Chapitre 28. Ensemble
Quand nous rentrons, Angel est remontée dans sa chambre, et une assiette à demi-pleine repose sur la table de la cusine, vestige du dîner qu'elle n'a pas voulu achever. Noam débarrasse sans un mot, la mine soucieuse, et je le regarde se mouvoir, comme pétrifiée contre le mur, aux aguets de chacun de ses gestes, de chacun de ses regards. Il me surplombe de deux bonnes têtes, ce qui me fait me sentir à la fois vulnérable et protégée. Mes yeux se posent inexorablement sur sa bouche au bout de quelques secondes, et je ne peux en détacher mon attention, me faisant l'effet d'être une complète abrutie et une totale obsédée.
Mon ventre gargouille alors que Noam lance le lave-vaisselle. Il sursaute de surprise, et me dévisage, sans masquer l'amusement que lui cause les protestations de mon ventre creux. Mon corps ne cesse de me trahir, et cependant, je suis tellement concentrée sur ses réactions et ses actes que je ne m'horrifie même pas de la rougeur brûlante de mes joues.
- Je te propose un truc. Me dit Noam en se rapprochant de moi pour m'observer de plus près et juger de mon attitude. Je commande de la pizza, et on la mange devant un dvd. Ça te dit?
Je manque bondir de joie et d'étonnement mêlé. Il prend les devants dans notre relation, et cela me réchauffe de l'intérieur. Bien qu'il n'ait jamais agit de la sorte, je suis toute en cline à accepter la moindre requête qu'il pourrait me faire, y compris les plus banales et les plus saugrenues. En outre, il paraît plein d'enthousiasme lui aussi, ce qui prouve qu'il ne me suggère pas cette soirée seulement dans le but de m'égayer, mais bien afin de nous divertir ensemble. Ensemble... Ce mot est une bénédiction sur mon amour propre fragile.
Je me doute que des remords le taraudent, ainsi que des doutes. Nous sentons tous les deux qu'Elsa aurait massacré son mari pour n'avoir que songé à la perspective d'un repas en tête-à-tête avec une autre femme qu'elle-même, et que Noam jugule son angoisse à travers la dérision, en faisant comme si de rien était, alors je m'empresse d'opiner du menton avant qu'il ne revienne sur son offre.
- Ça me dit carrément! Carrément, carrément et carrément!
Loin de passer inaperçu, mon ardeur ravive la tension charnelle née de nos baisers, et il se penche vers moi pour chuchoter.
- Même si c'est moi qui choisis le film?
Je ne l'ai jamais connu si taquin, si joueur. Il y a trop de lumière, trop d'étoiles dans ses iris pour être en mesure de les compter. Sa voix caressante déclenche une avalanche de frissons le long de mon échine, des frissons chaleureux, des frissons que je peine à lui dissimuler. Incapable d'échapper à son magnétisme, à la chaleur corporelle qu'il dégage, presque collé contre moi, je me contente d'acquiesser. Je suis incapable de me souvenir de la question qu'il a posé.
- Tu es sûre? J'ai de très mauvais goûts.
Cette remarque, déclarée plus fort, m'éclaircit quelque peu les idées. Je suis stupéfaite d'être aussi sensible à ses effleurements, d'être aussi exposée à son charme dévastateur.
En secouant la tête, je m'écarte d'un pas sur la gauche et esquisse un sourire suffisant:
- Des mauvais goûts? Impossible, tu m'aimes bien!
Son rire sonore dissipe la tension dans la pièce. Je dois être écarlate. J'ai dépassé le stade des bégaiements, mais pas celui où je m'empourpre dès qu'il me faut faire de l'esprit devant lui, visiblement. Il s'en moque. Il se détourne sans plus de cérémonies pour prendre le téléphone et passer commande auprès d'un traiteur, j'imagine.
Un cœur peut-il exploser? Exploser de bonheur? Et le bonheur, notre bonheur? Combien de temps durera-t-il au juste?
***
Assis côte à côte sur le canapé moelleux du salon, nous fixons l'écran de la télévision, où Harry Potter entre dans la banque des sorciers pour la première fois. Nous venons de finir de manger, les couverts sont posés sur la table basse devant nous, et je suis repue. J'ai ressenti un peu de honte à l'idée que Noam ne finance notre dîner, ça avait déjà été le cas au restaurant, il se trouve qu'il a effacé mon malaise d'une étreinte. À présent que je me le rappelle, j'en suis mortifiée. J'ai cédé extrêmement rapidement. Je lui ai rendu les choses bien trop facile.
