- Chapitre 2.2 : Côté sombre du Dark Web -

Au moment critique, lorsque le tumulte se calma et qu'un silence pesant s'installa, des mots à consonances étrangères furent prononcés.

- クソだ 私たちは失うことになる...*

* Eh merde, on va perdre...

Bizarrement, comme si ces mots ne lui étaient pas étrangers, le garçon aux yeux bridés, camouflé par ses mèches de cheveux, répondit :

- Putain, ce n'est pas en disant ce genre de connerie qu'on va y arriver, les gars, un peu de courage quoi ! Fait chier, on m'a encore refilé des incapables... Bon allez, il faut relativiser, on a encore une chance de gagner, enfin, si vous avez les bases...

Une tension intense se ressentit dans cette pièce illuminée par les LED rouges et les cliquetis des touches s'accélérèrent jusqu'à finir par s'arrêter brusquement. Des cris de soulagement émanant du casque surgirent, brisant la pression qui s'était faite lourde en fin de partie. Ses mains étaient toujours posées sur le clavier, et il n'avait pas d'expression particulière, mais seulement l'ombre d'un sourire qui s'esquissait sur son visage rond. La voix qui avait prononcé quelques mots étrangers prit la parole et interpella le jeune homme.

- Hey, Yamat ! Arigato pour tes conseils !

- Arigato ? Pourquoi c'est toujours pareil... Tu fais chier avec ta langue de merde ! Si tu tiens tant à la parler, retourne chez toi ! répondit-il d'un air agacé en soufflant.

- WOOO relax, pas besoin de t'emporter. Je...

- Ah, laisse tomber et retourne plutôt manger du riz et du poisson cru avec tes baguettes. Avec un peu de chance, tu t'étoufferas en mangeant. Je n'ai pas envie de me prendre la tête pour des petites merdes comme toi qui n'en valent pas la peine, l'interrompit-il.

Sans prononcer un seul mot de plus, le jeune ne laissa aucune chance à la discussion et ferma le tchat en quittant le jeu, sans même disputer la finale. Il enleva l'objet qui lui recouvrait les oreilles, dont l'une était percée de deux anneaux, plia le micro et le rangea sur son repose-casque. Pétri par le dégoût et la haine, il ouvrit un nouvel onglet et se rendit sur un site de recherche où, après avoir effectué quelques manœuvres, il put accéder aux profondeurs les plus obscures d'Internet. Pas inconnu du Dark Web, il avait l'habitude, les jours où il s'ennuyait et où la rancœur prenait le dessus, d'y passer son temps. Rien de mieux que ces sites web clandestins et cachés pour se changer les idées et se défouler librement, sans craindre d'être dénoncé pour des propos injurieux.

De ses yeux rougis par la fatigue, il se mit à contempler les multiples annonces les plus étranges les unes que les autres. Devant lui, s'étalaient toutes sortes de marchandises insolites dont les prix atteignaient des montants exorbitants : un rein à 180 000 €, diverses drogues telles que du cannabis, de la MDMA, de la cocaïne et de la méphédrone à 200 € pour quelques grammes, des faux documents tels que des passeports et des cartes d'identité, dont il serait impossible de douter de leur inauthenticité, des armes, des points d'une valeur de plusieurs millions d'euros pour grimper dans le classement, des véhicules d'assaut, des mots de passe, ainsi qu'une multitude d'autres articles tout aussi improbables et illégaux. Parmi ces annonces, on pouvait trouver des textes, des photos et des vidéos à caractère extrémiste, violent, incitant à la haine, et censurés sur d'autres plateformes de médias sociaux.

Juste en dessous de l'annonce de vente d'un nouveau-né à peine âgé de quelques semaines, le jeune homme s'arrêta sur une vidéo assez violente mettant en scène un groupe d'une dizaine d'individus vêtus de costumes onéreux en train de porter des coups et d'agresser deux hommes, dont on aurait pu dire, il y a 20 ans de cela, que l'un était d'origine européenne et l'autre asiatique. La vidéo était accompagnée d'une légende aussi ignoble que la vidéo elle-même : "Nous, les Roots, nous leur apprendrons qu'il n'est pas bon de cracher sur notre système." Ce qui laissait entendre que ces individus occupaient une position privilégiée dans le classement.

