Dessine-moi

La guerre prit fin. Sakura abandonna trois corps derrière elle parmi des milliers d'autres. Les larmes gouttaient sur ces joues poussiéreuses. Ses épaules portaient le poids de centaines de derniers mots entendus seulement par elle. La ninja se regardait dans l'eau et elle ne reconnaissait pas le visage reflété. Elle aurait aimé pouvoir dire que la guerre ne l'avait pas tant influencée. Pourtant, les cernes grugeant ses joues témoignaient du contraire.

Ino se jetta dans les bras de sa mère, la tristesse de la perte d'Inoichi peinturée sur leur visage. Les cris excités d'Hanabi remplirent l'air pesant. Les yeux émeraudes ne parcoururent pas la foule en recherche d'une tignasse rose et d'une blonde. Personne ne courerait dans ses bras pour l'accueillir. Seulement deux tombes l'attendaient, bientôt trois autres s'y ajouteraient.

Sakura passa une boutique. L'odeur de ramens décora l'air de sa lourdeur. Le cœur de la kunoichi se pinça, fort. Sa respiration se coupa sous l'effet de la douleur. Chaque pulsation remplissait sa vision de points noirs. La médecin en elle ne s'effraya pas. Elle avait lu sur ces ninjas qui perdaient tout à la guerre.

L'uniforme de Sakura était saturée de sang. Son ennemi lança un kunaï. La chair de la ninja s'ouvrit, laissant goutter le fluide carmin paresseusement au sol. Un assaut d'endorphine s'abatit sur le corps de la fille. Ses muscles se détendirent. Elle sourit et c'en était fini.

Tsunade la regardait fouiller mission après mission. La blonde n'était pas dupe. Elle voyait la frénétique avec laquelle les mains s'agitaient. La Senju se mordit la langue.

La pluie crachait sur son visage. Ses jambes tapaient doucement sur la terre mouillée. Le gazon avait été depuis longtemps déraciné. Peu à peu, ses talons s'enfoncaient dans cette boue. Elle espérait que bientôt elle creuserait assez pour rejoindre ses anciens coéquipiers.

Des yeux noirs l'observaient de loin. L'encre décorait ses phalanges. Le papier se remplissait peu à peu des larmes d'un dieu auquel il ne croyait pas. Son cœur battait douloureusement, mais ses doigts dessinaient la fille avec une grâce apeurée. Tôt ou tard, elle finirait six pieds sous terre. Il ne voulait pas l'oublier quand son esprit prendrait le dessus.

Elle fuyait ses pensées dans le sang d'autres et le sien. Il s'échappa dans le papier s'imbibant d'encre.

Ses mains jouaient lentement avec les draps de son lit. Les paroles de Tsunade tournaient dans sa tête se superposant aux visages morts de ses camarades. Elle ne voulait aucunement accepter le chapeau rouge. Cependant, elle savait qu'elle n'avait pas le choix. Personne dans Konoha n'équivalait ses talents de ninja. Le conseil n'accepterait aucune autre proposition. Elle ravala ses larmes et se leva.

Le conseil la regarda d'un œil critique. La guerre avait pris fin depuis quelques minuscules six mois. Son esprit hurlait encore. Son coeur pleurait encore ses coéquipiers et ses parents. Elle ne pouvait même pas prendre soin d'elle, elle n'arriverait jamais à gérer un village. Pourtant, sans son accord, le chapeau lui tomba sur la tête. Les épaules de la kunoichi se courbèrent un peu plus.

Saï observa Sakura se présenter au village en tant qu'Hokage. Les yeux verts vides parcoururent la foule. Les mains pâles saisirent un cahier. Il peignit cette femme de 17 ans aux joues creuses et au regard perdu.

Le sommeil s'échappait lentement des prunelles noires tandis qu'il courait sur les toits. La rokudaime l'avait convoqué. Ce serait la première fois depuis la guerre qu'il lui ferait face. Sakura évitait tout ce qui lui rappelait le passé et Saï savait que même si la guerre avait pris une tournure différente, il n'aurait jamais eu sa place à ses côtés.

Sakura lui tourna le dos. Elle n'était prête à voir cet homme appartenant au passé. Néanmoins, il était la seule personne en qui elle avait confiance. Saï ne faisait pas dans les politiques, il lui dirait toujours sa pensée si elle le lui demandait. Un trait que la médecin avait méprisé auparavant. Pourtant, maintenant que sa tête bourdonnait avec tous ces mensonges tentant de l'amadouer, elle s'ennuyait des mots crus et francs du ninja.

