

- Deuxième étage, au fond à droite, il y est inscrit Howard sur la porte. Il avait une pause, de toute façon. Je crois qu'il avait du matériel de dessin pour la distraire. Me coupe Noam en se résignant, et ses épaules s'affaissent tandis qu'il baisse les paupières.

Je m'apprête à reprendre ma route vers l'ascenseur, m'interdisant toujours de renoncer ou de faiblir, lorsqu'il ajoute, presque aussi bas qu'un souffle:

- Je t'aime aussi.

***

Quand je reviens devant la chambre d'Elsa, je tiens fermement Angel dans mes bras, contre ma poitrine haletante. La petite fille, l'expression concentrée, les cheveux ébourriffés et les paupières bouffies, s'est empressée d'adhérer à ma requête quand je la lui ai détaillé, peinant à suivre le débit de paroles que je m'étais imposée. Je savais que Noam était en clin à changer d'avis à tout moment et qu'il fallait que je fasse vite.

J'avais trouvé la fillette en conversation houleuse avec Howard, elle essayait, à grands renforts de cris, de savoir où nous étions bien passés et n'était pas loin de faire une grosse crise de nerfs. Le pauvre médecin avait l'air absolument désemparé, et j'ai senti toute la gratitude qu'il éprouvait à mon égard en comprenant que j'étais venue chercher le petit monstre. Je me demande même s'il n'a pas faillit m'embrasser, dans le but de me remercier de mon sauvetage à l'improviste.

Angel est stupéfaite en découvrant la tête qu'arbore Noam. Il est adossé au battant de bois qui nous sépare d'Elsa, et s'est raidit en nous apercevant. Il marmonne quelques jurons dans sa barbe, semble se maurigéner intérieurement, puis, me faisant signe d'approcher encore, il finit par me prendre Angel des mains afin de l'étreindre le plus fort possible. Son attelle grince lugubrement tant il la serre puissamment à même son torse robuste. Je l'envie un peu, même si je sais que l'heure n'est pas aux désirs futiles.

Bien que j'ai tout résumé à Angel, en censurant naturellement, Noam n'en tient pas compte et se met à discourir à toute allure.

- Ta maman va bien, il faut juste que tu lui parles. Pour qu'elle se sente mieux, tu vois. Mais tout va très bien se passer, bien sûr, et nous allons tous rentrer à la maison comme une grande famille heureuse. Ok, trésor? Pas d'inquiétude. Tu lui dis juste coucou et on y va. Et d'ailleurs, tu n'es pas obligée, non non, pas du tout. C'est comme tu le sens, ma poupée. Et puis...

- Papa, mes oreilles sont fatiguées d'écouter. Intervient l'enfant, et un maigre sourire se peint sur les lèvres pincées de son père.

Je ravale un gloussement moqueur. Elle est bien plus fûtée que moi, c'est un fait incontestable. Il est impossible ou presque de le faire taire lorsqu'il se lance, cet homme-là, et je le sais d'expérience. Je tends le bras et pose délicatement mon index sur sa bouche frémissante, finissant le travail qu'elle a bien heureusement commencé. Il hausse les épaules, offusqué.

Sans cesser de leur sourire tendrement, je pousse Noam de côté. Il ne résiste pas, car j'y parviens aisément. Il n'est pas prêt à confronter sa femme et sa fille, cependant, il a tout aussi bien connaissance que moi que c'est nécessaire. J'hésite à pénétrer à l'intérieur de la pièce à leur suite, seulement, Noam m'adresse un hochement de tête silencieux m'invitant à les rejoindre.

J'obtempère, le cœur battant. C'est un instant décisif. Nos respirations se suspendent tandis que la jeune femme blonde installée dans son petit lit blanc relève la tête à notre entrée et écarquille les yeux, muette de stupeur. Son teint vire au blanc crayeux, plus pâle encore que les murs qui l'entourent, et elle se pétrifie.

- Angel. Chuchote-t-elle, tremblant de part en part sous l'effet de la surprise, du choc.

Elle ne nous voit même pas, Noam et moi. Elle considère sa fille avec un étrange mélange d'adoration et de honte. Je me réjouis de ne pas me trouver dans son cerveau à cette minute précise, ce doit être le chaos.

