Chapitre 26. Enfin





Un essaim d'abeilles enragées a pris position dans mon crâne. Comment expliquer, sinon, pourquoi le sang martelle à mes tempes si violemment, pourquoi ma tête me lancine tant? J'ai été victime d'expériences scientifiques, ou alors, comment justifier la douleur de ma gorge enflammée, la peine que j'ai à remuer le moindre muscle? À moins d'avoir été renversé par un camion lancé à pleine vitesse, je ne dispose d'aucune excuse valable.

Je pousse un grognement frustré, regrettant de ne pas être encore protégée dans les bras de morphée. Malheureusement, on secoue mon épaule depuis un bon moment, et l'intéressé risquerait de se vexer si je ne m'étais pas réveillée.

- Purée! Quoi, quoi, encore? Je maugrée, fortement agacée, en enfouissant profondément mon visage bouffi dans les plis soyeux du canapé sur lequel je suis allongée.

On me malmène de nouveau dans tous les sens, je jugule la bouffée de colère qui s'empare de moi devant la brusquerie qu'on me témoigne, jure entre mes dents et me redresse finalement pour jeter un coup d'œil meurtrier à celui ou celle qui a osé me déranger. À mon image, Noam affiche une expression belliqueuse. La lumière d'un jour brumeux pénètre à flot dans la grande pièce du salon silencieux. Je suis recouverte d'un plaide, recroquevillée contre le dossier de mon lit de fortune, la vue brouillée par un résidu de sommeil.

Je considère mon employeur sans masquer ma désapprobation. Son regard améthyste se détourne pourne pas croiser le mien, seulement, j'ai le temps d'y déceler de la déception face à mon attitude. Ses cheveux châtain sont en bataille, et moins soignés que d'habitude, sa chemise est froissée et son pantalon un peu trop petit. Il semble pressé, à la manière dont il trépigne d'un pied sur l'autre, me grimaçant dès que j'ai l'audace de le fixer d'un peu trop près.

- Aux dernières nouvelles, tu travailles encore pour moi. Le week-end est fini. J'ai un cours à donner dans vingt minutes, tu dois t'occuper d'Angel! Lève-toi! Et estime-toi heureuse que je ne te parle pas davantage des inepties d'hier.

- Des inepties? Je m'enquière, presque amusée par les ondes d'irritation qui émane de lui.

Il fulmine. Afin d'apaiser la situation, et non sans difficultés, je m'appuie sur mes coudes pour m'assoir correctement. Mes pieds nus effleurent le sol, ce contact froid me fait sursauter. Je me demande, avec une pointe d'envie timide, si c'est lui qui m'a retiré mes chaussures lorsqu'il m'a porté à l'intérieur de la maison. Je n'éprouve pas trop de remords, à ma propre stupeur. J'avais besoin de changer d'atmosphère, c'était nécessaire, une fois de plus, pour que je puisse avancer. Pink m'a été d'une aide incommensurable, et je compte bien la remercier dès que possile.

Je souhaite mettre ses conseils en pratique, Noam ne m'en laisse toutefois pas le temps, et, me surplombant de toute sa taille, il conclut notre conversation d'une remarque acerbe.

- Essaie de ne pas t'enivrerdevant ma fille.

Puis il fait volte-face et quitte le salon sans plus m'accorderdavantage d'attention. J'expire lentement dans le but de me calmer. Incapable d'assimiler son austérité, et sa raideur subite, je comprends que cela ne s'annonce pas sous le meilleur jour. Pourtant, loin de renoncer, je m'astreins mentalement à ignorer son comportement sévère pour l'instant. Un travail m'attend. Je frotte mon front du dos de la main et choisis d'aller prendre une douche pour m'éclaircir les idées.

Mission séduction, c'est parti!

***

Angel, à l'instar de son père, se montre tout aussi rigide, quasi intransigeante avec moi. Elle refuse tout ce que je lui propose et s'emmure dans un mutisme obstiné. Je conçois parfaitement qu'elle m'en veuille, que sa maman lui manque, et après lui avoir présenté plusieurs fois mes plus plates excuses pour m'être immiscée dans le couple que forme ses parents, des excuses certes hypocrîtes, je finis par me résigner en me répétant qu'elle me pardonnera sûrement plus tard, lorsqu'elle aura digéré la fugue de sa propre mère. Je ressens toujours un mélange d'inquiétude et de soulagement à la perspective qu'elle soit partie. Où peut-elle bien être, d'ailleurs?

