Chapitre 29. L'aider



Elle est allongée dans son lit blanc, une perfusion au bras gauche, le teint livide, les mains tremblantes et le regard vide. Elle est frêle et fragile, belle et gracile. Elle est malade. Malade d'elle-même. Elle porte une tenue informe et grisâtre prêtée aux patients en convalescence.

Je considère celle qui fut ma rivale et retiens mon souffle. Sa faiblesse est son atout. La lumière vive, dans la chambre, nimbe sa pâle silhouette d'un halo fantômatique. Ses cernes accentuent la profondeur noisette de ses iris.

Je m'installe sur la chaise inconfortable disposée à son côté, la toise résolument, sans trop d'aménité. Je la déteste et je la plains simultanément, mes lèvres ne cessant de se pincer, de se plisser, de se froisser pour grimacer, puis de se détendre par saccades. J'attends patiemment qu'elle se confronte à moi. Comme cela a toujours été le cas depuis que nous nous sommes rencontrés, un mois auparavant, une éphémère éternité auparavant.

J'attends patiemment, tandis que les images de tous les jours écoulés auprès de sa famille défilent dans mon esprit embrumé.

En sortant de ce même hôpital, quatre semaines plutôt, j'ignorais encore que pour moi, la terre deviendrait plate, que le ciel serait sous mes pieds, et que l'amour viendrait frapper à la porte de mon âme, l'iris améthyste...

J'ignorais que mon monde aurait désormais un prénom qui ne serait pas le mien...



Elsa se refuse à ouvrir la bouche avant que Noam ne nous ait rejoint. Nous percevons les échos de la conversation houleuse qu'il entretient avec le médecin en charge du rétablissement de la jeune femme, derrière la porte.

Une fois qu'Howard a eu répété l'annonce du coma éthylique dont avait été victime son épouse, il n'a fallut qu'une poignée de secondes à Noam pour prendre les choses en main et déclencher une minie tornade au sein de l'hôpital. Prendre soin des gens qu'il aime est un de ses talents, le plus vrai, le plus évident, et personne, des infirmières aux internes, en passant par les plus hauts responsables hiérarchiques, n'a pu résisté très longtemps à la frénésie qui a rapidement pris possession de lui. Nous avons eu vent du numéro de chambre d'Elsa quelques minutes après avoir appris de la bouche d'Howard qu'elle avait prétenduement intégré l'établissement la veille, soit le soir de sa fuite. Je me souviens qu'elle était déjà bien éméchée en partant de la maison, et il est désormais indubitable qu'elle n'en ait pas resté là. Incapable de ravaler les remords qui me submergent d'ailleurs à sa vue, je me détourne, le cœur au bord des lèvres. J'espère que Noam aura pensé à écarter Angel d'une manière ou d'une autre, la situation est bien trop grave pour que l'enfant puisse seulement envisager d'y assister, encore moins y prendre part.

Qu'est-ce qui est donc passé dans l'esprit d'Elsa. J'ai conscience que sa vie est compliquée, qu'elle ait dévoré par sa jalousie à mon encontre et par la dépression qui la ronge, mais pourquoi a-t-elle risqué sa vie à ce point? Si nous n'avions pas croisé Howard dans cet ascenseur, qu'est-ce qui serait survenu, alors? Le docteur lui-même escomptait que Noam serait au courant.... J'en veux terriblement à l'ancienne avocate. Son but n'était pas de nous mettre dans l'embarras ni de nous causer d'autres problèmes, mais elle y est très bien parvenue malgré tout.

Le silence sonore est tout à coup brisé par le grincement du battant de bois qui pivote sur ses gonds afin de laisser libre passage à Noam, échevelé sur le seuil. Il arbore une expression hargneuse, et aussitôt à l'intérieur de la petite pièce impersonnelle, il se précipite vers sa femme et s'assoit sur le bord de son matelas. Son regard étréci trahit sa contrariété.

Je cherche hâtivement Angel des yeux, et à mon grand soulagement, je peux me réjouir de ne la trouver nulle part. À mon air distrait, le jeune homme devine, intuitif, où m'ont mené mes pensées, et m'explique le plus succinctement possible qu'il a dû abandonner sa fille à Howard, qui a promis de veiller sur elle en attendant que nous ayons terminé avec Elsa. Elle a eu beau protester, tempêter, la fatigue a fini par l'emporter. Cela risque de nous prendre un bon moment, cependant, et il n'a officiellement pas le droit d'agir de la sorte.

