- Chapitre 2.3 : Côté sombre du Dark Web -
Les deux androïdes vêtus d'uniformes qui se tenaient de chaque côté de la table s'approchèrent et, saisissant les théières, servirent de manière parfaitement synchronisée les cafés aux parents, puis versèrent le lait dans les verres des trois enfants. Une fois leur tâche accomplie, l'un des androïdes retourna à sa place tandis que l'autre s'approcha de la mère et lui tendit silencieusement le bras, semblant lui demander quelque chose. La mère, dont les cheveux blonds dorés étaient retenus par une pince incrustée de diamants, lui remit son téléphone et se tourna vers les autres membres de la famille.
- It's time for the pictures ! déclara-t-elle avec un sourire éclatant, entourée de ses lèvres bordeaux.
Elle se chargea de recoiffer soigneusement ses deux fils et sa fille, ajustant leurs vêtements, puis jeta un dernier coup d'œil à Yamato pour s'assurer que tout était parfait, se plaçant elle-même de manière à obtenir une excellente photo de famille.
L'androïde qui s'était rendu à l'autre extrémité de la table, muni de l'appareil tactile, commença à prendre une vingtaine de photos, répétant plusieurs fois d'une voix robotique :
- Faites un beau sourire.
Ils changèrent de position à deux ou trois reprises, et lorsque le robot estima avoir pris suffisamment de photos, il s'approcha de la femme et lui remit l'appareil. Tenant sa tasse de café d'une main et son téléphone de l'autre, elle commença à parcourir les multiples clichés du bout du pouce qui glissait sur l'écran. Autour d'elle, chacun avait déjà commencé à déguster les délicieuses pâtisseries disposées au centre de la table. Avec un geste particulièrement gracieux, elle tendit son smartphone à Yamato, assis juste en face d'elle. Le jeune homme saisit instinctivement l'appareil, ouvrit les réseaux sociaux et suivit les instructions de sa mère.
- Alors, tu peux mettre cette photo. Pas celle-là, tu ne regardes pas l'objectif, - elle continua à faire défiler et ajouta - et finalement, celles-ci aussi. C'est bon. Applique le filtre créma et mets comme légende : FAMILY LUNCH et trois cœurs blancs. Ajoute le reste et tu peux publier.
Avant de poster la publication comme sa mère le lui avait demandé, il ajouta des hashtags à la fin de la légende et n'oublia pas de taguer les marques de haute couture qu'ils portaient.
Il lui rendit l'appareil, et à la vue des photos publiées, sa mère exprima son mécontentement.
- Comme toujours, Yamato, tu ne fais aucun effort. Ce n'est pourtant pas si compliqué de faire un beau sourire naturel !
Le jeune homme qui était en train de manger un bol de céréales aux pépites de chocolat noir avec du lait, ignora ce commentaire.
- Même pas capable de bien faire son job, ajouta en pouffant d'un rire agaçant l'un des garçons, en s'adressant à son frère et sa petite sœur. Il jeta un coup d'œil et afficha un grand sourire de fierté lorsqu'il vit que les deux se retenaient de rire.
La mère regarda alors le plus jeune qui devait avoir 10 ans et lui répliqua d'un regard noir :
- Mais enfin Célestin, qu'est-ce que c'est que ces manières ? On ne dit pas de telles choses, voyons !
- Bah quoi, c'est pas toi qui disais l'autre jour à papa que vous étiez contents d'avoir adopté Yamato, parce que depuis 10 ans vos followers ne font qu'augmenter ? renchérit-il avec confiance.
Un regard vague porter sur l'adolescent aux traits asiatiques, la mère d'une voix un peu gênée, affirma :
- Ne prête pas attention aux sottises de ton frère. Ce n'est qu'un enfant, tu sais à quel point il a une imagination débordante !
- Mouais, comme si j'étais assez naïf et stupide pour ne pas comprendre les raisons derrière mon adoption. C'est tellement évident...
- Yamato ! Je ne tolère pas que tu nous parles sur ce ton! Si tu n'es pas content, personne ne te retient ! Tu es majeur, tu es libre de partir si tu le souhaites. La porte est juste là, indiqua l'homme d'une voix rauque en lui montrant la sortie.
- Ne fais pas attention à ton père. Tu le connais, n'est-ce pas ? Il plaisante comme à son habitude, dit-elle avec un sourire gêné, craignant qu'il ne quitte réellement la maison.
- De toute façon, dès que j'en aurai l'occasion, je me tire d'ici. Ciao et bon débarras, marmonna-t-il avant de quitter la salle à manger.