Noam a un légitime mouvement de recul. Il est réticent à mettre en péril la fragilité du lien qui unit Elsa à Angel, et j'entends presque les rouages de son esprit se mettre en branle pour évaluer le caractère imprudent et irresponsable du projet que j'ai mis en œuvre. Alors, j'agis rapidement avant qu'il ne se défile encore.

- Angel, little bird, tu veux faire un bisou à ta mère?

La petite fille hoche vigoureusement du menton. Elle paraît insensible à la tension ambiante et s'agite pour que Noam la libère de son emprise de plus en plus étouffante. Un sourire radieux lui fend le visage. Je m'interroge: peut-elle concevoir à quel point la situation d'Elsa est instable, ou imagine-t-elle seulement que sa mère se repose?

Je l'ignore. Jugulant une fois de plus mes sentiments et mes pensées qui s'embrouillent, je tapote fermement l'épaule de Noam, le priant tacitement d'avancer en direction de son épouse. Il demeure immobile, incapable de se mouvoir.

- S'il te plaît... Ne gâche pas tout. Je l'implore à voix très basse.

Lui seul perçoit mes paroles. Je suis dubitative quant à l'effet qu'elles vont produire. Toutefois, il commence par un pas en avant, puis deux et trois, et bientôt, il est assis sur le bord du couchage, Angel sur ses genoux. Elsa s'est redressé et les scrute intensément.

Je me recule dans un angle de la chambre. Ma conscience me souffle que je suis une bonne personne, qui a du mérite de faire passer leur bien-être en priorité. Pourquoi alors ma gorge se serre-t-elle ainsi? Pourquoi je me sens si seule, avec cette impression de non appartenance, comme si j'étais l'intruse?

Je réalise, non sans un peu de retard, que c'est Parce que je le suis, évidemment. Je le suis définitivement, une intruse. En les réunissant de la sorte, je me suis conduite telle la meilleure des altruistes, j'en suis d'ailleurs récompensée par les larmes qui perlent aux longs cils clairs d'Elsa, par la mine épanouie qui recouvre les traits poupins de la petite, par le regard profondément améthyste que m'offre Noam. Néanmoins, est-ce dans mon intérêt personel?

- Maman! Tu étais partie! Tu m'avais manqué, et même que j'étais un peu beaucoup un peu fâchée. Je t'aime, maman, et même que papa il t'aime et que Am elle t'aime et même mes poupées et ma licorne toute douce! Ne pars plus de moi, t'es d'accord?

Elsa exhale une expiration apeurée, incertaine, esquisse un geste pour enlacer sa fille. Noam l'encourage sans un mot, elle finit par se décider et par attirer la petite vers elle. Leurs cheveux blonds s'emmêlent, leurs pleurs et leurs éclats de rire se nouent, inextricablement. Elsa est tendue, mais accepte tout de même de caliner son enfant. C'est une image si belle que j'en défaille moi-même, ombre frêle qui se coule jusqu'au seuil.

- Les forts se battent. Je déclare en leur tournant le dos. Les forts se battent, Elsa. Faites-le. Pas pour la vie. Mais pour votre bébé. Vous avez la chance d'en avoir un. Battez-vous pour elle. Faites-vous soigner, et si cela ne suffit pas, alors battez-vous encore.

Et j'émerge de la chambre en titubant, sans me retourner.

***

J'ai pratiquement atteint l'ascenseur lorsque je perçois le fracas d'une course maladroite dans mon dos. Je grogne sans peu de discrétion. Sommes-nous contraints de passer par là? Mon départ n'aurait pas pu avoir lieu sans adieux, non, le destin s'acharne bel et bien à me mettre des bâtons dans les roues. Même si je suis tentée de continuer mon chemin, je sais pertinemment qu'il va finir par me rattraper, alors je m'arrête pour l'attendrre en levant les yeux au ciel face à ma propre faiblesse d'esprit. Je suis incapable d'être complètement désintéressée, c'est tout à mon honneur. Pink avait peut-être raison, finalement, je suis un affreux, un hideux cliché...

- Attends, Am. Où tu vas? M'interpelle un timbre rauque que je reconnais à la première syllabe.

Évitant de l'observer alors qu'il stoppe son élan à mes côtés, je lui donne de vagues justifications qui sont loin de le satisfaire. Il se rapproche encore un peu, je sens son parfum envahir chaque fibre de mon être, m'enivrer, assujettir mes sens. Je dresse le menton en l'air. Est-ce la lumière trop vive des néons qui me pique ainsi les yeux?

