Chapitre 15. Quatre mots



- Les femmes qui croient pouvoir me piquer mon mec, ça n'existe pas non plus. Répète dédaigneusement Elsa dans le silence froid qui s'installe.

Je frissonne devant son aplomb, son mépris apparent, et me retourne enfin, poussant d'un geste machinal la planche à découper couverte de tomates en cubes vers le centre de la table. Noam, dans le même temps, arrête la cuissson des spaghettis, de toute façon bien trop molles pour être mangeables, et pousse Angel vers la sortie de la cuisine. Elsa est appuyée contre le mur du fond, nous fusillant d'un regard meurtrier. Son teint est crayeux et fait ressortir la blondeur de ses longs cheveux brillants. Ses courbes généreuses sont mises en valeur par un top noir moulant et un jean trop serré. Elle est pieds nus, ce qui prouve qu'elle était dans la maison depuis le début, contrairement à ce que je croyais. Elle a pu tout aussi bien entendre tout ce qui s'est dit entre son mari et moi, et notre flirt n'a pas dû être très bien pris, à mon avis. Je me sens minuscule, un insecte que l'on est sur le point d'écraser sans aucun remord. Je me recroqueville sur moi-même et prie pour être épargnée, encore une fois. Noam ne va pas pouvoir me sauver de sa femme indéfiniment. La sensation de faim est peu à peu remplacée par une autre bien plus familière dans mon estomac. Celle de la frayeur.

Angel proteste quand son père, animé d'une grande détermination, la traîne en direction du salon.

- Va dans ta chambre! lui ordonne-t-il sèchement, et je vois les yeux de la petite se remplir de larmes.

Il n'a jamais été aussi dur avec elle, j'imagine. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Une minute plus tôt, nous concoctions une sauce tomate miracle. Je sens qu'elle est sur le point d'éclater en sanglots et de demander des explications à corps et à cris. Elsa ne supportera pas la crise, même si c'est son enfant. Du fait de sa maladie, bien entendu.

- Je ne veux pas. Pourquoi je ne peux pas rester avec vous pour faire les pasghettis? Je veux être avec maman et toi et puis Am. Gémit la fillette en se tortillant pour échapper à la poigne douce mais ferme de Noam.

Celui-ci fronce les sourcils, pince les lèvres et paraît chercher une idée pour se sortir de cette situation trop délicate.

- Je viendrai jouer avec toi tout à l'heure. Essaie-t-il pour l'amadouer.

Elsa les contemple fixement, comme si elle se retenait de rire, ou d'exploser, au choix. Je la déteste d'être si insensible, si détachée. Comment peut-elle demeurer tellement inerte. Je ne lis que du vide et de la rancœur dans ses prunelles. La haine la dévore, et un instant, je m'interroge. Contre qui est-elle véritablement dirigée, cette haine? Me détester après seulement une semaine passée en ma compagnie est improbable, n'est-ce pas? Même si son esprit est un peu détraqué, ce serait incroyable...

- Amaryllis, tu peux t'en occuper une minute. Me lance Noam en désespoir de cause. Tu auras une prime sur ton salaire, mais il faut que je parle à Elsa...

- Je suis là, mon chou! ironise l'intéressée.

C'est vrai que c'est mon jour de congé. C'est dur à se figurer. L'argent n'a aucune importance pour le moment. J'ai envie de refuser, je dois entendre ce qu'ils ont à se dire si cela me concerne, et d'ailleurs, ma curiosité est revenue me tarauder. Je prends conscience que je ne redoute plus Elsa, non, je désire la confrontation de toutes mes forces. mais le jeune homme m'implore de son regard violet saisissant, et j'accède à sa requête en un quart de secondes. Je me précipite vers la petite plaintive, et la prend contre moi sans tenir compte de ses récriminations outrées.

- Am, repose-moi! Pourquoi je peux pas être en train de rester avec vous, maman?

Je m'éloigne vers le vestibule en la berçant contre moi pour l'apaiser. Sa perplexité se change en doutes puis en peur, elle se raidit et sa lèvre inférieure tremble. Le premier cri d'Elsa retentit à mes oreilles, et je plaque mes mains sur celles d'Angel pour la préserver:

- J'en étais sûre! On va la virer sur le champ, celle là! Tu me trompes avec cette salope?

***

Dehors, il fait très beau. C'est surprenant pour un mois d'octobre, toutefois, je ne m'en étonne que très brièvement. Je claque la porte de la maison derrière moi, descends les marches du perron, et enfin, enfin, je ne perçois plus les hurlements stridents d'Elsa, devenue furieuse si brusquement que cela en deviendrait inquiétant si je ne savais pas qu'elle avait un problème d'ordre médical. Je n'ai même pas pris la peine de lacer mes chaussures. Je trébuche un peu, mais garde mon équilibre.

Je n'ose pas reposer Angel par terre de crainte qu'elle ne retourne à l'intérieur. Je préfère laisser le temps à Noam de calmer sa compagne.

