Chapitre 16. Confessions
Je reste immobile. Pétrifiée de terreur. Mes membres se mettent à trembler, dabord mes épaules, mes bras et mes mains, puis mes cuisses et mes genoux. Mes muscles se contractent, je jette des coups d'œils éperdus autour de moi, la jointure des doigts blanchie tant je m'accroche au papier. Celui ou celle qui l'a déposé sur le perron me surveillait, il a dû passé juste devant moi pour accomplir sa funeste tâche, mais j'étais tellement concentrée sur le fait de distraire Angel que je n'ai rien remarqué. Maintenant, j'ai peur. Affreusement peur. Une peur qui ronge mon estomac et le noue douloureusement.
Angel a quitté le petit hall d'entrée, je l'entends dans la cuisine en train de bavarder avec son père, d'après la voix plus grave. Les sons paraissent assourdies à mes oreilles, comme si j'étais spectatrice de ce qui se passait. On me menace. On me menace véritablement.
J'ai envie de courir m'enfouir sous une couverture, sauf que je frissonne trop pour me mouvoir correctement. Où est Elsa? Je ne perçois pas sa présence, je ne l'entends pas discuter avec les autres. tant mieux. C'est peut-être l'auteur de la missive. Mes doigts fourmillent, j'éprouve le besoin impérieux de déchirer le message en petits morceaux, en minuscules lambeaux d'ancre, seulement, il s'agit d'une preuve, ça a de l'importance, je ne peux pas en faire qu'à ma tête.
- Am? Tu es là? Je suis vraiment désolé de ce qui s'est passé, merci beaucoup de t'être occupée de la p.... Am, merde, que t'arrive-t-il?
En un instant, Noam traverse la pièce étroite et vide et me rejoint près des porte-manteaux. Il me dévisage anxieusement et ses cheveux châtains partent dans tous les sens comme si il n'avait pas cesser d'y passer la main depuis notre départ, à sa fille et à moi. Il croise mon regard embué et s'approche encore, de plus en plus soucieux. Je me refuse à pleurer de nouveau, même si sa gentillesse est vraiment très touchante.
- Elsa est sortie se changer les idées. J'ai donné un sandwich à Angel, elle déjeune. On peut parler. Qu'y a-t-il? On dirait que tu as vu un fantôme?
Sa voix prend des intonnations graves et sérieuses. Je me détends légèrement. Pour l'instant, je suis à l'abri. Pour l'instant, tout va bien. Pour l'instant, je suis en sécurité.
Je prends une profonde inspiration, fixant péniblement mon attention sur lui, sur ses prunelles à l'éclat améthyste si doux et si vif qui me rassure petit à petit.
- C'est Elsa qui a écrit ça? je m'enquis, le sang quittant complètement mon visage, tandis que je prends véritablement conscience de la gravité de mes paroles et de leur sens, presque dans un chuchotement.
La main frémissante, je tends la feuille froissée à Noam, peinant finalement à la lâcher pour lui la remettre. J'ai l'impression de sentir des milliers de regards posés sur moi à travers la fenêtre près de la porte. Je baisse précipitemment la tête pour cacher mes traits décomposés.
Il me prend rapidement la lettre. La parcoure des yeux à plusieurs reprises. Se raidit brutalement. Me considère avec un mélange d'horreur et d'incompréhension. Relit les quatre mots inscrits sur le message. Serre les mâchoires de rage.
Il finit par grogner, presque violemment:
- Elsa n'a pas fait ça, amaryllis. Je peux te le jurer.
***
Noam m'entraîne au salon sans accorder la moindre importancce à Angel qui nous appelle en nous entendant passer. Nous respirons fort tous les deux. Il paraît furieux, je le suis aussi. Je préfère largement ressentir de la colère plutôt que de la crainte. Je me réfugie dans mon ressentiment pour ignorer mon effroi croissant et effacer les quatre mots qui tournent en boucle dans mon esprit anesthésié.
Pourquoi s'acharne-t-il à défendre cette horrible femme? Il est clair que c'est elle l'auteur de la menace. Elle me déteste depuis le début, elle croit que je suis susceptible de lui voler son époux. Elle m'en veut à mort. Elle ne me supporte pas. Elle sait que j'avais des chances de trouver cette missive en ramenant Angel à la maison. Elle désire m'effrayer pour que je quitte leur foyer, son foyer. Noam en a conscience, j'en suis convaincue. Il ne parvient tout simplement pas à être objectif, c'est tout. L'injustice de cette situation saute à la figure, c'est flagrant, et cela m'exaspère au plus haut point.
Noam me pousse vers le canapé le plus proche et m'y fais assoir en douceur. Puis il prend place près de moi. Je croise les bras, il croise les chevilles. Je fronce les sourcils, il pince les lèvres. Nous sommes animés d'une tension semblable, d'une sourde nervosité teintée d'angoisse, qui nous ronge et nous mine. Que va-t-il pouvoir m'apprendre de plus? Comment vais-je réagir? Quels arguments va-t-il trouver, cette fois?