J'essaie de prêter mon entière attention au film, mais le parfum du jeune homme massif installé à mes côtés m'enivre, mélange suave de miel et de délice. J'éprouve le besoin presque irrésistible de me jeter sur lui pour humer sa peau jusqu'à m'en rendre malade. Dans la pénombre relative du salon, mes autre sens sont amplifiés, j'ai l'impression que je n'ai qu'à tendre le bras pour toucher le sien, ce qui n'est pas faux, car il s'est sensiblement rapproché de moi depuis le début du film. La crainte que nous pourrions aller trop loin ne me quitte pas, faible face à l'angoisse tacite que nous partageons tous deux, cependant: et si tout volait en éclats? Et si la porte d'entrée s'ouvrait sur Elsa? Notre culpabilité ne montre pas que nous faisons quelque chose de mal, simplement que nous sommes humains, j'en suis persuadée. Mais lui, l'est-il?
Concernant Angel, j'ai grimpé dans sa chambre pour vérifier qu'elle s'était endormie. C'était le cas, du moins il m'a semblé qu'elle dormait, j'espère ne pas m'être trompé, elle nous en veut suffisamment comme ça pour ne pas souhaiter nous découvrir ensemble si tard et sans sa mère. Elle est jeune, mais pas stupide.
- C'est tellement facile! Grommelle Noam dans son coin.
Un sursaut me parcoure, je relève le regard, l'oreille tendue.
- Ses parents sont morts, Explique-t-il, et lui, il a tout l'argent qu'il lui faut sans même claquer des doigts.
Je comprends avec un peu de retard qu'il parle du film. Un gloussement moqueur filtre malencontreusement entre mes lèvres, ce qu'il ne manque pas de remarquer en se renfrognant, clairement offusqué.
- Jaloux?
- Non. J'ai hérité de bien assez d'argent pour toute une vie.
- Pourquoi tu travailles, dans ce cas? Je m'enquière d'un ton inquisiteur.
Noam marque un temps d'arrêt. Harry Potter est en train d'acheter sa baguette magique, et je dois avouer qu'il ne m'intéresse plus du tout. Le pauvre garçon ne peut pas rivaliser avec mon compagnon.
- L'argent, ce n'est pas pour vivre, tu l'as bien compris. Mais je ne pourrais pas rester à la maison, je déteste être oisif. En plus, j'adore mon travail. L'art est une passion, l'enseigner est donc une chance. Tu ne crois pas?
Il s'adresse à moi d'une façon appréciable, à l'instar d'un ami se confiant à sa plus loyale conseillère. Je trépigne d'embarras, ma question est stupide, j'aurais répondu de la même manière.
- C'est tout à ton honneur. Je souffle, gênée.
Nous nous taisons un instant.
- Tu aurais préféré voir autre chose? Me demande Noam, soudain anxieux.
J'ignore s'il désire juste changer de sujet, mais je trouve que c'est opportun et me dépêche de répliquer en sautant sur l'occasion.
- Non, non.
- Menteuse!
Je hausse les épaules.
- Tu ne le sauras jamais, de toute façon!
Je cherche à le défier, il en est apparemment conscient car il pousse un grondement faussement menaçant et emprisonne ma taille d'un bras ferme.
- Ah bon?
Il me chatouille en émettant des feulements de bête féroce. Il est fort, toutefois, à force de me débattre en riant, je finis par m'esquiver.
- Barbare! Ok, ok, ça va! J'halette. Je préfère Titanic!
- Cliché!
Ce n'est pas sans me rappeler ma conversation avec Pink. Il pouffe en m'entendant soupirer exagérément. Je m'indigne alors.
- On me l'a déjà dit! On me le dit sans arrêt, en ce moment!
- C'est peut-être vrai, du coup!
- N'importe quoi!
Noam se gratte la gorge, ayant l'air de reprendre son sérieux. Notre petite lutte m'a fortement émoustillé, même si je me targue de le cacher.
- Qu'est-ce que les filles peuvent bien trouver à Titanic? S'agace-t-il, son intonnation dénotant sa perplexité.
Je m'esclaffe, peu discrète.
- Tu veux une liste? Très bien! Un, Leonardo Dicaprio. Deux, les femmes adorent les mouchoirs. Trois, Leonardo Dicaprio. Quatre, Lenar...
- Ça va, ça va, j'ai compris. Maugrée-t-il en m'interrompant. Voilà pourquoi Angel est la meilleure.
- Pourquoi?
- Angel adore Harry Potter.
- C'est aussi cliché.
- Elle croit, Poursuit Noam sans se formaliser de mon intervention, qu'elle a des pouvoirs magiques et qu'on l'enverra à l'école de sorcellerie dès qu'elle aura onze ans. Elle se met à pleurer dès qu'on essaie de la démentir.
- C'est un avertissement? Je ricanne, malgré moi enchantée par sa désinvolture à mon égard.
- Absolument.