Le ciel est d'un bleu céruléen, et la chaleur du soleil est agréable sur ma peau. Des mèches de cheveux se sont détachés de mon chignon fait à la va-vite, je ne prends pas la peine de les replacer derrière mes oreilles et continue de marcher dans le petit quartier résidentiel. Deux vieilles dames passent devant nous, une voiture démarre, un chien aboit dans le lointain. Tout est tranquille autour de nous, en contradiction absolue avec l'atmosphère lourde que nous venons de quitter. Angel reniffle, retenant toujours ses pleurs. Je suis si lasse, tout à coup. Je m'assois sur une murette et repense à mon arrivée ici. C'est si distant, dans mon esprit. On dirait que j'ai passé des années avec les Jefferson, alors que cela ne fait que cinq jours et demi. C'est fou. J'ai l'impression de les connaître mieux que ma propre famille, même si j'ignore leurs vrais secrets. J'ai besoin de protéger Angel, alors que je ne savais rien d'elle la semaine dernière. D'ailleurs, j'étais bien en peine de savoir quoique ce soit, à cette époque, abrutie de douleur comme je l'étais.

Je caresse les boucles de la petite blottie sur mes genoux pour émerger complètement de mes propres pensées et lui souris tendrement.

- Et si on faisait un jeu, sweetheart? Je propose, avec le maigre espoir qu'elle réagisse.

Cela fonctionne. Elle lève le menton, les cils humides.

- Quoi comme jeu? s'enquit-elle de son timbre fluet.

- Tu ne dois dire que la vérité, d'accord? C'est le jeu des filles sincères.

Je suis minable. Je suis pathétique, même. Je n'ai rien trouvé de mieux pour la distraire? Noam devrait me renvoyer immédiatement, non pas à cause de notre attirance mutuelle mais bien du fait de mon manque d'esprit d'initiative certain. Je ne fais preuve d'aucune imagination, pour le coup. Il serait déçu. En parlant de lui...

- Tiens, ma première question, c'est... Qu'est-ce que tu préfères chez ton papa?

S'exprimer à propos de l'homme qu'elle adore le plus au monde lui changera certainement les idées. Et à moi aussi, même si je refuse de me l'avouer complètement. Elle plisse son petit front et me dévisage sans masquer son intérêt. Cela pourrait me flatter si seulement elle était un peu plus âgée et ne me portait pas tant d'affection. Son amour brouille sa logique. Sinon, elle m'aurait déjà traité d'idiote et m'aurait intimé de la ramener chez elle. La maison est au bout de la rue, à juste une trentaine de mètres... Je pourrais m'y ruer en exigeant des...

Je me concentre sur elle. Elle a déjà oublié la dispute de ses parents, en tout cas, elle est toute entière attentive à mon badinage. Les enfants sont si volage, si inconstants à cinq ans. Et c'est une chance!

- Ce que je préfère?

- Oui, ce que tu aimes qu'il te dise, qu'il fasse.

Elle y songe intensément. Je me demande quant à moi ce qui se passe entre Noam et Elsa. Si Angel n'était pas dans mes bras, je serai déjà de retour. Mais je me souviens de la suplique de Noam, de son désaroi, et je refoule mon angoisse et toutes mes questions. Je suis censée me rendre utile.

- Ça compte si je dis ses pasghettis? s'inquiète-elle.

J'éclate de rire. Un rire un peu hystérique, un rire trop sonore, mais un rire tout de même. Malgré tout ce qui s'est passé en l'espace de quelques minutes, elle n'a rien perdu de son sens de l'humour si juvénile. C'est adorable. Je me décontracte et la fais sauter sur mes genoux en gloussant de plus belle.

- Spaghettis, trésor! Oui, little bird. Tu gagnes la partie avec ça.

Elle affiche une expression enchantée. Je m'efforce de l'immiter.

- Comment ça se fait que j'ai gagné? s'indigne-t-elle après un temps de réflexion.

- Eh bien, tu as répondu la vérité, tu as gagné, c'est tout.

- Je n'ai pas gagné, puisque t'as pas joué.

Si elle cessait d'être aussi fûtée, cela m'arrangerait. Ma tâche est déjà suffisamment complexe ainsi, si elle commence à comprendre que je lui raconte n'importe quoi pour l'occuper et la tenir à distance, elle risque de paniquer de nouveau. Je me gratte la gorge, embarrassée, et détourne le visage pour éviter qu'elle remarque mon rougissement subit. Pourquoi n'ai-je pas trouvé une autre idée d'amusement?

- Alors, Se renseigne-t-elle, inquisitrice. Qu'est-ce que tu préfères chez mon papa?

Sa robe blanche scintille sous la lumière du jour. Je remarque qu'elle est pieds nus, et je me félicite que la température soit si clémente aujourd'hui.

Puis je saisis le sens de sa question et étouffe une exclamation de honte. La situation se retourne clairement à mon désavantage. J'hésite à répliquer. La mine appliquée et empreinte de confiance qu'elle me renvoie me convaint d'être totalement sincère. De toute façon, elle oubliera ce que je lui dirai dans dix minutes. Pas vrai?

