Chapitre 13. Espionnage
Je suis sur la première marche de l'escalier lorsque je perçois le grincement de la porte de la chambre parentale qui s'ouvre sur ma gauche. Je distingue que la lumière est toujours allumée dans la cuisine, ce n'est donc pas Noam qui retourne se coucher. Nous avons réveillé Elsa.
Mon souffle se bloque, mon cœur s'arrête une seconde, avant de repartir de plus belle. J'ai peur. J'angoisse. En vérité, je suis terrorisée, horrifiée. A-t-elle perçu notre échange, dépourvu de la moindre note de professionalisme? Nous n'avons pas été aussi discrets que nous le pensions. Une minute plus tard, et elle nous prenait la main dans le sac tous les deux...
Je reviens sur le sol et je me recroqueville contre le mur dur et froid, me faisant la plus petite possible. L'obscurité du couloir me dissimule parfaitement, car la silhouette de la grande jeune femme passe devant moi sans m'accorder un seul regard, ce qui prouve qu'elle n'a pas conscience de ma présence à un mètre seulement. Mon soulagement est de courte durée. Si elle nous a entendu discuter, elle ne tardera pas à me congédier sans cérémonies, même si je ne suis pas là où elle s'attend à me trouver.
J'imagine la déception d'Angel en apprenant mon renvoi, à qui j'ai promis de rester un certain temps. Je songe aussi à la réaction de Noam. S'opposera-t-il à sa conjointe ou me laissera-t-il redevenir une sans abri sans sciller? Il a prétendu être mon ami, il aurait tout intérêt à me défendre, par conséquent. Seulement, il est en tort également. Il n'aurait jamais dû essayer de me consoler. Je ferme les paupières et prie pour que la blonde rigide vienne d'émerger du sommeil. Je pourrais courir me réfugier dans mon lit et faire semblant de dormir, mais je suis trop épouvantée pour bouger, et je crains de faire craquer une marche de l'escalier dans ma précipitation. Tout ira bien, disait Noam.... Je crois qu'il s'est trompé...
- Pourquoi tu es debout?
C'est la voix d'Elsa, intransigeante, glacée, accusatrice. Elle est parvenue dans la cuisine. Peut-être qu'elle est installée sur la chaise que j'occupais à l'instant. Peut-être qu'elle hume mon parfum dans la pièce, qu'elle sent la chaleur corporelle dont mon siège s'est imprégné. Peut-être qu'elle inspecte la moindre surface du sol pour y déceller un cheveu tombé à mon insue. Cela ne m'étonnerait pas.
Je deviens peut-être paranoïaque, mais comment faire autrement? Je ne veux pas retourner dans la rue. Je ferai n'importe quoi...
Je sais que Noam ne me dénoncera pas. Il cherche à la préserver depuis le début, c'est évident, et il a appris à garder un visage impassible quand c'est nécessaire. Il va devoir mentir. Je lui envoie tous mes encouragements par la pensée et m'applatis encore un peu plus dans l'ombre. Mon lit me manque, tout à coup. Et j'ai une brusque envie d'aller au petit coin. J'ai toujours détesté cache-cache. Je constate que j'ai déjà en partie oublié mon cauchemar, dissipé par les brumes âcres de mon anxiété grandissante.
- Je pourrais te retourner la question. réplique Noam d'un ton très calme, le ton qu'il adopte lorsqu'il s'empêche d'être spontané.
Je respire plus librement. Il se débrouille bien, même si rien n'est joué. La meilleure défense n'est-elle pas l'attaque? Son timbre ne trahit rien de suspect.
- J'ai entendu du bruit. murmure la jeune femme, toujours aussi suspicieuse.
- Tu as dû rêvé.
- Je ne suis pas folle, Noam. Tu crois que j'ahallucine, ou quoi?
Elle est bruyante, au contraire de Noam, je n'ai aucune difficulté à comprendre le moindre de ses mots. Je me tends de nouveau. Elle est facilement irritable, je le savais déjà, mais c'est parfois si impromptu, si vif, que je me surprends à croire qu'elle est malade.
- Ce n'est pas ce que j'ai dit. reprend Noam en chuchotant, sans laisser transparaître une quelconque émotion.
J'aurais tendance à m'imaginer que c'est un acteur. À sa place, je me serai mise à haletter, à transpirer, et j'aurais tout avoué en trop peu de temps. Je remercie le destin de nous protéger ainsi. Elle ne doit rien apprendre de notre conversation, jamais. C'est vital pour moi. Pour lui aussi, sûrement, car cela serait susceptible de détruire leur couple. Mais y tient-il autant qu'il veut me le faire penser?
- J'ai des problèmes, mais je ne suis pas sourde. s'indigne Elsa, de plus en plus violemment.
- Je lisais simplement à voix haute. prétexte mon employeur, et j'entends un bruissement de feuilles que l'on parcoure.
Je ne devrais pas être là. Je suis en train de les espionner sans aucune vergogne. J'enchaîne les erreurs, sauf que je n'arrive pas à partir, en trouvant sans cesse des excuses à mon attitude indiscrète. Je suis bien trop curieuse, cela me causera préjudice un jour. Ça a d'ailleurs déjà été le cas, pas plus tard qu'hier après-midi, dans le bureau de Noam. Je ne tire aucun enseignement de mes bêtises, c'est visiblement mon plus gros défaut.
Elsa s'insurge, en feuilletant les documents qui étaient posés sur la table avec force soupirs et grognements, entrecoupés de froissements de papier:
- Qu'est-ce que c'est que ça? Tu te renseignes sur... sur les gens comme moi, c'est ça?
- C'est pour en apprendre davantage. C'est pour t'aider, Els...
- Tu te renseignes sur ma maladie en pleine nuit. Si c'était aussi admirable que tu le dis, tu ne te cacherai pas. Comment as-tu osé? Tu disais que... que tu t'en fichais....
Noam a perdu son indifférence feinte et polissée. Il semble désemparé, tout à coup. Il a dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Je m'en veux soudain. C'est entre eux que tout se joue désormais, je n'ai plus ma place dans ce corridor gelé. D'ailleurs, ils se disputent si fort maintenant que je pourrais passer inaperçue même si je sautais sur l'escalier en chantant à tue-tête. Pourtant, je demeure immobile et muette. Je veux savoir ce qu'Elsa essaie d'occulter: c'est devenu impérieux dans mon esprit.
- Je veux juste en apprendre un peu plus, je te jure.
- C'est mon psy qui t'a dit de faire ça?
- Monsieur Meyer n'y est pour rien. C'est de mon initiative. Les troubles de la perso...
- Tais-toi. Ne prononce pas le nom de cette horreur. Tu cherches juste une excuse pour me quitter, n'est-ce pas?
Elsa hoquette et un bruit de verre brisé retentit. Elle paraît hors d'elle.
Le silence, puis:
- On se connaît depuis l'enfance. Je ne t'abandonnerai pas, ma puce. souffle Noam, paternaliste.
Ma poitrine est opressée. Cela explique son dévouement aveugle, si ils se fréquentent depuis tous petits. Quelque chose se brise en moi. De l'espoir, ou une chose de plus essentiel encore. De la foi.
- On va s'en sortir! Pour le meilleur et pour le pire. renchérit-il, sarcastique sur les bords.
J'en ai assez. Je me décolle lentement de la cloison sur laquelle je m'appuyai et me dirige vers l'escalier, sans daigner accorder d'importance à mon sentiment de déception croissant, un sentiment inexplicable, injustifiable, idiot. Il faut que je me reprenne. Cela ne fait que quatre jours et demi, bon sang. Je deviens folle, ma parole. Et je n'ai même plus le droit de juger Elsa, si elle est atteinte d'un souci de santé véritable. La culpabilité, mêlée à la tristesse, me rongent, me minent et me font chanceler quand je monte sur la première marche sans provoquer le moindre craquement.