M'ayant informé, mon employeur s'emmure dans un mutisme inquiétant, menaçant, et assassine sa conjointe d'un coup d'œil appuyé. Elle a un mouvement de recul qui m'émeut instinctivement, toutefois, Noam ne semble en rien compatir et continue de la considérer sans cacher sa fureur. Il croise et décroise les jambes, s'étant totalement départi de sa sérénité habituelle, dans le seul but de se donner une contenance, et je me sens comme une intruse à leurs côtés. J'hésite même à m'éloigner, mais c'est alors qu'Elsa prend la parole, d'une voix faible, chevrotante.

- Vous êtes en couple, ou quoi?

- Qu'est-ce qui vous fait dire cela? Je m'enquière, à la fois intimidée par sa beauté, certes ternie, et irritée par la désinvolture dont elle fait preuve.

- Vous êtes venus me rendre visite ensemble. Amaryllis aurait pu garder Angel, à la place.

Sa perspicacité, en prenant en compte tout ce qu'elle a traversé depuis hier soir, me sidère littéralement, d'autant plus qu'elle a en partie raison. J'ignore pourquoi je suis vraiment là, bien que ma conscience me chuchote la réponse. Je crois que j'ai simplement estimé que Noam aurait besoin de moi et que nous devions plus ou moins la vérité à Elsa sur nos agissements durant son absence. Nous avons été foudroyés par la passion qui nous dévorait depuis des semaines, et n'avons su résister que l'espace d'une soirée avant de céder à l'attirance qui nous poussait l'un vers l'autre. Je doute qu'elle ne prenne très bien la chose... Et je me dois d'assumer cette responsabilité.

En remarquant que nous ne répliquons rien, seulement ébahis devant sa sagacité, elle se fend d'un rictus dépité et reprend, davantage ébranlée encore que précédemment.

- Je te demande sincèrement pardon, Noam. À toi aussi, Amaryllis, même si je ne crois pas pouvoir être franche.

Je me retiens de m'esclaffer. J'apprécie qu'elle se montre si directe, et sa façon de s'adresser à nous me prouve qu'elle va se rétablir, du moins physiquement. C'est un réconfort. Je ne suis pas mesquine au point de vouloir qu'elle souffre, et j'aime trop Angel et Noam pour me permettre d'envisager le pire. Je me réjouis pour eux qu'elle soit saine et sauve...

- Oh, arrête de t'en prendre à elle. Tu devrais l'implorer de t'excuser, au contraire! S'enflamme Noam. C'est elle qui a pris soin d'Angel pendant que tu faisais tes bêtises. C'est elle qui est venue te tenir compagnie au milieu de la nuit pendant que je me renseignais à ton sujet. Ça suffit, Els! Je sais que tu n'y peux rien, mais j'en ai assez!

Je me raidis. Il est injuste, cela sans doute provoqué par le taux d'adrénaline encore présent dans son organisme. Il a bien faillit la perdre pour de bon, cette fois, et au lieu de s'en trouver reconnaissant, il se laisse guider par la peur qu'il a ressenti.

Je me lève d'un bond, le rejoins à grands pas et m'agenouille à ses pieds afin de l'atteindre plus facilement. Aussi, je m'empresse de tendre la main et de presser doucement son genou. Sa colère transparaît sur ses traits, se diffuse dans l'atmosphère comme une antité tangible, émane par tous les ports de sa peau. Il me fait presque reculer. Tentant de respirer calmement, je fouille mon esprit dans le but de trouver une autre initiative ingénieuse pour le détendre mais ressors infructueuse de ma brève introspection. Il ne perçoit pas mon contact sur sa jambe, en dépit de la mince épaisseur de son jean.

Noam ne se contient plus, il lui a excusé bien trop d'impairs, il n'en est visiblement plus apte. Il est tollérant, mais humain. Elsa l'a saisit également, car elle ne s'attarde pas à débiter de vains prétextes et ne prononce plus un mot. Elle est passée très près de la mort, et, sans surprise, je constate qu'elle n'en nourrit pas la moindre crainte après coût. Elle m'a déjà confié être insensible à la peur dans ses états de mélancolie accrue. Je ne sais pas comment j'aurais réagi à sa place, mais pas de manière aussi placide, c'est sûr et certain.

- Tu racontes, maintenant! Aboie Noam, presque frustré par le masque impassible que la jeune femme s'est employé à revêtir.

Elsa enroule une mèche blond terne autour de son majeur, lâche un soupir empreint de lassitude, et commence son récit d'une voix familière bien que monocorde, parce que ce ne doit pas être la première fois qu'elle s'explique.

