- CHAPITRE 6.2 : On récolte ce que l'on sème -

Comme dans le reste de Kae, les gens se promenaient librement et vaquaient à leurs occupations. Nelia s'apprêtait à rentrer quand elle surprit une conversation entre trois hommes.

- Cette organisation est vraiment bien gérée. J'espère qu'on atteindra les objectifs fixés.

- Ils ont intérêt, vu le nombre de personnes présentes.

- Ouais, il y a un tas de monde, surtout des femmes. C'est étonnant, vous ne trouvez pas ! s'exclama un homme chauve et musclé dans la quarantaine.

- Qu'est-ce qui est étonnant ? demanda un jeune homme à la peau basanée et à la barbe soignée.

- Eh bien, le nombre de femmes présentes à Kae !

- Mouais, non, je ne suis pas d'accord. Plus il y a de personnes présentes, mieux c'est, non ?

- Qu'est-ce que tu racontes ? Les femmes ne devraient pas être ici ! Elles abandonnent leur foyer et laissent leurs enfants seuls, c'est scandaleux !

- Qui te dit qu'elles ont toutes des enfants ? Et puis, le père peut très bien s'occuper des enfants lui aussi.

- Ouais, et qui ramène l'argent à la maison, le pape peut-être ?

- Je les plains, pauvres hommes ! ajouta le troisième homme, d'origine vietnamienne, qui semblait avoir la trentaine.

- Je ne vois pas pourquoi on devrait les plaindre. Ils peuvent très bien s'occuper des enfants et travailler en même temps !

- Et quand est-ce qu'ils se reposent, alors ? Pendant que "madame" croit pouvoir changer le monde avec son corps si frêle, l'homme doit se plier en quatre pour subvenir aux besoins de sa famille.

- Comme si ramener de l'argent pour vivre ne suffisait pas déjà ! ajouta le vietnamien.

- Je ne suis pas d'accord ! Beaucoup de femmes travaillent et s'occupent du foyer en même temps. Si elles peuvent le faire, les hommes le peuvent aussi !

- Tu ne serais pas un peu féministe, toi ? Tu ne comprends pas... Tu es encore jeune, c'est sûrement pour ça ! Laisse-moi t'expliquer. Le rôle des femmes est ainsi depuis la nuit des temps, et elles sont faites pour ça, contrairement à nous. C'est leur travail, et je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd'hui...

- Exactement ! C'est comme si, à la préhistoire, tout à coup, les femmes se mettaient à chasser pendant que les hommes s'occupaient des enfants. Ça n'a aucun sens !

- Haha, tu me fais rire, à peine elles auraient la force et la condition physique pour le faire !

Tout à coup, sortant du vestiaire juste en face de l'endroit où les hommes étaient en train de discuter, une femme d'âge mûr, enrobée et aux cheveux mi-longs bruns, les interrompit en protestant :

- Eh bien, c'est beau de voir qu'aujourd'hui encore, il existe des machistes qui se permettent de juger ce qu'ils ne sont pas. Bon, à part ce jeune homme, qui a dû avoir une excellente éducation.

À quelques pas de l'entrée, une femme indienne, aux longs cheveux noirs et aux yeux foncés, surenchérit tout en se rapprochant du groupe d'individus :

- Vous faites les malins, là. Mais, on sait très bien que vous êtes les premiers à ne pas savoir vous débrouiller sans nous ! "Chérie, j'ai faim !", "Chérie, qu'est-ce qu'on mange ?", "Chérie, où est rangé ceci, où est rangé cela ?" "Chérie ! Chérie !"

- C'est tellement ça et après on ose encore nous dire qu'on n'a pas notre place !

- Euh... On n'a pas dit que vous n'avez pas votre place ici... Juste que celle qui vous convient le mieux est à la maison, en vous occupant de votre progéniture.

- Ah... Ça ne vole vraiment pas haut...

- Laisse tomber, Lyna, tu vois bien que ça ne sert à rien de discuter avec des arriérés pareils, assura une femme aux yeux noisette, remettant correctement son voile.

- Nelia ? Nelia ?

- Oui ? dit-elle, après avoir décroché de la conversation déconcertante qu'elle venait d'écouter.

- Tu ne t'es toujours pas changée ? constata Cécilia, qui avait attaché ses cheveux en queue de cheval, laissant retomber seulement deux mèches sur son visage. La lumière mettait magnifiquement en valeur ses yeux émeraude.

- Non, pas encore, mais j'y vais maintenant !

- Dépêche-toi, sinon on va arriver en retard.

- Oui, oui, je fais vite.

Nelia entra dans le vestiaire ouvert le plus proche et referma la porte derrière elle. La petite pièce était équipée de tous les éléments nécessaires pour se laver : des toilettes, une douche, un lavabo avec du shampooing et du dentifrice, un grand miroir et une armoire remplie de serviettes et de gants de toilette. Sur l'un des murs, il y avait une trappe indiquée "pour les serviettes et gants sales". La jeune fille enleva son t-shirt et son jean, puis observa son reflet dans le miroir. Son corps rond était marqué de nombreuses cicatrices. Quatre cicatrices étaient visibles sur son buste, au niveau de ses clavicules, et deux autres en dessous de sa poitrine, près de son soutien-gorge. Des vergetures recouvraient une grande partie de ses bras, de son ventre et de ses cuisses. Elle enfila le jogging caramel, puis le t-shirt qui ne couvrait guère ses vergetures aux bras. Elle tira les manches pour essayer de les cacher autant que possible. Après avoir plié ses vêtements, elle les prit et sortit de la pièce.

