Chapitre 1. SDf

La voiture de Collin est stationnée à l'entrée de l'hôpital. Je l'ai prévenu de ma sortie par téléphone il y a quelques heures, alors je ne marque pas de réelle surprise en l'apercevant. Bien qu'il aurait pu refuser, après ce qui s'est passé, mais je me doute qu'il a besoin de discuter.

J'ouvre la portière d'un geste brusque, froisse l'autorisation de sortie signée par mon médecin dans mon poing serré et m'installe à la place du passager, ruisselante de sueur et d'angoisse, sans le regarder. Le sol moquetté de sa vieille CLIO bleue est jonchée de détritus en tout genre, pâquets de chips vides, cannettes, mouchoirs usagés et j'en passe.

Il démarre dès que je suis assise, sans attendre que j'ai mis ma ceinture. Je m'autorise un soupir. Mon cœur pulse douloureusement. C'était prévisible. Je savais qu'il avait pris sa décision avant même l'incident. Il n'aurait pas pu assumer les responsabilités qui en auraient découlé si tout s'était bien déroulé. À en juger par l'état de son véhicule, il n'est même pas capable de s'occuper de son hygiène personnelle... Et pourtant, pourtant, j'ai réussi à coexister avec lui neuf mois de suite.

Je me suis toujours répétée qu'il avait dû avoir pitié en apprenant la nouvelle. J'étais sans domicile fixe, il m'aimait bien, tout s'enchaînait trop vite. Il avait accepté de m'héberger dans son vieux studio crasseux, malgré ses réticences. Et puis après tout, tout était de sa faute. J'étais certaine qu'après ce qui s'était produit deux semaines auparavant, ç'en était fini de notre arrangement sommaire.

Plus de canapé lit pour moi, même si je gardais l'espoir infime qu'il change d'avis. Après tout, j'étais dans un état lamentable. Mes cheveux étaient en bataille et trop gras, mes yeux enfoncés dans leurs orbites et affreusement cernés, mon teint blême, mes vêtements froissés... J'avais d'ailleurs eu bien du mal à convaincre les docteurs de ma capacité à m'en sortir hors de leur service hospitalier.

Nous roulons en silence. La route est quasiment déserte. Il est presque dix-neuf heures, d'après le tableau de bord, le ciel se teinte des lueurs vespérales du crépuscule à travers la vitre, que je contemple fixement pour éviter de le voir.

Toutefois, j'y suis contrainte, lorsque je remarque, au bout d'une demi-heure de trajet, que nous nous dirigeons vers une destination qui m'est tout à fait étrangère.

- Où tu m'emmènes? je me résigne à lui demander, et ma gorge est si parcheminée que ma voix  est rendue basse et éraillée comme celle d'une mourante.

La mourante que je suis, à l'intérieur, au fond de moi. Car la lumière de mon âme s'est éteinte, nous en avons tous deux pertinemment conscience.

Je me tourne finalement dans sa direction, dans l'attente d'une information qui tarde à venir. Son profil m'est familier. Sa mâchoire carrée, ses yeux bruns, ses cheveux noirs, son t-shirt moulant et son jean élimé. Ses mains sont si crispées sur le volant que je songe un instant aux sentiments qu'il doit éprouver. Ressent-il la même sensation de vide que la mienne? Je ne crois pas, toutefois, je ne m'aventure pas à discerner ce qui est caché au fond de ses prunelles et m'impatiente.

- Collin!

- Nulle part! Je conduis, le temps que tu décides où tu veux aller pour que je t'y amène! rétorque-t-il avec une brutalité indéniable.

Je me pétrifie sur mon siège, mais je m'interdis de lui montrer à quel point sa tirade m'a blessée.

- Où veux-tu que j'aille? Je vivais chez toi, aux dernières nouvelles.

- Ce n'est plus le cas.

Ses sourcils se froncent, son front se plisse, sa bouche esquisse un rictus froid. Son ton est dépourvu de la moindre aménité. Il ne compte pas m'épargner, malgré le drame.

- Ce n'est pas de ma faute! je m'exclame, alors que ma poitrine se noue et que les larmes me montent irrépressiblement aux yeux.

J'ai toujours été trop sensible, et je pleure dès que quelque chose ne se passe pas comme je l'escomptai. Mon père me le reprochait souvent, quand je vivais encore sous son toit. C'était même une source constante de discorde entre nous. Ma mère portait un regard similaire sur la question et j'étais régulièrement traitée de faible. Une bouffée de haine remonte en moi à l'évocation de ces souvenirs, et je m'empresse de respirer profondément avant d'empirer mon état.

- Je suis en convalescence, Collin! je reprends plus calmement, tentant de tempérer mes ardeurs. Il est clair que c'est terminé entre toi et moi, mais laisse-moi quelques jours...

- Quand tu es sortie, tu savais que je ne m'occuperai pas de toi, Lys! me coupe-t-il violemment.

Ses pommettes s'empourprent. Sans doute sous l'effet de l'embarras, car il a malencontreusement utilisé mon surnom d'autrefois. Je suis partagée entre l'envie impérieuse de le frapper et le désir tout aussi vif et péremptoire de sauter de la voiture en marche et de m'enfuir en courant. Je voudrais aussi disparaître. Comment peut-il être aussi monstrueux.

- C'était le tien aussi. je murmure, en dernier recours.