D'une démarche rapide, il se retourna et monta les escaliers en prenant quatre marches à la fois pour se réfugier dans sa chambre, qui était toujours plongée dans l'obscurité malgré le soleil resplendissant à l'extérieur. Se sentant mal à l'aise dans ses vêtements, il déboutonna sa chemise, révélant ainsi son corps élancé et bien sculpté, laissant entrevoir de légères tablettes de chocolat. Sans grâce, il la retira et la jeta au sol, où se trouvait un amas de vêtements. Il saisit un sweat-shirt bordeaux qui traînait dans sa chambre depuis deux bonnes semaines et l'enfila. Dépourvu d'élégance, Yamato, capuche sur la tête, s'affala sur son siège rembourré et appuya sur le bouton de redémarrage pour rallumer son ordinateur central qui était en mode veille. À l'écran, la même publicité s'affichait, bloquant l'accès aux autres pages. Il tapota rapidement sur le clavier avec ses doigts dans l'espoir de s'en débarrasser. Pourtant, une fois de plus, il se retrouva avec le même résultat. Il ne parvenait pas à s'en défaire, malgré tous ses efforts.
- Les codes qui sont utilisés pour protéger un aussi bête spam sont super complexes ! Pourquoi protéger ce texte ainsi, ça va me prendre au moins une demi-heure pour le craquer... Dit-il à voix haute, perplexe de la situation.
Curieux de ce message, et voyant le temps que ça allait lui prendre, il décida d'y jeter un petit coup d'œil plus en profondeur.
"Un monde où vous ne seriez plus constamment contrôlé et où vous n'appartiendriez à aucune caste. Un endroit où votre temps passé devant les écrans ne serait plus jugé, où votre statut social ne serait plus un critère et où vous pourriez vous exprimer librement.
Si vous souhaitez participer au changement, si vous voulez vous battre pour vos valeurs et vos libertés, alors KAE est fait pour vous !
Rejoignez-nous en vous inscrivant !!!"
Cette publicité tombait à pic ! Il en avait marre de supporter cette fausse relation familiale, marre d'endurer des critiques et qu'on lui rappelle en permanence ses origines qu'il détestait au plus haut point. Il n'en pouvait plus, tout simplement, de ses parents qui, depuis maintenant dix ans, utilisaient à leur guise son apparence et son statut d'enfant abandonné pour jouer les sauveurs. Au cours de ces nombreuses années, il avait à plusieurs reprises déjà pensé à s'enfuir, à quitter ce lieu, mais une chose l'en empêchait : LA VENGEANCE. Yamato voulait leur faire payer et détruire ce qui avait fait de sa famille adoptive l'une des plus populaires d'Eurasia. Il savait que le simple fait de fuguer n'aurait fait qu'augmenter leur popularité et qu'ils se seraient une nouvelle fois servis de lui pour faire le buzz. Il était donc hors de question de leur laisser ce cadeau. Les années s'étaient écoulées et il avait essayé de nombreux stratagèmes plus tordus les uns que les autres pour anéantir ce qu'ils avaient construit. Il s'était impliqué dans des bagarres, insultait les gens à tue-tête, créait des polémiques, s'était fait percer les oreilles, s'était fait tatouer, s'était teint les cheveux passant du rouge au bleu, se les était rasés, mais rien n'arrivait à les affecter. Ils avaient toujours trouvé le moyen d'arranger la situation, et même d'en tirer parti, ce qui n'avait fait qu'augmenter leur nombre de followers, les faisant grimper de plus en plus haut dans le classement. Remarquant cela, il y a deux ans, Yamato avait décidé de faire profil bas le temps de trouver la vengeance idéale. Aujourd'hui, comme si on lui offrait sur un plateau, après avoir encore une fois enduré cette mascarade, il venait de tomber sur ce qui pourrait être le meilleur moyen de leur faire du mal. Quoi de mieux que de détruire le système qui est la source de leur quotidien et de leur gain de vie ? Plus de système, plus de points, plus de classes, moins de followers, moins de popularité, jusqu'à ce que tout s'écroule et finisse par les blesser. Heureux en imaginant ce qui pourrait se produire, il s'inscrivit à Kae, sans aucune hésitation, en remplissant les cases nécessaires.
Son inscription réalisée, la page qui bloquait son écran se referma automatiquement, et dans le coin inférieur gauche de l'écran apparut une notification en provenance de son compte mail. À l'aide de sa souris, il se rendit dans sa boîte mail qui comptait plus d'une centaine d'e-mails non ouverts et cliqua sur celui qu'il venait de recevoir. Aucun expéditeur, ce qui était plutôt étrange ! Seul un bref texte avec quelques informations pratiques et, pour ceux qui viendraient à regretter leur inscription, un lien pour se désinscrire. Mais Yamato, lui, n'avait aucun doute que dans deux semaines, il dira ciao à ce foyer et bonjour à la vengeance. Ce court écrit était signé par les lettres suivantes : SHÔMA. Qu'est-ce que cela signifie ? Pourquoi protéger autant leur annonce ? Cette organisation lui semblait assez mystérieuse et l'intriguait, mais trop fatigué et trop paresseux pour réfléchir à tout ça, il se leva et se jeta dans son lit moelleux. À peine avait-il fermé les yeux que résonnaient dans la pièce les ronflements profonds d'une personne endormie.
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