- J'avais de l'argent sur moi quand je suis partie de chez nous. Je suis allée dans un bar, et j'ai bu. J'étais déjà pas mal ivre en rentrant de chez Swein, alors, je n'ai pas tardé à me sentir mal et super molle. tout s'est mis à tourner, je suis tombée. On m'a dit qu'un client de ce bar miteux avait appelé les urgences et qu'on avait eu le réflexe de me mettre en position latérale de sécurité. Point. Je me suis réveillée ce midi. L'infirmière qui était de garde à ce moment là m'a dit que j'avais fait un coma éthylique, qu'ils avaient dû me réchauffer pas mal parce que j'étais en hypotermie, que j'avais frôlé un état plus grave. Apparemment, j'avais 2,8 grammes d'alcool par litre de sang. Maintenant, vous êtes là, même si je ne pensais pas vous prévenir ni rentrer tout de suite. On m'injecte une solution vitaminée avec cette perfusion. C'est tout.

- Oh, si c'est tout... Ironise Noam, de plus en plus sur les nerfs et agressif.

Ma position instable sur le sol dur m'engourdit quelque peu. Je frissonne en remarquant que nous aurions pu atterrir au sein du même bistrot hier soir, Elsa et moi, et qu'alors, j'aurais pu la ramener à la maison... Je n'aurais jamais embrasser Noam, par conséquent, mais cela aurait sans doute vallu la peine pour ne pas blesser le jeune homme maintenant. Je choisis de me redresser finalement, sans daigner tenir compte du craquement de mes articulations rouillées, et le fixe droit dans ses beaux yeux clairs.

- Pause! Stop, Noam, tu y vas un peu fort!

- Et elle non? Elle n'y va pas fort? S'insurge-t-il.

- Tu ne l'aides pas, tu sais.

- Elle ne désire pas qu'on l'aide.

Elsa opine vaguement du chef quand son mari la consulte brièvement de ses prunelles incendiaires. Je maugrée dans ma barbe. Sensé ou non, notre échange risque fort de s'envenimer à ce rythme.

- Parce qu'elle n'a pas de raisons suffisantes pour se donner la peine de faire des efforts. Je marmonne, espérant le prendre au dépourvu.

Il ne se formalise pas de ma tirade outre-mesure, baisse les paupières en grimaçant et rétorque dans une inspiration vacillante, les sourcils formant un accent circonflexe au-dessus de son nez plissé:

- Je suis son mari, Lys, ce n'est pas assez comme raison?

- Tu ne l'es plus vraiment.

Mon observation sibylline le fait tressaillir. Je réalise que ce n'est pas très délicat, malgré tout, les paroles ont filtré spontanément. Je n'ai aucun moyen de les rattraper: c'est déjà trop tard. Ne dit-on pas que les erreurs ne sont des erreurs qu'une fois commises? Il me repousse en arrière, manquant de peu de me foncer dessus, se précipite contre le mur nu et blanc d'en face et y frappe un grand coup du poing, tandis qu'un affreux juron lui échappe et que je demeure figée à le scruter de bas en haut. Je m'estime chanceuse qu'il n'y est pas de fenêtres aux alentours. Je déteste cette façade de Noam. Muette de stupeur, je garde les bras le long du corps, ne sachant plus comment intervenir.

Le jeune homme se ratatine sur lui-même de honte, paraissant perdre vingt bons centimètres. J'imagine l'enlacer, sauf qu'il s'enfuit alors de la petite chambre suffoquante. Désarmée, je m'efforce de comprendre la façon dont tout a pu dégénérer si vite.... Je ne parviens toujours pas à m'ancrer au présent, j'ai besoin de me raccrocher à quelque chose de tangible. J'ai l'impression que le Noam si tranquille et réconfortant que j'ai appris à aimer s'est effacé au profit d'un autre, infiniment plus brutal, plus insaisissable. Une personne qui ne me plaît guère.

- IL est anormalement énervé. Déclare Elsa, blasée, ne marquant pas de réel intérêt pour la scène qui vient de se jouer sous ses yeux.

Dans mon cerveau, l'incrédulité se dispute à l'envie de m'échapper, à l'instar de Noam. Néanmoins, l'expression totalement hagarde de la jeune convalescente à mon côté m'amène à repenser à la décision que j'étais sur le point de prendre. Je m'empare de la place laissée vaquante par Noam sur le couchage et frotte mes tempes de mes index afin de redevenir un minimum lucide et de me concentrer.