Quand elle lui demanda de l'accompagner au congrès des cinq nations, il accepta.

Ils s'arrêtèrent dans une auberge après deux jours de course. Le soleil tombait. Leurs paupières papillonnaient. Ils s'emparèrent de la clé et s'effrondèrent sur leur lit respectif.

Le clair de lune éclaira le visage réveillé de Saï. Les images sanglantes tournaient toujours dans son esprit. Il était supposé être apathique. Pourtant, son coeur lui monta dans la gorge au souvenir du visage mort de Naruto. Il lui en voulait de lui avoir réappris à ressentir alors qu'il n'était plus là pour l'aider. L'homme passa une main fatiguée sur son visage. Il n'y avait aucun vestige de son ancienne équipe si ce n'était de la femme endormie sur l'autre lit.

La lune descendit dans le ciel. Il dessina Sakura. Le vent souffla, ramenant avec lui l'aube levante. Il continua de dessiner. Les yeux verts s'ouvrirent. Il ne s'arrêta pas.

Le bruit du crayon frottant le papier la sortit de ses cauchemars. Au pied du lit, l'ombre de Saï couvrait l'édredon. Un soupir échappa à la femme. La boule dans sa gorge interrompit ce souffle. Elle pouvait presque le voir dans une autre auberge esquisser sa forme dormante, les ronflements de Naruto audibles. Elle pouvait sentir son fragile contrôle sur son esprit partir en fumée. Le sang hantait sa vision. Le poids de la culpabilité l'étouffait. Sakura perdait pied dans la réalité. Elle avait besoin de quelque chose, n'importe quoi, qui la ramène sur terre. Son corps savait quoi faire, car le moment d'après, elle regardait Saï dans les yeux, les siens brumeux d'endorphine.

Le duo arriva au congrès. Les regards remplis de pitié filèrent vers eux. Sakura eut la vague envie de vomir. Elle leva la tête, ignorant son coeur priant qu'on le fasse s'arrêter.

Les voix se mêlaient. La fatigue l'accablait. Elle voulait courir jusqu'à Konoha pour pouvoir se tenir devant les tombes de ses proches. Sakura ne pouvait pas. Son village l'avait enchaîné à ce chapeau la tenant loin de ce sol boueux. Elle prit une respiration contrôlée. Gaara la regarda. Elle l'ignora et essaya de se concentrer sur ces paroles sans sens. Au fond de son esprit, la médecin savait pertinemment que ces mots avaient un but, mais dans son épuisement, ils semblaient superflus.

Mei lui proposa un combat amical. Sakura refusa. Ses épaules étaient trop courbées, ses yeux trop éteints. Elle voulait dormir jusqu'à que la douleur se soit tue. Elle avait adoré partir en mission, mais ce n'était plus une option. Cette partie d'elle qui s'était battue, était morte le jour où le chapeau lui était tombé sur la tête. Elle avait 17 ans. Pourtant, Sakura ne s'était jamais sentie aussi vieille.

Saï écouta pour les deux. La souffrance le grugeait aussi, mais il ferait un effort pour protéger ce pour quoi Naruto était mort. Il fit semblant de prendre des notes. Il dessina le désespoir de la femme à la place. Sa propre tristesse restée prise dans sa gorge se déversait par raz-de-marée sur cette page blanche. Chaque trait était une larme qu'aucun des deux n'avait pu se permettre de pleurer.

À la fin du séjour, le calepin de Saï était empli d'yeux vides et de perles d'eau invisibles.

Le duo passa les portes rouges. Les regards tombèrent sur eux. Les enfants fixaient Sakura comme si elle détenait les réponses aux mystères de la vie. Les civils voyaient la sécurité en elle: la femme était leur dernier rempart, elle serait celle qui se sacrifierait pour les protéger. Saï vit les orbes verts brièvement se fermer. Elle les rouvrit, un faux sourire aux lèvres. Aux yeux de tous, la mimique paraissait réelle, mais Saï avait déjà vu ce sourire. C'était celui qu'elle lui avait adressé quand ils s'étaient vus la première fois. Chaque angle était destiné à tromper.

Les enfants s'approchèrent dès que son expression devint plus amicale. La nausée contrôlait son être. Son cœur tentait de s'échapper de son torse. Elle voulait aller se terrer loin. La femme continua de sourire. Son esprit hurlait de douleur. Sakura était une ninja, elle était maître dans l'art de l'illusion. Elle ignora le sourire aveuglant qui flotta derrière ses paupières.

