Lui

Elle ouvrit les yeux, se pencha sur la feuille et dessina. Elle ne lui accorda aucun regard. Son visage figé, il s'efforçait de contrôler le moindre de ses mouvements. Il ne devait pas bouger, c'était la condition. Pourtant ses yeux ne la quittait pas.

Pourquoi elle ?

Il savait qu'elle dessinait mais ne pensait pas qu'elle devrait le dessiner, lui. Il s'était porté volontaire mais ne pensait pas qu'il serait choisi. Les dessinateurs étaient si rares et leurs œuvres si précieuses qu'on ne leur demandait de dessiner que les choses les plus remarquables. C'était un honneur d'avoir été choisi mais pourquoi elle ?

Ne bouge pas.

Il se le répétait en boucle, il n'avait aucune idée du temps qui était passé mais son corps le faisait souffrir.

Ne bouge pas.

Les muscles endoloris criaient, ils voulaient bouger, s'étirer, se contracter. Tous ses membres diffusaient une douleur sourde.

Elle leva la tête, ses yeux lisaient en lui. Ils le transperçaient. Il se força à rester neutre. Ses yeux bleus et envoutants parcoururent son visage. Ils s'arrêtent au niveau de ses lèvres, pour se protéger, il affichait un sourire moqueur et provoquant mais il n'en menait pas large. Comment pouvait-elle le mettre si mal à l'aise en un seul regard.

Savait-elle ? Savait-elle réellement lire en lui ?

Elle n'était qu'apprenti mais on disait que les dessinateurs pouvaient percer les secrets les plus profondément enfuis d'un regard. Il avait un peu peur, qu'elle découvre ce qu'il était, le peu de chose qui se résumait à lui.

Savait-elle ? Le découvrait-elle ?

Il n'allait pas lui dire, il avait bien trop peur. De sa réaction, de son refus, des ses questions. Il ne lui dirait pas. Elle ne devait pas savoir. Et puis elle allait devenir dessinateur, elle était au dessus de lui, il n'était qu'un model, un sujet, une épreuve à passer.

Ses yeux revinrent se poser sur les siens, dans les siens. Son cœur rata un battement. Ses yeux étaient bleu, tel un lac. Un lac si profond qu'on ne pouvait en voir le fond. Un lac où, sans autorisation, on était sûr de se noyer. Ses yeux se détachèrent enfin de lui pour se reposer sur la feuille tandis que les mains reprenaient leur danse folle. Il eu froid. Froid de se contact terminé. Il aimait son regard. Il aimait...

Il l'aimait.

Tout simplement.

Il l'aimait.

Il l'avait fait souffrir. Il l'avait cherché durant toutes ces années. Il lui tournait autour sans la lâcher. Il lui faisait mal. Il le savait, il en était conscient. Mais il ne savait pas dire son amour. Il ne savait pas lui exprimer ce qu'il ressentait pour elle. Alors il avait voulu se venger. Sur elle. Sur les autres. Il était devenu arrogant, il attaquait et se moquait des faiblesses des autres. Ce n'était pas avec l'amour qui la traitait mais avec la haine.

Mais ce n'était qu'une carapace.

Mais aujourd'hui il était trop tard. Ca faisait neuf ans. Neuf ans qu'ils se connaissaient. Neuf ans d'amour à sens unique. Neuf ans de haine. Maintenant, elle gagnerait l'épreuve et rejoindrait les dessinateurs. Elle partirait. La fille qu'il observait toujours en classe. La petite folle, celle qui se tenait en retraite un peu timide mais qui riait d'un rire si merveilleux. Elle papotait en classe, n'écoutant pas beaucoup mais travaillait dure malgré tout. Elle voulait réussir. Elle allait y arriver. Leurs chemins se séparaient.

Ses yeux recommencèrent leur va et vient. Allant de son visage à sa feuille. Cela sembla durer une éternité.

CLAC

Le bruit les fit sursauter. Le crayon venait de tomber par terre. Il se pencha sous la table pour l'attraper. Elle en fit de même. Leurs mains se posèrent en même temps sur l'objet. Il releva la tête. Ses yeux se plongèrent dans les siens. Ils ne dirent rien. Parler romprait le charme, ils le sentaient et il devrait la lâcher.

Le temps n'était pas infini. Il lâcha sa main. Elle se releva et reprit sa place.

- Tu veux voir ?

Il hocha la tête. Le dessin était terminé. Chaque détails s'y trouvait. On ne pouvait pas faire mieux. Les ombres, les lumières, les impressions, les liens, ... Tout se trouvait là.

Magnifique.

- C'est presque aussi beau que moi. Dit-il un brin moqueur.

Ne pourrait-il jamais se débarrasser de cette manie de tout ramener à lui ?

Elle sourit. Elle ne lui en voulait pas.

Son regard s'assombrit. Le dessin était terminé, ils allaient sortir. Ils se diraient au revoir. Ils rentrerait chez lui, elle repartirait chez elle.

Ils ne se reverraient plus.

- Tu te rappelles quand on était dans le même groupe en art et que je dessinais mieux que toi. Tout le monde m'admirait mais toi tu t'entrainais et tu mettais tout ton âme dans chacune de tes œuvres. C'est pour cela que tu m'as dépassé. Tu t'en rappelles ?

Elle hocha la tête. Il essayait de gagner du temps mais rien n'est infini, tout à une fin.

La porte s'ouvrit. Un homme les interrogea du regard. La jeune fille hocha la tête. C'était fini. Ils sortirent. Elle donna le dessin à l'homme, il se chargerait de le faire passer aux jurés. Elle marcha le long du couloir, à ses côté se trouvait le garçon. Ils ne disaient rien, chacun étaient dans ses pensées. Le couloir était long mais plus ils s'approchaient de la sortie plus ils ralentissaient.





Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top

Tags: