- Chapitre 3.1 : Première rencontre-
Deux semaines plus tard
C'était un dimanche comme les autres à Network City, une journée grisonnante et venteuse plutôt habituelle pour cette fin de mois de septembre. Contrairement à un jour de semaine, il y avait bien peu de monde dans ces rues où seuls, à cette heure, se baladaient des Lusers, tels des robots, allant accomplir, sans même avoir de jour de repos, sept jours sur sept et 18 heures sur 24, les métiers les plus pénibles et méprisés, mais toutefois indispensables au bon fonctionnement d'Eurasia. La plupart d'entre eux n'ayant pas les moyens de s'offrir les nouvelles Autodrives*, se déplaçaient à pied ou, quand le chemin résultait trop long, empruntaient le nouveau tram à suspension magnétique et à la conduite automatique dont l'abonnement mensuel leur était offert en compensation de leurs services. C'était donc pour nos chers Lusers le seul et unique privilège dont ils bénéficiaient.
En ce moment, sur les rails de cette métropole, l'une des rames au design neuf, dotée des équipements de sécurité dernier cri, était en train de parcourir une vingtaine d'arrêts aux paysages changeants avant d'atteindre son terminus au Sud, connu comme la zone la plus pauvre et ancienne de la ville. Au milieu d'une gare délabrée qui avait l'air abandonnée, le tram s'immobilisa et ouvrit simultanément ses portes, laissant sortir une vingtaine de personnes sur son quai pratiquement désert. Parmi elles, Nelia, semblant désorientée, un sac de voyage sur le dos, se figea en plein milieu de cette station aux murs de briques rouges. Elle était là, au centre de ce quai, dans ce quartier du Sud de la ville où elle n'avait jamais mis les pieds, mais dont elle avait entendu de nombreuses rumeurs. Une zone qui avait une mauvaise réputation, abritant généralement des bâtiments peu salubres et quasi en ruines, ainsi que des délinquants en cavale et des familles de Lusers qui n'y vivaient pas par choix, mais parce que c'était le seul district de la capitale qui leur était accessible. Toutefois, la réalité était toute autre. Contrairement à ce qui se disait, "La Ruine", comme on l'appelait, était très peu peuplée, voire certaines rues étaient inhabitées, car la majorité des Lusers n'avaient pas les moyens et vivaient dans de petits taudis plus abordables en périphérie ou dans des contrées éloignées de l'État d'Eurasia.
Après une longue minute de réflexion, elle décida de saisir son smartphone qui se trouvait dans la poche de son jean délavé et se mit à configurer son GPS avec l'adresse que Kae lui avait envoyée dans la matinée. Occupée à écrire, elle se figea soudainement, ressentant cette étrange impression d'être observée. L'air autour d'elle devint plus froid et difficile à respirer. Soucieuse, elle redressa lentement son visage, dont les joues avaient pris une teinte rougeâtre. Elle regarda autour d'elle pour vérifier si ce sentiment était bien réel, espérant que ce n'était pas le début d'une de ces crises de panique dont elle avait déjà été victime à plusieurs reprises cette année. À sa gauche, il n'y avait que des silhouettes de dos qui s'éloignaient au loin. À sa droite, sur le quai pavé de briques, une dizaine de personnes attendaient tranquillement, occupées à regarder leur smartphone, en attendant l'arrivée du prochain véhicule. Nelia scruta chaque visage, convaincue qu'elle n'avait pas rêvé, et son regard finit par croiser celui d'une jeune fille aux cheveux excessivement longs, à quelques mètres de là, qui semblait la fixer. Leurs regards restèrent fixés l'un sur l'autre pendant un bref instant. La fille, qui soutenait son regard de manière insistante, avait une chevelure châtain qui tombait sur son blazer et portait sur son épaule gauche un grand sac de voyage en cuir naturel. Appuyée contre l'un des murs de la station, où était autrefois taguée une peinture à l'effigie de Parker Collin, elle observait et analysait chaque personne qui sortait de la nouvelle rame de métro fraîchement arrivée. Elle maintint le regard oppressant de ses yeux émeraude jusqu'à ce qu'elle réalise qu'elle avait été surprise en train de le faire.
Ne voulant pas la mettre plus mal à l'aise, elle se dirigea précipitamment vers la sortie, mais fut arrêtée par un groupe d'individus qui semblaient heureux et surpris de l'avoir croisée. Elle leur parla avec un grand sourire, ils voulaient prendre une photo, mais elle déclina poliment et continua son chemin.
Nelia, qui la vit biper avec sa main et enfin franchir les portiques, n'était tout de même pas à l'aise face à la situation et ne voulut pas se lancer à la poursuite de cette inconnue au regard perçant. Cherchant à se rassurer, elle préféra attendre encore un instant avant de poursuivre son chemin jusqu'à Kae.
Une fois qu'elle eut quitté la gare par l'entrée principale, une sonnerie retentit et son téléphone afficha une nouvelle notification. Elle appuya dessus et le message suivant apparut :
"Coucou ma chérie, je t'écris pour te dire que tout va très bien de notre côté. Moi et ton frère te souhaitons une bonne journée (emoji sourire). Essaye de ne pas trop penser à nous (emoji qui tire la langue), en espérant que tu t'amuses bien au camp et que tu fasses de nombreuses rencontres. N'oublie pas de prendre correctement tes médicaments (emoji flamme).
Envoie-moi un message pour me dire que tu es bien arrivée. On t'aime très fort, bisous ma louloute <3"
Elle jeta donc un coup d'œil à la carte et choisit de suivre le trajet le plus court et le plus rapide. De nature stressée, elle ne pouvait s'empêcher d'être apeurée à l'idée de se perdre, d'autant plus dans un lieu qu'elle ne connaissait pas. Il lui restait une grosse demi-heure alors que le trajet ne demandait qu'une dizaine de minutes, mais elle décida tout de même de presser le pas. C'était plus fort qu'elle !
Les rues qu'elle emprunta étaient désertes et nettement moins modernes qu'au centre. Les immeubles étaient vétustes et ne semblaient pas être équipés de technologies, comme si cette partie de la ville était restée bloquée dans les années 2000, bien avant la révolution technologique. La guerre des 50 avait également laissé des traces : des cratères sur le sol et des impacts sur les murs. Ici, dans ce quartier de la Ruine, il n'y avait pas les gigantesques écrans publicitaires qui illuminaient et recouvraient tous les murs comme on pouvait le voir au centre de Network City. Les vieux panneaux poussiéreux où l'on collait autrefois des affiches étaient rares. Ce qui différait également, outre cette ambiance morbide qui se faisait ressentir, c'était la hauteur des bâtiments qui était beaucoup plus basse que les nouveaux. Certes, comme le disait souvent le célèbre homme politique Parker Collin : "Il n'y a pas grand intérêt à construire des bâtiments modernes dans des quartiers où vit la risée de la ville. Vous connaissez l'expression : ce qui se ressemble s'assemble malheureusement..." Tout le monde hochait la tête et accompagnait son rire communicatif. Ils n'étaient pas tous d'accord avec lui, non seulement du fait qu'il gouvernait Network City depuis 21 ans maintenant, mais aussi parce qu'il était d'une grande sagesse et semblait savoir ce qui était bon pour la population et les générations à venir.
Nelia continua à avancer, la légère brise automnale lui giflait le visage et ses pas craquaient sur les feuilles qui tombaient.
- C'est peut-être l'un des seuls points positifs qu'il y a ici dans ce quartier pourri... Les arbres, murmura-t-elle.
Ce constat était vrai. Depuis l'avènement des nouvelles technologies, les arbres avaient quasiment disparu, volatilisés. Pour lutter contre les problèmes de santé liés à la pollution, les habitants de la ville étaient contraints de payer une petite taxe supplémentaire pour l'entretien et l'installation de machines filtrant l'air et les polluants. Comme l'avaient imaginé les ingénieurs, fini le ramassage des feuilles mortes et l'utilisation d'insecticides cancérigènes pour les soins des arbres encombrants. Place à la technologie et à ses bienfaits ! L'invention, connue sous le nom de ParkAir et créée par Parker Collin, consistait en des poteaux métalliques ressemblant aux anciens lampadaires des rues à l'époque de la grande catastrophe. Disséminés dans toute la métropole de Network City, ils avaient réussi à se faire une place dans la vie quotidienne des habitants. Depuis leur apparition, les problèmes pulmonaires liés au manque d'oxygène et les cas de cancer avaient miraculeusement diminué, offrant un meilleur environnement respiratoire tant aux plus âgés qu'aux plus jeunes Networkiens. De plus, les frais étaient moins élevés. Il suffisait simplement de changer le filtre à l'intérieur de la colonne tous les deux mois et d'entretenir la colonne bactéries qui contribuaient à "nettoyer" l'air sali par la pollution.
Nelia s'arrêta devant l'un des bâtiments qui semblait abandonné, ou du moins en état de construction inachevée. Les fenêtres manquaient à l'appel, peut-être brisées par des vandales ou des squatteurs. La façade n'était pas terminée, la base en béton du bâtiment était exposée, recouverte de graffitis et d'échafaudages rouillés menaçant de s'effondrer sur les intrépides qui oseraient s'en approcher. À côté, plusieurs piles de matériel de construction, détériorées par les pluies acides et les intempéries, semblaient poussiéreuses et dans un état lamentable. Certaines entrées étaient barricadées avec des planches de bois et de vieux clous, prêts à vous donner le tétanos si vous vous approchiez trop près.
- Waouh, cet immeuble abandonné fait vraiment peur à voir. C'est un sacré contraste par rapport au centre... murmura-t-elle. Un frisson parcourut son corps. Elle ne voulait pas réveiller, ni attirer les éventuels fantômes qui pouvaient traîner dans les parages.
Suivant gentiment ce qui lui était indiqué, elle s'engouffra dans de petites ruelles peu rassurantes, comme celles présentes dans les films d'horreur. Elle marchait d'un pas vif jusqu'à ce qu'elle se mette à ralentir et finisse par s'arrêter. Ses yeux fixaient son appareil tactile dont le réseau semblait avoir un problème. Sur l'écran, n'apparaissait plus qu'une carte vierge et le chemin qui y était tracé avait mystérieusement disparu. Elle regarda autour d'elle et l'atmosphère qui y régnait ne lui plaisait point.
Vocabulaires :
*Autodrives : sont les nouveaux véhicules (voitures, camions, motos) à hydrogène et à conduite automatique.
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