Bon... Je dois persuader Elsa qu'elle est en chute libre et que ça ne peut plus continuer. Elle fait du mal à tous ses proches... Ils ne le supporteront pas plus longtemps, et elle aussi, nonobstant. J'accroche mon regard au plafond immaculé, en quête d'un argument plus convainquant que les autres et dans l'unique but de la toucher davantage, de la secouer, de la réveiller. Rien ne surgit, ma tête est désespérément vide, et en guise d'encouragement, ce sont simplement les soupirs constants d'Elsa qui ponctuent ma cogitation intensive. Je prie Dieu de me venir en aide si jamais il existe, avant de me moquer de ma propre tendance à virer pieuse dès que tout s'effondre dans mon périmètre. Les croyances infondées ne résolveront rien, à moins qu'une bonne fée ou un ange gardien ne se manifestent...

Un ange... Et brusquement, dans une sorte d'illumination, une image s'affiche face à mes rétines, une image née de mon inconscient, une image évidente. Une image à me couper la respiration, une image capable de ranimer les rêves et d'attiser la vie. Une image sublime.

Je saute sur mes pieds.

- Attendez. Vous me laissez seule? Gémit Elsa, inefficace à camoufler les craintes qui la tourmentent.

- Je vais revenir. Je veux juste que vous compreniez un truc.

Sans plus discuter, je me rue dans le couloir éclairé comme une fusée. L'odeur de détergeant m'irrite la gorge, je m'évertue pourtant à nier son existence. Prise d'un léger vertige tellement je m'empresse, je m'appuie une seconde contre le mur de droite, le souffle heurté. L'image n'a pas quitté mes pensées embrouillées.

Alors que je reprends mon avancée en rassemblant les informations dont je dispose, je me dirige tout droit et percute malencontreusement le torse musculeux d'un jeune homme, que je reconnais être Noam lorsqu'il lâche un grognement indigné et aux effluves de miel qu'il dégage. Je saute pratiquement de joie en le croisant, et manque m'écrouler par terre sous l'effet du choc. Il me contemple comme s'il me voyait pour la première fois, et j'expire de nouveau profondément pour sauvegarder les parcelles de sang-froid qu'il me reste. Je suis persuadée que cela va fonctionner... Je ne fais même plus attention au personnel de l'hôpital qui déambule autour de nous, lui non plus ne nous prête aucune attention. Je suis assourdie par le sang qui afflue à mes tempes. J'appréhende même que l'élan de génie qui s'est arrogé le droit de me guider dans ma démarche ne me quitte sans avertissement.

- J'ai un plan. Je sais comment aider Elsa.

- Ah bon? Tu crois que je n'ai pas déjà tout essayé? Tout à coup, tu as la foi? On ne redonne pas de l'espoir à une personne en claquant des doigts, figure-toi! À moins que Tu aies rencontré un gentil ange prêt à réaliser tous nos souhaits, récemment? Raille-t-il, sans pouvoir s'empêcher de passer une main tremblante dans ses cheveux châtain en épis désordonnés et de serrer les mâchoires.

Je discerne les larmes de rage qu'il refoule. Les accents sarcastiques de son timbre rauque me font regretter de ne pas être en cline à la violence présentement. J'ai conscience qu'il ne se contrôle pas, mais est-il forcé de se montrer si glacial tout à coup? Cela me déstabilise et ne m'est pas d'un très grand secours. Je ne suis pas naïve au point de supposer que je détiens une solution miracle, toutefois cela aurait le mérite de changer quelque peu la donne...
J'aimerais tant qu'il partage mon engouement, alors, je le gratifie d'un petit sourire secret.

- Un ange non, mais je connais quelqu'un qui y ressemble étrangement.

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Hey, les parfaits!!!! Je reviens après huit jours d'absence, voici l'avant-dernier chapitre ! Vous m'avez manqué! Vous avez passé une bonne semaine?
Bon, tout ça se termine comment du coup ? Qu'est-ce que je fabrique encore, vous allez me dire ! Et bien, la fin demain, il est temps de partager avec vous le destin de mes personnages ! En attendant, j'attends impatiemment vos commentaires sur ce chapitre un peu long, mais nécessaire pour amorcer la fin de l'histoire. Est-ce que notre petit angelot va parvenir à rabibocher tout le monde ? Bref, je vous dis à demain ! Gros gros gros gros bisous, À vous votre samedi, à moi la dissertation de philosophie que je dois faire pour lundi et que j'ai repoussé toutes les vacances !
💙💙💙
P:S: tous mes encouragements à Lola, avec ses petits soucis de page blanche ! On espère revoir ton histoire très vite ! On l'adore ! Je souhaite aussi le meilleur à Alice, qui vient de commencer une nouvelle histoire, très prometteuse à mon avis ! Merci à tous les autres ! Je vous aime!

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