Du gris dans du violet, nos regards se nouent dans un élan physique irrésistible, notre lien ressurgit.
Il lâche la bombe.
- Elsa est bipolaire.
- Hein?
- Elle a des troubles de la personnalité bipolaire et borderline.
Je hoquette. Je suis sidérée. Je ne connais que ce que l'on dit de cette maladie, je croyais qu'il s'agissait d'un changement d'humeur perpétuel. Apparemment, ce n'est pas le cas. Je ne saisis pas qu'il vient de me confier la vérité. Tout à coup, en une seconde, alors que j'ai passé des nuits et des nuits à me le demander inlassablement.
- Elle est bipolaire. Ça signifie qu'elle alterne entre deux phases, la phase maniaque, d'enviroon trois mois. Elle fonde tout un tas de de projets complètement délirants. Elle se croit invinsible, elle hallucine et s'imagine un millions de scénarios improbables. Et puis il y a la phase dépressive. Tristesse, mal être, aucune confiance en elle, apathie ou colère immense. Ça, ça dure six mois. Elsa est malade, Am.
Il s'arrête pour s'éclaircir la gorge. Il refoule son émotion. Je garde le silence pour digérer toutes ces tristes informations. Tout devient limpide dans mon cerveau. J'ai peine à garder un semblant de sang-froid. Je m'en veux affreusement d'avoir été si dure avec elle, de lui en avoir tant voulu. J'aurais dû me montrer plus consciliante, plus tollérante, plus réfléchie. Je n'ai fait qu'envenimer les choses. Noam était pris entre deux feux durant tout ce temps, et se faisant, il n'a réussi qu'à accroître l'insécurité émotionnelle d'Elsa au lieu de la préserver davantage. Je suis donc fautive, mais il en paie le prix. De surcroît, Angel ne sait rien de tout cela et ne pourrait jamais comprendre le drame qui se joue sous ce toit.
- Elle n'est pas soignée? je m'insurge, perturbée.
- Elle est suivie par un thérapeute, Monsieur Meyer, tous les mardis et les jeudis après le cabinet d'avocat. Mais elle a arrêté de prendre son traitement de lithium depuis quinze jours. Elle dit que ça ne marche... pas.
Il semble anéanti. Je remarque qu'il a pâli et que ses joues sont creusées. Il a la bouche tombante, tordue. Il est malheureux. Il est attaché à sa conjointe, et le fait de savoir qu'elle dépérit le consume lui aussi, petit à petit. J'ai mal pour lui. Je n'ai jamais eu à faire face à ce genre de problèmes. Elsa doit se sentir tellement perdue... Elle est déjà à fleur de peau et doute de tout ce qui l'environne, et j'ajoute encore à ses tourments.
- Depuis quand?
- Un an. Elle est atteinte depuis plus longtemps, mais on a pu le diagnostiquer parce que sa mère l'était aussi. Elsa a du mal à rester sûre d'elle. Elle a peur de son ombre, elle n'a aucun contrôle sur elle-même, tout prend des proportions démesurées avec ses troubles.
- Je suis navrée. Je ne savais pas.
- Je sais.
Nous soupirons à l'unisson. Je me gratte la joue convulsivement, désemparée. Je n'ai aucune idée de la manière dont il faut agir à présent qu'il m'a informé. Pour me consoler, je me répète inlassablement ce mantra jusqu'à lui faire perdre la totalité de sa consistance: Heureusement qu'Angel n'est pas au courant...
Quelque chose bruisse entre les mains burinées de Noam. Je sursaute, tout à coup tirée de mon inertie. Il fusille la feuille de papier que l'on m'a laissé d'un œil noir. Je me souviens soudainement de la raison de cette conversation et retrouve brusquement un semblant d'aplomb. Je l'interroge, malgré la timidité qui me gagne à la perspective de pouvoir le blesser sans le faire exprès:
- Elsa ne serait-elle pas capable d'écrire ça?
Je désigne le message de l'index. Noam secoue ostensiblement la tête, convaincu de son fait. Il se lève et commence à faire les cents pas dans le salon, frottant frénétiquement son pantalon et le tablier qu'il n'a pas encore retiré, pour applatir les plis de l'étoffe. Sa poitrine se soulève sous l'effet de son souffle court, j'entends presque les rouages de son cerveau se mettre en marche. Il cherche à débusquer des arguments bien valables. Ses pommettes rougissent, sa concentration grandit. Il est persuadé de ce qu'il va me débiter. Je patiente gentiment, par égard pour sa sensibilité mise à rude épreuve aujourd'hui.
- Elsa est jalouse de toi. La maladie provoque son incertitude, ses doutes. Elle a peur de l'abandon plus que n'importe quoi d'autre. Elle n'a aucune violence en elle, ou alors elle est uniquement dirigée contre elle. elle ne ferait pas de mal à une mouche. Crois-moi. C'est ma plus vieille amie du plus loin que je m'en souvienne. Je l'adore et je la connais.