Noam doit être terriblement angoissé. Je ne suis d'ailleurs aucunement étonnée, quand à midi, il téléphone à la maison pour m'interroger.

- Est-ce qu'elle est revenue? articule-t-il, paraissant sur les nerfs dès que le premier mot franchit la barrière de ses lèvres.

Mon silence en dit long. Je m'apprête à le réconforter, encore une fois, mais il prend de la distance avec moi avant que je puisse faire quelque chose, se contentant en guise d'aurevoir de simplement me raccrocher au nez.

Il tente de m'éviter au maximum. Mon objectif est limpide dans mon cerveau. Je l'aime. Je mérite qu'il m'aime en retour. Que dit-on, déjà? Qu'il faut écouter son cœur? Eh bien, c'est ce que j'ai dans l'intention d'accomplir, même s'il s'acharne à me mettre des bâtons dans les roues. Je n'ai que faire de ma culpabilité, de la sienne, de tout ce qui est censé nous séparer. Cela n'a fait que trop durer.

***

Noam rentre plus tard que d'habitude. Je l'attends de pied ferme, assise sur le comptoir en marbre, surveillant Angel du coin de l'œil tandis qu'elle regarde un dessin animé à la télévision. Impatiemment, je saute de mon perchoir pour me précipiter à sa rencontre.

Il a les traits affaissés, comme s'il portait toute la misère du monde sur ses épaules. Je le rejoins dans le vestibule, et alors qu'il se prépare à se déchausser en faisant comme si j'étais invisible, j'engage la conversation sans le laisser fuir, belliqueuse.

- Ça suffit, bon sang! Tu comptes passer outre ma présence jusqu'à quand, exactement? Non, juste pour que je sois au courant, tu vois, vu que ça me concerne! Il y a une date à fixer dans mon agenda? Tu n'es pas lâche, en général, alors je voudrais connaître les limites que tu t'es imposé.

- Rappelle-toi que je suis ton patron! Ronchonne-t-il en me tournant résolument le dos.

Je hausse les sourcils, excédée.

- Tiens, maintenant tu es mon patron? C'est drôle, hier tu étais mon amoureux, il y a une semaine, je croyais que tu étais aussi mon ami, et puis tout à coup, aujourd'hui, tu es mon chef? Intéressant! C'est un prétexte pour t'épargner le fait de me causer, ou juste une idiotie spontanée?

Il ricanne, ce qui ne camoufle absolument pas son embarras manifeste mais ne fait que le rendre plus palpable à mon sens. Il a revêtu son masque imperturbable datant du début de notre relation, seulement, je le sens qui bouillonne derrière.

- Tu es mon employée, rien de plus. Tu me dois le respect et l'obéissance.

- Ah vraiment? Donc nous ne sommes plus amis?

- Une amie n'aurait pas voulu me rendre fou de frayeur en sortant tard le soir pour se saouler seule! Une amie aurait eu la descence de s'en excuser après coût! Une amie saurait que je ne veux pas risquer de la perdre, juste après ma femme. Une amie ne serait pas si stupide! Merde, Lys!

Sa tirade enfiévrée provoque une avalanche de sentiments ardents en moi. Tendresse, affection, exaspération. Il reconnaît qu'il a eu peur pour moi en constatant mon absence la veille. Je secoue la tête pour revenir au moment présent et tenter de le raisonner, même si j'ai conscience qu'il a entièrement raison de me tancer de la sorte.

- Noam, je suis désolée. Seulement, je te rappelle tes propres dires, tu n'as pas de temps à alouer à tes sentiments. Je n'ai pas jugé utile de...

Il bondit vers moi, furieux, me faisant reculer contre le mur d'en face:

- Pas jugé utile? Pas jugé utile, bordel de dieu! J'étais mort d'inquiétude! J'ai cru que tu avais décidé de partir. Et s'il t'était arrivé quelque chose, hein? Et si on t'avait fait du... du mal? Je n'aurais rien su. Il aurait pu se produire n'importe quoi, dans l'état où tu étais... Qu'est-ce que j'aurais dit à la petite? Qu'est-ce que j'aurais fait, moi, sans toi, et...