Le rappel de ce que nous partagions déclenche mes frissons. Je m'accroche à la part de moi qui me souffle de le persuader. Je dois le convaincre. Où irais-je, si, le cas échéant, il refusait de me laisser reprendre ma place chez lui. Après tout, je lui étais bien utile. Je faisais le ménage, la cuisine, et toutes les tâches qu'il s'estimait indigne d'accomplir. Même lorsque ma santé aurait pu être impactée par  mes efforts, je n'avais pas pour autant cessé de l'aider. Je me sentais coupable de tout ce qui était survenu.  Il n'était ni charmant, ni romantique, mais j'étais bien forcée de rester avec lui. Premièrement, pour une raison évidente dont je répugnai à me rappeler si tôt.  Mais aussi pour le logement qu'il me fournissait, ainsi que la nourriture, l'eau courante, et bien entendu, également, le contact humain, qui m'était indispensable après mon expulsion de la demeure familiale. Je n'avais pas d'amis, car la rumeur s'était rapidement répandue au lycée, et personne ne voulait m'adresser la parole après ça. C'était honteux, absolument horrifiant, à mon âge. De plus, j'avais quitté l'école alors que je n'avais que dix-sept ans... Les conversations à mon sujet allaient bon train. Et l'annonce de mon emménagement chez mon voyou de petit ami providentiel n'avait pas non plus tardé à se répandre dans les environs. J'étais pathétique. L'homme qui me servait de copain était pathétique.
Il faisait de la boxe, avait des cicatrices, fumait et travaillait comme vigile dans une boîte de nuit malfammée, cela faisait donc de lui un dangereux personnage que j'avais tort de fréquenter. Mes parents niaient quasiment de m'avoir conçu. Et lui m'avait accueilli, sans que je n'ai jamais, jamais compris la raison de cet acte si charitable, si contraire à ses habitudes.

- Où je te dépose, Lys? m'interroge-t-il, me renvoyant à la réalité, et ignorant soigneusement mes arguments pour le ramener à la raison.

La fatigue s'abat sur moi comme une chappe de plomb. Mes épaules s'affaissent, mon dos se voûte. Je suis lasse et harassée.

- Pourquoi? je m'enquis, souhaitant savoir, bien que j'ai compris qu'il était vain de l'implorer.

- Tu ne me sers à rien. Je n'aime pas avoir un colocataire, tu es devenue un poids lourd plus qu'autre chose, et...
Il ravale un hoquet:
- et  tu l'as tué.

J'acquiesse. C'est faux, la psychologue qu'on m'a assigné À la clinique ces derniers jours e l'a suffisamment répété, mais je n'ai pas la force de le contredire. Je ne veux pas me défendre. À quoi cela servirait-il? Nous passons devant la devanture illuminée d'une pharmacie, d'un Fast-food,  puis d'un cinéma.

- Abandonne-moi là, si c'est ce que tu souhaites... je chuchote, et je me mets à pleurer sans bruits.

Il ralentit, mais ne stoppe pas le moteur. Je sens confusément qu'il a hâte de se débarrasser de moi, son ex-amante folle et émotive. Il ne marque aucune hésitation, aucun signe de remords. Il est glacé. Il a dû venir me chercher pour soulager sa conscience. Je me rappelle que mes affaires sont restées chez nous, chez lui, tout du moins, mais je refuse d'aller les récupérer. Ce serait inutile, futile, car à quoi me servirait une valise dans ces conditions J'ai tout perdu, désormais. Ma poitrine me lancine, et je sens poindre une migraine.

Je m'apprête à le remercier pour les mois passés auprès de lui, néanmoins, je me ravise au dernier moment. D'abord, je ne veux pas qu'il constate ma peine, et en second lieu, je ne lui dois rien. Il n'a accompli que son devoir de compagnon.

- À plus! lance-t-il simplement, et il se penche pour ouvrir ma portière, son parfum d'alcool et de savon me brûlant le nez.
Et tandis qu'il se baisse  encore, il dépose, à mon grand désaroi un petit baiser sur ma joue.
- C'était cool.

Quel beau goujat.
Je n'ai plus rien à faire ici. Je m'extirpe maladroitement de la CLIO, qui s'écarte en trombe et disparaît bientôt de mon champ de vision. C'est fini. Rien de plus qu'un aurevoir. Neuf mois ensemble, pour que cela s'achève ainsi. C'est malheureux, mais je ne nourris pas vraiment d'étonnement à la considération de ce dénouement.

Je reste immobile sur le trottoir, seule, sous le dôme scintillant de la voie lactée au-dessus de ma tête. Que suis-je censée faire, à présent? Je n'ai aucun endroit  où aller, ma famille ne veut pas de moi, je ne connais personne, et le seul être vivant  sur lequel j'ai pu compter depuis que tout a basculé vient  de rompre avec moi. Je pourrais retourner aux urgences, où je séjournais, mais à quoi bon? Je n'y résiderai pas indéfiniment. Je ferai mieux de me chercher un abri pour la nuit.

Cependant, je ne fais rien. À quoi bon? Qu'importe, de toute façon. Plus rien ne me pousse en avant.
L'enseigne éclairée du cinéma devant lequel je demeure inerte ne m'inspire pas d'intérêt. J'adorai m'y rendre, jadis.

Moi, Amaryllis Dauclair, tout juste 18 ans,  je suis maintenant à la rue. Où sont donc les chevaliers servants lorsqu'on a réellement besoin d'eux?    

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