J'opine de nouveau. Je me rends compte qu'il a raison. Elsa nous haie en façade, s'abhore à l'intérieur. Elle souffre, et nous sommes l'expression vivante, l'incarnation même de ses inquiétudes les plus profondes. Je remarque aussi qu'il n'a pas du tout employer le verbe «aimer», même si je sens qu'il tient follement, inconditionnellement à elle. Je n'ai aucune idée de quoi songer de cet enchevêtrement d'allégations, mis à part que je suis probablement en danger.
- Elle n'aurait pas osé faire ça, Am. Je te le promets.
Je n'en suis nullement rassurée, au contraire. Si ce n'est pas Elsa, il s'agit de quelqu'un d'autre. Et je n'ai aucun moyen de ramener cet individu à la raison, s'il ne se trouve pas chez les Jefferson.
Sans lien direct avec mon cauchemar de la nuit dernière, celui-ci me revient en tête dans un flash étourdissant. Je me plie en deux, la nausée me submergeant. Je crois connaître l'identité de cet inconnu. À moins qu'il ne s'agisse seulement d'une plaisanterie de mauvais goût, mais j'en doute franchement, mon passif ne m'ayant pas aidé à me faire des amis de confiance, poussant plutôt les gens à se dresser sur ma route.
Collin me déteste. Il m'imagine coupable de la mort d'Eden. Il habite à un quart d'heure de mon domicile provisoire... Il n'a jamais été une très bonne fréquentation, c'est un goujat de première et il a des antécédents d'agressivité et d'impulsivité. Je ne peux pas le prendre à la légère.
Tu vas le payer... Tu vas le payer.... Tu vas le payer...
Nous demeurons apathiques un long moment, sans nous voir, plongés dans nos réflexions. Je suis certaine que le silence est le plus éloquents des discours, et Noam montre qu'il respecte mon choix de me taire en partageant mon mutisme momentané. Il se réinstalle, cette fois près de moi, et prend son menton en coupe dans ses mains, clairement méditatif, sûrement à mon image. Il doit être hébété par toutes ses révélations. Ce ne doit pas être facile d'aborder le sujet de la maladie de sa compagne psycologiquement parlant. Ce n'est simple pour personne.
Nous pourrions apporter cet indice à la police. C'est irréfutable, et cela permettrait de m'apaiser un tant soit peu, seulement, ce bout de papier n'est pas suffisant. On me renverra sûrement chez moi en me râbachant que je suis excessive et qu'il y a plus urgent que mon histoire de canulard dans l'immédiat. Je cogite intensément à une autre solution. En dépit du secours qu'aurait pu m'apporter mon père, je ne m'aventurai jamais plus à lui adresser un mot. Je ne peux compter que sur moi dans cette affaire. D'ailleurs, si j'avais un minimum d'altruisme en moi, je serais déjà loin d'Angel et de ses parents, pour leur éviter les conséquences de possibles représailles à mon encontre...
- Elsa t'a renvoyé, am. Murmure finalement mon patron après des minutes qui me paraissent avoir durer une éternité, réticent à ouvrir la bouche.
- Quoi? Je m'étrangle.
- Elle t'a renvoyé, tout à l'heure. répète-t-il sans faillir, mais je te réembauche.
- Quoi!
- Si quelqu'un te veut du mal, tu resteras ici. Je préfère te garder à l'abri. J'inventerai quelque chose pour Elsa.
- Pourquoi?
Il s'empourpre.
- C'est... C'est... Euh... C'est... juste... que je... Hum, je ne veux pas avoir un incident sur ma conscience. Voilà, c'est ça.
Je souris. C'est la première fois que Noam me ment intentionnellement. Je m'apprête à le gratifier de ma reconnaissance dans un interminable monologue, lorsqu'Angel accoure dans la pièce et bondit sur les genoux de son père.
- J'ai encore faim! lance-t-elle gaiement.
Nous éclatons d'un rire fébrile, un rire éteint, un rire tourmenté. On vient de me menacer. je ne suis plus en sécurité nulle part, visiblement. Elsa est bipolaire et je sors d'une tragédie particulièrement traumatisante. Noam est épuisé. Et Angel, elle, a encore faim?
Salut! Ça va aujourd'hui? Vous ne me dites jamais si vous allez bien, c'est important aussi pour moi de le savoir. Vous êtes des lectrices, mais avant tout des camarades et des amies. Bon, vous savez maintenant ce qu'a Elsa. J'ai des bases solides pour parler de la bipolarité, la sœur d'une de mes meilleures amies en est atteinte. D'ailleurs, si vous avez des questions, si ce n'est pas clair, n'hésitez pas. Mais je tenais à en parler dans ce travail que j'ai entrepris parce qu'il y a beaucoup de rumeurs fausses qui circulent là-dessus. Bon, sinon, ne vous en faites pas, ça va bientôt bouger. Je suis un peu malade, désolée si le chapitre vous semble un peu lourd. J'attends vos avis. Je vous dis à très vite. Kiss!!!!!!!!!
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top