- Je suis sensée te remercier?
- De quelle façon?
- À toi de m'inspirer...
Nos sous-entendus sont bien perceptibles, désormais. Je me liquéfie à ma place, triturant nerveusement une mèche de cheveux entre mes doigts devenus gours. Noam saisit ma main libre, la press avant de l'attirer contre son visage pour embrasser délicatement ma paume. L'électricité crépite entre nous. Je prie pour ne pas trop transpirer, et compte les secondes avant qu'il ne se décide à m'enlacer.
- Merde, Lys, qu'est-ce que tu me fais? Je n'arrive plus à réfléchir.
Il m'attrape par la nuque... Je me retrouve sur ses genoux. Nous nous embrassons comme si la fin du monde était demain, comme si nous voulions nous dévorer, comme si je n'avais plus que lui, comme si nous ne nous étions pas vus durant des semaines. Comme si un feu nous ravageait de l'intérieur.
Et c'est le cas, en quelque sorte.
***
Des renifflements me réveillent en pleine nuit. Je me secoue, ouvre les paupières et me rends compte que je me suis endormie sur le canapé, cette fois en présence de Noam. En effet, j'ai la tête appuyée contre son épaule, et son bras est enroulé autour de mes reins. J'ai très chaud, es je sens le souffle du jeune homme dans ma nuque.
Agréablement ankylosée, je me redresse tout de même et perçois de nouveau d'étranges gémissements proches. La télévision est éteinte mais la lumière de la lune éclaire le salon d'un halo blanchâtre. J'imagine que nous nous sommes assoupis devant Harry Potter, et que malgré sa torpeur, Noam a pris la peine d'éteindre l'écran. Je me souviens de tous nos baisers, de toutes nos caresses, mais j'ai aussi connaissance des limites que nous n'avons pas franchi. Noam tenait à respecter un minimum le lien qu'il unissait à Elsa, et je n'ai pas pu me résigner à lui dire qu'il était bien trop tard pour se faire ce genre de réflexions. Je n'étais pas prête non plus, quoiqu'il en soit.
Je pose les pieds à plat sur le sol et me relève en me frottant les paupières. Je suis à moitié endormie, mais je tiens à m'assurer qu'Angel va bien. Je rejoins à pas précautionneux le couloir, enclenche l'interrupteur, puis gagne l'escalier en toute hâte, avant de finalement me figer au pied de la première marche, mon sang ne faisant qu'un tour, la couleur désertant ma figure.
Angel est assise là, recroquevillée contre la rambarde, en pyjama rose, les cheveux défaits. Elle pleure sans trop de bruit, et je remarque tout de suite qu'elle a les mains crispées autour de sa jambe.
- Honey, honey, qu'est-ce qui se passe, bon dieu? Qu'est-ce qui t'arrive, little bird, qu'est-ce qu'il y a? Je m'entends la questionner tandis que je me rue sur elle pour la palper frénétiquement.
La panique m'aveugle, m'assourdit, je dois la faire répéter plusieurs fois pour saisir la nature du problème.
- J'ai trébuché. Je voulais voir papa parce que j'ai fait un méchant rêve. Je me suis fait bobo, Am!
Je lâche plusieurs jurons, hésite entre la prendre dans mes bras pour la conduire à son père ou faire un constat de sa blessure. Je finis par choisir la deuxième option.
- Où est-ce que tu as mal exactement, bébé? Je l'interroge, et je scrute minutieusement la zone de son mollet.
Je prie pour que ce ne soit pas grave, pourtant, sa mine effarée et les larmes qui ruissellent de ses yeux rougis me poussent à imaginer le pire.
L'enfant désigne sa cheville. Je retire ses doigts de la blessure présagée et découvre que sa cheville a terriblement gonflé.
- Entorse. Je murmure entre mes dents serrées, atterrée.
Il faut toujours qu'il se passe quelque chose dans cette maison. Il doit être plus d'une heure du matin, et je sais qu'en prévenant Noam, nous risquons de nous retrouver aux urgences avant que j'ai eu le temps de dire ouf.
Néanmoins, je n'ai pas d'autres alternatives. Je pourrais toujours tenter de le raisonner, de chasser sa panique... De le convaincre qu'un peu de glace suffira...
***
- Tu t'affolles pour rien! Je répète une fois de plus à Noam, installé près de moi sur une chaise en plastique, au milieu d'une salle d'attente bondée de l'hôpital.
Il ne rétorque rien, et croise les bras devant sa poitrine pour me signifier qu'il veut que je la boucle. J'obtempère à son ordre silencieux, non sans le fusiller du regard au préalable. Il n'a fallu que d'un mot pour qu'il se réveille, nous fasse enfiler nos habits et nos chaussures et nous entraîne dans la voiture jusqu'aux urgences. J'ai bien essayé de le convaincre qu'Angel ne nécessitait pas d'une prise en charge aussi drastique, il avait l'air possédé, la peur le rendait irrationnel.