- Tu n'es pas mon père! Je m'emporte, sans daigner me préoccuper de la puérilité évidente de ma saillie, haussant le ton à mon tour.

- Cesse de faire l'enfant, s'il te plaît! Elsa est on ne sait où! Je ne veux pas te perdre aussi, Lys!

La tension crépite dans le vestibule autour de nous. J'ai l'impression que les portes-manteaux eux-mêmes tremblent, que les étagères supportant les chaussures vont s'effondrer sous la puissance de l'orage qui secoue nos âmes. Mon cœur tambourine si fort dans ma cage thoracique que je crains qu'il n'entende ses battements affolés, et qu'il puisse se briser en mille morceaux sous l'effet de la pression qui monte. Nous n'avons jamais été si énervés l'un envers l'autre. L'air devient palpable, tangible, nos respirations s'alourdissent sensiblement, et les poils de ma nuque s'hérissent, tandis que les muscles noueux sous la chemise de Noam se tendent. Cette image fait fourmiller ma peau de désir et se dilater mes pupilles d'une convoitise virulente.

Noam s'approche de moi, à pas lents, terriblement partagé à la mine qu'il arbore, entre modération et passion qui l'habite. Il achève de parcourir la distance qui nous sépare en courant, attrape mes épaules, se penche pour avoir la figure à la hauteur de la mienne. Le gris de mes prunelles, le violet des siennes, se mêlent, pour former une teinte parfaite, une teinte unique, spéciale. Mon indignation s'évapore à l'instar de sa propre hargne. Nous oublions les causes de notre querelle aussi vivement qu'elles nous sont apparues.

Je me perds au fond de ses iris, il se noie dans le sourire tendre que je lui offre.

- Moi, tu ne me perdras pas. Je vais me battre pour toi si tu n'en as pas la force. Je veux nous offrir une chance. Je vais me battre, Noam.

Il plisse son nez droit, stupéfait, et pendant qu'il s'imprègne de ce que je lui ai confié avec force imprécations médusées, je détaille le moindre centimètre de son joli minois. Je me rappelle vaguement qu'Angel est dans la pièce adjaçante, mais qu'importe à présent! Je suis littéralement incapable de lui résister.

- Je voudrais que tu gagnes cette bataille. Chuchote-t-il à mon oreille. J'ai la sensation que c'est impossible. Je ne peux pas, tu sais que je ne peux pas...

En dépit des frissons qui m'agitent, je demeure confiante et sûre de moi en apparence.

- Qui te dit que ce n'est pas déjà fait? Que je n'ai pas déjà gagné? Je rétorque, mi-amusée mi-nerveuse.

- Elsa.

- Elsa a déclaré forfait, il me semble.

- Pas moi. Elle est ma femme, Lys. Je refuse de l'abandonner comme ça. Affirme-t-il, niant la réalité, acharné.

La conviction qu'il s'efforce de mettre dans son timbre m'exaspère au plus haut point. J'esquisse un rictus moqueur.

- Vraiment? Et si je te faisais déclarer forfait à ton tour? C'est bien d'être fidèle, moins d'être abruti. Arrête de t'aveugler, je t'en prie! On a le droit d'être heureux nous aussi.

- Je ne sais plus. Bredouille-t-il amèrement, tout à coup vulnérable.

Il m'émeut tellement. Je fonds d'amour pour lui, plus qu'hier, moins, sans doute, que demain.

- Laisse-moi t'expliquer, alors! Laisse-moi t'apprendre à me choisir. À m'aimer...

Mon souffle s'égare. Je me tais finalement. Nous nous penchons encore un peu. Nos poitrines entrent en contact, nos âmes se nouent inextricablement. Nous nous touchons, nous regardons, nous nous respirons, nous nous écoutons.