- Où tu vas? Répète mon employeur mécontent.

Il tente de saisir mon poignet, je m'esquive en trépignant sur place.

- Je m'en vais, Noam.

- Comment ça? Tu ne peux pas rentrer à pieds. Maugrée Noam, sans céder à la panique qui se lit sur sa figure blême.

À son habitude, il triture ses cheveux en bataille d'une main et me sonde de son regard magnétique que je m'évertue à éviter. Je perçois l'écho de conversations dans le lointain, mais seule la présence de Noam m'est familière, aussi réconfortante. Je me dois de lui dire la vérité, de lui faire part de mon choix.

- Je ne rentre pas chez toi.

- Chez nous.

- Non, chez toi. Je rectifie. Je vais aller vivre à l'hôtel le temps de trouver un studio. J'ai déniché un job au bar Pink et Punk, alors voilà, je...

- Tu quoi? Tu nous laisses tomber? Tu comptais partir sans aurevoir. Regarde-moi, bordel de Dieu.

J'ai la sensation d'être hors du temps, hors de moi-même. Des ondes d'indignation le parcourent. Je me questionne: fait-il déjà jour à l'extérieur? Sans doute...

- Tu as une famille.

- Ce n'est pas si simple.

- Tu as une famille, Je reprends alors que je sens l'émotion me gagner. Tu as une famille, Noam. Tu dois en prendre soin, au moins jusqu'à ce que tu aies pris une décision.

- Quelle foutue décision? m'interrompt-il en haussant le ton. Qu'est-ce que tu racontes, putain!

Je bats en retraite, je veux m'écarter de son odeur, de sa chaleur, de lui tout entier.

- Attends que tout ne revienne à la normale. Attends que l'état d'Elsa se stabilise. Aide-la à trouver une clinique spécialisée. Tu sais comme moi qu'elle n'a pas bu pour s'amuser... Occupe-toi d'elle, laisse-toi le temps de...

- Rien à faire du temps, Lys, j'ai besoin de toi.

Noam tend une main supliante dans ma direction, je la prends comme par automatisme, la presse doucement. Il m'attire à lui, m'enlace comme Angel précédemment. Je niche ma tête à l'emplacement de son cœur, contre le tissu froissé de sa chemise, il pose son menton sur mes cheveux bruns. Les sanglots sont tous proches, je me refuse encore à les libérer avant d'avoir terminé.

- Nous avons agit dans la précipitation. Toujours dans la crainte qu'Elsa ne débarque. Elle était constamment entre nous sans qu'on s'en aperçoive vraiment. On doit faire une pause. Veille sur ta famille, et moi,je vais continuer à dessiner, à avancer, jusqu'à ce que tu sois prêt à choisir.

- Choisir quoi? S'emporte-t-il, les vibrations de sa saillie provocant mille frissons aux confins de moi-même.

- Choisir qui tu veux aimer. Choisir avec qui tu veux continuer. Sans que je ne t'influence. Peut-être que plus tard....

Noam lâche un gémissement de bête blessée. Il s'écarte de moi, se penche, dépose voracement ses lèvres sur les miennes. Nous nous embrassons, et cette étreinte a une saveur d'adieux et de désespoir, d'amour et d'aurevoir. Nous nous dévorons, il m'emprisonne à m'en faire mal. Mes muscles protestent, je m'en moque. Nos dents s'entrechoquent, nos langues se caressent, nos peaux entrent en contact et s'électrisent.

Je ne sais pas comment je réussis à m'éloigner. Nous pleurons tous les deux, et ce n'est pas sans me rappeler le premier soir où je l'ai rencontré. Nous sommes si loin de ce cinéma là, et pourtant si proches l'un de l'autre, désormais.

- Et Angel?

- Fais de ton mieux pour lui expliquer.

- Ce n'est pas à moi de le faire.

- Je suis désolée.

Il acquiesse, il sait que je n'aurais pas la force d'affronter les accusations de ma protégée. Il fait alors  volte-face, à cours de mots, de souffle.

- Je serais là où tu me chercheras. Je lui confie, et je m'enfuis en courant loin de lui.

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C'était la fin initiale mais j'aime trop Lys. Jepublie donc aussi l'épilogue...

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