Le trajet s'est fait non sans heurt, entre moi qui rabachais que nous devrions faire demi-tour, Angel qui sanglotait dans son coin et Noam qui grillait tous les feux de signalisation que nous croisions. Il en a fallu de peu pour que nous parvenions à destination sains et saufs, d'autant plus que Noam faisait la sourde oreille. Ensuite, j'ai dû entrer dans l'enceinte du bâtiment, ce qui m'a demandé un effort monstre, les souvenirs de mon accouchement cauchemardesque me revenant en masse et sans répit. J'ai faillit renoncer, pourtant je n'ai pas pu m'y résoudre, car Angel me suppliait de les accompagner et que Noam m'observait si intensément que cela en devenait gênant.
Je suis épuisée, et rêve d'un bon lit chaud et que Noam se calme enfin. Angel s'est blottie contre sa poitrine, somnolente, et bien que je me fasse du souci pour elle, ce n'est en rien comparable aux émotions de Noam. Il est fou d'elle, et il est incapable de supporter qu'elle souffre. Je parie qu'il voit rouge si jamais elle perd une dent de lait...
Tous trois à fleur de peau, nous sommes finalement reçus par un médecin à l'expression revêche qui nous dispense de sermons mais nous scrute comme si nous venions de Saturne. Angel hérite d'une attelle et d'un froncement de sourcils dédaigneux. Je me contente d'expirer bruyamment afin de manifester ma lassitude, Noam, lui, ne s'apaise que lorsque nous sortons de la salle de consultation, sa fille dans ses bras.
La lumière des néons au plafond m'aveugle, et l'odeur qui règne dans les couloirs m'irrite le nez, mélange de désinfectant et de peur. Je m'interdis l'accès à ma mémoire, sauf que j'ai pertinemment conscience que j'ai ravivé ma souffrance enfouie en venant ici.
Alors que nous montons dans l'ascenseur pour rejoindre le rez-de-chaussée et rentrer chez nous, gardant le silence, un médecin en blouse nous précède, et paraît reconnaître Noam. Il a les traits tirés, à l'image de tous ceux que nous avons pu apercevoir sur notre chemin. Son crâne est dégarni, son teint crayeux, et ses yeux d'un bleu terne nous fixent résolument.
Noam arbore une mine surprise, puis présente sa main à l'urgentiste qui la lui la serre faiblement. Mon employeur retient Angel d'une poigne de fer, j'appréhende toutefois qu'il puisse relâcher son emprise par mégarde.
- Howard, ça fait longtemp! S'exclame Noam après une pause durant laquelle ils se jaugent sans sciller. Lys, voici un vieil ami de mon père.
Je fais vaguement signe à l'intéressé, puis je vais m'appuyer contre la paroi vitrée au fond de la cabine dont les portes viennent tout juste de se refermer. Une migraine menace, je ne prête qu'une vague attention à l'échange des deux jeunes hommes, tant cette nuit me paraît suréaliste. Je n'aurais jamais cru revenir ici.
- Oh fait, je suis désolé pour ta femme. Déclare tout à coup le dénommé Howard, gravement. Je t'ai vu sortir d'une observation avec Rémi, j'ai voulu savoir si tu tenais le coup.
Je me contracte, un mauvais pressentiment s'empare de moi.
- Pourquoi ça? se Renseigne Noam, dont la voix trahit une émotion sous-jaçante.
Le silence nous tombe dessus comme une masse de plomb. Je me prépare moralement à la terrible nouvelle qu'Howard est sur le point de nous annoncer. L'air devient lourd, irrespirable. Je renonce à ma nonchalance feinte.
Angel relève la tête, nous nous raidissons à l'unisson. L'ascenseur s'ouvre.
- Eh bien tu sais, pour... Enfin, tu sais, pour son coma éthylique.
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Coucou ! Je publie ce chapitre avant de vous abandonner pour 10 jours, j'ai profité de la première semaine pour réviser mis ça y est je vais enfin prendre du bon temps avec mes amis ! Ne vous réjouissez pas trop vite, je reviendrai vous embêter très bientôt ! Il reste encore deux chapitres ! En plus, vous devez me détester de vous laisser sur ce drôle de finale. Alors que tout semblait aller mieux entre notre petit couple, voilà Elsa qui réapparaît... Dans une mauvaise position, visiblement... Que va-t-il se passer alors ? Je vous laisse imaginer en attendant que je revienne! Un grand merci à tout le monde, comme d'habitude ! Vous êtes les meilleurs, évidemment ! Gros bisous !
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