Nos lèvres s'effleurent, s'attachent, et nous nous goûtons enfin. Sa saveur de menthe me ravit. Je flotte au-dessus du monde, qui porte maintenant un prénom, son prénom. Il est mon tout. Nous nous enlaçons plus fort, il enroule ses bras autour de ma taille, je noue mes mains derrière sa nuque, et nos bouches fusionnent, s'entrouvrent, s'avalent, s'acaparent, s'imbibent, s'unissent, reculent, se joignent et s'entrouvrent en même temps pour laisser filtrer nos gémissements de plaisir. Il m'étreint doucement, contraste saisissant avec l'intense ferveur de nos baisers. J'ai l'impression que je ne suis plus apte à le lâcher, que nous allons rester liés pour léternité. Cet envol, harmonieux, vaut bien toutes les chutes de mon existence.

Noam passe des doigts fébriles dans mes longues boucles caramel fraîchement lavées, me scrute comme si c'était la première fois que nous nous voyions. Je soupire de délectation contre lui, il m'embrasse à nouveau, plus délicatement. La chaleur de sa peau électrise chaque fibre de mon corps, embrasant mes nerfs. J'ai toutes les peines du monde à reprendre mon souffle lorsqu'il me libère une seconde.

- Tu es si belle, Lys! Susurre-t-il dans mon cou, déclenchant une série de frémissements délicieux au fond de moi.

- Tu n'es pas en reste! Je réplique du tac au tac.

Je n'ai qu'une envie, recommencer à le bécoter. Les braises de mon excitation ont pris feu, ne me laissantaucun répit. Il dégaine ses fossettes et caresse ma joue d'un geste infiniment lent.

- La flatterie ne te mènera nulle part, ma douce. Tu sais qu'on ne doit pas recommen...

- Chut! J'ordonne, en posant d'autorité mon index sur ses lèvres humides. Ne gâche pas tout.

Le rouge me monte aux joues à la pensée que je suis allée trop loin, il a l'air d'adhérer à ma requête, cependant, et m'entraîne hors du vestibule, sur le perron, en claquant la porte d'entrée derrière nous. Sans doute ne veut-il pas qu'Angel ne nous surprenne, et je trouve cette escapade follement enthousiasmante. Il se laisse entièrement dirigé par ses pulsions.

Le vent balaie la rue en sifflant, les feuilles mortes voltigent dans un élégant balai coloré partout autour de nous. Le ciel se pare tout juste des lueurs du crépuscule, les teintes rosées remplaçant le bleu céruléen du dôme lumineux qui nous surplombe. Le soleil se couche à l'horizon, un cortège d'étoiles s'allument peu à peu au-dessus de nos têtes, effaçant sa clarté dorée pour miroiter secrètement. On discerne le sourire en coin opalescent de la lune. L'air est doux, sent l'automne, quelques voitures circulent au loin dans un vrombissement indistinct.

Noam m'attire dans ses bras en haut des marches du porche, dépose mille baisers sur mon front, mes pommettes, mon nez, mes paupières, ma gorge, mon menton et enfin, enfin, ma bouche. Je me liquéfie complètement, lui rends sa ferveur démultipliée.

- Tu es mon aroumeuse, Lys.

- Tu es mon aroumeux, Noam.

Un oiseau pépie sur la cime d'un arbre proche.

- Bats-toi pour nous, Lys. M'implore Noam, parce qu'il n'est visiblement pas suffisament fort pour le faire, parce que sa loyauté l'enchaîne, parce que sa bonté le contrôle, parce que sa fidélité, sa compassion et son sens du devoir l'ont construit.

Je me promets de tout faire pour qu'il me choisisse, en espérant seulement qu'Elsa ne revienne pas.

Car si elle réapparaissait, et même si c'est odieux de souhaiter qu'elle soit partie à jamais, les instincts protecteurs de Noam reprendraient forcément le dessus sur l'attachement qu'il me porte. Et je doute vraiment de pouvoir lutter contre tout ça:

Une famille, un serment et une maladie.

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Bah vous êtes entrain de vous dire, mais bon sang, cette fille n'a pas de vie elle y va  trop fort avec les publications ! Et c'est totalement vrai ! Enfin non, pas vraiment, mais là, il ne me reste plus qu'un chapitre à écrire pour conclure mon roman, alors autant vous le faire partager, je suis super en avance devant vous, même si vous lisez à votre rythme ! Gros bisous

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