- Il faut que tu la renvoies. déclare brusquement Elsa, et je me fige une fois encore.
C'est de moi qu'il s'agit, à présent. Mon avenir est en train de se décider en bas, dans mon dos. Je m'interroge: que va rétorquer Noam? Va-t-il s'accorder avec son épouse? Pour le meilleur et pour le pire, comme il dit... Et pourquoi Elsa me voue-t-elle tant d'acrimonie?
- Non.
- Non?
- Non. On va se coucher, Elsa, il est tard.
- Pourquoi non?
- On a besoin d'elle.
- Tu veux dire, Angel a besoin d'elle, pas vrai?
- On a besoin d'elle, c'est tout.
- On?
- On.
Ils se lèvent, leurs chaises crissent sur le sol. Je me rue à l'étage. Je digère peu à peu la nouvelle, je vais rester. Grâce à lui. Une fois de plus. Parce qu'il... qu'il... Qu'on...
- Oh, Noam.... je gémis, et je m'engouffre dans ma chambre sans plus un mot.
Lorsque je regagne mon lit, j'y découvre une petite silhouette allongée. Angel est couchée sur mon matelas, entièrement recouverte des couvertures. Elle a la respiration hâchée et frissonne.
- Little bird? Je l'appelle.
La lune a totalement émergé de derrière les nuages, illuminant les traits décomposés de la petite d'un halo fantômatique. Je m'assois près d'elle, tentant d'oublier ce que j'ai épié de ma cachette.
- Maman et papa, ils ne s'aiment plus? bredouille-t-elle d'une toute petite voix.
J'ai la gorge nouée, comme à chaque fois qu'elle est blessée.
- Mais si, honey.
- Je peux dormir avec toi?
- Oui, honey.
J'accepte sans plus réfléchir. Je gamberge trop, voilà ce qui a causé tous mes problèmes depuis le début. Je lui dois bien cela, après ce que j'ai fait un peu plus tôt à ses parents. Je serais une très bonne espionne, malgré tout. Non?
Je m'installe à ses côtés, nous borde soigneusement et la prends dans mes bras avec un naturel déconcertant. C'est comme si je l'avais toujours connu, comme si elle faisait partie de mon quotidien depuis déjà des années. Elle est si attachante. J'ai l'impression qu'elle est devenue, petit à petit, comme une petite sœur pour moi.
- Tout ira bien. Je lui susurre en reprenant l'expression de son père.
Elle se détend contre moi. Je me détends contre elle. Nous nous détendons grâce à cette formule magique. Grâce au magicien qui les a prononcé initialement. Grâce à mon... ami.
Angel sait-elle à quel point sa mère est instablle psycologiquement? À quel point son père est partagé émotionnellement, entre sa loyauté et son bonheur?
À quel point je suis instable et partagée, moi-même?
L'incompréhension se fond avec l'affection naissante en moi. Je souris de confusion dans le noir.
Je n'ai pas fini d'être surprise, avec les Jefferson.
Peut-être même ont-ils davantage de secrets encore que moi?
(Salut les filles! Comment ça va? Pour celles qui ont repris les cours, toute ma sympathie vous est offerte, je comprends ce que vous devez ressentir. Et la prochaine fois que ma mère dit que l'année ça passe vite, je commets un meurtre! Sinon, qu'est-ce que vous pensez de ce chapitre? Avez-vous deviné le problème d'Elsa? Faites-moi part de vos hypothèses, de vos avis. J'aimerais aussi connaître ce qui vous dérange, ce qui ne vous plaît pas, s'il vous plaît. Le prochain chapitre dans quelques jours, comme d'habitude, et cette fois, place aux sourires et à la complicité. Merci de votre lecture. Oh fait, j'espère que ma nouvelle couverture vous plaît, merci à l'inventivité de Ly-zee, qui m'a rendu un fier service! Bon, je vous laisse, sur ce! Je vous fais des bisous!)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top