À quelques mètres de là, les membres du groupe Oméga étaient figés, observant une scène étonnante. Le groupe d'hommes et de femmes dont elle avait écouté la conversation était rejoint par deux organisateurs. L'homme chauve était furieux et déversait sa colère dans toutes les directions, retenu par le vietnamien. L'un des organisateurs mit fin à son discours délirant d'un ton sévère, tandis que l'autre discutait avec les femmes et le jeune homme à la barbe bien rasée. Nelia, tenant ses vêtements à la main, s'approcha et rejoignit ses coéquipiers. Curieuse, elle les questionna :

- Il s'est passé quoi ?

Ils se retournèrent tous vers elle et Sam lui révéla d'un ton amusé :

- T'as raté une scène digne d'un film hollywoodien !

- C'est clair, c'était surprenant ! Tu vois l'homme chauve là-bas qui est en colère. Il a essayé de gifler la femme voilée, raconta Nevio.

- Essayer ? On l'a arrêté ? s'étonna la jeune fille qui venait de les rejoindre.

- Oui, c'était dingue ! Non seulement, l'autre femme, celle aux cheveux bruns, l'a stoppé net, mais elle l'a aussi fait s'agenouiller rien qu'en lui tenant le bras.

- Il s'est bien fait remettre à sa place, confirma Cécilia.

- Ça lui apprendra à jouer avec le karma, on dit bien que l'on récolte ce que l'on sème ! souligna la fille à la peau ébène.

- Oui, apparemment, ils vont être confrontés au conseil cet après-midi, ajouta Sam.

- Le conseil ? demanda Nelia, étonnée.

- Je te rassure, on ne sait pas non plus ce que c'est, confia Nevio qui se tenait juste en face d'elle.

- Je doute fort que ce soit le même que dans "Koh-Lanta", ironisa Sam.

- Hahaha, j'avoue qu'il y a peu de chances... mais je pense qu'il y a des chances qu'il soit expulsé, fit remarquer Cécilia.

- On peut toujours demander à Oméga comme nous l'a dit le SHÔMA, si on a une question, on peut la poser aux organisateurs, rapporta la fille aux yeux émeraude.

- Ouais, ou alors à un autre organisateur qui sera peut-être plus sympa, proposa Sam.

- En parlant d'Oméga, je pense qu'on devrait y aller, déclara le jeune homme aux lunettes rondes.

- Oui, d'ailleurs Nelia, on a trouvé des casiers portant la lettre Oméga juste là-bas, on y a déposé nos vêtements, indiqua Cécilia en lui montrant la fin du couloir.

- D'accord, je fais vite, j'arrive.

Elle s'empressa d'aller ranger ses affaires dans les casiers au fond du couloir et revint rapidement. Une fois Nelia de retour, les jeunes se mirent en route, contournant le groupe problématique pour rejoindre l'entrée arquée des vestiaires. Au loin, ils aperçurent l'organisateur s'approcher d'eux d'un pas déterminé.

- Content de tous vous revoir ! Enfin, presque tous... Yamato ne nous fait visiblement pas l'honneur de sa présence. Où est-il ? demanda-t-il.

- Il doit encore être dans le dortoir à l'heure actuelle, rapporta Nevio.

- Cet abruti doit sûrement cauchemarder à l'idée de devoir cohabiter avec nous. Si c'est le cas, il ne devrait pas tarder, supposa Cécilia.

- Est-ce que l'un de nous devrait aller le chercher ? proposa gentiment Nelia.

- Pas la peine. Ceux qui ne sont pas capables de suivre des consignes aussi basiques seront un fardeau pour Kae. Allons-y maintenant.

- Mais Omega...

- Pas de "mais" qui tienne ! Suivez-moi ! ordonna-t-il.

L'homme s'engagea entre les membres du groupe, s'arrêta et se retourna en entendant les paroles de Nelia :

- Ce n'était pas vous qui insistiez tout à l'heure sur l'importance du groupe ? Un membre n'est pas présent et vous nous dites qu'on devrait le laisser... C'est assez contradictoire.

- Visiblement, le dernier membre semble être arrivé. Il n'a pas l'air très pressé... Nous pouvons y aller maintenant, il n'aura qu'à se dépêcher.

Mise à part Nelia qui était restée à l'attendre, tous suivirent le quinquagénaire dans ce passage mal éclairé.

- Grouille-toi un peu ! Sinon, on va encore avoir des problèmes.

- Je ne t'ai pas demandé de m'attendre.

- C'est vrai. Mais bon, c'est plus fort que moi. On est un groupe maintenant, ça ne signifie peut-être rien pour toi, mais pour moi, il faut savoir veiller au bien-être de chacun.

Le jeune homme jeta un coup d'œil dans sa direction. Son visage était radieux avec son joli sourire qui l'illuminait. Il n'ajouta rien de plus et accéléra la cadence. Il ne fallut que quelques minutes au duo pour les rattraper. Autour d'eux, le décor était immuable : une longue allée à peine éclairée, avec des parois en béton et des portes métalliques clairsemées tous les cinquante mètres, certaines portant des inscriptions et d'autres vides. Après avoir parcouru plusieurs mètres, Oméga s'immobilisa devant l'une de ces portes. Cette cloison, marquée au centre par un énorme chiffre trois, se distinguait des autres par sa largeur et son épaisseur. L'homme s'approcha lentement de la porte, qui s'ouvrit automatiquement avec un léger grincement, dévoilant une gigantesque salle lumineuse.

- Parfait ! Les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer pour les jeunes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top