Son attention fixée sur l'écran, il semblait apprécier grandement ce spectacle désolant. Son visage paraissait plus détendu et moins fermé que lorsqu'il avait quitté le jeu. La vidéo dura une dizaine de minutes, laissant les deux individus quasiment morts, abandonnés dans une sombre ruelle. Une fois le court-métrage terminé, il décida, comme à son habitude, de consulter les commentaires. Une discussion était en cours, échangeant toutes sortes de propos.

- Enfin le grand nettoyage, il était grand temps.

- Tant mieux, deux déchets de moins dans ce monde !

- Nous devons exterminer et punir ces nuisibles qui souillent nos villes et les rendent malades. Nous ne voulons plus d'eux dans notre État !

- Ces sous-humains ont ce qu'ils méritent ! s'exclama l'un d'entre eux, accompagné de plusieurs émojis rieurs.

Le jeune homme, avec ses doigts agiles, rédigea quelques mots.

- Bien dit ! Peut-être qu'avec cette correction, ils ne croiront plus que leur origine fait d'eux des êtres exceptionnels ! J'espère que cela les ramènera à la réalité...

Juste en dessous de son commentaire, un autre enchérit en toute impunité :

- Tant qu'ils n'auront pas compris que leur seule raison de vivre est de nous servir, nous devons passer par ce genre d'acte ! Ils devraient s'estimer heureux de pouvoir respirer le même air et fréquenter les mêmes lieux que nous. J'espère que dans le futur, le classement inclura les enfants. De cette manière, notre progéniture ne sera plus obligée de se mélanger à ces spécimens ! N'êtes-vous pas d'accord ?

Interpellé par ces derniers propos, le visage du garçon se crispa vaguement, mais se détendit par la suite.

Ce message fut suivi d'un tas d'autres messages tout aussi choquants et violents : "Qu'ils aillent en enfer !", "Ils auraient dû les achever !", "Brûlons-les !", "Violons leurs femmes et leurs enfants.", "Vive le grand nettoyage.", "Abat les Lusers, vive les Peons et les Roots.", "J'aurais fait mieux si j'avais été à leur place.", "Je suis outré que mes enfants doivent encore partager la même pièce que ces détritus !", "J'espère que Collin Parker changera tout ça au plus vite."

Le jeune, un sourire narquois aux lèvres, sortit de l'espace commentaire et, laissant cette vidéo incongrue de côté, continua à faire défiler la page à l'aide de sa souris. L'écran se déplaçait à une cadence soutenue et des dizaines d'images défilaient devant lui, montrant encore et toujours plus d'articles sortant de l'ordinaire. Le temps s'écoulait et deux heures passèrent, lorsqu'il fut interrompu par l'apparition soudaine et étonnante d'un spam publicitaire qui masquait une petite partie de l'écran. Sans même lire ce qui y était marqué, il essaya de se débarrasser de ce post qui ne semblait pas l'intéresser. En cliquant sur la croix, rien ne se produisit normalement ; la page aurait dû se fermer, mais elle le redirigea vers un site avec un lien particulier. À l'écran, seul un petit texte écrit en noir apparaissait sur fond blanc, disposé au centre. Doué en codage et en informatique, il essaya de toutes les méthodes qu'il connaissait pour retirer ce spam. Mais rien n'y faisait, son écran était toujours obstrué par cette annonce particulièrement tenace. N'ayant pas le choix, un peu agacé et sans trop de conviction, il se résolut à lire les quelques lignes affichées.

"Le monde tel qu'il est actuellement, vous convient-il ? Approuvez-vous ce système qui ne fait qu'amplifier la haine, la rancœur et les injustices, et qui détruit peu à peu notre humanité et nos relations ?

Si l'on vous disait qu'ensemble, nous pourrions faire naître une toute nouvelle société dans laquelle le paraître ne serait pas le plus important et où les relations humaines redeviendraient réelles et non virtuelles. Un monde..."

- Yamato, descends, c'est l'heure ! l'interrompit une voix féminine lointaine alors qu'il était plongé dans sa lecture.

Le jeune homme se leva avec nonchalance de la chaise sur laquelle il avait passé toute la nuit assis. Avant de partir, il attrapa son téléphone de sa main gauche, qui s'alluma instantanément, affichant la date du mardi 14 septembre, 6h30, sur un fond noir. Yamato se dirigea d'un pas traînant vers la porte, qui se trouvait à une vingtaine de pas de son bureau.