Que dois-je dire? Que puis-je dire? Qu'est-ce qui me plaît honnêtement et le plus chez Noam?

- C'est lui que je préfère. Tout entier. Je préfère tout de lui. Je murmure, et je n'ai jamais été aussi franche de toute ma vie.

Angel hoche la tête, très sérieusement. Je me relève, je crois que nous avons assez tardé. Si je ne rentrai pas à temps, Elsa serait capable de piquer une nouvelle colère... De plus, les passants commencent à nous prêter un semblant d'attention, et je ne le souhaite en aucun cas. On pourrait me reconnaître, même si je suis issue de la ville voisine. Le risque serait bien trop gros.

Angel baille et s'accroche à mon cou, en soufflant solennellement à mon oreille:

- C'est toi qui a gagné, Am!

***

Nous faisons le chemin inverse jusqu'à notre point de départ en chantonnant le générique d'un dessin animé qu'elle affectionne tout particulièrement. Je la porte toujours, mais elle commence à me peser, même si elle est plus légère que la plupart des enfants de son âge, à ce que je sache. Parvenues devant les marches blanches du perron, Angel désigne soudain un objet en relief posé sur la première marche. Elle a l'œil affûté et ne cesse de tout jauger en s'enthousiasmant sans cesse. Ce qu'elle a remarqué,en l'occurence, est une feuille de papier pliée en quatre. Je la scrute un moment. Pour qui est cette missive? Pourquoi l'a-t-on déposé là? Ce n'est pas très approprié. Après tout, peut-être que c'est le moyen de communication le plus courant dans les environs. Qu'en sais-je? Mon devoir est d'apporter cette lettre à ses destinataires, si jamais il s'agit bien de Noam et d'Elsa. Je n'ai pas à me poser de questions.

Tenant la petite fille d'un bras, je me penche pour ramasser le papier. Les coutures de mon jean se tendent et mes muscles protestent, je suis visiblement toute rouillée et je n'ai pas dû prendre la bonne taille de vêtements. J'ai les cheveux dans les yeux. Je grogne entre mes mâchoires de façon peu féminine. Cette journée n'est décidément pas très bonne. Je tends la main pour attraper le précieux sésame et manque de lâcher Angel dans la manœuvre.

Elle plante ses doigts dans la chair de mon cou à travers le tissu de mon pull gris en criant et je me redresse en vitesse en laissant échapper un nouveau juron frustré. Alors que je m'apprête à rejoindre la porte d'entrée, je distingue mon prénom inscrit dans une écriture brouillonne, du coin de l'oeil. Je me fige.

- Qu'est-ce qu'il y a? s'impatiente Angel en gigottant pour que je la libère.

Je ne lui prête pas la moindre attention. Je sens qu'on m'observe, pour éviter les possibles questions des badauds et comme une automate, je me précipite à l'intérieur de la maison. Je n'ai même pas pris le temps de verruiller la porte à clé dans notre précipitation à tous. Je dépose alors l'enfant à terre et en reculant vers le mur le plus proche, je déplie le bout de papier froissé.

Quatre mots y sont écrits, douze symboles, douze lettres capitales et cinq syllabes, noir sur blanc.

Une seule menace.

Mon sang se glace. Un frisson parcoure mon échine. Mon cœur rate un battement. Ma respiration se fait laborieuse. Je ne peux détacher mon regard horrifié de la feuille abîmée.

«TU VAS LE PAYER...»







* Hey les filles! Comment ça va? Vous avez passé un bon week-end? Alors, que pensez-vous de ce chapitre? Qui a osé menacer notre pauvre petite Am, si douce et si gentille? Elsa? Peut-être... Ou pas... Après tout, on ne connaît rien de sa vie, pas vrai?

Merci infiniment de votre lecture. On a dépassé la moitié de l'histoire. Diaryshortstories, Danse-et-foot, danseuse-ecrivaine, sky-skittles, une-plume-à-la-main, Ellyneains, AnaMelody2107, Dinamy-26, vous êtes là depuis le début. Pas nombreuses mais là, et donc, de ce fait, vous êtes les plus belles des lectrices. Je vous dois tout sur cette histoire, c'est grâce à vous et à d'autres bien sûr, que j'oublie probablement, étourdie va, que j'écris encore ...

Bon... Je ne veux pas de compliments aujourd'hui, que de l'objectivité et des commentaires constructifs. Oui, oui, des commentaires. Je suis exigeante? Ah, peut-être, mes chéris, mais je passe plusieurs heures sur chaque chapitre, et j'adore qu'on me donne son avis sincèrement. La suite arrive dans trois à cinq jours, en fonction de mon temps libre. Je deviens trop bavarde, là! Bon... Dans le prochain épisode... hum... noam se confiera enfin à sa nouvelle amie. Je vous fais plein plein plein de gros bisous et vous redis merci, merci et... quoi? Ah, je sais! merciiiiiiiiiiiiii! *

Bonne nuit! Et bon courage pour le lundi qui arrive ! Personne n'aime retourner en cours !

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