La paperasse s'était accumulée sur son bureau. Les ombres de deux ANBU hantaient les coins de la pièce. Sakura se laissa tomber sur la chaise. Les émotions menaçaient de l'étouffer. Elle tourna le dos aux deux ninjas. Le rire de Naruto emplissait sa tête. Ses genoux vinrent se placer sous son menton. Les yeux de Sasuke se baladaient devant ses rétines. Une respiration tremblante secoua son corps. L'odeur de Kakashi habitait ses narines. Sa gorge la brûla. Le poing de l'Uzumaki se tendit vers elle. Une larme coula. Elle heurta les phalanges avec les siennes. Elle savoura la chaleur imaginaire pendant un souffle avant que la tristesse ne l'engouffre de nouveau.

Le lendemain, un dessin était posé sur un formulaire. Ses larmes décorèrent les traits de graphite.

Le conseil la jugeait, augmentant la pression. Quelques personnes murmuraient certains noms, le nom Nara revenant souvent. Sakura savait que dans un monde idéal, elle aurait choisi Shikamaru comme bras droit, mais elle vivait dans un monde où le sang tachait son jugement. Ses cordes vocales prononcèrent un prénom. Les regards fusèrent vers elle. Avait-elle perdu la tête ? Elle se leva, imposant son choix. Ils ne comprenaient pas. Chaque conseiller avait eu quelqu'un à qui revenir. Elle n'avait eu que le désespoir et les responsabilités.

Saï se tenait devant son bureau. De l'encre couvrait une partie de son visage. Du sang se mélangeait au liquide noir. Les mots franchirent les lèvres de Sakura.

Saï accepta quand il vit, dans le reflet de la fenêtre, le dessin qu'il lui avait donné.

Ils s'installèrent dans une routine épuisante. La douleur était omniprésente. Ils se voyaient et les souvenirs remontaient. Certains auraient dit que ce mode de vie était destructeur. Ils s'en foutaient parce que peu à peu, ils apprenaient à vivre avec cette souffrance sourde.

Les mois passèrent. Ils se perdirent dans la routine et la douleur.

Leur fragile équilibre tremblota lorsque le jour marquant la fin de la guerre arriva. Le tremblement s'amplifia quand Iruka leur demanda de faire un discours pour les élèves de l'Académie.

Une cinquantaine d'enfants la regardait. Elle aurait préféré être n'importe où plutôt que devant ces visages admiratifs. Shino fit taire le groupe. Le discours s'échappa mécaniquement des lèvres de Sakura. L'odeur de décomposition hantait son nez. Les images de corps, de membres ensanglantés, d'une tignasse blonde et noir jouaient en boucle dans son esprit. À chaque brise de vent, elle entendait leurs derniers mots. Les pas bruyants d'Iruka étaient remplacés par ceux d'un ninja aux portes de la mort. Sa bouche se ferma. Les applaudissements se transformèrent en cris stridents. Une main se posa sur son épaule et serra fort. L'endorphine courut dans ses veines. L'assaut de sérotonine la ramena à des visages souriants et des mains levées.

Les bouteilles de vin s'empilaient à leurs pieds. La lune éclairait le cimetière. La douleur leur remplissait le nez. Chaque respiration était un rappel de l'absence de ceux aimés. Le duo entrechoqua les coupes. Du vin éclaboussa la terre enfoncée.

Leurs murmures se perdirent dans l'air du soir. Ils regardèrent le ciel avec des yeux dans lesquels les étoiles s'étaient depuis longtemps éteintes.

La lune s'effaçait peu à peu. Les doigts de Saï s'agitaient, dessinant ce que seul le duo pouvait voir. La tête de Sakura reposait sur son épaule observant ces visages prenant peu à peu vie. La douleur étouffait leurs mots. De ses lueurs orangées, le soleil les avait rendus muets. Dans quelques heures, leur supplice recommencerait. Dans quelques heures, ils seraient enchaînés à ce désespoir leur faisant peu à peu perdre la tête. Pour l'instant, il n'y avait que le bruit du crayon sur le papier.

Une feuille virevolta au sol. La pluie imbiba le papier. Trois visages s'effacèrent, leur sourire se perdant dans la terre. L'eau brouilla les deux visages restants ne laissant que des yeux vides décorer la feuille.

Ils n'étaient plus que deux cadavres vivants attendant que leur douleur se taise. Le jour où leur tombe serait mise au jour, ils seraient ensemble respirant la souffrance de l'autre.

***Merci de la lecture !***

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