En chemin vers la sortie, il passa devant le miroir brisé qui était fixé sur l'une des armoires. Il détourna brusquement le visage, évitant ainsi de voir son reflet, et continua son chemin, le visage légèrement plus crispé qu'auparavant. À l'extérieur de sa chambre, il entra dans un vaste couloir aux murs d'une couleur chaude, ce qui contrastait avec l'atmosphère sombre de sa chambre, et au sol recouvert d'un magnifique carrelage en marbre blanc. Le couloir menait à un large escalier en bois massif, dont il descendit lentement, une main posée sur la rambarde en verre, jusqu'à arriver dans une immense pièce qui servait à la fois de salon et de salle à manger.

La pièce, aux murs gris anthracite et aux briques apparentes, était incroyablement spacieuse et regorgeait d'appareils technologiques tels qu'un aspirateur robot qui circulait dans la pièce, un Atlantico* qui s'occupait de ranger le salon, des casques de réalité virtuelle posés sur une petite table, une énorme télévision à écran tactile géant encastrée dans le mur au-dessus d'une cheminée dont les flammes brûlaient intensément sans que le bois ne se consume, une imprimante 3D posée sur le bureau et bien d'autres gadgets connectés.

Une femme à la belle chevelure blonde, qui se faisait resplendissante avec la lueur du jour, le regarda de ses yeux d'un bleu azur avec mépris. Elle devait avoir dans la quarantaine, mais on ne remarquait aucune ride sur son visage, dont l'expression était sévère. Cela n'était guère étonnant étant donné toutes les crèmes relipidantes qu'elle s'étalait sur le visage à longueur de journée. Elle était vêtue d'une robe de haute couture en satin beige, ornée de motifs de fleurs japonaises dorées, qui tombait jusqu'à ses chevilles. À ses pieds, elle portait de hauts talons de la même couleur que les fleurs qui ornaient sa robe. Elle était assise à l'immense table centrale, le scrutant de la tête aux pieds, puis d'un ton hautain, elle enjoignit :

- Depuis quand est-il permis de venir déjeuner apprêté de cette manière ? Penses-tu réellement que cet accoutrement de pauvre soit acceptable dans cette demeure ? Ou du moins à cette table ? Va prendre une douche et change-toi rapidement, s'il te plaît. Je ne voudrais pas que l'on ait une mauvaise image de moi... - après un bref délai, elle ajouta - enfin, plutôt de notre famille ! Ta tenue est préparée dans le dressing.

Au fond de la pièce, on pouvait entendre les ricanements mesquins de trois jeunes enfants assis près d'un homme élégant et charmant, occupé sur une tablette, qui ne prêtait pas attention au grand garçon.

Yamato ne prit pas la peine de protester et se contenta de suivre les ordres donnés. Sans grande motivation, il remonta les escaliers d'un pas traînant et retourna au deuxième étage où se trouvait la salle de bain. Il entra dans cette immense pièce où trônait une douche italienne ornée de magnifiques mosaïques, ainsi qu'un jacuzzi à doubles jets pouvant accueillir quatre personnes. Après s'être déshabillé, il prit une douche rapide, impatient d'enfin pouvoir aller déjeuner. Il prit tout de même le temps de se savonner soigneusement et de rincer ses cheveux qui étaient en mauvais état depuis quelques jours.

Enveloppé dans un somptueux peignoir en satin, il sortit de la salle de bain et se dirigea vers le dressing qui se trouvait dans la pièce adjacente. Il enfila le pantalon blanc habillé et une chemise moderne à rayures qui lui avaient été préparés, ainsi que des chaussures neuves qui venaient d'être cirées. Après s'être coiffé avec soin, Yamato était méconnaissable, avec une apparence digne d'un acteur. Il descendit une seconde fois les escaliers et rejoignit le salon où la petite famille était déjà attablée. Affichant un sourire forcé, il prit place à table où un somptueux petit-déjeuner était servi, à côté de l'un des garçons.

- Ahhh, enfin tu as l'air présentable, il était temps ! Tu vois, avec un peu d'effort, même un rat peut se transformer en tigre, déclara l'homme vêtu d'un costume de marque qui lui donnait l'allure d'un homme d'affaires.

Le jeune homme, la gorge serrée, ne contesta pas cette pique, mais son expression faciale et son regard noir révélaient clairement son mécontentement.

Vocabulaires :

*Atlantico : robot qui range automatiquement la maison (nom inventé)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top